samedi 5 novembre 2011

Un chemin vers saint Silouane (XII)







L’humilité précède la gloire.
Proverbes ( 18, 12)

La clef unique de l’ouverture de la mémoire divine est l’humilité. Les vaines pensées de gloire, de contentement de soi, l’illusion spirituelle de la correction ou de l'exactitude, l’égarement de se croire juste, seront autant d’obstacles infranchissables à la venue du Saint-Esprit. 
La prière est un besoin essentiel, mais aussi un moyen pour atteindre l’humilité : devant Dieu, l’homme reconnaît sa faiblesse et par cet aveu d’impuissance, reçoit en retour l’Amour du Créateur. Mais c’est l’amour qui est la source de l’Amour, et c’est en lui que tout se meut dans notre foi chrétienne. "L’âme qui aime le Seigneur ne peut pas ne pas prier, car elle est attirée par Lui par la grâce qu’elle a connue dans la prière" (A. Sophrony, op. cit., p. 276 ).
Cette grâce, l’Esprit Saint la donne à ceux qui prient aussi pour les ennemis et qui les aiment. Le staretz Silouane affirme péremptoirement que celui qui n’aime pas ses ennemis "ne connaîtra pas le Seigneur".
Nous sommes faibles, et notre esprit de jugement nous fait quelquefois considérer nos propres frères comme nos ennemis, que dire alors de ceux qui nous font du mal ? Nous aimerions que le message christique ait été tout autre pour eux ! Qu’ils soient avec notre approbation satisfaite réprimandés selon nos critères de justice humaine. Nous oublions que sur la Croix le Bon Larron a été pardonné par le Seigneur. Nous oublions son injonction d’aimer ceux qui nous haïssent. Alors que faire ? Demandons à Dieu de venir Lui-même prier en nous pour eux. Supplions-Le de ne pas nous abandonner et de venir en nous étendre Sa miséricorde à ceux que nous considérons comme ennemis. Qu’Il fasse que Sa prière en nous, par la grâce de Son Fils Unique perce progressivement la dure pierre de notre cœur pour que l’amour s’y installe véritablement. Qu’Il vienne en aide à notre peu de foi et à notre médiocrité. Reconnaissons notre malignité et demandons-Lui de nous en guérir à jamais. Ayons l’humilité de reconnaître notre impuissance à accomplir ce commandement essentiel sans Sa grâce et Son amour ineffables. Comment peut-on aimer sans prier ? (cf Archimandrite Sophrony, op. cit., p. 276) Comment peut-on prier sans l’Amour absolu qui étaie notre prière et Qui en est le but ultime ?

© Claude Lopez-Ginisty
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Une première version de ce texte 
a été publiée
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Editions du Désert 
en 2003 
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L'Ermitage du cœur (316)


Ne crois pas
Que ton indolence spirituelle
Puisse être l'abandon
A la Providence du Christ

上帝的朋友 ( L'ami de Dieu)

vendredi 4 novembre 2011

Un chemin vers saint Silouane (XI)



"Voici donc comment vous devez prier: Notre Père…
Evangiles selon saint Matthieu et saint Luc

La prière du Notre Père, seule et unique prière que nous ait enseignée le Christ, le staretz béni l’accomplit dans sa vie et la manifesta parfaitement dans ses enseignements.

Notre Père qui es aux Cieux…
Reconnaître qu’Il est notre Père, c’est admettre ce lien unique que nous avons avec Lui, et comme le prodigue de la parabole du Christ, retourner — ne serait-ce qu’au moment de la prière — vers notre demeure véritable, celle qui sera nôtre pour l’éternité (Dieu voulant) : les Cieux. La lamentation d’Adam de saint Silouane est ce cri vers le Père… Un ascète qui reconnut la sainteté du staretz après sa mort, était du vivant de celui-ci troublé par la hardiesse qui le faisait parler de dieu comme de son propre Père.

Que Ton Nom soit sanctifié…
Est-il possible de sanctifier plus complètement le Nom qu’en L’ayant toujours sur les lèvres, dans l’intellect et dans le cœur ? Par la prière de Jésus, le staretz nous apprend à toujours respirer en Dieu et à garder Sa mémoire sans cesse comme une respiration essentielle à notre vie.

Que Ton règne vienne…
"Vous goûterez, dès cette terre, la béatitude du Paradis" a dit le staretz Silouane.

Que Ta volonté soit faite…
Sa volonté, nous le savons par le staretz et par sa vie exemplaire à la Sainte Montagne, c’est de ne jamais désespérer, de se garder par la prière dans l’acceptation de Sa volonté sainte.

Comme au Ciel sur la terre…
Le texte grec ou slavon parle d’abord du Ciel, et cela rétablit la priorité exacte de notre attente, la demande que s’accomplisse aujourd’hui dans ce monde ce qui existe de toute éternité dans le Royaume de Dieu. Nous savons que le staretz, par son enseignement et sa vie, a manifesté d’une manière tangible cette présence du Ciel sur la terre des vivants.

Donne-nous aujourd’hui notre pain substantiel…
Ce pain supra-essentiel ou substantiel, est Celui du Corps reçu avec le précieux Sang Divin lors de la Communion aux très purs Mystères du Christ. C’est la grâce que le staretz recherchait dans l’union avec Dieu, dans les purs Mystères du Corps et du Sang du Christ, union tangible et accessible dans l’Eglise, mais c’est aussi la prière pure à Son Saint Nom, et l’accomplissement de Ses commandements.

Remets-nous nos dettes comme nous les remettons à nos débiteurs…
Remets-nous nos dettes envers Toi, ou bien pardonne-nous nos offenses comme nous pardonnons à ceux qui nous ont offensés. L’amour du prochain, l’amour de tous les hommes et surtout lorsqu’il s’agit de l’amour des ennemis, entreprend une bienheureuse collaboration avec la grâce. Si je prie cette parole, et que véritablement j’aime mes ennemis, alors c’est Dieu Lui-même qui prie en moi, et je suis devenu théophore en vérité. N’est-ce pas l’enseignement primordial rappelé par le staretz à notre temps ?

Et ne nous soumets pas à l’épreuve…
Combien douloureuse fut cette perte, ou plutôt cette sensation de perte de la grâce chez le staretz, cette douleur de l’absence du Bien-Aimé. Cette épreuve, la plus grande, peut devenir tentation par découragement, tentation d’abandonner la lutte spirituelle. Cependant, la parole du Sauveur à saint Silouane est là pour rassurer : "Tiens ton esprit en enfer et ne désespère pas !". Dieu est aussi avec nous dans l’épreuve et, dans la tentation, Il ne nous abandonne pas, c’est nous qui nous éloignons de Lui. Il attend sans cesse. Il est à nos côtés, même si nous ne Le voyons pas.

Mais délivre-nous du Malin…
Il est fréquent, de nos jours, de faire de ce Malin, le simple mal, principe abstrait dans lequel on peut ranger tout ce que notre imagination fertile veut bien concevoir, ou ce que notre souci de ne pas paraître rétrograde aux yeux des théologiens modernes consent à imaginer. Cependant, l’expérience même du staretz nous montre la réalité objective du Prince de ce monde, et le besoin que nous avons que notre Père céleste nous en délivre véritablement.
Il n’est pas anodin que cette prière soit la seule que nous ait enseigné le Seigneur.

© Claude Lopez-Ginisty
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L'Ermitage du cœur (315)


Lorsque ton ego disparaîtra
Comme une brume au soleil
Tu seras à la porte
Du Royaume des Cieux

上帝的朋友 ( L'ami de Dieu)

jeudi 3 novembre 2011

Un chemin vers saint Silouane (X)


Celui qui habite sans cesse son propre cœur est étranger à tous les plaisirs de cette vie. Il marche dans l’Esprit, et dès lors, ne sait rien des convoitises de la chair. Toutes les ruses du démon ne peuvent rien contre lui, car il est protégé par les vertus qui se tiennent comme des sentinelles à la porte de la cité de pureté.
Saint Diadoque de Photicé

C’est parfois l’impuissance devant l’immensité de l’ascèse à accomplir pour changer, qui nous effraie comme si nous ignorions qu’après le premier pas, le second est plus facile. C’est aussi le regard en arrière sur la vie facile du monde qui nous retient, la peur de l’effort à faire, et la nostalgie de l’inconscience agréable où nous vivions avant l’exigence de la foi, qui nous paralysent.
Les apôtres vaquent à leurs tâches quotidiennes et humbles. Le Seigneur passe. Il les appelle. Ils Le suivent parce qu’irrésistiblement, ils savent que le chemin terrestre sur lequel ils vont suivre les pas de l’Homme-Dieu, ce chemin poussiéreux de Terre Sainte va les conduire au Ciel.
Lorsque saint Silouane, simple paysan, qui a vécu la même indifférence que nous, entend l’appel de Dieu, il ne regarde pas en arrière, il Le suit, mais ce qui le rend proche de nous, c’est son humble crainte : celle de changer d’avis. Lorsqu’il part à la Sainte Montagne, il a mis suffisamment de distance entre le monde et lui pour ne plus suivre que le Maître. Le Christ vécut parmi les apôtres, et lorsqu’ils l’eurent pleinement reconnu comme tel et que leurs yeux dessillés eurent saisi que Dieu était parmi eux, ils comprirent avec stupeur et émerveillement que cet Homme témoignait de cette possibilité qu’auraient les hommes comme eux ( et comme nous aujourd’hui) d’être, dès ici-bas, en transit vers l’Ineffable. Quand Il leur dit que le Royaume est au-dedans d’eux, Il leur montre la borne qui marque en eux — comme en nous — la frontière avec le monde à venir. Car c’est le cœur qui relie subtilement l’âme à l’autre rive. Il est par la prière l’ouverture subtile sur l’Eden retrouvé.
A l’imitation de Saint Silouane, nous nous engagerons donc fermement dans une prière fervente. Nous savons que ce contact avec le Divin, s’il était vraiment permanent, nourri par l’Ecriture Sainte et la connaissance des Pères qui ont parcouru en vainqueur ce chemin, ferait descendre parmi nous le Royaume.
Saint Paul a recommandé à tous les chrétiens sans exception de "[prier] sans cesse" (1 Thes 5, 17). Selon saint Basile et saint Jean Chrysostome, cette prière constante est mieux accomplie lorsque l’on s’adonne à la prière du cœur qui peut être faite en tous temps, partout, et pendant l’accomplissement de toutes sortes d’activités. Saint Paul a demandé à Thimotée de se souvenir de Jésus-Christ : " Souviens-toi de Jésus-Christ ressuscité des morts." ( 2 Thimothée 2,2). Saint Grégoire le Théologien a dit : "Il est plus important de se souvenir de Dieu que de respirer." Un autre Père a ajouté que Dieu demande que nous nous souvenions toujours de Lui parce qu’Il nous donne tout : notre existence et notre souffle.
Que Jésus soit la préoccupation de votre langue ; que Jésus soit la forme et l’idée honorable de votre intellect ; que Jésus soit votre respiration et que vous ne vous lassiez jamais d’appeler Jésus. D’une telle perpétuelle et douce mémoire de Jésus, ces grandes vertus théologales que sont la Foi, l’Espérance et l’Amour, croîtront et parviendront à maturité pour devenir de grands arbres dans votre cœur. Sachez que quand un amant est éloigné de sa bien aimée, il n’est nulle autre consolation pour lui que de se souvenir constamment de son nom. […] Ainsi, l’âme qui aime Jésus, mais qui ne peut ni le voir, ni jouir de Sa présence, ne peut être consolée autrement que par le souvenir constant de Son saint Nom, l’appelant toujours avec amour, larmes et douleur du cœur. […] C’est ce que Saint Isaac nous dit : "Quand l’âme s’émeut au souvenir de Dieu, le cœur s’émeut directement par l’amour et les yeux se remplissent de larmes. Il est habituel à l’âme de verser des larmes quand elle se souvient de la personne bien aimée.
En nous souvenant de Jésus et en disant la prière de Jésus, nous cultivons en notre cœur l’amour pour Jésus et pour Ses commandements. Qu’y a-t- il de plus béni, de plus heureux, de plus doux, que de contempler toujours le très glorieux, très plaisant et très aimé Nom de Jésus-Christ, par Lequel tout homme qui demande quoi que ce soit au Père, le reçoit sans faillir ? "Tout ce que vous demanderez au Père en mon Nom, Il vous le donnera." (Jean 15, 16) Et encore : "Quoi que vous demandiez en mon Nom, je le ferai, afin que le Père soit glorifié dans le Fils." ( Jean 14. 13)
Quelle autre pensée ou mémoire est plus divine et pleine de grâce que la pensée et la mémoire du Nom salutaire, divin et redoutable de Jésus-Christ, Fils de Dieu ? Saint Paul l’a dit : "C’est pourquoi Dieu L’a élevé et Lui a donné un Nom qui est au-dessus de tous les autres noms ; afin qu’au Nom de Jésus tout genou fléchisse dans le ciel, sur terre et aux enfers; et que toute langue confesse que le Seigneur Jésus-Christ est Seigneur dans la gloire de Dieu le Père." ( I Philippiens 2, 9-11).
Je vous ai dit ces choses à cause de grand amour que j’ai pour votre salut. Toutes ces choses, comme un perroquet, je les ai apprises des livres sacrés des Pères inspirés de Dieu, et je les ai entendues de la voix vivante de certains Pères spirituels qui avaient en partie l’expérience de ces choses là." ( Saint Nicodème l’Aghiorite in Nicodemus of the Holy Mountain, a Handbook of Spiritual Counsel, Paulist Press, New York, USA, pp. 168-170)

La prière est mémoire constante de Dieu, contact vivifiant avec l’Amour ineffable et immarcescible du Christ, rencontre avec le Saint-Esprit Donateur de Vie, garde du péché et humilité. Il faut s’arracher au monde qui nous entoure pour entrer dans la prière. "Dieu donne la prière à celui qui prie", disent nos Pères dans la foi. Si notre prière n’est pas violent arrachement au monde pour s’emparer avec violence du Royaume, si elle est accomplie par simple habitude, sans humilité, elle ne montera pas vers les Cieux. La prière doit devenir comme un besoin irrésistible afin que notre âme connaisse véritablement le Seigneur. La douceur de la prière ne viendra pas de paroles mécaniques répétées sans réelle conviction, mais elle naîtra de l’irrésistible besoin impérieux de rentrer dans la Présence, d’avoir cette audace incommensurable de vouloir Le rencontrer face à Face parce qu’Il est notre Père véritable.

© Claude Lopez-Ginisty
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L'Ermitage du cœur (314)


Ne fléchis pas dans tes efforts
L'ascèse est un sacrifice nécessaire
Mais c'est la Grâce de Dieu
Qui est agissante

上帝的朋友 ( L'ami de Dieu)


mercredi 2 novembre 2011

Un chemin vers saint Silouane (IX)



Il est impossible de vivre en paix avec Dieu sans un repentir continuel.
Saint Théophane le Reclus

Il est fréquent dans une certaine frange de l’Orthodoxie, de critiquer les moines de la Sainte Montagne et de déclarer leur ascèse actuelle incompatible avec l’époque "moderne" dans laquelle nous vivons. Beaucoup aimeraient que l’Athos se mette au goût du jour, et devienne plus accessible aux temps actuels, c’est-à-dire à leur vacuité relativiste. Serait-il encore la Sainte Montagne si par une aberration quelconque il cessait d’être une île de prière et de louange perpétuelle dans le no-God’s land du monde actuel ? La réduction à l’échelle de la modernité est toujours nivellement par le bas. 
Notre époque aimerait bien avoir les fruits de l’ascèse sans ascèse aucune. Mais le Christ nous a demandé de prendre notre croix et de Le suivre. L’avons-nous oublié ? S’il ne faut pas rechercher l’épreuve du creuset de Dieu pour elle-même, et se bâtir une ascèse qui soit purement rituelle, détachée de son but, il ne faut pas non plus nier que si nous voulons suivre les traces du saint moine athonite, à la suite du Christ, nous devrions au moins expérimenter dans notre vie, les enseignements qu’il nous a transmis. Par une saine et sainte imitation, à notre mesure (car si notre vocation est de devenir saints comme notre Père Céleste, nous ne pouvons prétendre à cause de la nature perverse de notre génération, atteindre infailliblement la stature universelle du saint staretz) nous cheminerons dans la certitude, notre voie ascétique étant étayée par la prière et l’exemple de saint Silouane et la grâce de Dieu palliera notre peu de foi. Sa miséricorde pardonnera nos chutes successives.
Trop souvent, la spiritualité paraît à beaucoup de gens affaire de doctes spécialistes et d’érudits qui sont la plupart du temps de splendides théoriciens ‘non-pratiquants’. Le Christ n’est pas venu pour créer une caste d’intellectuels, mais pour nous donner la Vie en abondance. 
Certains pieux fidèles orthodoxe s’imaginent aussi que l’ascèse est réservée aux seuls moines et qu’elle leur est accessible à eux, laïcs, seulement quand ils séjournent — et qui le fait régulièrement ? — dans les monastères. Cela est totalement faux. Lieu propice à la Vie où la recherche du Royaume est privilégiée, le monastère, nous permettra un temps de "déposer tous les soucis du monde" ( Hymne des Chérubim, Divine Liturgie de saint Jean Chrysostome) et d’aller à l’essentiel dans une atmosphère de prière et d’ascèse que nous ferons nôtres alors avec moines et moniales.
Au monastère, nous apprendrons, à notre mesure, ce que le saint staretz a appris. Les moines ont beaucoup à nous transmettre de la Tradition chrétienne et de la simple nature humaine transfigurée. Le monachisme est en lui-même formateur, pour ceux qui le vivent et pour ceux qui l’admirent avec respect. Il suffit de lire les Pères pour se rendre compte de ce qu’ils avaient une connaissance très grande de la psychologie des hommes. Leur analyse de l’âme humaine est toujours actuelle, et les remèdes qu’ils donnent à nos maladies spirituelles sont toujours valides, et le seront aux siècles des siècles. 
Les moines et les moniales sont en marche vers l’Essentiel. Nous leur ressemblons, à la différence près qu’ils ont élagué en eux, par l’ascèse continue, la plupart des vieilles branches mortes qui nous empêchent de donner des fruits en abondance.
Ainsi, nous avons un grand combat à mener, contre l’agression perpétuelle de nos yeux et de nos oreilles par les violences des images, des sons et des perversions subtiles d’un monde idolâtrant le bruit, le sexe, et l’argent. Ce que notre société marchande essaie de promouvoir pour nous asservir, nous pouvons dans les monastères nous en affranchir.
Découvrir dans un monastère, avec d’autres pèlerins en partance pour le Royaume, le divin remède de la Prière de Jésus contre l’assaut répété des pensées grâce au staretz Silouane est une bénédiction. Mais peut-être les remèdes de l’Eglise sont-ils trop simples ? Qui veut de nos jours des remèdes gratuits du jeûne, de la confession et de la prière ? Nous préférons souvent un chemin plus livresque et moins efficace. L’effort à faire pour être délivrés, n’est pas de nature intellectuelle, c’est la raison pour laquelle il paraît sans doute moins acceptable. Souvent nous cherchons aussi ce qui est ardu à comprendre et à accomplir afin de nous donner des excuses pour abandonner la lutte et être satisfaits de notre médiocrité devant les difficultés. 
Nous avons oublié la simplicité du Christ. Nous la retrouverons dans la vie essentielle du monastère et quand nous l’aurons quitté, nous aurons l’élan nécessaire à la poursuite du combat ascétique et la nostalgie de cette icône du Royaume que représente la communauté monastique en cheminement vers l'Essentiel. Ce séjour au monastère stimulera notre vie spirituelle en paroisse, et notre prière personnelle et nous redonnera le goût de la simplicité.
Le Christ venu parmi les pécheurs de Galilée, leur parlant non un langage philosophique mais le dialecte araméen, c’est-à-dire la langue du peuple, n’a pas réservé le cœur de son enseignement aux seuls philosophes et théologiens de haut vol. Il demandait déjà à Ses disciples de redevenir de petits enfants. Exigeait-Il par ailleurs de se contenter du seul rituel de la Synagogue pour en être quitte avec Dieu, ou bien Son enseignement voulait-il que toute la vie soit façonnée par la foi ?
C’est encore une fois par la simplicité de Son langage non intellectuel que saint Silouane vient rappeler avec une douceur incommensurable l’essentiel du message christique. Il n’était pas un grand théologien comme nous les connaissons et apprécions généralement. Nous les lisons, ils créent en nous un enthousiasme intellectuel et une exaltation sentimentale que nous méprenons pour une expérience mystique, et nous continuons à vivre sans que cela change notre vie. 
Nous "visitons" en touristes la spiritualité, mais elle reste confinée dans les livres que nous alignons dans nos bibliothèques. Nous nous confortons souvent hypocritement dans l’illusion que ce qui nous est demandé est l’accumulation de savoirs, de théories, et nous nous croyons quittes de la pratique.
Mais le Jugement Dernier ne sera pas un examen comme le monde les conçoit. Dieu ne nous demande pas l’érudition, mais la mise en action de nos convictions en Lui. Nous fréquentons l’Eglise et nous dévorons avidement des livres de spiritualité, mais, entre les deux, un territoire neutre s’étend où nous agissons fréquemment comme des païens, sans que nos comportements soient marqués du sceau de la Vérité, et sans que notre vie ne rayonne de la splendeur du Soleil de Justice. 
Dans le meilleur des cas, la lecture des vies des Saints nous fournit une ascèse de substitution et nous donne l’illusion grotesque d’expériences spirituelles par procuration.
Le sel s’affadit. Il ne sale plus. Il est bien rangé, bien visible, mais il est inutile.

© Claude Lopez-Ginisty
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L'Ermitage du cœur (313)


Reste avec Dieu
Lorsque dans l'épreuve
Tu as la tentation du désespoir
Et garde ton cœur dans Son Nom

上帝的朋友 ( L'ami de Dieu)

mardi 1 novembre 2011

Un chemin vers saint Silouane (VIII)




Il n’est rien dans l’Eglise qui soit sans importance, car dans chaque pratique s’est incarné l’Esprit de Dieu, qui est la vie et le souffle de l’Eglise.
Archevêque Innocent de Pékin

Le Saint staretz Silouane partit au Mont Athos pour s’adonner plus pleinement à l’ascèse qui devait le sanctifier. Il est douteux que l’on puisse prétendre acquérir à vil prix la perle du Royaume. Notre chemin spirituel, passera obligatoirement par une certaine ascèse, ce sera une borne sur notre route. Or notre époque considère avec un grand mépris toute forme d’ascèse. 
Ainsi dans le domaine du jeûne, nos contemporains acceptent volontiers l’ascèse laïque du régime ou celle des religions lointaines, par pur goût de l’exotisme. Elle refuse souvent l’ascèse chrétienne qui est tension vers le Royaume et dans ses effets rapportés, anticipation des biens à venir. Or l’Epoux nous a bien dit que nous jeûnerions lorsqu’Il ne serait plus parmi nous; Il n’a jamais prétendu que le Royaume des Cieux était d’accès facile (ne nous l’a-t-il pas ouvert au prix de Sa mort sur la Croix, nous engageant à prendre nous aussi notre croix?), mais Il nous a certainement laissé une clef pour ouvrir à deux battants la porte du Paradis : l’amour et surtout l’amour de tous et celui des ennemis en particulier. Qui peut être plus aimant et plus proche de Dieu que celui qui aime aussi ceux qui lui sont opposés le plus durement ? Là est l’ascèse suprême ! Mais elle n’exclut pas ce qui doit préparer à ce sommet ascétique. Il n’y a jamais de chemins de traverse dans la vie spirituelle.

© Claude Lopez-Ginisty
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L'Ermitage du cœur (312)


La Parousie
C'est à chaque instant
Lorsque ton cœur
Bat au rythme du Nom

上帝的朋友 ( L'ami de Dieu)

lundi 31 octobre 2011

Sur le blog du moinillon


brat Iosif

C'est aujourd'hui, dimanche, le quatorzième anniversaire
de la mort en martyr de José, de brat Iosif.

MÉMOIRE ÉTERNELLE.
Que le Seigneur accorde le repos à son âme !

Le Père Méthode d'Odessa lui a dédié un chant
(voir vidéo ci-dessous sur le  blog

Un chemin vers saint Silouane (VII)






Voilà des siècles que les générations battent le sentier du Christ, lequel passe aussi par la Croix et la mort de la Croix. Comment se peut-il donc qu’à toi seul les afflictions rencontrées en chemin semblent étrangères au sentier ? Ne souhaites-tu pas mettre tes pas dans les pas des saints ? Ou aurais-tu quelque idée d’inventer un chemin à toi, pour y faire route sans souffrir ?
Saint Ephrem le Syrien

Ayant pris conscience de l’inéluctabilité annoncée, non de la mort, mais de notre mort , nous nous engagerons sur la Voie du Salut en demandant l’intercession du staretz. Notre parcours spirituel sera semé d’embûches et d’entraves. Il n’en serait pas ainsi si le but n’en valait la peine. Nous devrons être particulièrement attentifs à toujours garder à l’esprit que ce n’est pas l’exaltation intellectuelle que nous recherchons : Platon et Spinoza peuvent nous la donner à moindre prix, mais sans nous gratifier cependant de cette Vie Eternelle vers laquelle nous voulons aller.
L’écueil immense que nous permet d’éviter le saint staretz est celui de l’intellectualisme. Ce danger guette plus particulièrement ceux qui, en Occident, sont venus à l’Orthodoxie. Il n’est pas question de juger de la démarche qui a conduit à embrasser la foi orthodoxe. Dieu, dit le proverbe portugais, écrit droit avec des lignes courbes. L’histoire de toute conversion est une merveilleuse harmonie de faits hétéroclites et de rencontres inattendues, avant d’accéder à la pure grâce de la découverte du Christ dans l’Eglise, et à l’envie vivante de devenir membre de Son Corps. 
Très souvent après la conversion, on se constitue une bibliothèque et, fréquemment, la lecture prend très vite le pas sur la prière et le temps consacrés à Dieu. En situation de diaspora, donc de minorité, le converti se sent obligé de s’éduquer, sans guidance spirituelle aucune, de connaître plus intellectuellement la foi qu’il vient d’embrasser. Cette attitude devient paradoxale, lorsqu’il agit comme s’il voulait étayer la pure grâce accordée par le Verbe incarné, par le troupeau des mots de l’homme, aussi subtils et intéressants soient-ils. Est-il vraiment nécessaire de donner une légitimité à cette certitude heureuse que Dieu atteste en Lui saintement, sans support intellectuel ?
Il est, certes, tout à fait légitime de s’instruire dans la foi et de lire, mais si la connaissance intellectuelle tient lieu d’oraison, et qu’elle la remplace, elle est inutile. Il n’est nul meilleur écrin au pur joyau de l’adhésion à la Vie, que la Vie elle-même, c’est-à-dire la prière au Créateur. Si notre lecture ne nourrit pas notre prière, à quoi peut-elle servir ? Combien de fois avons-nous pris l’exaltation intellectuelle devant une belle pensée, un beau raisonnement, un système théologique, pour la Connaissance de Dieu, et la joie de l’intelligence — pourquoi ne pas parler de l’exaltation et exultation orgueilleuse de notre moi flatté d’accéder à cette compréhension — pour une manifestation de la grâce divine ? Ceux qui agissent ainsi, non seulement "inclinent à se contenter de la joie intellectuelle qu’ils y puisent" (A. Sophrony, op. cit., p. 140), mais ne pensent pas plus loin et croient avoir réellement vécu une rencontre avec l’Etre.
Par un autre effet pervers, induit par la situation de minorité de la diaspora orthodoxe, il est de bon ton d’avoir lu tout ce qui se publie et d’en parler, de comparer, de soupeser les spirituelles marchandises en se donnant l’impression de faire œuvre pie. Ce qui ne nous aide pas à mieux prier, à mieux aimer les autres et à avancer vers le Royaume, est de peu d’intérêt pour nous.
L’exaltation, l’exultation spirituelle, quand bien même elles viendraient de savants ouvrages théologiques, ne sauraient tenir lieu de lien spirituel avec le Christ. La seule prière peut conduire, non à l’exaltation — qui serait de l’ordre de l’illusion spirituelle — mais à la douce componction dont témoigna le staretz Silouane tout au long de sa vie. 
Ni les Pères, ni les plus estimables théologiens, ni le staretz lui-même ne doivent à travers leurs écrits devenir de simples objets de "méditation" sans prise sur la réalité du monde spirituel et sur l’amour du prochain. Dire que l’on aime le saint staretz ne peut être vrai que si l’on tente de suivre son exemple. On ne peut que tenter de le faire — sa stature est très haute et nous ne sommes pas à sa mesure — mais la grâce de Dieu venant en aide à notre peu de foi, notre chemin vers le Christ deviendra plus clair.
Combien écrivent, citant Saint Silouane, qu’il faut "donner son sang pour son frère et recevoir l’Esprit", et démentent aussitôt cette parole en gaspillant de l’encre pour exclure de la fraternité humaine ceux qui n’ont pas dans l’Eglise, ou bien ailleurs, l’heur de leur plaire ou de partager certaines de leurs opinions parfois contestables ? "Bien des gens sont capables de parler avec aisance de l’amour du Christ, mais leurs œuvres sont un scandale pour le monde, et c’est pourquoi leurs paroles sont privées de force vivifiante" (A. Sophrony, op. cit., p. 120).


© Claude Lopez-Ginisty
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L'Ermitage du cœur (311)


Comme les pèlerins 
Sur la route d'Emmaüs
Tu rencontre le Christ
Mais tu ne le sais pas

上帝的朋友 ( L'ami de Dieu)

dimanche 30 octobre 2011

Irina Yamashita (山下りん イリーナ), première iconographe orthodoxe du Japon


山下りん イリーナ
Irina Yamashita, 
première iconographe orthodoxe japonaise

Icône de la résurrection des mains d'Irina Yamashita

Irina (Irène) Rin Yamashita, une des premières converties au christianisme orthodoxe, de l'Archimandrite Nicolas, plus tard saint Nicolas du Japon, a été la première iconographe et peintre d'art religieux de la mission orthodoxe de saint Nicolas au Japon. Des exemples de ses oeuvres sont conservées dans de nombreuses églises orthodoxes parmi les plus anciennes du Japon, ainsi que dans des collections privées dans sa ville natale de Kasama.

Vie

Irina Yamashita est né à Kasama, au Japon, le 22 mai 1857. Comme adolescente, elle déménagea à Edo (Tokyo) pour apprendre l'art japonais traditionnel de la gravure sur bois (ukiyo-e) dans différents ateliers. En 1877, elle entra à l'Académie nationale pour les Beaux-Arts nouvellement établie et étudia la peinture occidentale. Grâce à une amie, Varvara (Barbara) Yamamuro, à l'institut, elle rencontra l'archimandrite Nicolas et s'intéressa au christianisme orthodoxe. En 1878, elle fut baptisée chrétienne orthodoxe. Notant son talent en tant qu'artiste, l'évêque Nicolas, en 1880, permit qu'elle aille étudier l'iconographie en Russie pendant cinq ans. 
A cette époque, son professeur à l'Académie nationale, Antonio Fontanesi démissionna et retourna en Italie, et elle perdit l'intérêt d'étudier à l'académie. Laissant l'Académie nationale, elle fut envoyée en Russie par un arrangement de l'évêque Nicolas et étudia au monastère de moniales de la Résurrection de Novodievitchi à Saint-Pétersbourg, en Russie, de 1881 à 1883. 
À Saint-Pétersbourg, elle eut des occasions de visiter le Musée de l'Hermitage et fut impressionnée par les peintures de style occidental, y compris celles de Raphaël Santio. D'autre part, elle avait des difficultés étant attirée par les icônes de style byzantin, et parfois même elle exprima sa frustration. En 1883, l'évêque Nicolas la rappela au Japon selon ce qui avait été prévu prévu.
Elle retourna au Japon où elle devint l'artiste principale d'art religieux, dont l'iconographie, au siège de la mission de Kanda à Tokyo Suragadai. Elle résidait dans la zone du quartier général, dans le dortoir du Séminaire orthodoxe féminin de Tokyo.
Au cours des années suivantes, Irina produisit beaucoup d'icônes et d'autres œuvres religieuses et des illustrations pour la Mission japonaise orthodoxe. Son talent et sa dévotion à son occupation était respectés parmi les fidèles. 
En 1891, elle peignit une icône de la Théotokos comme cadeau de l'Eglise du Japon au prince héritier Nicolas, le futur Nicolas II de Russie  qui visitait le Japon cette année-là.
On se souvient d'elle comme le leader et précurseur de l'iconographie au Japon. Irina ne s'est jamais mariée et a vécu une vie de célibat, bien dans le style d'un monastère orthodoxe. En 1918, elle prit sa retraite et retourna dans sa ville natale, Kasama. Elle est décédée en 1939.

Version française Claude Lopez-Ginisty
d'après
http://orthodoxwiki.org/Irina_Yamashita



Quelques œuvres d'Irina Yamashita

Elle restaura aussi certaines icônes de la cathédrale
de l'Annonciation de Tokio (video ci-dessous)

Un chemin vers saint Silouane (VI)




Etre prêt à mourir, c’est se rapprocher du Royaume


"Que faut-il faire pour avoir la paix dans l’âme et dans le corps ? Pour cela, il faut aimer tous les hommes comme soi-même et être, à toute heure, prêt à mourir. Quand l’âme se souvient de la mort, elle devient humble, se livre tout entière à la volonté de Dieu et désire être en paix avec tous et aimer tous les hommes" ( Archimandrite Sophrony,op. cit., p. 285 – Ecrits).
La mémoire de la mort est difficile à notre époque où ne sont exaltés que la réussite personnelle mondaine, le succès en affaires, et toutes formes d’exploits dérisoires aux yeux de l’éternité. La voie qui consiste à se souvenir de la mort est essentielle puisque pour nous chrétiens, la mort est l’entrée dans la Vie. C’est l’instant ultime et révélateur aussi de l’existence des croyants. Au Mont Athos, on attend de voir mourir un moine avant de savoir s’il a trouvé véritablement la Voie. 
Dans nos communautés, il est rare qu’un enseignement sur la mort nous soit systématiquement donné. Le plus souvent, ce sont les défunts qui dans leur dignité immobile rappellent à la communauté des fidèles le sort commun des hommes. Au milieu de l’église, à cercueil ouvert, nous les voyons avec les yeux de la douleur plus qu’avec ceux de la foi. 
Les hymnes funèbres, le chant de "mémoire éternelle" ont une grande solennité qui nous fige dans un respect poignant au moment des adieux. Les visites sur les tombes aux périodes pascales donnent une image plus sobre de la mort, mais ce sont des instants minuscules dans l’océan du temps, et nous n’avons — à moins de la chercher — nulle réelle préparation à la mort. Si le staretz nous demande de nous souvenir de la mort, nous devons le faire afin de trouver l’humilité salvifique.
Le métropolite Antoine de Souroge de bienheureuse mémoire fit, lors d’un congrès orthodoxe à Dijon, une conférence sur la mort. Elle fut reprise dans la revue Sobornost (Vol. 1, pp. 8-18, 1979). Ses propos méritent d’être rapportés car ils peuvent nous aider à cerner ce "souvenir ou cette mémoire de la mort" dont parle le staretz et nous donner un véritable enseignement pour y parvenir.
Dans un premier temps, il nous parle de la conscience du présent. "La mort est la pierre de touche de notre attitude envers la vie. Les gens qui ont peur de la mort, ont peur de la vie." C’est la raison pour laquelle il nous faut affronter très tôt le problème de la mort, et nous déterminer fermement par rapport à elle. Nous ne devons pas remettre à plus tard cette question importante car nous ne sommes pas maîtres du temps qui nous reste. Ayant accepté de nous confronter à la mort, nous pourrons alors vivre "sans crainte et dans la plénitude de nos capacités."
"Il est une injonction patristique, répétée pendant des siècles, qui dit que nous devrions nous souvenir de la mort pendant toute notre vie. […] Nous avons besoin de comprendre la mémoire de la mort dans sa pleine signification comme exaltation et non comme diminution de la vie."
"L’injonction de se souvenir de la mort, n’est pas un appel à vivre avec un sentiment de terreur dans la conscience constante que la mort va nous prendre, et que nous allons périr complètement, avec tout ce que nous avons cru. Cela signifie plutôt : Sois conscient du fait que ce que tu dis à présent, ce que tu entends, supportes ou reçois maintenant peut-être le dernier événement ou la dernière expérience de ta vie présente. Auquel cas, cela doit être un couronnement, et non une défaite, un sommet, et non un abîme. Si seulement, lorsque nous sommes en présence d’une personne, nous comprenions ce que pourrait être le dernier instant de sa vie ou de la nôtre, nous serions plus "intenses", plus attentifs aux paroles que nous prononçons et aux choses que nous faisons.
[…] Le moment le plus important de la vie est le présent — c’est le seul que nous ayons car le passé s’est enfui, et le futur n’est pas encore là. L’action la plus importante dans ce présent consiste à faire quelque chose de juste. Et la personne la plus importante dans la vie, est la personne qui est avec vous à l’instant présent, et pour laquelle vous pouvez faire quelque chose de bien, ou quelque chose de mal. Voilà précisément ce que l’on entend pas la mémoire de la mort.
[…] Si seulement nous pouvions percevoir le caractère d’urgence de chaque instant avec la conscience qu’il pourrait être le dernier, notre vie changerait profondément. Les paroles oiseuses que condamne l’Evangile (Matthieu 12, 36), toutes ces déclarations et ces actions qui n’ont aucun sens, qui sont ambiguës et destructrices, n’auraient pas de place. Nos paroles et nos actions seraient pesées avant d’être dites ou faites […] pour exprimer la perfection dans nos relations, jamais moins que cela.
[…] Toute vie est à chaque instant un acte ultime".
Le Métropolite Antoine parle ensuite de la peur de la mort et de la mort souhaitée.
"Nous savons par expérience, la nôtre et celle des autres, que nous avons peur de la mort et que nous sommes incertains à son propos. Pour être plus précis, je pense que nous craignons plus le processus de la mort que le fait de la mort lui-même. La plupart des gens accepteraient la mort s’ils étaient sûrs qu’elle vienne comme le sommeil, sans une période intermédiaire de crainte et d’incertitude.
"Si nous considérons les saints, nous découvrons une tout autre attitude envers la mort. Leur amour de la mort n’était pas fondé sur la crainte de la vie. Quand saint Paul dit : "Pour moi vivre c’est Christ et mourir m’est un gain […] j’aimerais partir et être avec Christ, ce qui est bien préférable" (Phil 1, 21, 23), il exprime une attitude complètement positive par rapport à la mort. La mort lui apparaît comme la porte qui ouvre sur l’éternité, lui permettant de rencontrer face à Face le Seigneur qui est tout son amour et toute sa vie.
[…] Pour être capable de souhaiter la mort de cette manière particulière, et de voir la mort comme le commencement de notre vie, son déroulement dans la mesure sans mesure de l’éternité (pour utiliser la phrase paradoxale de saint Maxime le Confesseur), nous devons avoir, ici et maintenant, l’expérience de la vie éternelle. Nous ne devons pas penser que la vie éternelle est quelque chose qui viendra plus tard, comme un bonheur futur ou une future sécurité. Les apôtres ne devinrent sans crainte que lorsqu’ils eurent — hic et nunc — part à la vie éternelle. Tant qu’ils n’avaient pas reçu le témoignage de la Résurrection du Christ, tant qu’ils n’avaient pas reçu l’Esprit, ils avaient encore peur et s’accrochaient avec crainte à leurs vies temporelles. Mais dès qu’ils eurent accès à la vie éternelle, leur crainte de perdre leurs vies temporelles disparut, car ils surent que la haine, la persécution et le meurtre ne pouvaient rien faire que les délivrer des limitations de cette vie, et leur permettre d’entrer dans les profondeurs sans bornes de la vie éternelle. Et cette vie éternelle était connue comme expérience présente, et non comme un acte de foi. 
La même chose est vraie pour les martyrs. Ils étaient prêts à mourir et à posséder la liberté souveraine du don de soi parce qu’ils connaissaient la vie éternelle et y étaient entrés dans une certaine mesure.
La mort est un événement dans la vie de tous les jours" […] "mourir d’un point de vue pratique signifie sortir de la conscience de soi-même jusqu’à l’oubli de soi. C’est quelque chose que beaucoup craignent de faire. Pourtant, chacun d’entre nous va dormir chaque soir, se perdant complètement dans le sommeil sans aucune crainte. Pourquoi ? Parce que nous sommes certains — et jusqu’à un certain point sans raison aucune — que nous nous réveillerons le lendemain, […] dans ce sens-là, nous affrontons la mort avec confiance chaque nuit. Et quand cette sorte de mort temporaire ne vient pas facilement fermer nos yeux, nous allons jusques à prendre des somnifères ou des boissons qui induisent le sommeil".
Le Métropolite Antoine citant ensuite Romano Guardini, parle alors très à propos de ces "morts-transformations" que nous acceptons naturellement lorsque nous passons de l’état de nourrisson à celui d’enfant, d’adolescent pour finalement parvenir à l’âge adulte. Pour notre développement, beaucoup de choses meurent en nous dans ces transformations successives, et notre vie devient différente. La mort est une de ces transformations. Le processus qui conduit à la mort est en nous tout le temps. 
Contrairement à nos parents qui se désolent de voir évoluer leurs enfants et qui aimeraient les garder toujours dans leur âge enfantin, les privant de leur croissance naturelle, nous devons, nous , devenir plus conscients de la présence de ce potentiel de croissance et de changement en nous et "y participer plus activement. Alors serons-nous moins effrayés de la mort comme d’une perte irrévocable. Nous la regarderons plutôt comme une partie inévitable du processus par lequel nous grandissons en vue d’une vie plus mûre et plus concrète".
Le Métropolite Antoine mentionne ensuite la mort à soi-même.
"Le Christ nous appelle à mourir à nous-mêmes. Que veut dire ceci ? La phrase est ambiguë, comme tout ce qui est dit au sujet de la mort. Cela signifie-t-il l’autodestruction ? Beaucoup imaginent que oui, et essaient de l’appliquer dans ce sens. Heureusement ils échouent mais ils restent à jamais blessés par la terreur qu’ils en ont éprouvée. Bien compris, mourir à soi-même signifie accepter cette mort progressive des choses en nous jusques au moment où nous parvenons au point où nous réalisons qu’il y a en nous un moi réel et profond, qui a sa place dans l’éternité, et un moi superficiel qui doit être dissous. Nous devons nous débarrasser du moi superficiel afin de vivre pleinement. 
[…] Ainsi, mourir signifie ne rien laisser en nous que ce qui est essentiel à la plénitude de la vie. […]
Il est vrai que mourir ce n’est pas être dépouillé de la vie temporelle, mais être revêtu de l’éternité. […] S’il n’y avait nulle mort dans un monde de péché, de mal et de corruption, nous nous dégraderions lentement et nous nous désintégrerions sans être capables d’échapper à l’horreur d’une telle dégradation graduelle.
[…] Nous devrions garder à l’esprit qu’il y a deux aspects de la mort. Il y a la mort physique et il y a aussi la mort comprise comme séparation d’avec Dieu, descente au shéol, lieu où Dieu n’est pas, lieu de son absence radicale et définitive. C’est ce second aspect de la mort qui est certainement le plus cruel et le plus atroce". Le Christ connut ces deux morts mais, ajoute le Métropolite avec l’Eglise, descendant au lieu "où se trouvaient ceux qui avaient perdu Dieu descendaient, Il y apporta avec Lui la plénitude de la Présence Divine. Par conséquent, il n’est plus de lieu où Dieu ne soit".
Le Métropolite Antoine affirme ensuite avec force que "si Dieu n’est pas le Dieu des morts, mais Celui des vivants (Matthieu 22, 23), alors tous ceux qui ont quitté cette vie sont vivants en Lui ; nous pouvons, en ce qui nous concerne, nous tourner vers eux pour obtenir leur intercession ou leur pardon. […] La mort n’est pas la fin. Le bien que nous avons fait, continue après nous, et porte des fruits dans la vie des autres. Malheureusement, le corollaire est également vrai, nous pouvons aussi leur laisser un héritage de mal".

La mort, la nôtre ou celle des autres, nous fait comprendre, non seulement le prix très grand de cette vie, mais elle nous responsabilise grandement et sérieusement dans la perspective du Royaume à venir.
Il est de bon ton de nier l’existence de l’Enfer ou de n’en point parler. S’il y a comme une gêne à mentionner ce mot, que dire de sa réalité intrinsèque ? Alors on le réduit à des dimensions terrestres bien humaines. Il est vrai que l’imagerie occidentale du Moyen Âge a fait de ce lieu une caricature où Dieu, le Dieu d’Amour qui avait donné Son Fils unique pour sauver les hommes, semblait Se complaire au spectacle pervers d’une sorte de barbecue anthropophage, tandis que les séides de Son éternel adversaire s’abandonnaient à leur soif de tortures et de souffrances. 
Mais esquiver cette aberration par la croyance non moins aberrante de l’hypocatastase selon laquelle tout le monde entier sera sauvé, n’est guère plus prégnant de sens puisque par là même, si le salut est automatiquement garanti à tous, il devient contrainte. La liberté de l’homme n’existe plus alors, l’existence de l’homme et celle de Dieu deviennent inutiles par la disparition même de l’Amour et de la liberté qui le fonde. Nous devons prier pour que le salut soit accepté par tous, car il est en vérité offert au monde entier sans exclusion aucune.
"La sainte pensée de l’Eglise est que tous soient sauvés. Et la voie que suit l’Eglise pour atteindre ce saint but, c’est la patience, c’est-à-dire le sacrifice. En prêchant dans le monde l’amour du Christ, l’Eglise appelle tous les hommes à la plénitude de la vie divine, mais les hommes ne comprennent pas et le rejettent. […] Mais dans l’accomplissement de l’œuvre du Christ sur la terre, le salut du monde entier, l’Eglise assume consciemment le poids de la fureur générale, de même que le Christ a pris sur Lui les péchés du monde. (Archimandrite Sophrony, Op. cit. p. 120)
L’Enfer, selon l’enseignement traditionnel, est un lieu qui n’est pas distinct du Paradis. Tous les hommes seront face à l’Amour de Dieu. Mais ceux qui auront refusé cet amour, le ressentiront comme brûlure inextinguible et ceux qui l’auront accepté, le recevront comme ineffable joie, intense exultation.
"Je maintiens aussi que ceux qui sont châtiés dans la Géhenne sont fouettés des verges de l’Amour. Oui, qu’est-il de si amer et de si véhément que le tourment de l’Amour ? Je veux dire que ceux qui ont acquis la conscience d’avoir péché contre l’amour souffrent de ce fait un plus grand tourment qu’ils ne souffriraient de la crainte d’aucun châtiment. Car la douleur qu’inflige à leur cœur le péché contre l’Amour est plus cuisante que ne l’eût été n’importe quel tourment. Et il serait incongru de penser que, fut-ce dans la Géhenne, les pécheurs puissent être privés de l’Amour de Dieu. L’Amour est ce fruit né de la connaissance de la Vérité qui, selon l’aveu commun, est donné à tous. La puissance de l’amour œuvre alors de deux sortes : elle tourmente les pécheurs, comme il arrive ici-bas, lorsqu’un ami souffre à cause d’un ami ; mais elle devient une source de joie pour ceux qui ont observé ses commandements. Aussi dis-je que là est le tourment de la Géhenne : dans l’amer regret. Mais l’amour, par sa jouissance, grise les âmes des enfants du Paradis. (Saint Ephrem le Syrien in Mère Xénia, Nostalgie de la Vie spirituelle, p. 68 - © Fraternité Saint Grégoire Palamas s. d.)

Or donc, si nous voulons être conséquents dans notre volonté — avec la grâce de Dieu — de rejoindre le lieu céleste de Son Amour, ce ne seront pas les paroles, ou la seule affirmation de notre amour pour Lui qui nous sauveront, mais nos actes en conformité avec Ses commandements. "Ceux qui me disent Seigneur, Seigneur, n’entrerons pas tous dans le Royaume des Cieux, mais celui-là seulement entrera, qui fait la volonté de mon Père Qui est dans les Cieux" ( Matthieu 7, 21)


© Claude Lopez-Ginisty
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Une première version de ce texte 
a été publiée
aux 
Editions du Désert 
en 2003 
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