"Dans la confusion de notre époque quand une centaine de voix contradictoires prétend parler au nom de l'Orthodoxie, il est essentiel de savoir à qui l'on peut faire confiance. Il ne suffit pas de prétendre parler au nom de l'Orthodoxie patristique, il faut être dans la pure tradition des saints Pères ... "
Père Seraphim (Rose) de bienheureuse mémoire

samedi 28 décembre 2019

DU BOUDDHISME AU LUTHÉRANISME ET À L'ORTHODOXIE


Le Père Chiril [Cyrille] est allemand. Bien qu'il soit né et ait grandi en Allemagne, il vit depuis de nombreuses années au monastère Radu Voda de Bucarest [1]. Il tomba amoureux de l'orthodoxie et de la Roumanie et décida d'y rester pour toujours, non pas comme laïc mais comme moine d'un des monastères les plus célèbres de la capitale.

Moine Chiril (Karthaus)

Le "Dieu injuste"

La petite fille n'avait que huit ans. Il s'en souvient aussi clairement que si c'était hier. Elle était infectée par le SIDA depuis sa naissance, comme c'est souvent le cas en Inde où plus de deux millions d'adultes vivent avec cette maladie. Elle devait mourir comme ses parents étaient morts. Elle savait ce qui l'attendait, de même que les religieuses qui la soignaient et les bénévoles qui travaillaient à l'orphelinat. Ils savaient qu'ils ne pouvaient pas l'aider parce que cette maladie n'épargne personne, même les enfants. Mais malgré ses souffrances et sa pauvreté, la fillette de huit ans était heureuse et sereine, tandis que tous les autres patients autour d'elle étaient profondément désespérés.

"Un jour, nous nous sommes tous rassemblés autour de son lit et avons pleuré. Elle nous a regardé calmement : "Arrêtez de pleurer, je rentre chez moi ! Et dans la détresse, j'avais l'impression que mon cœur se brisait dans ma poitrine. Ces mots m'ont frappé ! J'étais un jeune homme de dix-huit ans, enchanté par le bouddhisme, mais cette rencontre m'a mis face à face avec l'ampleur choquante de la souffrance humaine. Ayant pitié de la petite fille, je ne trouvais aucun réconfort dans le chagrin. "Pourquoi y a-t-il tant de douleur sur cette terre ?" me suis-je demandé. Pourquoi Dieu permet-il à une petite fille innocente de mourir d'une maladie incurable ? Qu'a-t-elle fait pour mériter cela ?

A partir de ce moment, je ne me contentais plus de la réponse typique des bouddhistes : " La jeune fille a été punie dans cette vie pour quelques mauvaises actions qu'elle avait commises dans sa vie antérieure selon les lois du karma." J'en conclus que le Dieu qui n'est guidé que par les lois du karma doit être impitoyable. Je me suis donc progressivement éloigné du bouddhisme et de l'hindouisme et j'ai recommencé à lire la Bible. Ce n'est que dans le christianisme, c'est-à-dire dans le christianisme orthodoxe, que j'ai découvert que Dieu nous pardonne, qu'Il est Lui-même Amour et Miséricorde.

"Cet incident avec la poetite fille qui a fini par mourir dans cet orphelinat est devenu le tournant de ma vie."

Une maison qui a été convertie en temple

Le petit Niman avec son père

"Hare Krishna, Hare Krishna,
Krishna, Krishna, Hare, Hare, Hare,
Hare Rama, Hare Rama,
Rama, Rama, Hare, Hare, Hare !"

Avant que le soleil n'ait le temps de se lever au-dessus de l'horizon, la maison de Herr Karthaus du village d'Argestorf près de Hanovre se transformait en un petit temple bouddhiste. Le rite commençait à cinq heures du matin. Herr Karthaus répétait le Maha-Mantra (grand Mantra), essayant de s'unir à Krishna par la méditation.

C'est dans cette atmosphère que le petit Niman (nom séculier du Père Chiril) grandit. Sa mère, une pieuse protestante, lisait la Bible et faisait des enclins devant un crucifix et une statue de la Mère de Dieu, tandis que son père (qui s'était converti à l'hindouisme dans sa jeunesse et avait rejoint le mouvement Hare Krishna) lisait la Bhagavad-Gita et chantait des mantras du matin.

"J'ai grandi à Argestorf, et mes parents y vivent toujours. C'est un petit village près de Hanovre. J'ai eu une enfance merveilleuse. Je jouais beaucoup en plein air et je passais beaucoup de temps dans la forêt. J'ai toujours senti la présence de Dieu. Je lui parlais dès mon enfance, je lui racontais tout comme s'il était mon ami. Pour moi, Dieu était très réel, mais je me souviens d'une certaine anxiété. Je voulais mieux Le connaître...

"Imaginez, il y avait des statues de Bouddha, de Krishna et de la Très Sainte Mère de Dieu dans notre maison. Maman lisait une prière chrétienne avant chaque repas, tandis que papa priait Krishna chaque matin. Par conséquent, dès ce jeune âge, je me suis demandé : quelle religion est vraie ? Ayant cette question en tête, j'ai regardé attentivement toutes les grandes religions, mais je n'avais pas l'impression d'avoir trouvé la vérité."

Inde

En tant que bénévole à Paris

Quand Niman eut seize ans, son père l'emmena en Inde. Il n'imposa jamais rien à son fils et ne le força jamais à choisir une religion particulière ; il essaya plutôt de l'aider à mieux les connaître. Ils visitaient ensemble les ashrams et les temples, se prosternaient devant toutes les divinités hindoues, dansaient devant elles, méditaient et priaient. Mais Niman n'était pas satisfait. Bien que l'Inde, avec toutes ses couleurs, ses parfums et sa vie pleine de respect, l'ait fasciné, elle ne gagna pas son cœur.

Enfin, ils arrivèrent à Dharamshala dans le nord-ouest de l'Inde (où vit la diaspora tibétaine en Inde) et y rencontrèrent le Dalaï Lama.

"Je reçus la bénédiction du Dalaï Lama, mais je ne lui posai aucune question. Je me sentais attiré par le bouddhisme et je décidai que lorsque j'aurais atteint une maturité suffisante, j'irais dans un monastère pour suivre le chemin spirituel du Bouddha Chakyamuni. Mais deux ans plus tard, une occasion de faire du travail social comme volontaire en Inde se présenta. J'ai volontiers accepté, espérant de cette façon, étudier le bouddhisme de plus près.

"J'avais dix-huit ans et je voulais faire quelque chose de spécifique pour les autres et les aider. Dans ma naïveté, je pensais même être capable de changer le monde, d'en faire quelque chose de meilleur et de beau. Mais il y a eu l'incident de la petite fille infectée par le VIH dont j'ai parlé plus haut, alors j'étais déjà incertain de savoir si je voulais vraiment être moine bouddhiste. Et je me suis de nouveau tourné vers le christianisme, j'ai commencé à lire la Bible et à prier. Mais c'est grâce à l'Orthodoxie, à l'Orthodoxie roumaine pour être plus précis, que j'ai été complètement transformé."

Un hymne à Jésus

A l'église du monastère de Radu Voda

  
Tout a commencé lorsqu'un jour Jésus s'adressa à lui dans un hymne inhabituel. Il lui fut chanté par deux Roumains en France. C'était le soir dans un centre, où les jeunes voulaient présenter le pays d'où ils venaient. Tous ceux qui s'y étaient rassemblés étaient des activistes publics.

Les Roumains choisirent un hymne de l'Église, désireux de transmettre l'esprit de leur tradition séculaire, la foi paysanne roumaine, à travers elle. Niman fut envoûté en l'écoutant. Il n'avait jamais rien entendu de tel auparavant. La musique était très émouvante et profonde.

C'était sa première rencontre avec l'Orthodoxie. Aussitôt, il décida d'aller en Roumanie et de trouver un poste bénévole dans un centre social de Bucarest qui travaillait avec des enfants sans abri. C'est ainsi qu'il finit à un service au monastère de Radu Voda, où son âme s'attacha à la beauté du Christ, qui entre dans le monde par des icônes, des hymnes, des vêtements et d'anciens offices byzantins.

"Le premier office auquel j'ai assisté était les Vêpres. Même si je ne comprenais pas un mot en roumain, je fus très impressionné. Je me suis demandé : "C'est peut-être la vérité ? Peut-être que ma recherche est enfin terminée ?

"Maintenant, quand je dis aux Allemands que les offices monastiques orthodoxes, surtout pendant les jeûnes, peuvent durer cinq à six heures, ils sont étonnés et ne comprennent pas comment les orthodoxes parviennent à tenir si longtemps pendant tout le service religieux. Mais cela ne me semble pas difficile parce que je pense que les services orthodoxes sont très dynamiques et non statiques. Aux offices luthériens ou catholiques romains, vous vous asseyez sur votre banc, comme dans un théâtre où vous venez séjourner pour un certain temps et rien d'autre. Mais vous avez une expérience particulière aux offices orthodoxes, qui ont beaucoup de vie ! Nous ne considérons pas l'office comme un service extérieur - nous y participons. Parce que c'est ainsi que l'Église est vraiment - l'Église n'est pas seulement un prêtre, ou juste des moines, ou simplement la chorale qui chante. Non, nous formons tous l'Église et participons aux offices par nos prières, nos enclins et parfois en chantant.

"Les icônes byzantines sont très propices à la création de cette atmosphère. Dans les églises catholiques, les icônes sont principalement considérées comme des œuvres d'art sans aspect spirituel ; quant aux luthériens, leurs icônes ont été retirées aux églises pendant la Réforme. Les icônes sont toujours présentes dans les églises orthodoxes comme des " fenêtres sur Dieu " qui nous aident à communiquer avec Lui. Après tout, les êtres humains ont besoin de quelque chose de tangible, et chaque fois que nous parlons de Dieu comme d'une chose abstraite, ils trouvent cela difficile à comprendre. Mais quand il y a une icône devant moi, cela m'aide à penser à Dieu, à parler personnellement avec Lui et à avoir une relation spécifique avec Lui.

"À mon avis, cela explique le fait que, ces derniers temps, des icônes sont apparues dans de nombreuses églises luthériennes et catholiques. Ces gens aspirent à l'authenticité et à la recherche des origines de l'Église. Après tout, les icônes existaient dès les premiers siècles du christianisme."

La prière du cœur [2]

Y a-t-il eu un événement particulier, un point particulier lorsque vous avez décidé fermement de choisir l'Orthodoxie ?

-Après avoir assisté aux premières Vêpres dont j'ai parlé plus haut, j'avais le désir de parler à un prêtre et d'en savoir plus sur l'Orthodoxie. Et j'ai rencontré ici le Père Polycarpe - nous avons eu des entretiens avec lui et il m'a guidé dans ma recherche. De retour en Allemagne, j'ai commencé à lire les livres que le Père Polycarpe m'avait recommandés. C'est alors que j'ai découvert saint Silouane du mont Athos, dont les écrits ont également été traduits en allemand ; son amour pour le monde entier a profondément touché mon cœur.

Archimandrite Polycarpe (Chițulescu)

Mais le point crucial était quand j'ai lu le livre, Les Récits du Pèlerin Russe - à propos d'un [pèlerin] russe anonyme qui apprenait sans cesse à faire la prière du cœur. Cela eut un effet énorme sur moi. J'ai été stupéfait par la prière de Jésus et j'ai commencé à la réciter. J'ai vraiment rencontré les profondeurs de l'Orthodoxie à l'époque. Cette expérience ne s'est plus jamais répétée. Cette douceur de la prière du cœur, la joie sans fin de rencontrer le Christ au plus profond de mon cœur, une relation personnelle avec Dieu qui n'est possible qu'en Orthodoxie, particulièrement par la prière de Jésus, tout cela m'a convaincu que c'était la fin de ma recherche.

J'ai donc décidé de retourner en Roumanie pour recevoir le baptême orthodoxe et être absorbé dans cette prière. Le Père Polycarpe du monastère de Radu Voda m'a dit d'attendre un peu, de me préparer pour ce sacrement et de lire certains livres. Nous sommes restés en contact avec lui, et à un moment donné, le Père Polycarpe m'a invité au monastère pour la Nativité du Christ, si j'étais vraiment déterminé. C'est précisément ce qui s'est passé ! Je suis venu y passer mes vacances de Noël et j'ai été baptisé en Orthodoxie à Radu Voda le jour même de la fête de la Nativité. Je suis né spirituellement le jour même où Dieu est né sur terre ! Après cela, j'ai été tonsuré dans le même monastère.

"Les Roumains sont une nation humble"

Père Chiril, pourquoi avez-vous choisi de vivre en Roumanie plutôt que dans un autre pays orthodoxe ? Après tout, il y a aussi le mont Athos, la patrie d'une foule de moines orthodoxes.

-Les gens me posent souvent cette question : pourquoi j'ai choisi l'Orthodoxie roumaine (et non grecque ou russe, ces deux dernières ayant une forte présence en Allemagne) et pourquoi j'ai rejoint le monastère Radu Voda à Bucarest et non une lignée de laures athonites. Je réponds à chaque fois que c'était naturel pour moi. Ma première rencontre avec l'Orthodoxie s'est faite par les Roumains et j'ai été baptisé ici, au monastère Radu Voda de Bucarest. C'est ainsi que j'ai développé un lien très intime avec la Roumanie en tant que pays et avec les Roumains en tant que nation.

Et j'ai l'impression qu'il y a quelque chose de très humble, de très authentique dans l'Orthodoxie roumaine. Les églises roumaines - souvent si petites et si humbles - n'ont rien à voir avec la mégalomanie. Je ne veux pas critiquer les autres églises, mais leur esprit est différent, alors que j'adore cet esprit d'humilité que l'on trouve ici, en Roumanie.

Il est impossible de séparer le peuple roumain de l'Église parce que l'Église n'est rien sans les gens. Et ici, les bâtiments de l'église et les gens sont très humbles. Même lorsque vous étudiez l'histoire de la Roumanie, vous voyez que vous avez affaire à une nation modeste et humble. Et, comme on le sait généralement, l'humilité est la vertu chrétienne principale, sur laquelle reposent toutes les autres vertus (qui sont complétées dans l'Amour).

Un oiseau qui s'envole vers Dieu

L'église du monastère de Radu Voda

-Nous nous préparons actuellement à la Résurrection du Sauveur [L'entretien eut lieu peu avant Pâques]. Pouvez-vous comparer la préparation à Pâques dans les Eglises protestantes d'Allemagne avec la façon dont elles le sont en Roumanie ? Y a-t-il une différence significative ?

-Dans l'Église luthérienne, du moins dans ma communauté, les gens ne se sont presque jamais préparés pour Pâques. Peut-être que dans la Bavière catholique, ils préparaient la Résurrection du Christ, mais d'une manière différente. Les gens n'observent plus les jeûnes en Occident, et le sacrement de la confession a été abandonné dans le protestantisme - mais ces deux choses nous aident à bien nous préparer pour Pâques. Aujourd'hui, l'Allemagne est un pays laïque et les gens perçoivent la Résurrection du Sauveur comme une fête sans signification particulière : ils prennent des vacances, vont à la campagne ou se promènent pendant cette saison.

Contrairement à l'Allemagne, je pense que toute la nation roumaine se prépare à cet événement de la Résurrection. Pendant le Carême, l'église du monastère de Radu Voda est pleine de gens - ils viennent pour confesser leurs péchés et jeûner, et ils nous demandent sans cesse ce qu'ils doivent faire pour s'améliorer et se rapprocher de Dieu. Différentes personnes - jeunes et moins jeunes - viennent ici, ressentant le besoin de s'approcher de Dieu.

Pendant le Carême, nous avons des offices que je considère comme les plus beaux de l'année liturgique. Ils nous donnent l'occasion de sentir notre état de péché ; et ils ne s'arrêtent pas là, mais ils nous montrent comment nous élever, comment devenir meilleurs, et j'aime beaucoup cela. Pendant cette période, nous, les moines, essayons de jeûner davantage, de prier davantage et de parler moins - c'est quelque chose qui crée une merveilleuse atmosphère d'attente de Pâques et d'effort spirituel dans le monastère.

-En attendant Pâques, les moines ont l'habitude d'observer un "jeûne noir"[jeûne complet]. Ça ne vous semble pas trop sévère ? Après tout, les Roumains s'y sont habitués dès l'enfance.

-C'est une expérience fantastique dont je n'avais rien connu avant ma conversion à l'Orthodoxie. Il me semble que lorsque vous gardez les jeûnes, vous vous soulagez de ce fardeau insignifiant que vous portez avec vous et vous vous sentez comme un oiseau qui vole, vous vous sentez beaucoup plus à l'aise. Il devient alors beaucoup plus facile pour vous d'élever votre esprit vers Dieu, car aucun fardeau ne pèse plus sur vous ; parce que, par essence, nous venons seulement au monastère pour avoir une chance de nous concentrer sur notre relation avec Dieu.

Mais nous devons tenir compte du fait que le jeûne a été établi pour nous aider et non l'inverse. C'est-à-dire que nous ne jeûnons pas pour le jeûne, mais nous le faisons pour que cela nous aide sur notre chemin pour nous approcher et rencontrer le Christ face à face. C'est une sorte d'arme de combat que Dieu nous a donnée pour que nous puissions gagner la guerre contre nos passions.

P. Chiril, en conclusion, je voudrais vous demander si vous avez réussi à trouver dans l'Orthodoxie, une réponse à la question qui vous hantait toujours: pourquoi y a-t-il de la souffrance dans ce monde ?

-Je crois qu'il y a de la souffrance parce que le plus grand don de Dieu à l'humanité est le libre arbitre. Mais nous n'utilisons pas notre liberté pour apprendre à connaître Dieu ; nous l'utilisons plutôt pour débrider nos passions. Mais Dieu ne veut pas violer notre liberté. Donc, si nous décidons de ne pas être avec Lui, Il respecte notre libre arbitre. Ainsi, la souffrance existe parce que nous, les humains, nous la choisissons et la répandons.

Quant à la petite fille innocente d'Inde, je ne sais pas, je n'ai pas encore trouvé de réponse à la question de savoir pourquoi Dieu lui a permis de souffrir autant et de mourir. Mais je sais par ma propre expérience que le Christ, le Dieu chrétien, conquiert la justice par amour, et je trouve cela admirable. Et bien que je ne comprenne pas pourquoi cette petite fille a dû mourir, je crois en l'Amour divin à cent pour cent pour elle et pour nous tous, humains, puisque j'ai vécu cet Amour dans mon cœur.

Version française Claude Lopez-Ginisty
d'après

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