"Dans la confusion de notre époque quand une centaine de voix contradictoires prétend parler au nom de l'Orthodoxie, il est essentiel de savoir à qui l'on peut faire confiance. Il ne suffit pas de prétendre parler au nom de l'Orthodoxie patristique, il faut être dans la pure tradition des saints Pères ... "
Père Seraphim (Rose) de bienheureuse mémoire

mardi 24 février 2015

Moniale martyre Augusta [Zastchouk] (1871-1938)


Nun-Martyr Augusta (Zaschuk) Photograph before her death
Moniale martyre Augusta [Zastchouc]
Photographie avant sa mort


C'était pendant l'année 1938, et dans le froid glacial de janvier,  la moniale âgée du grand habit Augusta [Zastchouk], attendait son destin dans une chambre glaciale. La sentence de la troïka spéciale du NKVD avait été annoncée la veille de Noël, et les heures avant l'exécution de 20 prêtres, moniales et laïcs, étaient comptées.

Sur la dernière photo de Matouchka Augusta nous voyons devant nous un visage aimable, fatigué, des yeux sages, et dans tout son visage  la paix de l'âme, de la fermeté, et le calme d'une moniale qui est confiante en la Providence de Dieu pour elle.

Avant la mort une personne se rappelle souvent de toute sa vie passée et y repense. La vie de cette moniale sortait de l'ordinaire. La future martyre Augusta (dans le monde, Lydia Vasilievna Zastchouk) naquit à Saint-Pétersbourg. Son père était conseiller privé de la noblesse; sa mère était de la famille d'un capitaine du personnel. Lydia fut diplômée du célèbre Institut Smolny; elle connaissait plusieurs langues étrangères, et possédait des dons littéraires.

Après son mariage à un jeune officier brillamment instruit, il semblait qu'une vie de famille heureuse l'attendait. Mais le bonheur, malheureusement, n'arriva point. Il n'y eut pas d'enfants issus du mariage, et les difficultés et les souffrances de dix ans de mariage, devinrent des leçons d'humilité et de patience pour la future moniale.

Lydia se rendit également en visite à l'étranger. Elle revint en Russie et travailla comme employée et traductrice au chantier naval de l'Amirauté à Saint-Pétersbourg, tandis qu'en 1917, elle délivrait des permis au conseil municipal (Douma) de ce qui était devenu Petrograd.

A cette époque, Lydia écrit dans une lettre:

"La révolution m'a enlevé mes moyens, et j'en fus heureuse, car sans cela je n'aurais pas connu la proximité du Seigneur envers une personne."

Après la révolution, le Seigneur amena Lydia Vasilievna à l'Ermitage d'Optina, où elle trouva finalement ce qu'elle cherchait depuis longtemps: la foi. Elle sentit la grâce de ce monastère de renom. Elle en vint à connaître de près les startsy d'Optina : saint Nectaire et le hiéromoine Nicon (Belyaev), le futur moine martyr.

A l'Ermitage d'Optina, comme en d'autres monastères en Russie, les autorités avaient organisé des fermes d'état plemkhoz et  sovkhoz [1], et les moines organisèrent eux-mêmes "L'Association coopérative des producteurs de Fleurs et de Jardin potager." La tentative de la fraternité pour sauver le monastère (même sous une telle forme) ne rencontra pas de succès: ils fermèrent  "l'association" en 1924 "pour propagande anti-soviétique."

Les nouvelles autorités dirigeaient au-dessus de l'autorité du monastère et le chaos complet régnait: des livres et des choses saintes disparurent ou furent pillés. Des institutions et des particuliers occupaient les locaux et prenaient ce qui leur plaisait. Il y avait des cas de vandalisme: les soldats de l'unité militaire cantonnée au monastère commencèrent à planter des clous dans les belles peintures murales du réfectoire du monastère.

La Fraternité essaya de sauver les objets saints, ne serait-ce que dans le musée nouvellement construit, dans lequel allèrent les bibliothèques et les archives du très riche monastère et de la skite et de plusieurs bâtiments du monastère. Le Père Nicon (Belyaev) devint le premier directeur du Musée d'Optina en 1919.

Après l'arrestation de ce dernier, Lydia Vasilievna en devint la directrice. Que pouvons-nous dire des travailleurs de ce musée? Le moine-confesseur Nicon. Le moine-confesseur Agapit (Taube). La moniale Marie (Dobromyslova), fille d'un prêtre de Kozelsk, enfant spirituel du Père Nicon, auteur de l'excellent livre La Vie du hiéromoine Nicon. La poétesse et auteur pour de livres pour enfants Nadège Pavlovitch, fidèle fille spirituelle de saint Nectaire, et auteur de mémoires sur lui... Désintéressés, altruistes et tenaces, ils s'efforcèrent de préserver les trésors spirituels d'Optina -ses objets sacrés. Ils furent condamnés et ils savaient qu'ils étaient condamnés. Mais ils savaient aussi que tout ne s'arrête pas avec cette courte vie terrestre.

Lydia Vasilievna écrivit au Glavmuzei [2]: "Que faire s'ils commencent à stocker des légumes dans les locaux des églises avec leurs peintures murales et leurs plafonds, et qu'ils m'arrêtent pour activités contre-révolutionnaires, bien que du berceau à la tombe, je n'ai pas voulu et ne veux pas même penser à la politique... Les prisons des provinces de Kalouga, Smolensk, et Vyazemsk ne sont pas chauffées, et il serait difficile de rester en prison pour longtemps pour des idées politiques qui n'existent pas."

Et elle dût néanmoins séjourner en prison pour "manque de loyauté politique." Les œuvres de Lydia Vasilievna méritaient d'être notées par les autorités impies: Elle survécut à 16 arrestations, huit fois pendant deux semaines à chaque incarcération. Elle revenait de prison complètement malade. Un jour, elle fut envoyée sous bonne garde par Vyzma et Smolensk à la prison de Kalouga, et elle revint malade du typhus à l'Ermitage d'Optina, après seulement trois semaines.

En dépit de la persécution des autorités, l'activité du Musée fut élargie. En 1922, le Musée gagna par décret la reconnaissance de l'inviolabilité du parc de l'Ermitage d'Optina. Le 12 août 1922, le saint staretz d'Optina Anatole [Potapov] partit vers le Seigneur. Ses choses ("les objets de tous les jours"), "en raison de leur importance particulière comme objets fabriqués," furent reçues dans le Musée, et enregistrées comme pièces d'exposition. C'était une petite victoire, et cela leur permit de préserver les objets sacrés pour la postérité.

Les gens arrivèrent à l'Ermitage d'Optina venant de sociétés scientifiques et de l'Académie des Sciences de Pétersbourg, pour y travailler; des écrivains ainsi que des étudiants, arrivèrent. Parmi les personnes qui visitaient Optina, il y avait les noms de figures bien connues de ces années-là. Des groupes de touristes arrivaient souvent à pied d'endroits éloignés; et comme les pèlerins de jadis, on les hébergeait.

Mais les autorités des sans Dieu ne dormaient pas, et elles réagirent: un comité de liquidation commença à travailler à la dissolution de la coopérative monastique avec la confiscation des biens. "L'Association Fleur et Jardin potager "avait cloisonné un pièce pour les personnes arrivant à Optina, et cela servit comme excuse pour le verdict de culpabilité du tribunal, supposant que seuls les pèlerins, étaient exclusivement hébergés dans cette salle.

Les recherches et les arrestations furent effectuées méthodiquement, ils bouclèrent les locaux du musée, et reprirent les clés à Lydia Vasilievna. Ils envoyèrent les objets saints, décrits par les athées comme "matériel de musée" pour un débarras, et à la recherche d'un trésor caché, ils firent sauter les voûtes de l'église de Sainte-Marie d'Egypte.

St. Mary of Egypt Church. Optina Hermitage

Eglise Sainte-Marie de l'Egypte. Optina Hermitage
    
Dans la dénonciation au Comité exécutif de la Province de Kalouga, sous le titre de "rapport", on lit, "L.V.[Lydia Vassilievna] Zastchouk, ancienne directrice du Musée (écartée de ses fonctions avec grande difficulté... a été arrêtée pour opposition au retrait des objets de valeur de l'église; religieuse jusqu'au plus grand fanatisme, ayant combiné son service avec la vénération des startsy."

La description faite par les autorités n'est pas surprenante: "religieuse jusqu'au plus grand fanatisme" Les personnes religieuses n'étaient pas appelées "fanatiques" alors. Lydia Vasilievna ne plaida pas coupable, au contraire, elle réfuta habilement toutes les accusations. Par exemple, pour l'accusation d'offices divins illégaux elle annonça avec fermeté: "Nul ne peut être responsable pour les prières d'un particulier dans ses propres appartements."

En 1923, le monastère fut dévasté et fermé pour de bon. Lydia Vasilievna travailla encore à l'Ermitage d'Optina pendant un certain temps, signant en tant que "Directrice en chef du Musée d'Etat", mais en 1924 elle fut forcée de quitter Optina avec ses derniers habitants. Le Musée tint jusqu'en 1928, puis il fut également fermé.

Lydia Vasilievna habitait non loin d'Optina dans la ville de Belyov, vivotant de leçons privées d'allemand et de français. Dans les années 30, de nombreux moines exilés de l'Ermitage d'Optina et de moniales du couvent de Chamordino y vivaient. C'est là que Vladyka Ignace (Sadkovsky) du diocèse de Belyov organisa un couvent. Et c'est là que Lydia Vasilievna fut tonsurée moniale par sa bénédiction sous le nom d'Augusta, et ensuite elle reçut le grand schème.

Le 16 Décembre 1937, Lydia Vasilievna fut arrêtée pour l'organisation d'un monastère souterrain, avec l'archimandrite du grand habit Isaaky (Bobrikov), higoumène de l'Ermitage d'Optina.

L'interrogatoire de la moniale vieillissante dura 16 jours et 16 nuits. Au cours de cette période, ils ne lui permirent pas de dormir, ni même de s'asseoir. Quand elle tomba d'épuisement, ils la ramenèrent à la conscience en lui versant de l'eau glacée sur tout le corps. En dépit de la torture, Mère Augusta refusa de donner des témoignages sur l'activité du monastère, ou de donner les noms des moniales. Elle répondit fermement, "Je refuse de répondre à cette question qui m'est posée."

Elle était prête à payer de sa vie pour sa foi et ses convictions, et le Seigneur lui accorda la couronne de martyre.

Le 8 janvier est un jour, où, semble-il,  toute la nature est dans la paix et l'harmonie, pour la célébration de la Nativité du Sauveur du monde. En ce jour de grand gel en 1938, ils amenèrent la moniale du grand schème Augusta, avec d'autres moniales et d'autres prêtres, à 250 km de là, par la route de Simféropol dans une forêt hivernale, près de Toula, où ils les fusillèrent et les jetèrent dans une fosse commune.

Mais ce n'était pas la fin, mais le début du voyage vers l'immortalité.


Version française Claude Lopez-Ginisty
d'après


[1] plemkhoz - plemennoye khoz'aistvo - une ferme d'élevage. Sovkhoze-sovmestnoe khoz'aistvo: une ferme d'État. Toutes deux, bien sûr, imposées par les soviets.

[2] Glavmuzei: Le Haut Comité des affaires du Musée et dela préservation des monuments d'art, de l'Antiquité et de la Nature, sous le Commissariat national de l'éducation de l'URSS.

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