Saint Sérapion le Syndonite (14 mai)
Sérapion était moine depuis sa jeunesse. Il lisait la Sainte Ecriture avec tant d’assiduité qu’il la connaissait par cœur. Egyptien de naissance, il fut nommé le Syndonite car, toute sa vie, il ne porta que la tunique de lin sans manches que les Egyptiens appellent «syndon».
Très zélé dans son ascèse de dépouillement, le saint n’avait ni maison ni abri et il passait sa vie comme un oiseau du ciel en vagabondage constant. Ayant atteint la perfection dans le dépouillement, il s’efforça d’atteindre un but plus élevé. Dieu lui accorda enfin l’absence de passions1. On trouvait souvent le saint qui pleurait amèrement sur la route, à l’extérieur du village. Quand on lui demandait la cause de ses lamentations, le saint répondait : «Mon maître m’a confié sa fortune et je l’ai dilapidée et, à présent, il me tourmente». Les gens ne comprenaient pas ses paroles et pensaient qu’il parlait d’or et d’argent. Ils lui donnaient souvent de l’argent, du pain ou des légumes en lui disant : «Prends ceci, frère, mais ne te lamente pas sur la perte de la richesse. Dieu est capable de te la redonner». Sérapion dédia toute sa vie au salut du prochain. Alors qu’il était encore jeune, il se plaça dans une famille d’acteurs païens pour vingt pièces et il resta avec eux, jeûnant sévèrement et prêchant sans discontinuer la Parole de Dieu jusqu’à ce qu’il convertisse toute la famille au Christ et qu’il les convainque de quitter le théâtre. Le père de famille prit un emploi honorable et libéra Sérapion de ses liens, disant : «A présent, frère, nous te donnons la liberté puisque toi-même tu nous as libérés d’un esclavage honteux».
Sérapion partit alors pour Alexandrie. Sur la route, il rencontra un mendiant en haillons qui tremblait de froid. A la vue du pauvre homme, Sérapion enleva son vêtement et le donna à celui qui souffrait. Puis il s’assit sur le bord de la route, tenant en ses mains le saint Evangile. A ce moment, une connaissance vint à passer et lui demanda : «Père Sérapion, qui t’a dévalisé» ? L’ascète montra du doigt l’Evangile et dit «C’est ceci qui m’a dépouillé» !
Un autre jour, Sérapion vit un débiteur que l’on traînait en prison. Il n’avait rien à donner à ce pauvre homme alors il vendit son Evangile et paya sa dette. Quand il retourna à sa cellule, son disciple lui demanda où était l’Evangile. Le staretz répondit : «Mon fils, il m’a sans cesse admonesté de vendre ce que j’avais et de le donner aux pauvres. J’ai tenu compte de cette injonction et j’ai obéi afin que, par cette obéissance, je puisse recevoir grande hardiesse devant Dieu».
Saint Sérapion voyageait constamment. Un jour, arrivé en Grèce, il alla à Athènes. Pendant trois jours, il vagabonda dans la ville et personne ne lui donna même un morceau de pain. Le quatrième jour arriva et il n’avait pas mangé pendant trois jours pleins. Le saint alla à l’Acropole où se rencontraient les autorités de la cité et il commença à sangloter et à frapper dans ses mains, disant : «Athéniens, au secours» ! Les gens s’assemblèrent autour de lui pour lui demander ce qui n’allait pas. «D’où es-tu ? Qu’as-tu ?», demandèrent-ils avec le désir d’aider l’homme en détresse. «Je suis moine égyptien, répondit-il, et, ayant quitté mon propre pays, je suis tombé aux mains de trois créanciers. Deux d’entre eux m’ont quitté car ils ont reçu leur dû et n’ont plus de raison de me poursuivre. Le troisième ne me quitte pas et je n’ai pas de quoi le satisfaire».
Quelques-uns des Athéniens furent touchés de compassion et voulurent aider Sérapion à payer sa dette. «Où sont ces créanciers qui t’affligent et qui sont-ils ?» demandèrent-ils.
«Depuis ma jeunesse, répondit le fol-en-Christ, j’ai été tourmenté par l’amour de l’argent, le désir charnel et la gloutonnerie. J’ai été délivré de l’amour de l’argent et du désir charnel… ces passions ne me tourmentent plus. Mais je ne puis me libérer de la gloutonnerie. Cela fait quatre jours que j’ai faim et le créancier cruel qu’est l’estomac me tourmente sans cesse, demandant son dû habituel et il ne me laissera pas vivre si je ne le paie pas».
On donna de l’argent à Sérapion qui acheta un pain et quitta immédiatement la ville.
A Lacédemone, Sérapion entendit parler d’un homme pieux qui était manichéen. L’ascète s’attacha à lui et, en deux ans, réussit à le détourner de l’hérésie et à le ramener à la Sainte Eglise. Sérapion enseigna à cet homme et à sa famille la piété véritable puis rendit l’argent qui lui avait été donné et partit. Bien qu’il n’ait rien eu en sa possession, Sérapion s’embarqua sur un navire et s’assit sur le pont, attendant qu’il fasse voile. L’équipage et les passagers prirent le repas du soir et le capitaine du bateau, remarquant que Sérapion ne mangeait pas, supposa qu’il avait le mal de mer. Il en fut de même cependant les deuxième, troisième et quatrième jours. Quand on remarqua qu’au cinquième jour Sérapion ne mangeait rien, le capitaine demanda : «Mon cher ami, pourquoi ne manges-tu pas» ? «Je n’ai rien à manger», répondit-il. Quand il entendit cela, il commença à demander à ses officiers qui d’entre eux avait amené à bord les vivres de Sérapion. Quand il fut certain que personne n’avait embarqué quoi que ce soit pour le voyageur, le maître commença à lui faire des reproches. «Comment as-tu pu embarquer sans nourriture ? Comment mangeras-tu pendant la traversée ? Et comment paieras-tu ton voyage» ? Sérapion répondit calmement : «Je n’ai rien si ce n’est mes haillons. Retourne me jeter là où tu m’as embarqué» !
«Avec le bon vent et la navigation, grâce à Dieu, répliqua-t-il, nous ne retournerons pas au port même si tu nous offrais cent pièces d’or». Ainsi Sérapion resta tranquillement sur le bateau et le capitaine le nourrit jusqu’à ce qu’ils atteignent Rome.
A Rome, saint Sérapion rencontra un vertueux ascète nommé Dominique qui était un grand combattant de l’ascèse et qui avait le don d’accomplir des miracles. Sérapion resta avec lui et fut instruit par lui puis il alla à la recherche d’autres ascètes. Il entendit parler d’une certaine jeune fille qui pratiquait le silence et avait vécu en recluse pendant vingt-cinq ans, ne recevant jamais personne. Sérapion alla au logis de cette ascète et dit à la femme âgée qui la servait : «Dis à la vierge qu’un moine désire la voir de toute urgence» !
La syncelle1 répondit que la recluse ne recevait pas de visiteurs et qu’elle n’avait vu personne depuis des années. Sérapion insista : «Dis-lui que je dois la voir car Dieu m’a envoyé vers elle». Elle ne lui prêta pas plus attention que la première fois. Ce ne fut qu’après trois jours que Sérapion réussit enfin à être mis en présence de l’ascète. «Que fais-tu là à rester assise ?», demanda Sérapion. «Je ne suis pas assise, je suis en chemin» ! «Où vas-tu ?» demanda le fol-en-Christ. «Vers mon Dieu !» fut la réponse. «Es-tu morte ou vivante» ? «Je crois, dit-elle, que pour mon Dieu je suis morte au monde car celui qui vit selon la chair ne montera pas vers Dieu».
«Si tu veux savoir si tu es vraiment morte au monde, répondit à cela saint Sérapion, fais ce que je fais».
«Demande seulement ce qui est possible, dit-elle, et je le ferai».
«Pour quelqu'un qui est mort comme toi, continua Sérapion, tout est possible, sauf l’impiété. Descends et va te promener au dehors».
«Je n’ai pas quitté ce lieu depuis vingt-cinq ans, objecta la vierge. Comment puis-je sortir à présent» ?
«N’as-tu pas dit que tu étais morte pour le monde ? Peut-être est-ce parce que le monde n’existe pas pour toi. S’il en est ainsi, quelqu'un qui est mort ne ressent rien et tout doit t’être égal : sortir ou ne pas sortir» !
La vierge sortit. Quand ils atteignirent une certaine église, Sérapion lui dit : «Si tu veux savoir si tu es vraiment morte, et que tu ne vis plus pour les gens, alors enlève tes vêtements comme moi et, les plaçant sur ton épaule, va par la ville. Je marcherai nu moi aussi devant toi». La recluse protesta : «Mais si je fais cela, je tenterai beaucoup de gens par une telle absence de vergogne et on dira que je suis folle ou possédée».
«Qu’est-ce que cela peut te faire si on dit cela ? demanda le fol-en-Christ. Tu as dit que tu étais morte au monde et quelqu'un qui est mort ne se soucie point qu’on lui fasse des reproches ou qu’on se moque de lui, car un mort est insensible à tout cela».
Se sentant reprise à cause de son orgueil, la vierge répondit : «Je n’ai pas encore atteint un tel degré de perfection, mais je prie seulement de pouvoir y atteindre».
«Ma chère sœur, lui dit gentiment Sérapion, ne te réjouis pas d’être plus sainte que les autres et ne te vante pas d’être morte au monde. Tu viens de découvrir que tu es encore vivante et que tu te soucies de plaire aux gens»… La leçon de Sérapion apprit à la vierge la grande humilité et grâce à cela, l’éleva vers une perfection plus grande.
Un ermite vint rendre visite à Sérapion. Selon la coutume, le staretz offrit de prier avec lui. L’ermite lui répondit que ses propres péchés étaient si grands qu’il était indigne non seulement de prier avec le staretz mais même de respirer le même air que lui. Sérapion voulut lui laver les pieds mais l’ermite ne le permit pas pour les mêmes raisons déjà évoquées. Saint Sérapion parvint à convaincre l’ermite de manger avec lui. Il lui donna ensuite cet enseignement : «Mon fils, si tu souhaites te bonifier, alors reste assis dans ta cellule et sois attentif à ce que tu fais car dans la jeunesse il est plus utile de pécher dans sa cellule que d’en sortir».
L’ermite écouta cet enseignement, devint triste et changea de contenance si bien que son chagrin ne pouvait être caché du staretz. Sérapion lui dit : «Tu viens de dire que tu es pécheur, tu t’es accusé d’être indigne de l’image monastique même ! et maintenant tu te mets en colère quand je t’enseigne avec amour ! Si tu veux être humble, apprends à supporter les offenses des autres avec magnanimité et garde-toi de l’oisiveté».
L’ermite se repentit devant le staretz et le quitta ayant reçu un grand bienfait spirituel.
Telle fut la vie de notre saint père Sérapion le fol-en-Christ, homme sans passions et qui ne possédait rien. Mais nous avons, à partir d’une abondance de faits, relaté peu de choses car innombrables furent les œuvres miraculeuses et salvifiques de cet homme.
Saint Sérapion reposa au désert d’Egypte dans la soixantième année de son âge. La Sainte Eglise célèbre sa mémoire le 14 mai.
Version française Claude Lopez-Ginisty
d'après
Lev Puhalo & Vasili Novakshonoff
God's Holy Fools
Synaxis Press,
Montreal, CANADA
1976