L’archimandrite mégaloschème Elie (Nozdrine) est l'un
des pères spirituels les plus renommés et les plus respectés de l'Eglise
orthodoxe russe aujourd'hui. Il sert actuellement comme père spirituel de Sa
Sainteté, le Patriarche Cyrille de Moscou et de toute la Russie (son camarade
de classe de l'Académie théologique), et du monastère d'Optina. Alexei Sokolov
a mené cette interview.
*
Batiouchka, dites-moi, pourquoi la guidance spirituelle
est-elle nécessaire pour quelqu'un qui entre dans l'Église? Et en quoi
devrait-elle consister?
La vie spirituelle doit être apprise; c’est peut-être
l'apprentissage le plus important de notre monde, sans lequel notre société est
condamnée. Voyez où nous a conduit l'impiété: le rejet de la vie selon les
Commandements. Ce n’est pas par hasard qu’au milieu du siècle [dernier], le
monde se tenait au bord de la destruction et de la catastrophe nucléaire,
précisément en ces années au cours desquelles il a été promis de «montrer
le dernier prêtre» à la télévision dans un proche avenir. [1] Maintenant, le
terrorisme, la haine satanique, et la dégradation de nos villages partagent
tous une racine commune, allant vers la destruction de la continuité de
l'expérience spirituelle, sans laquelle nous ne pouvons pas vivre une vie normale.
Cela permet non seulement d’éloigner l’homme du salut dans la vie éternelle, cela
se révèle aussi destructeur de notre vie sociale actuelle.
La tâche de l'enseignement spirituel est précisément
la restauration et le renforcement de la tradition de transmission, de préservation,
et d’augmentation de l'expérience spirituelle. L'importance de ce ministère
est représenté par le fait que dans l'Evangile, le Seigneur Lui-même est appelé
le Maître. Après tout, Lui-même nous a donné un exemple: le Sauveur marchait à
travers toute la Palestine avec ses disciples, faisant comme d'autres
enseignants de l'époque faisaient - non seulement en Israël, mais aussi à
Athènes et en Orient. Ainsi le Christ nous a montré qu'une salle d’étude
chauffée n’est pas nécessaire pour l'apprentissage spirituel; on peut apprendre
sur des roches nues. La chose la plus importante est ce qu'il faut apprendre,
et comment.
Le christianisme offre une réponse très claire. Notre
foi, et la richesse de nos vies spirituelles, sont acquises tout d'abord par la
communion directe avec Dieu – c’est-à-dire par la prière, par laquelle sa foi
est établie. Sans cela, selon Théophane le Reclus -ancien recteur de l'Académie
théologique de Pétersbourg, soit dit en passant- les connaissances théoriques
et l'éducation sont de peu de valeur. Mais, dans le même temps, cela ne nie pas
la valeur de la connaissance, qui est aussi une partie intégrante de la vie
spirituelle, celle qui ne peut en aucun cas être négligée. Pourquoi avons-nous
tant de problèmes aujourd'hui, y compris dans la vie spirituelle, et pour
trouver un père spirituel? Tout le mal réside dans l'absence d'éducation
orthodoxe et de connaissance dans le domaine de la théologie. Quand un enfant obtient,
dès le début, au moins une certaine compréhension de ce qu’est la vie
spirituelle, et de ce qu'est la foi, alors il peut éviter de nombreuses
erreurs.
L'apprentissage de la vie spirituelle signifie
combiner la prière et de l'éducation. Et, bien sûr, il est particulièrement
important de comprendre qu'un père spirituel ne peut pas offrir en cinq ou dix
minutes ce qui prend des années pour acquérir une vie spirituelle normale.
Après tout, il arrive fréquemment que quelqu'un entre dans l'Eglise pensant
qu'il deviendra immédiatement un saint, et obtiendra des dons spirituels
spéciaux de Dieu. Mais cela ne se produit pas.
La prière et le fait de se tourner vers Dieu
devraient être combinés avec l'éducation, l'acquisition de connaissances, et
des changements dans la vie quotidienne.
C’est seulement vers ces changements qu’un père
spirituel doit guider, mais lui seul ne peut pas offrir beaucoup à quelqu'un
qui n’est pas prêt à le recevoir. Un père spirituel peut expliquer quelque
chose, mais -comme il est dit dans la parabole évangélique- le semeur peut
semer, mais quand les moineaux et les corneilles arrivent à tire d’aile et
picorent les grains, l'homme est de nouveau laissé vide. Une personne et son
père spirituel devraient coopérer, agissant en tant que collègues. Seulement
alors, on peut commencer à parler de véritable croissance spirituelle d'une
personne.
Version française Claude Lopez-Ginisty
d'après
********
[1] Ces paroles, attribuées à Khrouchtchev, sont entrées
dans la conscience des masses d'Union Soviétique; à la fois l'origine de la
déclaration et de l'année prédite sont contestées. Le mot traduit ici par
«prêtre» est «pope», terme péjoratif.
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