5.
En 1952, après
des années de démarches, l’ouverture d’une maison de prière fut autorisée. On
put y célébrer les baptêmes, les mariages, les enterrements, y recevoir les
confessions, y réciter des prières, mais pas célébrer la Liturgie, donc pas
communier. Mais une moitié du chemin était faite. Batiouchka continuait son
œuvre et avait besoin de locaux.
Une femme très
croyante, originaire de Mordovie, lui céda sa maison avec une grande cour. Une
autre famille lui céda, non loin de là une grande maison, et vint habiter dans
une plus petite, tout à côté.
La maison de
prière fut aménagée. On supprima les cloisons qui pouvaient l’être et mère
Agnès peignit de grandes et belles icônes pour l’iconostase.
Chaque jour, le
père Sébastien baptisait beaucoup d’enfants et d’adolescents et célébrait
encore beaucoup d’autres offices. Puis, après une journée chargée, après avoir
dit ses prières dans sa cellule, chaque nuit, à trois heures du matin, le père
Sébastien partait à pied dans les rues sombres (il n’y avait que très peu de
lampadaires) célébrer la Liturgie dans une autre maison.
Mais les jours de
fêtes, Batiouchka commençait par les vigiles à une heure du matin, suivies
immédiatement de la Liturgie. Les fenêtres étaient soigneusement occultées,
pour ne pas laisser filtrer de lumière au dehors.
À la fin de la
Liturgie, le père Sébastien distribuait à chacun un petit cadeau : un petit
pain, une pomme ou un paquet de biscuits. Il voulait ainsi consoler, soulager,
aider ses fidèles. La Liturgie s’achevait avant l’aube et chacun retournait
chez soi, seul ou à deux, mais jamais par groupe. Il en fut ainsi pendant trois
ans.
Les démarches
pour obtenir l’ouverture d’une véritable église se poursuivaient. Après maints
voyages à Moscou, Alexandre Pavlovitch Krivonossov, un savant agronome très
dévoué à Batiouchka, revint avec l’autorisation d’ouvrir une église à
Mikhaïlovka.
Les travaux de
transformation allèrent bon train : il fallait surélever le toit, et l’on
y plaça une coupole bleue en forme de bulbe comme dans les anciens skites
nichés dans la forêt.
En 1955, l’église
fut consacrée en l’honneur de la Nativité de la Mère de Dieu. Dans la cour on
construisit une maison paroissiale et plus tard un baptistère.
La mère
supérieure Anastasia veillait sur tout. Elle gérait le réfectoire, la cuisine,
la nourriture. Parfois elle aidait elle-même à préparer les repas qu’elle
répartissait ensuite.
Elle portait
toujours une longue jupe et se coiffait d’un foulard blanc. Elle avait un
caractère d’ange, mais elle s’efforçait de le cacher sous une apparente
sévérité. Mais seuls ceux qui ne la connaissaient pas la craignaient ! En
vérité, tous l’aimaient et la respectaient beaucoup.
Elle avait reçu
le don de clairvoyance. Elle prévoyait beaucoup d’événements, mais ne les
révélait jamais clairement : elle laissait toujours entendre ou deviner.
En voici un exemple :
Par une belle
journée ensoleillée, les moniales Tatiana et Irène repiquaient des plants de
tomates et s’apprêtaient à déjeuner lorsqu’elles virent par la fenêtre mère
Anastasia se précipiter vers le potager pour déterrer les plants de tomates et
les replanter dans un cageot qu’elle déposa sur le perron en disant :
« C’est ici que les tomates doivent pousser ! » Les deux
moniales ne comprenaient pas pourquoi, mais elles se taisaient. Après quoi mère
Anastasia repartit aussi rapidement qu’elle était venue.
Le soir, un vent
très violent se leva, le ciel se couvrit de gros nuages noirs. Une pluie
torrentielle s’abattit, avec de gros grêlons, réduisant la terre du potager en
bouillie. Les deux moniales furent très étonnées mais n’en dirent mot à mère
Anastasia qui n’aimait pas dévoiler son don de clairvoyance et qui se
détournait en fronçant les sourcils lorsqu’on y faisait allusion.
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