Père Victor Potapov
Le Grand Carême et Pâques sont les périodes les plus brillantes et les plus instructives du calendrier orthodoxe. Cette saison commence avec le dimanche du pardon (10 mars), lorsque nous nous demandons et recevons mutuellement le pardon les uns des autres. C'est une saison remplie de prières, d'offices, de luttes spirituelles et physiques, un temps qui culmine avec la célébration de Pâques, la Résurrection du Christ (qui a lieu cette année le 28 avril).
Nous soumettons à votre réflexion les réponses à plusieurs questions qui se posent dans le cadre du podvig [Labeur/exploit spirituel]du Grand Carême.
Est-il permis de regarder la télévision pendant le Grand Carême ?
-Certaines personnes gardent la télévision éteinte pendant tout le Carême. D'autres ne regardent que des émissions religieuses ou d'information. Cependant, s'il y a certaines émissions que les membres de votre famille veulent regarder, dans la plupart des cas, il y a peu de choses que vous pouvez faire [pour l'éviter]. Il est beaucoup plus important de maintenir la paix dans la famille que d'obéir à une sorte de directive ascétique. Quelque chose ne va pas si le fait d'éteindre la télévision devient une source d'argument et de dissension. À mon avis, si l'un des fidèles rentre à la maison et, en voyant tout le monde regarder la télévision, s'indigne, dit que c'est le Carême, vous devriez vous repentir au lieu de vous divertir, etc. et éteint la télévision, l'effet sera le contraire de ce qui est prévu. Cette manifestation d'indignation peut retourner les gens non seulement contre le jeûne, mais aussi contre l'Église. Souvent, dans le but d'orienter les enfants sur la voie de la vérité, les parents religieux leur interdisent de regarder la télévision. Cela peut produire dans l'âme de l'enfant une protestation de plus en plus forte et amère non seulement contre ses parents, mais aussi contre l'Église en général, contre toute la structure et le mode de vie de l'Église. Un enfant ne devrait pas se sentir privé de ce qui est à la disposition des autres enfants. Il est beaucoup plus important d'inculquer progressivement à l'enfant le sens, la signification de ce qui se passe dans l'Église, de lui révéler le sens du jeûne de manière à en faire une source de joie, qu'il voudrait lui-même vouloir observer.
-Le vénérable saint Macaire d'Égypte rompait le jeûne quand les gens venaient lui rendre visite, et leur offrait tout ce qu'il avait à manger. Avait-il raison de le faire ?
-L'hospitalité est plus importante que le jeûne. Si nous nous imposons le fardeau du jeûne, nous le faisons pour notre propre développement spirituel, dans le cadre de notre quête de perfection spirituelle. Nous ne devons pas imposer le fardeau du jeûne aux autres, en particulier à ceux qui ont besoin d'hospitalité. Bien sûr, si l'un des fidèles que nous connaissons observe le jeûne et venait nous rendre visite, nous lui préparerions le même genre de repas que nous prendrions. Cependant, si le visiteur est quelqu'un qui ne jeûne pas, ou quelqu'un qui a besoin d'une nourriture plus substantielle que, disons, des pommes de terre ou du chou, alors ce ne serait certainement pas un péché de rompre le jeûne.
-La " colère refoulée " n'est qu'un premier pas, l'étape à laquelle nous apprenons à ne pas laisser notre colère remonter à la surface. Ceci doit être suivi d'une autre étape, au cours de laquelle on commence à travailler sur son cœur et à placer non seulement son comportement extérieur mais aussi son mouvement interne devant le jugement [décrit dans] l'Evangile.
Si la colère entre dans votre cœur, souvenez-vous du Christ, Qui a été cloué sur la Croix, et Qui a encore prié pour ceux Qui le torturaient. Rappelez-vous comment les saints, qui dans leur vie vécurent des choses absolument et incomparablement plus horribles, plus tragiques, que tout ce qui nous est arrivé, l'ont néanmoins enduré avec humilité et amour.
Souvenez-vous de saint Jean Chrysostome, qui fut retiré de son trône épiscopal, exilé, battu par ses gardes et affamé jusqu'à l'épuisement total. Alors qu'il était mourant, abandonné et trahi par tous, il dit : "Gloire à Dieu en toutes choses."
De nombreux exemples similaires pourraient être cités. Nous devrions les garder à l'esprit chaque fois que nous sommes sur le point de nous mettre en colère à cause d'une provocation mineure - par exemple lorsqu'on nous sert une soupe qui n'est pas assez chaude, lorsqu'une personne est en retard pour un rendez-vous avec nous, ou lorsqu'un document mal rédigé est présenté à notre signature.
Un autre point : Il arrive souvent qu'alors que vous êtes irrité par une chose, vous répandez[notre colère] sur quelqu'un d'autre, pour une raison totalement différente. Par exemple, vous êtes en retard pour votre bus : ses portes vous claquent au nez et une voiture qui passe vous éclabousse de boue. Lorsque vous arrivez au travail, il vous est assez facile d'évacuer votre colère contre vos collègues. Après tout, l'autobus et la voiture sont partis, les choses qui ont provoqué votre colère ne sont plus là, mais vos collègues le sont. La voiture s'est enfuie, mais la personne est toujours là à côté de vous ; vous pouvez vous retrouver dans une longue bataille avec quelqu'un pour la chose la plus triviale, une guerre qui peut durer des années. Aucun facteur extérieur ne devrait nous contrôler dans la mesure où il devient une source de colère ou d'irritation.
-Comment faire la distinction entre la personne et ses actions ?
-De la même manière que le père dans la parabole du fils prodigue l'a fait. Le fils s'est comporté horriblement, mais le père a continué à l'aimer.
-Comment apprendre à ne pas se fâcher contre les enfants ?
-Nous devons nous rappeler que les enfants sont sans défense, mais qu'ils recueillent des impressions sur ce qui se passe autour d'eux. Fréquemment, un enfant endurera des choses jusqu'à un certain âge, puis explosera soudainement ; tout ce qui s'était accumulé au fil des ans se transforme en opposition active à ses parents. Parfois, il y aura une rupture totale entre le parent et l'enfant, tandis que d'autres fois, il y aura un certain degré d'éloignement entre eux. En général, il faut toujours traiter les enfants avec subtilité et tact.
Il me semble que l'on peut parler à un enfant de n'importe quoi. Vous pouvez parler clairement de ses faiblesses et lui donner des instructions pour qu'il s'en souvienne toute sa vie. Cependant, la colère ne peut jamais servir de fondement à l'éducation des enfants. Les mots prononcés dans l'irritation sont perdus, et leur effet sera le contraire de ce qui était prévu. Même si ce que vous dites est substantiellement vrai, sa forme d'expression peut le rendre incorrect. Dans ce cas, l'enfant ne se souviendra jamais du message ; il se souviendra seulement qu'une certaine mesure de colère a été déversée sur lui.
-Comment apprendre à s'abstenir des crises émotionnelles ?
-Comme un bon vin, chaque bon mot doit mûrir et se stabiliser. Le plus souvent, nous nous repentons de ces paroles que nous avons prononcées en réponse immédiate à quelque chose. Quelqu'un nous offense, et nous prononçons des mots durs en réponse. Avant de prononcer des paroles dures, pesez tout sur la balance de la raison, la balance de la vérité, la balance de l'action conformément aux enseignements des Evangiles. Si, après avoir fait cela, il y a encore quelque chose à dire à la personne, faites-le - mais d'une manière amicale, parlez à la personne si gentiment qu'elle vous écoutera sans vous offenser.
Au cours du Grand Carême, nous sommes appelés à nous surveiller nous-mêmes, à ne pas nous permettre des crises émotionnelles spontanées, mais plutôt à donner une chance à nos émotions de se calmer. Si nous apprenons à réagir aux irritations extérieures d'une manière calme et mesurée, nous aurons monté au moins une marche dans l'escalier menant au Royaume des Cieux.
Version française Claude Lopez-Ginisty
d'après
Parish Life,
mars 2019,
Cathédrale orthodoxe russe Saint-Jean-Baptiste,
Washington, DC
USA
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