mardi 12 décembre 2017

Tatiana Vladimirovna Torstensen: Saint Sébastien de Karaganda (7)

8.
Je me souviendrai toujours du premier cas de clairvoyance que j’ai remarqué chez le père Sébastien. Il célébrait un office pour les défunts et lisait leurs noms inscrits sur une liste qu’on lui avait remise. Soudain, il s’arrêta de lire et demanda qui avait dressé cette liste. Une femme s’approcha.
 –Quand est décédé Simon dont il est fait mention ici ?
--Oh, cela fait longtemps ! répondit la femme.
--Reprenez votre liste. Je ne vais pas en faire mémoire. Apportez-moi son certificat de décès.
Comme on me l’expliqua plus tard, si l’on prie pour une personne vivante comme pour un défunt, cette personne devient tourmentée.
Batiouchka ne connaissait pas cette femme qui était de passage, sans quoi elle ne se serait pas risquée à vouloir le tromper.
J’étais stupéfaite, non seulement par ce don de clairvoyance, mais également de la façon dont le père Sébastien faisait mémoire de chaque défunt. Quelle force possédaient ses prières pour eux !
En 1955 mère Marie commença à souffrir de sa lèvre supérieure qui se déforma, enfla et bleuit. Elle alla consulter un chirurgien : il faut opérer très vite, lui dit-il. Pour ma part, je diagnostiquai un cancer.
Mère Marie alla trouver le père Sébastien. « L’enflure est déjà grande. Si on opère la lèvre, elle apparaîtra à un autre endroit. Il ne faut pas opérer. Baise l’icône de la Sainte Trinité et ton mal guérira ».
Mère Marie se réjouit. Quant à moi, je pensais qu’il n’y avait aucun espoir de guérison et que les jours de cette moniale étaient comptés. Peu après, je partis en congé pour deux mois. À mon retour, je fus étonnée de trouver la mère Marie toujours aussi alerte et occupée à allumer l’encensoir pour un office des défunts. Sa lèvre n’était plus enflée. Lorsque je lui demandai comment elle l’avait soignée, mère Marie m’expliqua qu’elle avait suivi les recommandations du père Sébastien. L’enflure régressa peu à peu pour disparaître complètement. Gloire à Dieu !
Le père Sébastien attribuait un grand pouvoir à la vénération des icônes et aux cierges. Il invitait parfois chez lui l’un de ses enfants spirituels ou un paroissien et lui remettait un paquet de cierges en disant : « Prends-les et allumes-en plus souvent. »
Parfois, c’était parce qu’une menace planait sur cette personne, souvent on en découvrait la raison par la suite.
Si le père Sébastien remarquait qu’une personne ne vénérait pas les icônes, il lui disait : « Mon ami, quand tu acceptes ou refuses quelque chose, aie dans ton cœur et dans ton esprit le discernement, qui est la plus grande vertu ». Je l’ai même entendu dire à une personne : –Mon ami, beaucoup de choses t’échappent, c’est pourquoi tu te trompes facilement. Partout les gens prennent leur ignorance pour de la sagesse.
Il me dit un jour que le starets Nectaire disait que la sagesse, la raison et le discernement sont donnés par le Saint Esprit et qu’ils mènent à la sainteté. Il ajoutait que l’on reconnaissait une personne privée du don de discernement à ce qu’elle se considérait supérieure aux autres.
Le père Sébastien parlait des icônes avec amour et pieusement. Il répétait : « La fête du triomphe de l’orthodoxie commémore la défaite et l’anéantissement de l’hérésie iconoclaste. À travers les icônes, il faut rendre grâces à Dieu. Elles nous protègent des forces ténébreuses. Il en existe de particulièrement saintes qui « thésaurisent » l’Esprit Saint. Il en est d’autres miraculeuses. Les icônes, telles les mains du Christ, nous apportent la Grâce. Il faut avoir envers elles une attitude de vénération, d’amour et de gratitude pour Dieu ».
De même il répétait qu’il fallait accomplir son devoir sans faille. Un jour, après une pannikhide, je lui fis remarquer qu’il était fatigué, car il venait de célébrer un très long office. Il prit une prosphore de la table des défunts et me dit : Voyez cette prosphore : eh bien je me dois de prier pleinement pour chacun de ces défunts.
Mon cœur se serrait toujours, au cours de la liturgie, lorsque le père Sébastien sortait de l’autel, et, devant les portes royales, regardait dans l’église. Il observait toujours avec attention les personnes qui s’y trouvaient. Son regard pouvait varier. Il était en temps perçant, pénétrant, tantôt dans le vague, comme s’il ne voyait personne, tantôt concentré vers un endroit éloigné et il semblait regarder quelque chose au loin.
Mais quand il regardait en face une personne, son regard était alors toujours proche et doux. J’ai fait moi-même l’expérience de ce regard. Un jour, une lourde épreuve résultant de ma propre faute me fut donnée. Je me rendis à l’église. Le père Sébastien célébrait les vigiles. Je me suis mise au fond de l’église dans un coin. Je m’agenouillais et commençai à prier chaudement en versant des larmes. Soudain poussé à lever la tête, j’ai vu près de moi le père Sébastien dont les yeux me fixaient. J’ai compris alors qu’il était venu pour apaiser mon esprit. Mes larmes continuèrent à couler mais de façon différente. À présent je pleurais d’Amour, alors que le père Sébastien n’était resté près de moi qu’une petite minute ! Ô saint amour dans le Seigneur. Comme il est facile de lui confier ses malheurs ! Comme il est vrai que le Christ est parmi Ses Saints !

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