En Grèce, le personnel de Road to Emmaus a interviewé le Père Theotimos Tsalas, prêtre orthodoxe et congolais, fils spirituel du Père Cosmas Aslanidis du monastère de Grigoriou, "l'Apôtre au Zaïre." Officiant maintenant, servant à l'Église orthodoxe du saint ApôtreThomas à Athènes, le Père Theotimos dessine une image vivante de la spiritualité de l'Afrique subsaharienne et de la croissance de l'Orthodoxie en Afrique centrale.
RTE: Père Theotimos voulez-vous commencer par retracer l'histoire des débuts du christianisme en Afrique?
P. THEOTIMOS: Tout d'abord, personne ne doute que le Christ ait cheminé dans la chair, en Mésopotamie et en Egypte, sur le continent de l'Afrique. Seulement sur ces deux continents. C'est une grande bénédiction pour nous.
Plus tard, quand les Romains ont pris le Seigneur pour qu'il soit crucifié, ils ont dû trouver un non-Juif pour aider à porter la croix. En raison de l'impureté rituelle, la tradition hébraïque interdisait à un Juif de même toucher une croix, alors quand ils ont vu quelqu'un qui était certainement étranger, un homme à la peau foncée, ils l'ont arrêté et lui ont ordonné d'aider [le Christ].Ce fut Simon de Cyrène, c'est-à-dire de ce qui est maintenant la Libye moderne. Mais ce n'est pas tout. L'Évangile de saint Marc nous raconte que Simon avait deux fils, Rufus et Alexandre. Selon la tradition orthodoxe, après la résurrection, l'un des deux disciples sur la route d'Emmaüs était Cléopas et l'autre était Alexandre, le fils de Simon de Cyrène.
RTE: Simon était-il déjà un adepte du Seigneur au moment de la crucifixion?
P. THEOTIMOS: Non, il était là par hasard. Il n'aurait pas été parmi ceux qui suivaient de près le Seigneur, parce qu'il n'était pas permis par la tradition hébraïque pour un étranger ethnique de suivre un groupe hébreu. Cependant, beaucoup d'étrangers - rappelez-vous du centurion romain et de la femme de Canaan - connaissaient le Christ, même s'ils n'étaient pas dans le cercle de Ses disciples. Donc, il y a la possibilité que les enfants de Simon auraient pu être "fidèles" de loin. En tout cas, Alexandre n'était pas simplement un passant sur la route d'Emmaüs. Il avait déjà un lien avec la communauté chrétienne, car il parlait du Christ avec Cléopas. En outre, Actes 13 mentionne un disciple d'Antioche nommé "Siméon, appelé Niger," (ce qui signifie qu'il était noir), et plus tard Philippe instruisit l'eunuque de la reine Candace d'Ethiopie.
RTE: Pouvez-vous nous parler de l'émergence du christianisme plus tard en Afrique? Nous connaissons les Pères du désert dans le nord de l'Afrique, mais jusqu'où au sud est allé le christianisme dans ces premiers siècles?
P. THEOTIMOS: Ceci est le sujet de mon deuxième livre, qui est en grec. Depuis la fondation de l'Eglise d'Alexandrie par l'évangéliste Marc jusques à notre actuel Patriarche Petros VII, il y a eu 111 patriarches orthodoxes d'Alexandrie élus successivement. Si l'histoire du christianisme africain devait être écrit, il faudrait plusieurs volumes.
Mais pourquoi l'évangéliste Marc est-il considéré comme le fondateur du Patriarcat d'Alexandrie? Pourquoi fut-il accepté là-bas? Ce fut parce que ses parents juifs avaient des racines familiales en Afrique, également à Cyrène, et c'est pourquoi il est allé en Afrique pour prêcher. L'Église d'Afrique, le Patriarcat d'Alexandrie sont plus anciens que l'Église de Grèce. Pourquoi? Parce que Marc était à Alexandrie, avant que Paul ne se rende en Grèce. C'est pourquoi vous voyez un patriarche de l'Eglise d'Alexandrie, au premier siècle, alors que la Grèce avait encore à peine des évêques Ce fut la première phase du christianisme africain.
Maintenant, quand on parle du premier siècle en Afrique, nous ne parlons pas de l'Afrique en dessous du Sahara. L'Afrique sub-saharienne n'était pas encore développée dans les villes. Elle était composée de petits groupes tribaux ici et là, comme les tribus indigènes d'Amérique du Nord. Lorsque le christianisme est apparu au nord de l'Afrique, de nombreuses personnes suivaient les religions tribales locales, ainsi que celles qui adoraient les dieux grecs et romains.
Dès le septième siècle, bien que l'Afrique du Nord ne fût pas à 100% chrétienne, le christianisme était très bien établi.
RTE: Georges Alexandrou, journaliste grec et historien, a montré qu'il y avait des routes commerciales étendues et beaucoup de gens qui descendaient en Afrique sub-saharienne, au premier siècle. Pensez-vous qu'il aurait pu y avoir un travail missionnaire précoce au début, par l'intermédiaire de ces routes?
P. THEOTIMOS: Il n'était pas du tout impossible que certains chrétiens soient allés plus au sud avant le VIIe siècle, mais parce que nous n'avons pas de traditions orales ou écrites, nous ne le savons simplement pas. Du VIIe au XIIIe siècle ce fut une longue période de guerre entre les Africains sub-sahariens et les musulmans, ce qui rendait presque impossible pour les chrétiens européens d'y aller. Les peuples sub-sahariens avaient peur d'une invasion et ne permettaient pas aux étrangers d'entrer chez eux. C'est seulement quand ils ont commencé la construction d'états, que le commerce et l'échange a commencé. Notre première trace moderne de présence des chrétiens en Afrique sub-saharienne est au XVIIIème siècle.
Avec la destruction d'Alexandrie, de nombreuses archives et et de nombreux textes importants des débuts chrétiens disparurent. Nous avons l'idée claire que l'histoire africaine commence seulement avec le VIIe siècle. Comme l'Islam s'est répandu et que les musulmans arabes ont envahi le nord de l'Afrique, le choix pour beaucoup de chrétiens africains (et pour ceux qui ont en étaient encore aux religions tribales) était de se convertir ou de mourir. Les africains chrétiens et ceux des religions autochtones devaient trouver un refuge, et c'est alors quand ils ont commencé à se déplacer en masse en dessous du Sahara. Beaucoup sont morts en chemin.
Ceux qui sont restés se sont mariés avec les conquérants musulmans arabes et c'est pourquoi nous avons les mulâtres contemporains d'Afrique du Nord. Les africains d'aujourd'hui ne sont en aucune façon de purs africains. Ils sont des mélanges d'européens, d'africains et d'arabes musulmans - en raison de l'avance de l'Islam, l'Afrique sub-saharienne a commencé une nouvelle ère.
RTE: Les Pères du désert et les premiers chrétiens d'Afrique du Nord n'étaient-ils pas également une partie de cette société multi-culturelle? Alexandrie et d'autres grandes villes du nord de l'Afrique étaient des centres de culture grecque et romaine et il y avait des échanges énormes le long de la côte.
P. THEOTIMOS: Oui, l'Afrique du Nord a toujours été un melting-pot - Les africains s'étaient mélangés et mariés avec les Romains, les Grecs et les Juifs depuis des siècles.
RTE: Après la conquête islamique, qu'est-il arrivé aux chrétiens dans le sud?
P. THEOTIMOS: Bien que l'Islam ait conquit politiquement, il n'a jamais été en mesure d'éteindre complètement le christianisme en Afrique du Nord. Comme je l'ai dit, nous avons une ligne ininterrompue de patriarches d'Alexandrie, comme c'est le cas avec Jérusalem. Pour ceux qui restaient, la situation était comme de nos jours en Palestine où les chrétiens ont en majorité été chassés, ou en Arabie Saoudite, où il est interdit d'avoir une église chrétienne orthodoxe, même si des chrétiens en petit groupe, peuvent officieusement prier ensemble.
Ceux qui ont fui le sud, ont, soit gardé leur foi chrétienne, ou bien ils se sont mariés et mélangés avec des groupes locaux de païens. La plupart des chrétiens qui le sont restés, se sont installés en Ethiopie et en Erythrée, qui étaient déjà chrétiennes.Les chrétiens éthiopiens sont coptes, et ils ont été illuminés par Dieu, Qui leur a donné leur langue écrite. Avant cela, l'Afrique subsaharienne n'avait pas de langue écrite, seulement la tradition orale; seule l'Éthiopie avait une langue écrite. Beaucoup de ceux qui ont décidé de rester chrétiens séjournèrent là-bas. les chrétiens qui sont allés au-delà de l'Ethiopie pourraient avoir tenu pendant quelques générations ou plus, mais eux ou leurs descendants ont finalement été absorbés dans les religions autochtones locales.
RTE: Y a-t-il des restes de ces premiers contacts chrétiens?
P. THEOTIMOS: Pas consciemment, sauf en Éthiopie. Néanmoins, il est très facile pour les Africains de devenir chrétiens quand ils entendent la vérité. L'orientation vers un autre monde dans la spiritualité africaine indigène est très proche à certains égards de celle de l'Orthodoxie.
RTE: Je voudrais y revenir plus tard, mais nous pouvons changer de cap maintenant et vous demander quand et comment vous êtes devenu orthodoxe?
P THEOTIMOS: Je suis du Congo, qui s'appelait autrefois le Zaïre, et pendant les années 1970 des missionnaires grecs sont venus à Kolwezi, ma ville, et ils ont construit une église de style byzantin. Nous sommes passés devant sur le chemin de l'école, et en voyant les croix, nous sommes allés voir un jour ce que c'était. Les orthodoxes qui étaient là, nous ont dit:
"Venez le dimanche pour un office."
Je suis allé à une Liturgie, et j'ai été très touché. J'avais douze ans à l'époque et j'ai décidé de devenir orthodoxe. Je suis allé au catéchisme, ils m'ont baptisé et m'ont donné une croix et je suis rentré dans ma famille et j'ai annoncé:
"A partir de maintenant, les mercredis et vendredis, nous jeûnons!" (Rires).
L'Orthodoxie en Afrique est connue comme "la foi, où ils jeûnent le mercredi et le vendredi." Si les gens savent que vous êtes orthodoxe, ils disent automatiquement:
"C'est mercredi, il ne mange pas."
Mais si vous mangez de la viande ou du poisson le mercredi ou le vendredi, les non-orthodoxes diront,
"Il n'est pas orthodoxe, c'est un menteur."
Au fil du temps, toute ma famille est devenue orthodoxe, à l'exception des deux frères aînés qui avaient déjà quitté la maison. Huit enfants et mes parents sont devenus orthodoxes.
Le premier missionnaire à Kolwezi a été Père Amphiloque Tsouhos, qui est toujours vivant à Rhodes. Il a environ septante ans, et c'est un saint homme. En 1986, deux infirmières grecques qui nous aidaient en Afrique ont emmené ma sœur Thècle, dans l'île grecque de Kalymnos, dans un monastère où elle a séjourné pendant seize ans, et elle est devenue la première moniale orthodoxe africaine. A cette époque, je travaillais avec le Père Cosmas du monastère de Grigoriou, et je connaissais l'évêque grec qui était le supérieur du séminaire au Zaïre. Bien que je fusse encore jeune, je fus autorisé à assister aux classes en auditeur. Je ne parlais pas en classe, mais quand les séminaristes ont dû passer leurs examens finaux, les instructeurs ont dit:
"Si tu le veux, tu peux aussi passer l'examen."
Je l'ai fait et j'ai réussi.
Les autres, qui étaient plus âgés, sont devenus prêtres, mais parce que j'étais encore jeune, l'évêque m'a demandé d'aller en Grèce pour étudier. Après avoir fini mes études secondaires au Zaïre, je suis d'abord allé au Mont Athos, à Petros Simonos, puis dans le diocèse de Pyrgos, dans le Péloponnèse, où j'appris le grec. Plus tard, je suis venu étudier la théologie à l'Université d'Athènes.
J'avais pensé devenir moine, mais avant que mes parents ne décèdent, ils ont dit,
" Tu devrais te marier."
Je n'avais jamais donné de souci à mes parents, et maintenant je pensais,
"Si je ne suis pas obéissant envers eux, ils vont mourir dans la peine." Alors j'ai dit: "Bon, choisissez une fille qui vous plaît et envoyez-la vers Moi. Mais la jeune fille doit savoir que je vais être prêtre. "
Elle est donc venue, et nous nous sommes mariés. Je suis sûr que mes parents sont décédés satisfaits.
Par la volonté de Dieu je me suis retrouvé ici, à Athènes et je suis désormais le prêtre de l'église du saint ApôtreThomas. Ma sœur Thècle est de retour au Zaïre en mission. C'est une iconographe et une couturière ecclésiastique et elle essaie de démarrer une skite au Zaïre, mais ce n'est pas facile.
Version française Claude Lopez-Ginisty
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