Père Jean Boboc, Le transhumanisme décrypté. Métamorphose du bateau de Thésée, Apopsix, Paris, 2017, 463 p. ; Dominique de Gramont, Le christianisme est un transhumanisme, Paris, Éditions du Cerf, 2017, 365 p.
Le transhumanisme est à la mode et a donné lieu ces derniers temps à de nombreuses publications. Ses partisans bénéficient d’importants moyens médiatiques pour en faire la promotion, car le mouvement est intimement lié aux grandes entreprises mondiales du numérique (en particulier Google). La nouvelle idéologie, qui prend souvent la forme d’une pseudo-religion, suscite l’adhésion d’une population en quête d’amélioration et d’ « augmentation » (enhancement, comme on dit en anglais) de ses capacités physiques, psychiques et intellectuelles, et surtout en quête d’immortalité. Elle se nourrit du culte du corps, du désir d’une éternelle jeunesse, et de la recherche de performances en tout genre, mais aussi de la peur des infirmités de la vieillesse et de la mort. Ses promoteurs ont pour la plupart en vue la constitution d’un homme nouveau, dépassant l’homme actuel, voire se substituant à lui (d’où le nom de transhumanisme), réalisé au moyen des techniques nouvelles, en particulier biologiques (génétiques) et numériques (informatiques). Cette idéologie a aussi des détracteurs qui craignent de voir apparaître un être déshumanisé, soumis à la programmation et donc à la domination de ses concepteurs et voué à diverses dérives. Les chrétiens de tout bord, qui considèrent que la nature humaine, créée et donc définie par Dieu, est intangible, qui acceptent qu’elle puisse, en certains de ses défauts hérités de la chute originelle, être réparée et améliorée dans certaines limites, mais ont en vue pour elle un développement spirituel sans commune mesure avec le développement matériel visé par le transhumanisme, sont parmi les premiers opposants à celui-ci.
Dans son livre Le transhumanisme décrypté, le père Jean Boboc, qui est à la fois médecin et théologien, se livre à une vigoureuse critique de la nouvelle idéologie.
Dans les quatre premières parties de l’ouvrage, il en analyse tous les aspects: ses sources, son histoire, ses formes, ses buts, ses dangers.
Dans la cinquième et dernière partie, il suggère des moyens de résistance et des alternatives fondées sur la théologie, l’anthropologie et la spiritualité chrétiennes.
L’ouvrage est très bien documenté et envisage pratiquement tous les aspects de la question, y compris des aspects annexe comme celui du genre (gender).
Il constitue une mise en garde non seulement utile mais nécessaire face aux dangers du transhumanisme et à toutes les dérives qui se profilent dans les déclarations et projets de ses promoteurs.
Il est nécessaire que les chrétiens orthodoxes, qui disposent d’une tradition anthropologique qui est consciente de la vraie nature de l’homme et de sa dignité, et qui est soucieuse de son respect, soient en première ligne pour la défendre face à une idéologie et des techniques qui veulent la transformer avec des intentions principalement mercantiles, pour informer les autres citoyens des risques encourus, et pour exiger des États de prendre des mesures destinées à empêcher les dérives prévisibles en posant, par la loi, des limites strictes à certaines pratiques.
Ce livre accomplit bien cette tâche, mais on peut lui reprocher un travers habituel de son auteur, qui se rencontrent aussi dans les diverses émissions et conférences qu’il a faites sur les questions de bioéthique: une vision noire, profondément pessimiste, qui dramatise excessivement la situation et nous place déjà dans une atmosphère apocalyptique.
Il faut savoir raison garder et faire une distinction entre les faits réels et probables d’une part et ce qui relève de l’imaginaire d’autre part. Les écrits transhumanistes ont une apparence scientifique, mais relèvent souvent en réalité de la science-fiction, et s’apparentent dans bien des cas à des délires. Le transhumanisme se nourrit pour une bonne part de fantasmes et de faux espoirs, et comporte une forte dose d’illusion. On voit très bien, dans la réalité concrète où nous vivons, comment la nature déchue de l’homme reste, malgré les immenses progrès réalisés par les sciences et les techniques au cours de ces dernières décennies, soumise à la maladie, à la vieillesse et à ses infirmité, à la souffrance, à la corruption et à la mort. Ces progrès, mais aussi un meilleur suivi médical, ont permis une élévation de la durée moyenne de vie, mais une grande partie de la population âgée vit dans des conditions très dégradées et peu enviables. Les immenses ressources financières et intellectuelles mises en œuvre par les sciences et les technologies modernes sont efficaces pour créer des prothèses sophistiquées et ralentir le processus d’évolution de certaines maladies, mais restent quasiment impuissantes face aux accidents cardiaques et neuro-vasculaires imprévisibles, et aux maladies chroniques les plus graves et les plus meurtrières: cancers, maladie de Parkinson, diabète, maladie d’Alzheimer et démences (plus de 10 millions de nouveaux cas par an), sclérose en plaques, etc. Certaines de ces maladies sont d’ailleurs en forte expansion, en relation avec l’augmentation d’une population âgée, parmi lesquelles les démences, dont le nombre de victimes, selon un récent rapport de l’OMS, devrait tripler au cours des trente prochaines années. À noter d’ailleurs qu’en France, aux États-Unis et dans d’autres pays, l’espérance de vie a commencé à baisser… À noter aussi que certaines recherches et techniques (notamment sur le clonage) qui, il y a quelques années, étaient présentées par les médias comme allant révolutionner l’avenir et suscitaient les craintes de certains commentateurs, sont aujourd’hui abandonnées comme étant dépourvues d’intérêt… Il est clair que le vieillissement ne peut être aboli par une simple modification des « gênes du vieillissement », car le processus de dégradation de la matière affecte tous les êtres de l’univers, étant lié aux conditions d’existence temporelle de ce monde, et que la mort, qui affecte tous les êtres vivants, est une barrière qui ne pourra jamais être franchie par des moyens matériels humains.
Ce qui est important, dans une perspective chrétienne, c’est de montrer que la souffrance, les diverses infirmités et la mort ne peuvent en ce monde être réellement surmontées que par des moyens spirituels, et par la grâce que le Christ – qui les a lui-même transcendées pour nous par ses souffrances, sa mort sur la Croix et sa résurrection – donne pour ce faire à ceux qui s’unissent à Lui par les sacrements et la vie spirituelle, et que la mort elle même ne pourra être surmontée que la par la résurrection dont le Christ nous a également acquis la grâce. À cet égard, les considérations que l’on trouve dans la dernière partie du livre du Père Jean Boboc et qui n’occupent qu’une petite place auraient mérité d’être plus largement développées, pour montrer de manière positive et convaincante en quoi le christianisme constitue la véritable – et la seule – alternative au transhumanisme.
Le livre de Dominique de Gramont, par son titre, Le christianisme est un transhumanisme, semble a priori voué à ce projet. Ce titre (qui est un détournement du titre d’un essai célèbre de Sartre) est formidablement bien trouvé (et il est bien dommage qu’il soit d’emblée gâché sur la couverture par une illustration blasphématoire du plus mauvais goût, y compris esthétique).
L’auteur est catholique (comme l’indique dès le début la phrase de « saint Jean Paul II » mise en exergue, et dans le texte ses références au « magistère » et à des auteurs quasiment tous catholiques), mais, nous dit la 4e de couverture, il a obtenu un master en théologie à l’Institut Saint-Serge, ce qui met le lecteur en attente de quelques références orthodoxes, et justifie que nous parlions ici de son livre.
Dans une première partie, après avoir présenté quelques critiques chrétiennes récentes du transhumanisme, l’auteur fait une bonne présentation de la nouvelle idéologie dans ses prémisses, son histoire, ses représentants majeurs et ses divers composantes, bien que son étude soit moins approfondie que celle du père Jean Boboc.
Dans une deuxième partie, il montre bien ses limites et son caractère antihumaniste, lequel se manifeste aussi dans divers concomitants philosophiques et sociologiques (bien que dans ces domaines il s’écarte parfois nettement de son sujet et se borne quasiment à présenter un catalogue des opinions de divers auteurs, sa critique se limitant souvent à des remarques ironiques).
La troisième partie aborde enfin « le christianisme comme antireligion transhumaniste ». Le titre est maladroit, mais le projet global est le bon: ce qui est important c’est de montrer comment le christianisme est le seul véritable transhumanisme. Mais malheureusement l’auteur ne dispose pas, pour ce faire, des bons outils: après une réflexion assez confuse dans ses thèmes et ses références, c’est la théorie obsolète et passablement décriée (y compris dans les milieux catholiques) de Teilhard de Chardin qu’il présente comme norme majeure et finale. On éprouve donc une grosse déception par rapport aux espoirs que suscitait le titre de l’ouvrage.
En fait, ce n’est que dans le cadre dogmatique et spirituel, propre à la spiritualité orthodoxe, de la déification de l’homme – où l’humanité, se développe, croît, s’améliore, s’accomplit et trouve sa perfection dans une union à Dieu qui la transforme véritablement, faisant de l’homme « un dieu selon la grâce » selon l’expression des Pères orientaux – que le transhumanisme chrétien peut se réaliser, et permettre à l’homme de dépasser spirituellement les limitations liées à la matière, à l’espace et au temps – qui sont les conditions d’existence de ce monde –, de vaincre la mort et de vivre éternellement. Comme je l’ai montré dans un colloque récent, le transhumanisme n’est qu’un ersatz pauvre, une perversion et une caricature matérialistes de la doctrine chrétienne orthodoxe de la déification. C’est en promouvant celle-ci que l’on pourra le mieux s’y opposer.
Jean-Claude Larchet
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