Karyès,
le 12/25 mai 2016
À Sa Divine Sainteté,
Notre très respecté Père et Maître le
Seigneur Bartholomée,
au Phanar
Très saint Père et Maître,
Nous saluons joyeusement, filialement
et avec un profond respect, votre Divine Sainteté, dans le Christ ressuscité,
par la célèbre acclamation « Le Christ est ressuscité ! »
Selon les institutions de notre lieu
sacré, nous nous sommes réunis en Synaxe double extraordinaire et nous avons
pris pieusement en considération :
1) Votre vénérable lettre patriarcale
du 11 mars 2016, par laquelle notre Sainte Communauté a été informée au sujet
de la convocation du Saint et Grand Concile, et ont été communiqués à celle-ci,
à titre informatif, les six textes préconciliaires qui seront renvoyés devant
le Saint et Grand Concile ;
2) Votre encyclique patriarcale et
synodale du 20 mars de cette année, dans laquelle est mentionné que le Concile
panorthodoxe a pour but primordial et de première importance de « manifester que l’Église orthodoxe est l’Église Une, Sainte, Catholique
et Apostolique, unie dans les Sacrements, et particulièrement dans la Divine
Eucharistie ainsi que dans la foi orthodoxe, mais aussi dans la conciliarité »,
et est porté à notre connaissance que « les textes mis au point au niveau panorthodoxe et soumis au Saint et
Grand Concile sont publiés et mis à disposition de tout fidèle bien disposé
dans le but de son information et de sa mise au courant, mais aussi afin qu’il
exprime son point de vue sur le Saint et Grand Concile et ses attentes
quant à celui-ci».
Répondant à cette incitation paternelle
de votre Divine Toute-Sainteté, nous prions instamment, avec tous les Pères
vivant dans l’ascèse et de façon agréable à Dieu sur la Sainte Montagne, afin que
le Seigneur bénisse et couronne de succès l’œuvre élevée du Saint et Grand
Concile, pour le bien de Son Église et manifeste réellement l’unité de notre
sainte Église orthodoxe, laquelle est l’Église Une, Sainte, Catholique et
Apostolique.
Ayant étudié dans ce but et avec
l’attention et le soin voulus les textes préconciliaires, nous nous permettons
de soumettre respectueusement à votre attention ce qui suit.
Nous respectons et nous vénérons comme
il se doit notre Mère la Grande Église du Christ [l’Église de Constantinople, dont
dépend le Mont Athos, ndt] et
Vous-même, le Patriarche Œcuménique et notre Père. Nous prions sans cesse pour
l’Église primatiale martyre et l’allègement du poids de la croix qu’elle porte
depuis des années. Chaque fois que surgissent des questions qui posent problème
à la conscience de la sainte Église orthodoxe, nous exprimons nos points de vue
et suggestions avec respect et amour, comme le faisaient les pères qui vécurent
avant nous.
Nous constatons l’effort efficace et
diligent des Représentants des très saintes Églises orthodoxes lors des Conférences
panorthodoxes préconciliaires, en vue de la rédaction des textes
préconciliaires concernés, qui ont été publiés sur décision de la Synaxe des
Primats (du 21 au 29 janvier 2016).
Néanmoins, nous pensons que certains
points des textes préconciliaires nécessitent une clarification, afin que soient
exprimés plus clairement la tradition pérenne des Saints Pères et le viatique
conciliaire de l’Église. Nous soumettons humblement notre point de vue et nos
suggestions concernant ces points, pour leur évaluation et leur mise en valeur
par l’Église.
Le
premier point
concerne l’ecclésiologie. La formulation « l’Église orthodoxe, étant
l’Église Une, Sainte, Catholique et Apostolique » a été posée à juste
titre comme exergue au début du texte « Relations de l’Église orthodoxe envers le reste du monde chrétien »,
dans le sens et dans la conception qu’il exprime l’unicité de Celle-ci.
Cependant, le Saint et Grand Concile, en tant qu’organe conciliaire supérieur
aux Conférences pré-concilaire, devrait compléter la formulation du texte
concerné et éviter le terme « Église » au sujet des hétérodoxes,
utilisant au lieu de celui-ci les termes « religions (dogmata) et confessions chrétiennes ». Ainsi, les hétérodoxes
connaîtront très clairement ce que nous pensons à leur sujet en tant que leurs
sincères interlocuteurs. Dans cette perspective, il serait plus juste
d’introduire la formulation suivante dans l’alinéa 2 du paragraphe 6 :
« L’Église orthodoxe connaît
(au lieu de reconnaît) l’existence historique des autres confessions
chrétiennes… » Dans la suite du texte, le concept d’unité de l’Église
nécessite également une clarification. Nous croyons qu’appartiennent à son
unité uniquement les membres de l’Église orthodoxe, en tant que Corps du
Christ, participant à la « gloire » (la grâce déifiante du
Saint-Esprit), pour laquelle a prié le Grand-Prêtre – notre Seigneur
Jésus-Christ. C’est à leur sujet seulement qu’il est dit « qu’ils soient
un, comme nous sommes un », selon le commentaire des Pères théophores (S.
Athanase le Grand, S. Jean Chrysostome, S. Cyrille d’Alexandrie). Il est utile
pour tous, pour la conscience qu’a de lui même le troupeau orthodoxe, mais aussi
pour les hétérodoxes, que nous parlions du retour de ceux qui se sont séparés à
l’Église Une, Sainte, Catholique et Apostolique, à savoir notre sainte Église
orthodoxe, laquelle maintient imperturbablement « le lien indivisible
existant entre la véritable foi et la communion sacramentelle »,
comme cela fut exprimé par les saints Conciles œcuméniques. C’est dans ce sens
de son unité que l’Église « a
toujours cultivé le dialogue avec ceux qui sont partis, lointains et
proches », et qu’elle peut dans ce cadre exprimer sa nature apostolique
« dans des conditions historiques nouvelles »
avec pour but objectif de préparer le terrain à leur retour dans Son unité dans
l’Esprit Saint. Concrètement, nous suggérons que la phrase finale de l’article
5 sur « l’unité perdue des chrétiens », soit formulée comme
suit : « le retour dans la vérité des chrétiens qui se sont éloignés
d’elle ».
Le
deuxième point des
textes préconciliaires qui devrait subir des modifications, de telle façon que
soit fixée la conscience qu’a d’elle-même l’Église à travers les temps, est ce
qui se rapporte aux dialogues interchrétiens bi- ou multilatéraux. Le mode de
conduite et de cheminement des dialogues théologiques ne satisfait pas
l’ensemble du plérôme de l’Église. Quant à notre sainte Communauté, elle s’est
exprimée, de temps à autre et dans différentes circonstances, par des textes
officiels s’opposant aux accords théologiques avec les hétérodoxes, et elle a
protesté contre les prières communes et autres pratiques liturgiques (baisers
liturgiques, etc.), par lesquels est donnée l’image d’une fausse union avec
eux, comme cela a été mentionné dans le texte de notre Synaxe double du 9/22
avril 1980. Concrètement, dans l’article 18 du texte « Relations de l’Église orthodoxe envers le
reste du monde chrétien », il doit être dit clairement que l’Église
orthodoxe ne peut en aucun cas accepter l’unité de l’Église comme un accommodement interconfessionnel
ou comme participation à des prières communes et autres pratiques liturgiques,
qui créent la confusion dans la conscience du plérôme orthodoxe. Aussi, nous ne
pouvons pas ne pas exprimer notre vive préoccupation et nos objections fondées quant
à la poursuite de la participation des orthodoxes au Conseil Œcuménique des
Églises.
Troisièmement, en ce qui concerne « le règlement d’organisation et de
fonctionnement du Saint et Grand Concile de l’Église orthodoxe », nous
comprenons les difficultés pratiques, aussi nous évitons d’aborder les
questions qui se posent au sujet du mode d’organisation et de la participation
à titre égal des évêques. En même temps, cependant, l’article 22 du texte
« Relations de l’Église orthodoxe
envers le reste du monde chrétien », où se pose la question de savoir
qui est « le juge désigné et ultime en matière de foi »,
le texte peut être plus clair avec la précision que la tradition ecclésiale
reconnaît comme juge ultime dans les questions de foi la conscience du plérôme de l’Église, qu’expriment parfois des
personnes individuelles ou des conciles de hiérarques ou le peuple fidèle, et
qui est validée par des décisions conciliaires. Nous considérons également qu’il
doit être fait référence aussi aux grands Conciles de l’Église orthodoxe qui
ont eu lieu après le VIIème Concile œcuménique (ceux qui ont été tenus sous le
patriarche Photius le Grand en 879, sous saint Grégoire Palamas en 1341-1351,
et ceux qui ont invalidé les pseudo-conciles unionistes de Lyon et de
Florence). En effet, par la référence à ces conciles, les différences
dogmatiques et ecclésiologiques entre les hétérodoxes (sur le Filioque, la grâce
créée, la primauté papale, etc) sont complètement tirées au clair.
Le
quatrième et,
selon nous, dernier point, concerne l’esprit du texte « La mission de
l’Église orthodoxe dans le monde contemporain ». Le texte se distingue par
une sensibilité spirituelle ; cependant, nous pensons, en tant
qu’athonites et héritiers de la tradition ascétique hésychaste, qu’il serait
complété de la façon la plus approprié (de préférence dans le paragraphe 6,13)
avec une référence pleinement développée à l’anthropologie et à la cosmologie
orthodoxes correspondantes, telle qu’elle a été formulée principalement par
saint Grégoire Palamas. Concrètement, le texte peut être complété de la façon
suivante : « Dieu peut se révéler à l’homme par la communion immédiate
avec Lui, lorsque ce dernier met en pratique l’ascèse selon le Christ et aspire
à Lui continuellement par la prière noétique. Le but de cette spiritualité rigoureuse
et mystagogique est la déification, c’est-à-dire l’expérience personnelle de la
Lumière divine de la Transfiguration par celui qui prie. La condition
indispensable pour cela est que la perfection personnelle, la communion avec
Dieu et Sa révélation ne peuvent être atteints que dans le cadre de l’Église.
Tout le combat spirituel est réalisé seulement par la grâce de Dieu et non
indépendamment d’elle (comme c’est le cas par l’application de diverses
techniques rencontrées dans différents courants mystiques anciens et
contemporains ou par le développement autonome de l’intellection et de la
connaissance humaines). Dans ce cadre, la place principale est occupée par la
distinction entre l’essence et les énergies incréées de Dieu. Dieu ne reste pas
inaccessible à l’homme, mais entre en relation directe et personnelle avec Lui
par Ses énergies incréées. Ainsi, l’homme participe à la vie divine et devient
dieu selon la grâce. L’énergie de Dieu n’est pas une quelconque puissance ou
surpuissance ; elle est le Dieu vivant personnel et trinitaire, qui
devient accessible et participable pour l’homme, et qui entre dans l’histoire
et sa vie afin que celui-ci « devienne participant à la nature
divine », portant « l’image » et cheminant vers « la
ressemblance » par l’ascèse, la vie vertueuse et l’impassibilité (apatheia). Par cette voie susmentionnée
de la déification, la paix selon le Christ entre dans l’homme – la « paix
qui vient d’en-haut »,
laquelle doit être distinguée de la notion de paix de ce monde, qui est
recherchée par des initiatives et des manifestations inter-religieuses.
Très saint Père et Maître, estimant
profondément les labeurs de ceux qui ont travaillé lors des Conférences
préconciliaires, nous pouvons dire en conclusion que les textes préconciliaires
nécessitent certaines améliorations, afin d’exprimer la conviction universelle
de notre sainte Église orthodoxe. Nous soumettons cette demande filiale afin,
qu’entre autres, vous preniez en compte nos suggestions, que nous exposons avec
circonspection, attention et prière, et pour que le Saint et Grand Concile
« constitue une expression authentique de la tradition canonique et de la
praxis ecclésiastique pérenne pour le fonctionnement du système conciliaire »
de l’Église. Alors se produira une grande joie dans les cieux et sur terre, et
seront évités les séparations et les schismes éventuels, tandis que le plérôme
de l’Église « d’une seule bouche et d’un seul cœur » glorifiera le
Dieu très-saint dans la Trinité, l’espoir et le salut du monde entier.
Cela dit, élevant de tout cœur
des prières ardentes au Seigneur ressuscité pour votre Divine Toute-Sainteté et
pour le succès du Saint et Grand Concile maintenant convoqué, nous vous
adressons notre plus profond respect et notre dévouement filial.
Tous
les représentants et supérieurs des 20 monastères sacrés et vénérables
monastères de la Sainte Montagne de l’Athos, réunis en Synaxe double
extraordinaire
Copie :
aux Églises orthodoxes autocéphales et aux 20 monastères du Mont Athos