samedi 16 décembre 2017

Tatiana Vladimirovna Torstensen: Saint Sébastien de Karaganda (11)




13.
Le père Sébastien faiblissait de plus en plus. Désormais il parlait moins avec les visiteurs et ne recevait pas tous ceux qui venaient le rencontrer. Mais il raccourcit la durée des conseils spirituels qu’il donnait et s’adressait à plusieurs visiteurs regroupés.
Afin d’éviter toute fatigue superflue, on veillait à ce que les visiteurs ne s’attardent pas chez le père Sébastien ou l’on refusait simplement l’accès des visiteurs. Un roulement fut instauré parmi nous pour monter la garde devant la chambre du prêtre.
Nous pensions que ces mesures seraient temporaires et que le père Sébastien se rétablirait rapidement. Mais il n’en fut rien. C’est à cette période que j’entrepris de tenir un journal de bord relatant les paroles du père Sébastien et tout ce qui avait trait à lui.

24 février. Durant les quatre premiers jours du grand carême où on lit le canon de Saint André de Crète, le père Sébastien n’autorise pas à préparer des repas chauds. Même le thé est froid. Il n’y a pas de repas au réfectoire. Sur la table, sont posés des carafes avec du kvas, des assiettes avec du pain noir en tranches, du chou, des cornichons salés, des oignons crus. Aux personnes souffrant de maux d’estomac, le père Sébastien donnait uniquement des pommes de terre et des oignons cuits.

13 mars. Un jeune moine-diacre : le père Paul, est arrivé de Kiev pour rencontrer le père Sébastien. Durant toute la quatrième semaine, il a célébré en tant que diacre, et s’est efforcé à tout moment d’être auprès du père Sébastien, qu’il estime, du reste, comme nous tous ici.

16 mars. Le père Paul était omniprésent durant l’office. Il lisait, servait à l’autel, chantait dans la chorale, s’entretenait avec le père Sébastien dans sa chambre.

21 mars. Le père André est venu d’un village voisin en quête d’une aide pour chanter dans son église, car il était seul. Le père Sébastien choisit une femme de notre chorale et le père Paul qui refusa, rappelant qu’il était venu de Kiev exclusivement pour être aux côtés du père Sébastien et qu’il préférerait retourner à Kiev plutôt que de se rendre dans un village.
Cette attitude chagrina le père Sébastien qui se vit obligé de rappeler au père Paul son vœu d’obéissance. Alors, le père Paul s’excusa, demanda la bénédiction, courut dans sa chambre et prit uniquement l’icône que lui avait remise son père, alors qu’il était encore enfant et qu’il avait décidé de devenir moine.
Nous avons tous essayé d’infléchir la décision du père Sébastien, argumentant que le père Paul était indispensable dans notre église. Le père Sébastien se taisait et ne sortit de sa chambre qu’un peu avant les vigiles, pour boire du thé. Il ne parla à personne.
Le lendemain, durant les vigiles de la fête des Quarante martyrs de Sébaste, le père Sébastien était troublé. Il s’énerva lorsqu’on lui demanda des détails sur le déroulement de l’office des vigiles (lire ou chanter « gloire à Dieu au plus haut des cieux ») ou lorsqu’on voulut le retenir d’encenser lui-même l’église.

23 mars. Fête de Sainte Marie d’Égypte où est lue sa vie. Le père Sébastien a lu seul la moitié du canon de Saint André de Crète, de façon distincte. De Sibérie, on a amené une possédée.

24 mars. Durant toute la liturgie, la possédée a poussé divers cris d’animaux et les deux femmes qui l’accompagnaient sont sorties plusieurs fois de l’église avec elle. Elle était faible, son visage était tourmenté. À la fin de l’office, elle était couchée dans un coin de l’église car elle ne tenait pas sur ses jambes. Le soir, il y a eu peu de fidèles à l’église. Une fois tout le monde sorti, le père Sébastien attendait encore dans sa chambre. Il ne restait que la possédée et une des femmes qui l’accompagnaient, quand soudain, le père Sébastien revêtu de ses vêtements sacerdotaux alors qu’il n’avait pas célébré, ouvrit les portes royales. Alors la possédée se leva et s’avança vers lui en poussant toutes sortes de cris d’animaux. Arrivé à quelques pas de lui, par trois fois, elle poussa des cris semblables à ceux du coq. Et par trois fois, le père Sébastien resta serein, déclarant : « Je ne reconnais pas le cri du coq ». La deuxième fois, les cris poussés par la possédée faiblirent. La troisième fois, ils se turent. Aussi, la possédée déclara : « Tu es Josué ».
– Non je suis le père Sébastien. Demain tu reviendras te confesser et communier.

25 mars. Le père Sébastien n’a pas célébré. Il est resté dans l’autel. La possédée s’est tenue tranquille durant toute la liturgie, elle a communié, le soir, elle est repartie chez elle.

31 mars. Jeudi. À trois heures du matin, le père Sébastien a réveillé Véra : – Je me sens très mal, comme je n’ai jamais été. Mon âme va sortir de mon corps. Véra est venue me chercher. J’ai fait une piqûre au père Sébastien et je lui ai donné des médicaments. Il respirait très difficilement et commençait à étouffer. On lui a donné vite de l’oxygène et je l’ai mis sous perfusion. Sa température était normale (38,6° C).
Le père Sébastien était dans un état semi-conscient. Il respirait régulièrement, mais faiblement. Je suis restée près de lui, prenant son pouls, faisant des piqûres.
À 10 heures, il a ouvert les yeux et parlé.
À midi, il a demandé à manger. Sa température a encore baissé.

2 avril. Samedi de Lazare. Depuis le soir, le père Sébastien dormait paisiblement. À trois heures du matin, il a fait appeler le père Alexandre. Le père Sébastien était rayonnant. Qu’a-t-il dit au père Alexandre ? Nous n’en savons rien, sinon qu’il lui a demandé de le confesser et de communier dès que le père Alexandre irait à l’autel.
Après la communion, le père Sébastien a entonné : « Le Christ est ressuscité des morts, par la mort il a terrassé la mort ». Et il a fait venir trois jeunes filles de la chorale pour chanter les tropaires de Pâques et les stichères avant les matines. Puis le père Sébastien a déclaré :
 – Vous n’avez jamais fêté Pâques comme vous le ferez cette année.
Alors le père Alexandre a dit :
– Mon père vivez encore un peu. Vous êtes si utile, non seulement à Karaganda, mais à toute l’Église orthodoxe.
Quand la chorale a eu fini de chanter, le père Sébastien a demandé des œufs peints. Comme Véra lui rappelait que ce n’était pas encore Pâques, le père Sébastien sourit et dit :
 – Je sais que nous sommes le samedi de Lazare. Je ne me trompe pas de semaine. Mais pour moi, aujourd’hui c’est Pâques. Peins-moi trois œufs seulement.
– Tout de suite, dit Véra, et elle s’exécuta.
Dans la journée, le père Sébastien se sentit « léger », couché dans son lit, il récitait la liturgie. Il était serein et parlait peu. Son visage était lumineux. Un peu avant 18 heures, il but du thé et demanda à aller à l’église. Il célébra les vigiles à très grand peine, se reposant fréquemment. Il n’oignit que très peu de fidèles (le père Alexandre oignit les autres), retourna dans sa chambre et se coucha, épuisé.

Le 3 avril. Dimanche des Rameaux. De nouveau, au cours de la nuit, le père Sébastien a réclamé les canons de Pâques et les hirmi. Il a demandé également que l’on peigne des œufs. Le matin, il s’est senti mieux et a célébré la liturgie. Il a donné lui-même la communion à une partie des fidèles. Puis il est allé se reposer dans son fauteuil dans l’autel. Aussitôt après la fin de la liturgie, il a demandé à regagner son logis.
Après le déjeuner, il reste couché jusqu’à la prière qu’on lit avant d’aller dormir. Le soir, il n’est donc pas allé à l’église.

4 avril. Lundi Saint. On a conduit le père Sébastien à la liturgie des Présanctifiés. Il était faible et ne parvenait pas à revêtir les vêtements sacerdotaux. Il est resté assis dans son fauteuil, dans l’autel. Après l’office, je lui ai demandé comment il se sentait :
– Je ne souffre pas, me dit-il. Je me sens seulement faible.
Je lui dis que j’avais reçu une lettre de mon frère qui habite Moscou, et j’ajoutai : il dit qu’il est content de me savoir près de vous pour Pâques et qu’à la maison tout va bien. À dire vrai, je voulais que le père Sébastien prie pour mon frère, et c’est pourquoi je lui parlais de cette lettre que j’avais reçue.
Alors il me regarda, se signa et dit doucement :
– Sauve-le, Seigneur, aie pitié de lui et garde Ton serviteur Vladimir, non seulement dans cette vie, mais pour le siècle à venir. Accorde-lui la joie éternelle et la vie sans fin.
Puis il ajouta quelque chose, mais je n’ai pas entendu. Je pleurais. Le père Sébastien me bénit deux fois et je le quittai.
Le matin, on a conduit le père Sébastien à l’église. Apprenant qu’il y avait un enterrement, il a voulu le célébrer lui-même. Il n’a pu qu’entonner les ecphonèses et lire l’Évangile. Le père Alexandre a terminé l’office funèbre. À la fin, le père Sébastien lui a demandé d’envoyer au plus vite un télégramme à Osokarovka pour rappeler le diacre-moine Paul à Karaganda.

8 avril. Vendredi Saint. Le matin, on a conduit le père Sébastien aux heures royales et, jusqu’aux vêpres de la mise au tombeau, il s’est reposé dans sa chambre à l’intérieur de l’église.
Durant les vêpres, il se tenait à l’autel et avait revêtu ses vêtements sacerdotaux. Il tenait avec peine un grand cierge allumé. Tandis que les fidèles s’inclinaient devant le tombeau du Christ, le père Sébastien est resté debout près des portes royales et il observait.
On lui a apporté son déjeuner dans sa chambre à l’église, jusqu’à l’office de l’ensevelissement. Après quoi, il est demeuré à l’église et y a passé la nuit. À plusieurs reprises, au cours de la nuit, nous sommes allés le trouver. Il dormait paisiblement.

9 avril. Samedi Saint. Le père Sébastien est resté dans sa chambre. Après la liturgie, il a revêtu son mandyas et son klobouk puis il est sorti faire ses adieux. Il a évoqué sa pénible et grave maladie. Il nous a adressé tous ses vœux pour la fête de Pâques qui approchait et il a dit :
 – Je vous quitte et je quitte cette vie terrestre. Mon heure est venue. Je vous demande de vivre en paix. La paix et l’amour, c’est ce qu’il y a de plus important. Si vous les possédez, cela vous suffit. Vous aurez toujours la joie dans votre esprit.
Nous attendons les matines de Pâques. Pâques : le salut de l’âme pour la joie sans fin, que l’on atteint uniquement grâce à la paix, l’amour, la souffrance, la prière du cœur sincère. Ayez toujours en vous un amour paisible et silencieux, pour ne jamais regarder quelqu’un « de travers ». Ayez un regard droit.
Soyez toujours prêts à donner une réponse gentille. Ayez toujours une conduite gentille. Agissez avec du cœur. Ceci est ma dernière volonté. Pardonnez-moi.

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Le père Sébastien s’est incliné, a chancelé, puis tout doucement, est retourné à l’autel et a demandé qu’on le conduise dans sa chambre. Nous sommes tous restés à l’église et nous pleurions.

vendredi 15 décembre 2017

L’higoumène du monastère de Valaam sur la crise au sein du diocèse de l’Europe occidentale de l’Église orthodoxe russe hors-frontières


Après avoir été suspendu de ses fonctions le 27 septembre de cette année (ce qui a donné lieu à une pétition demandant la levée de cette sanction et recueillant plus de 600 signatures), l’archevêque Michel (Donskoff), par décision du Synode de l’Église russe hors-frontières, a été nommé archevêque vicaire « de Meudon ». Cette nouvelle décision, tout comme les précédentes, constitue l’aboutissement d’une plainte contre l’archevêque, adressée au Synode le 1er juin de cette année par des représentants de la « Société de l’Église russe » de Genève, dont certains membres siègent en même temps au conseil paroissial, tandis que d’autres, au demeurant, n’appartiennent pas à cette paroisse. Les signataires de la lettre enjoignaient le Synode de « démettre l’archevêque de ses fonctions de chef du diocèse d’Europe occidentale à effet du 1er octobre 2017 ». Selon leurs statuts respectifs, la « Société de l’Église russe » est chargée « de l’entretien courant des bâtiments et objets de culte », tandis que l’association paroissiale « organise et gère l’activité et la vie séculière » de la paroisse.
De toute évidence, les griefs exprimés dans cette plainte n’ont pas été retenus par le Synode, puisque les différents décrets synodaux et les messages à ce sujet du métropolite Hilarion, primat de l’Église russe hors-frontières, ne sont pas motivés et n’en font pas mention. En outre, l’archevêque n’a pas fait l’objet d’une déposition ou d’une interdiction, voire encore d’une mise en retraite, ce qui aurait été le cas pour une infraction morale ou canonique. Or, paradoxalement, le Synode s’est plié à l’injonction susmentionnée. Aussi, l’évêque Pankraty, supérieur du monastère de Valaam, a commenté cette situation sur Facebook, donnant un éclairage différent à cette affaire. C’est ainsi qu’il compare la « Société de l’Église russe » à la « vingtaine » de l’époque soviétique. Rappelons qu’en 1965, l’État soviétique, afin d’anéantir ce qui restait de l’Église russe en URSS, avait décrété que, désormais, une commission de vingt laïcs choisis par le régime dirigerait chaque paroisse, dépossédant ainsi le clergé de tout pouvoir. Ces commissions étaient appelées « vingtaines » («dvadtsatka »). Nous publions ci-après les commentaires de l’évêque Pankraty : « Le revers de la médaille de l’auto-administration des paroisses… et des droits « des cadres actifs des paroisses » (les associations paroissiales dites « vingtaines » en URSS, – les propriétaires des églises en Europe, maintenant) : La « vingtaine » (association) est en droit de décider qui a raison, qui a tort, elle est propriétaire de l’église. Étant donné que je connais bien Mgr Michel (nous nous sommes rencontrés et avons discuté de nombreuses fois) et que je me rappelle très bien des conditions de vie en URSS, je peux dire que dans une telle conjoncture, c’est précisément la « vingtaine » qui gagne toujours. Elle a gagné sous le pouvoir soviétique, je m’en rappelle bien, or c’est maintenant en Europe que cela se produit… Les paroissiens « actifs » et « intéressés » ou, exprimé à la façon soviétique : « la vingtaine », ont limogé leur évêque à Genève. Et le Synode de l’Église russe hors frontières s’est docilement soumis à eux, afin que la « vingtaine » ne rejoigne pas le Patriarcat de Constantinople, comme cela a été le cas récemment à Cannes… »
Source et Orthodoxie.com

Tatiana Vladimirovna Torstensen: Saint Sébastien de Karaganda (10)

11.
En septembre 1958, je devais aller à Moscou d’urgence pour y recevoir un logement et m’y faire enregistrer, puis revenir à Karaganda remplacer un médecin qui partait en vacances. À cette époque de l’année, il était très difficile d’obtenir des billets de train pour le jour désiré. Aussi, je dus m’inscrire sur une liste d’attente et passer la nuit à la gare. Ce fut une nuit sans sommeil très pénible. Il faisait froid et il n’y avait pas d’endroit où se réchauffer. Cependant, le matin j’obtins mon billet et partis aussitôt travailler, sans déjeuner et transie de froid. Le lendemain, j’allai voir le père Sébastien. Il était déjà l’église, mais l’office n’était pas encore commencé. Il me sourit : – Vous avez votre billet. C’est bien. Nous allons prier pour les voyageurs. Et quand partez-vous ?
 – Mercredi, mon père.
– Le père Sébastien leva les yeux au ciel. Soudain il me regarda et dit fermement :
– Inutile de se presser, mercredi c’est trop tôt pour partir !
– Comment trop tôt ?, mon père. Je dois aller à Moscou puis revenir à temps pour mon remplacement. J’ai déjà eu tant de peine à obtenir mon billet de train !
– Il faut échanger le billet. Vous partirez immédiatement après l’office.
– Mais je ne peux pas. Il faut que je parte mercredi.
 –Il faut rendre les billets aujourd’hui même, vous m’entendez ? Allez-y maintenant. Lorsque vous serez de retour, l’office ne sera pas encore fini.
J’obéis. À mon retour, le père Sébastien me demanda quand je partais à présent.
– Comment, partir ? m’écriai-je. Mais j’ai rendu mon billet !
– Demain vous retournerez à la gare en prendre un autre. Allez dès à présent vous inscrire sur la liste d’attente. Mais n’ayez crainte, vous n’aurez pas à attendre : vous rentrerez dormir chez vous et pourtant, le lendemain vous aurez votre billet.
Il ne me restait qu’à acquiescer et partir. Arrivée à la gare, je me mis dans la queue : j’étais la septième. Devant moi se trouvait un homme à qui je racontai que j’avais passé une nuit à attendre. Alors, il me proposa de rentrer chez moi et dit qu’il s’occuperait de mon billet. Le lendemain matin effectivement j’avais mon billet. Avant mon départ, le père Sébastien avait prié pour les voyageurs et il m’avait remis une phosphore.
Mon train roulait depuis un moment lorsque je vis tous les passagers se précipiter aux fenêtres du couloir. Moi aussi, je vis sur les rails voisins, plusieurs wagons enchevêtrés. L’accompagnatrice expliqua qu’il s’agissait d’un rapide qui était parti de Karaganda mercredi et dont plusieurs wagons s’étaient détachés. Je me mis à pleurer : « O mon père, cher père Sébastien ! »
12.
Trois mois plus tard, je rentrai définitivement à Moscou. Le père Sébastien me demanda simplement de venir souvent à Karaganda. C’était en 1959. Je venais le voir pendant mes congés, mais le père Sébastien trouvait que c’était peu.
En 1965, on m’informa que le père Sébastien se sentait faiblir. Je lui écrivis que je souhaitais vivre plus longtemps près de lui. En réponse, je reçus le télégramme suivant : « Venez, nous vous attendons ». Je quittai mon travail en automne 1965 et je partis pour Karaganda. Là-bas, je retrouvai le père Sébastien tel que je l’avais quitté en 1963. Il continuait à célébrer matin et soir. L’église était la même et je pensais qu’il en serait toujours ainsi. C’est pourquoi je ne compris pas immédiatement que le père Sébastien était plus faible, qu’il lui fallait un grand effort de volonté pour tenir [physiquement] et guider les fidèles.
À l’intérieur de l’église, on avait installé une cloison et derrière elle un lit où le père Sébastien pouvait venir s’allonger durant l’office, lorsque la maladie le tourmentait ou lorsqu’il ressentait une grande faiblesse. Il avait également une petite table sur laquelle était posé l’Évangile, une petite croix et de nombreuses prosphores que le prêtre distribuait. Au-dessus de la table, de nombreuses icônes étaient accrochées et des veilleuses brûlaient. Dans cette petite chambre, il y avait aussi un fauteuil dans lequel le père Sébastien s’asseyait pour recevoir des confessions ou diriger ses enfants spirituels.
Tous les jours, assis sur sa chaise, il célébrait seul les offices pour les défunts devant l’icône de la Sainte Trinité et lisait les listes des défunts à commémorer. À la fin de l’office, lorsque les gens présents avaient pris de la koutia, le père Sébastien demandait de distribuer le reste aux pauvres aux malades, ou de le porter au réfectoire.
Souvent, le père Sébastien se rendait au réfectoire et regardait qui s’y trouvait. Il rappelait qu’il fallait donner à manger à untel, qu’untel ne devait pas partir sans avoir déjeuné car il habitait loin etc... Rien n’échappait à son regard. Avant la liturgie, les fidèles portaient de la nourriture au réfectoire. Les jours de fête, le père Sébastien envoyait les paroissiens distribuer de l’argent aux pauvres.
Au début du mois de décembre, un froid très rude s’installa. Et le père Sébastien avait les poumons malades. Aussi, lorsqu’il traversait la cour pour se rendre à l’église, il commençait à tousser si violemment qu’il restait longtemps sans pouvoir prononcer une parole.
Je suggérerai de le transporter dans un fauteuil en prenant soin de lui couvrir la bouche. Mais il se fâcha. Je réfléchis alors à la façon de le persuader, car déjà sa température s’élevait…
Un jour, je suis allée trouver le père Sébastien alors qu’il finissait son déjeuner. Je m’agenouille devant lui. Il me bénit et me demande si j’avais déjeuné…
– Mon père, répondis-je, cela fait 14 ans que je vois comme vous souffrez lorsqu’on vous désobéit, comme l’homme périt intérieurement par sa désobéissance. Vous qui savez et voyez tout, comment ne voyez-vous pas comme nous souffrons de vous voir marcher par -40°C sans vous couvrir. Moi, en tant que médecin, je comprends que ceci est mauvais pour vos poumons !Le père Sébastien se taisait. Je me mis à pleurer. Il posa alors sa main sur ma tête et dit :
-->  – Ne pleure pas ; à présent, on me transportera. 


SOLIDARITE KOSOVO

J - 13 avant le convoi de Noël 2017!
Le compte à rebours est lancé! Dans moins de deux semaines, le traditionnel convoi de Noël de Solidarité Kosovo prendra la route en direction des enclaves serbes du Kosovo-Métochie pour la 13ème année consécutive. Amorcée depuis le mois de septembre, la préparation du convoi de Noël 2017 entame sa dernière ligne droite et les bénévoles de Solidarité Kosovo s’affairent aux ultimes préparatifs.
Cette année encore l'hiver sera vigoureux au Kosovo-Métochie

Un temps d'amitié et de partage instauré depuis 2004

C’est un rendez-vous traditionnel pour l’association française qui fidèlement depuis 2004 apporte à la veille de la Nativité des vêtements chauds, des jouets et du réconfort aux plus démunies du Kosovo-Métochie. L’occasion de partir à la rencontre de familles chrétiennes que les fêtes de fin d’année ont oublié pour partager avec elles un temps d’amitié et de solidarité.

Les colis cadeaux sont minutieusement confectionnés dans l'entrepôt isérois de l'association

"Chaque année, on met la barre plus haut" 
Rituel tout aussi immuable à l’approche de ce convoi : les préparatifs sur lesquels repose une bonne partie du succès des convois. A l’entrepôt isérois de Solidarité Kosovo, les bénévoles y travaillent depuis des semaines dans un élan impressionnant qui réveille les bonnes volontés. Ce matin encore, les petites mains s’affairent à confectionner les colis cadeaux qui seront bientôt distribués sur place aux enfants. Au total, 10 tonnes de matériel ont été récoltées tout au long de l'année. "Chaque année, on met la barre plus haut" confie Aurélie, bénévole dévouée depuis les premiers convois de Noël. "Il nous reste encore beaucoup de travail et peu de temps pour terminer les 400 pochettes-cadeaux prévues". 
10 tonnes de matériel seront prochainement distribuées par nos bénévoles

Contribuez au 13ème convoi de Noël 

Loin du consumérisme grandissant propre à cette période de l’année, les préparatifs solidaires du convoi de Solidarité Kosovo associent à Noël ses valeurs essentielles: amitié, partage et générosité.
Les enfants attendent avec impatience l'arrivée de notre équipe

Vous pouvez également  contribuer par votre générosité au Noël des enfants serbes du Kosovo en envoyant un don à l’adresse suivant : Solidarité Kosovo, BP 1777, 38220 VIZILLE (chèque à l’ordre de « Solidarité Kosovo ») ou en adressant un don directement via Paypal.

Nous vous rappelons que les dons versés à Solidarité Kosovo avant le 31 décembre 2017 ouvrent droit à une réduction d’impôt sur le revenu égale à 66 % de leur montant. À titre d’exemple, un don de 100 euros ne vous coûte en réalité que 34 euros après déduction fiscale.

Pour tous ces foyers chrétiens que vous aiderez, Solidarité Kosovo vous remercie du fond du cœur !

Photo d'archive Solidarité Kosovo - Convoi de Noël 2013

L'équipe de "Solidarité Kosovo"

PS : les personnes souhaitant nous aider peuvent contribuer au développement de nos activités en nous faisant un don. Par chèque à l’ordre de « Solidarité Kosovo », BP 1777, 38220 Vizille ou par Internet en cliquant sur paypal :

PS2 :« Solidarité Kosovo » étant reconnu d’intérêt général, chaque don ouvre droit à une déduction fiscale à hauteur de 66% du montant du don. A titre d'exemple, un don de 100 € vous permet de déduire 66 € sur la somme de vos impôts à payer. Ainsi votre don ne vous coûte en réalité que 34 €.
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jeudi 14 décembre 2017

Tatiana Vladimirovna Torstensen: Saint Sébastien de Karaganda (9)


10.
Le père Sébastien sauva beaucoup de personnes de nombreux malheurs. Pour ma part, trois fois la mort s’est présentée à ma porte, mais le père Sébastien ne lui permit pas de me prendre et prolongea ma vie.

Un jour, j’étais allée rendre visite à des amis. Le soir, je pris un bus pour rentrer chez moi. Nous roulions tranquillement quand soudain, un autre autobus nous dépassa. Son chauffeur (russe) sortit la tête par la portière et se moqua de notre chauffeur (tchétchène) qui traînait. C’est alors que notre chauffeur accéléra pour dépasser celui qui l’avait injurié, tandis que ce dernier accélérait de plus belle. Aussi, notre bus quitta la chaussée, traversa un champ dans un tournant de la route pour couper au plus court et nous retrouver devant l’autobus qui nous avait dépassés. Tous les passagers étaient effrayés, les enfants pleuraient. Menacée de mort, je me mis à prier et en pensée, j’appelai le père Sébastien. Aussitôt, je regardai par la fenêtre et vis tous les passagers de l’autre autobus descendus et attendant sur la chaussée, car leur bus avait perdu une roue. Notre chauffeur passa lentement devant ce bus, sans sortir la tête de la portière, pour rendre la pareille. Tout rentra dans l’ordre.

Le lendemain, je me rendis aux vigiles de bonne heure et j’attendais l’arrivée du père Sébastien pour lui raconter ce qui m’était arrivé la veille. Mais il vint, de lui-même, me demander :

–C’est vous qui m’avez crié hier : « Père Sébastien, sauve-nous et aide-nous » ?

Une autre fois, en 1956, je tombai gravement malade du cœur. J’étais alitée, quand soudain, ma température s’éleva considérablement et je fus hospitalisée avec un diagnostic de fièvre typhoïde ; mon cas était désespéré.

Le père Sébastien demanda de mes nouvelles. Le père Alexandre et mère Anastasia vinrent me rendre visite. Dès que je les vis, je repris conscience. Le père Alexandre confessa et me communia. Je lus moi-même la lettre que le père Sébastien m’avait adressée. Elle était courte : « Le Christ est parmi nous, chère T.V. Votre maladie douloureuse n’est pas mortelle, mais pour la gloire de Dieu. Il vous faudra encore beaucoup prier, mais nous nous occuperons de vous. Après la communion, le père Alexandre et mère Anastasia restèrent encore longtemps auprès de moi, lisant l’Évangile et priant. Je comprenais tout. Le soir, la fièvre tomba et le lendemain, ma température était presque normale. Deux mois plus tard, j’étais guérie.

mercredi 13 décembre 2017

Tatiana Vladimirovna Torstensen: Saint Sébastien de Karaganda (8)


9.
Une infirmière du nom de Sophie travaillait à l’hôpital où j’exerçais. Son mari était chef comptable. Tous deux avaient traversé de grandes épreuves. Ils avaient tragiquement perdu leur fils unique de 12 ans, tombé du quatrième étage alors qu’il arrosait des plantes sur le balcon. En 1937, le mari de cette infirmière avait été condamné à 10 ans de camp. Sophie se retrouva seule, sans travail, sans argent.

À présent, toutes ces épreuves étaient du passé. Ils habitaient une grande maison et gagnaient correctement leur vie. Néanmoins, ils se sentaient seuls et voulaient adopter un enfant, et plus précisément un petit garçon. Je conseillai à Sophie d’en parler au père Sébastien. Nous sommes allés le trouver mais on nous a dit qu’il était souffrant et ne recevait personne. Nous étions désolés, quand soudain le prêtre sonna et demanda qu’on nous introduise dans sa chambre.

Alors nous sommes entrés, et nous nous sommes agenouillés autour de son lit. Il nous a écoutés attentivement, puis il a dit : « C’est un bon souhait de vouloir adopter un enfant. Mais prenez une fille, pas un garçon ». Alors qu’il bénissait, il ajouta : « Je bénis l’adoption d’une petite fille de trois ans. » Nous avons remercié le père Sébastien et nous avons pris congé de lui.

Le lendemain, le couple est allé à l’orphelinat et il est revenu avec une petite fille de trois ans, gentille, douce, qui adorait son père adoptif. Elle n’était pas bien jolie, mais les parents, ravis, n’en avaient cure.
Voici comment se déroula l’adoption : aussitôt arrivés à l’orphelinat, les parents virent se précipiter vers eux une petite fille qui s’agrippa à la jambe du mari, posa sa tête sur ses genoux et s’écria : « Enfin mon papa est arrivé ! Mon tout petit papa est arrivé ! »

L’éducatrice repoussa l’enfant pour qu’elle n’influence pas le choix de ce couple. Mais le mari déclara : « C’est bien, nous n’allons pas continuer à chercher, puisque cette enfant nous a déjà choisis. Confiez-nous cette petite fille. » Elle était gaie, douce, obéissante et serviable. Lorsqu’elle entra l’école, il s’avéra qu’elle était très intelligente. De plus, elle embellit beaucoup. Voilà la récompense de l’obéissance au père Sébastien et la force de cette bénédiction.
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À l’inverse, que de déboires pour ceux qui ne voulaient pas suivre ses conseils ! 

En voici un exemple : Tatiana était une jeune femme fort intelligente et jolie. Elle était très attachée au père Sébastien. Elle envisageait d’épouser un jeune ingénieur, beau garçon. Toutefois, son père spirituel n’approuvait pas ce choix. Dans un premier temps, Tatiana lui obéit, puis elle réitéra sa demande. Cette fois, le père Sébastien le lui défendit formellement de façon insistante et sévère. Il s’entretint longuement avec elle. Mais à la fin, Tatiana déclara : « Je l’aime et je supporterai tout ». Le père Sébastien pleura et lui demanda de réfléchir. Il la conduisit à la gare, car elle voulait rejoindre son fiancé et il lui proposa d’aller uniquement le voir, puis de revenir. Le père Sébastien n’avait jamais été aussi insistant. Mais Tatiana ne revint pas et sa vie prit une tournure très malheureuse : elle endura beaucoup de peines, tomba malade puis mourut de la tuberculose deux ans plus tard.

mardi 12 décembre 2017

Tatiana Vladimirovna Torstensen: Saint Sébastien de Karaganda (7)

8.
Je me souviendrai toujours du premier cas de clairvoyance que j’ai remarqué chez le père Sébastien. Il célébrait un office pour les défunts et lisait leurs noms inscrits sur une liste qu’on lui avait remise. Soudain, il s’arrêta de lire et demanda qui avait dressé cette liste. Une femme s’approcha.
 –Quand est décédé Simon dont il est fait mention ici ?
--Oh, cela fait longtemps ! répondit la femme.
--Reprenez votre liste. Je ne vais pas en faire mémoire. Apportez-moi son certificat de décès.
Comme on me l’expliqua plus tard, si l’on prie pour une personne vivante comme pour un défunt, cette personne devient tourmentée.
Batiouchka ne connaissait pas cette femme qui était de passage, sans quoi elle ne se serait pas risquée à vouloir le tromper.
J’étais stupéfaite, non seulement par ce don de clairvoyance, mais également de la façon dont le père Sébastien faisait mémoire de chaque défunt. Quelle force possédaient ses prières pour eux !
En 1955 mère Marie commença à souffrir de sa lèvre supérieure qui se déforma, enfla et bleuit. Elle alla consulter un chirurgien : il faut opérer très vite, lui dit-il. Pour ma part, je diagnostiquai un cancer.
Mère Marie alla trouver le père Sébastien. « L’enflure est déjà grande. Si on opère la lèvre, elle apparaîtra à un autre endroit. Il ne faut pas opérer. Baise l’icône de la Sainte Trinité et ton mal guérira ».
Mère Marie se réjouit. Quant à moi, je pensais qu’il n’y avait aucun espoir de guérison et que les jours de cette moniale étaient comptés. Peu après, je partis en congé pour deux mois. À mon retour, je fus étonnée de trouver la mère Marie toujours aussi alerte et occupée à allumer l’encensoir pour un office des défunts. Sa lèvre n’était plus enflée. Lorsque je lui demandai comment elle l’avait soignée, mère Marie m’expliqua qu’elle avait suivi les recommandations du père Sébastien. L’enflure régressa peu à peu pour disparaître complètement. Gloire à Dieu !
Le père Sébastien attribuait un grand pouvoir à la vénération des icônes et aux cierges. Il invitait parfois chez lui l’un de ses enfants spirituels ou un paroissien et lui remettait un paquet de cierges en disant : « Prends-les et allumes-en plus souvent. »
Parfois, c’était parce qu’une menace planait sur cette personne, souvent on en découvrait la raison par la suite.
Si le père Sébastien remarquait qu’une personne ne vénérait pas les icônes, il lui disait : « Mon ami, quand tu acceptes ou refuses quelque chose, aie dans ton cœur et dans ton esprit le discernement, qui est la plus grande vertu ». Je l’ai même entendu dire à une personne : –Mon ami, beaucoup de choses t’échappent, c’est pourquoi tu te trompes facilement. Partout les gens prennent leur ignorance pour de la sagesse.
Il me dit un jour que le starets Nectaire disait que la sagesse, la raison et le discernement sont donnés par le Saint Esprit et qu’ils mènent à la sainteté. Il ajoutait que l’on reconnaissait une personne privée du don de discernement à ce qu’elle se considérait supérieure aux autres.
Le père Sébastien parlait des icônes avec amour et pieusement. Il répétait : « La fête du triomphe de l’orthodoxie commémore la défaite et l’anéantissement de l’hérésie iconoclaste. À travers les icônes, il faut rendre grâces à Dieu. Elles nous protègent des forces ténébreuses. Il en existe de particulièrement saintes qui « thésaurisent » l’Esprit Saint. Il en est d’autres miraculeuses. Les icônes, telles les mains du Christ, nous apportent la Grâce. Il faut avoir envers elles une attitude de vénération, d’amour et de gratitude pour Dieu ».
De même il répétait qu’il fallait accomplir son devoir sans faille. Un jour, après une pannikhide, je lui fis remarquer qu’il était fatigué, car il venait de célébrer un très long office. Il prit une prosphore de la table des défunts et me dit : Voyez cette prosphore : eh bien je me dois de prier pleinement pour chacun de ces défunts.
Mon cœur se serrait toujours, au cours de la liturgie, lorsque le père Sébastien sortait de l’autel, et, devant les portes royales, regardait dans l’église. Il observait toujours avec attention les personnes qui s’y trouvaient. Son regard pouvait varier. Il était en temps perçant, pénétrant, tantôt dans le vague, comme s’il ne voyait personne, tantôt concentré vers un endroit éloigné et il semblait regarder quelque chose au loin.
Mais quand il regardait en face une personne, son regard était alors toujours proche et doux. J’ai fait moi-même l’expérience de ce regard. Un jour, une lourde épreuve résultant de ma propre faute me fut donnée. Je me rendis à l’église. Le père Sébastien célébrait les vigiles. Je me suis mise au fond de l’église dans un coin. Je m’agenouillais et commençai à prier chaudement en versant des larmes. Soudain poussé à lever la tête, j’ai vu près de moi le père Sébastien dont les yeux me fixaient. J’ai compris alors qu’il était venu pour apaiser mon esprit. Mes larmes continuèrent à couler mais de façon différente. À présent je pleurais d’Amour, alors que le père Sébastien n’était resté près de moi qu’une petite minute ! Ô saint amour dans le Seigneur. Comme il est facile de lui confier ses malheurs ! Comme il est vrai que le Christ est parmi Ses Saints !

lundi 11 décembre 2017

Tatiana Vladimirovna Torstensen: Saint Sébastien de Karaganda (6)



7.
Ma première rencontre avec le père Sébastien m’a complètement sidérée. J’étais arrivée à Karaganda le 31 août 1952, soit huit ans après Batiouchka. J’y étais venue rendre visite à ma meilleure amie, médecin elle aussi. Karaganda me plut et je décidai de m’y installer.
À la fin d’octobre, mon amie tomba gravement malade de malaria, et la fièvre atteignit 40-41°C, provoquant un profond délire de psychose aigüe. Sa fille appela l’ambulance en pleine nuit : mon amie fut conduite dans un hôpital psychiâtrique. Quand nous sommes allées là-bas, à 20 kilomètres de Karaganda, sa fille et moi, elle était méconnaissable, horrible à voir. Elle nous arrachait des mains la nourriture que nous avions apportée, elle l’engloutissait puis en reprenait. Ensuite elle s’est mise à quatre pattes, à tourner autour de nous. Les aides-soignantes l’ont emmenée dans sa salle. Nous étions sidérées, anéanties. Sa fille sanglotait, nous étions mortes de fatigue. Nous voyant dans cet état, ma voisine apprenant ce drame, nous dit : –Ne désespérez pas. Je vous conseille d’aller dès demain à Mikhaïlovka. Il y a là un prêtre-moine tout à fait exceptionnel. Nombreux sont ceux qui croient fermement en son aide. Demandez-lui de prier pour votre amie. Allez-y sans douter et sans crainte. S’il est d’accord, la malade guérira. Expliquez-lui ce qui se passe. Elle ne connaissait pas l’adresse, mais, dit-elle, il est connu à Mikhaïlovka, on vous montrera le chemin.
Dès mon arrivée à Karaganda, je m’étais rendue les samedis et dimanches à l’église du 2e puits de mine, j’y avais fait connaissance avec beaucoup de gens, mais personne ne m’avait parlé de ce prêtre de Mikhaïlovka.
Dès le lendemain, je me suis rendue à Mikhaïlovka. Les femmes m’ont effectivement montré le chemin de la rue Basse où il habitait. Mère Agrippine m’a ouvert la porte. Je lui ai exposé l’objet de ma visite. Elle m’a dit très aimablement : –Oui, il faut que vous parliez au père Sébastien. Elle m’a indiqué comment se rendre là où le père Sébastien célébrait un office à la mémoire d’un défunt. « Asseyez-vous sur le banc près de la maison, et quand vous entendrez chanter, cela voudra dire que le père va sortir. Il n’aime pas s’arrêter dans la rue, mais vous, marchez à côté de lui, et dites-lui tout ce qu’il faut lui dire. Tout en marchant, il vous écoutera. »
Il en fut exactement ainsi. Il marchait sans rien dire, sans ralentir, mais il écoutait attentivement mes propos. Lorsque je lui demandai son aide, il s’arrêta, me regarda avec une expression empreinte de bonté et un regard qui pénétrait dans l’âme et doucement, il dit : « Elle n’est pas orthodoxe, ni même croyante ». J’en fus stupéfaite. « Oui, dis-je, elle est luthérienne. Son père était estonien et sa mère russe. Elle n’est pas contre la foi, mais elle en est loin. Pourtant elle est bonne et gentille ». Le prêtre avait repris sa marche rapide. « Les luthériens sont aussi des chrétiens, dit Batiouchka. Je vais prier pour elle. Allez la voir d’ici deux ou trois jours et priez vous-même de tout cœur. »
Trois jours plus tard, en arrivant à l’hôpital, une infirmière nous vit dans la cour et nous dit en souriant : « J’ai une bonne nouvelle pour vous : hier votre malade est sortie de crise : elle se repose chez les convalescents.
Mon amie était redevenue comme avant. Nous étions très heureuses d’un tel changement en l’espace de deux jours. Dans le train qui nous ramenait à la maison, j’étais assise dans un coin, je me suis tournée vers la fenêtre et me suis mise à pleurer. Cher père Sébastien ! Quel miracle !
Le lendemain, juste après avoir achevé la tournée des malades, je suis sortie de l’hôpital pour aller remercier Batiouchka.
À la maison, il était attentionné, accueillant. Il m’a invité à rester pour le repas de midi avec eux, il était joyeux et m’a posé beaucoup de questions.
Mère Agrippine m’a donné une adresse où je pourrais dormir après les liturgies nocturnes. Peu après, je suis devenue le médecin traitant de Batiouchka et sa fille spirituelle. Ma vie a pris alors un tout autre cours.