Ce récit fut publié dans le Journal de Moscou, à la fin du XIXème siècle. En 1916, l'archevêque Nicon, membre du Saint Synode reproduisit cet article dans "Les Pages de la Trinité" après avoir correspondu avec l'auteur et s'être assuré de sa validité et du fait qu'il ne contenait rien de contraire à l'enseignement de l'Eglise concernant le mystère de la mort et de la vie dans l'au-delà.
Je ne vais pas ici me consacrer à une description générale de ma personnalité, car elle n'a aucune incidence sur la question devant être présentée, mais je vais essayer de me décrire pour le lecteur seulement en termes de ma relation à la religion.
Ayant grandi dans une famille chrétienne orthodoxe plutôt pieuse, et par la suite ayant étudié dans un type d'établissement où l'incrédulité religieuse n'était pas respectée comme un signe de génie estudiantin, je ne me suis pas révélé être un véhément et fieffé mécréant, comme l'était la majorité des jeunes gens de mon temps. En substance, je me suis révélé être quelque chose de très indéterminé: je n'étais pas athée, et en aucune façon je ne pouvais me considérer comme ayant été à aucun degré un homme religieux, et puisque ces deux états mentaux ne sont pas le résultat de mes convictions, mais furent, pour ainsi dire, passivement superposés sur moi par des forces précises de l'environnement, je demanderai au lecteur de se trouver une classification appropriée pour ma personnalité à l'égard de cette situation.
Officiellement, je porte le nom de chrétien, mais sans doute ne me suis-je jamais demandé si j'avais vraiment droit à ce qualificatif. Je n'ai même jamais eu la moindre inclination à vérifier ce que la vocation d'un chrétien demandait de moi et si je répondais à ces exigences. J'ai toujours dit que je croyais en Dieu, mais si on me demandait comment je croyais, comment l'Église orthodoxe à laquelle j'appartenais enseignait qu'il fallait croire, sans doute, me serais-je trouvé dans une ornière. Si on m'avait en outre demandé plus en détail, si je croyais, par exemple, en notre salut par l'Incarnation et de la souffrance du Fils de Dieu, en sa Parousie [Seconde Venue] en tant que juge, ce que ma relation à l'Eglise était, si je croyais en la nécessité de Sa fondation, en Sa sainteté et au salut pour nous à travers Ses sacrements et ainsi de suite, je ne peux imaginer quelles absurdités j'aurais donné comme réponses. Voici un exemple:
Un jour que ma grand-mère, qui observait toujours strictement les jeûnes, m'a réprimandé de ne pas observer les carêmes.
"Tu es toujours fort et sain, tu as bon appétit, il s'ensuit que tu es en mesure de très bien t'entendre avec la nourriture de carême. Comment se fait-il que l'on n'observe pas ces lois de l'Église, qui ne sont même pas difficiles pour nous?"
"Mais grand-mère, c'est une loi complètement déraisonnable", objectai-je. "Car tu manges, pour ainsi dire, mécaniquement, par habitude, et personne avec un peu d'intelligence ne va se soumettre à une telle coutume."
"Pourquoi déraisonnable?"
"Eh bien, ça fait aucune différence pour Dieu ce que je mange? Du jambon ou des poissons fumés"
(N'est-ce pas vrai dans ce cas, quel exemple nous avons ici en profondeur de la compréhension de l'essence du jeûne par un homme instruit!).
"Comment se fait-il que tu parles de telle manière?" continua grand-mère. "Peut-on dire: une loi déraisonnable, quand le Seigneur Lui-même a jeûné?"
Je fus frappé par une telle réponse, et c'est seulement avec l'aide de ma grand-mère que je suis parvenu à retenir la narration évangélique concernant le jeûne. Mais le fait que je l'avais complètement oublié, comme vous le voyez, ne m'a empêché en aucun cas de me jeter dans l'opposition, qui prit un caractère plutôt hautain.
Et ne croyez pas, lecteur, que j'étais plus stupide ou volage d'esprit que les autres jeunes gens de mon entourage.
Voici un autre exemple.
Il fut demandé à un de mes collègues dont on considérait qu'il était éduqué: croyait-il en Christ comme Homme-Dieu? Il répondit affirmativement, mais immédiatement après, la conversation révéla ensuite qu'il niait la résurrection du Christ.
"Permettez-moi, pourquoi dites-vous quelque chose de très étrange", objecta une vieille dame. "Selon votre croyance, qu'arriva-t-il au Christ après Sa mort? Si vous croyez en Lui comme Dieu, comment pouvez-vous vous permettre simultanément de penser qu'il est mort complètement, c'est-à-dire que Son être finit complètement?"
Nous attendions une sorte de réponse scabreuse de notre être intelligent, quelques subtilités dans la conception de la mort, ou une nouvelle explication de la question en discussion. Pas du tout, il répondit simplement:
"Oh! Je n'ai pas réalisé cela. J'ai dit ce que j'ai ressenti."
Version Française Claude Lopez-Ginisty
d'après
Orthodox Life
Vol. 26, No. 4
Holy Trinity Monastery
Jordanville, N.Y.
USA
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