jeudi 3 novembre 2011

Un chemin vers saint Silouane (X)


Celui qui habite sans cesse son propre cœur est étranger à tous les plaisirs de cette vie. Il marche dans l’Esprit, et dès lors, ne sait rien des convoitises de la chair. Toutes les ruses du démon ne peuvent rien contre lui, car il est protégé par les vertus qui se tiennent comme des sentinelles à la porte de la cité de pureté.
Saint Diadoque de Photicé

C’est parfois l’impuissance devant l’immensité de l’ascèse à accomplir pour changer, qui nous effraie comme si nous ignorions qu’après le premier pas, le second est plus facile. C’est aussi le regard en arrière sur la vie facile du monde qui nous retient, la peur de l’effort à faire, et la nostalgie de l’inconscience agréable où nous vivions avant l’exigence de la foi, qui nous paralysent.
Les apôtres vaquent à leurs tâches quotidiennes et humbles. Le Seigneur passe. Il les appelle. Ils Le suivent parce qu’irrésistiblement, ils savent que le chemin terrestre sur lequel ils vont suivre les pas de l’Homme-Dieu, ce chemin poussiéreux de Terre Sainte va les conduire au Ciel.
Lorsque saint Silouane, simple paysan, qui a vécu la même indifférence que nous, entend l’appel de Dieu, il ne regarde pas en arrière, il Le suit, mais ce qui le rend proche de nous, c’est son humble crainte : celle de changer d’avis. Lorsqu’il part à la Sainte Montagne, il a mis suffisamment de distance entre le monde et lui pour ne plus suivre que le Maître. Le Christ vécut parmi les apôtres, et lorsqu’ils l’eurent pleinement reconnu comme tel et que leurs yeux dessillés eurent saisi que Dieu était parmi eux, ils comprirent avec stupeur et émerveillement que cet Homme témoignait de cette possibilité qu’auraient les hommes comme eux ( et comme nous aujourd’hui) d’être, dès ici-bas, en transit vers l’Ineffable. Quand Il leur dit que le Royaume est au-dedans d’eux, Il leur montre la borne qui marque en eux — comme en nous — la frontière avec le monde à venir. Car c’est le cœur qui relie subtilement l’âme à l’autre rive. Il est par la prière l’ouverture subtile sur l’Eden retrouvé.
A l’imitation de Saint Silouane, nous nous engagerons donc fermement dans une prière fervente. Nous savons que ce contact avec le Divin, s’il était vraiment permanent, nourri par l’Ecriture Sainte et la connaissance des Pères qui ont parcouru en vainqueur ce chemin, ferait descendre parmi nous le Royaume.
Saint Paul a recommandé à tous les chrétiens sans exception de "[prier] sans cesse" (1 Thes 5, 17). Selon saint Basile et saint Jean Chrysostome, cette prière constante est mieux accomplie lorsque l’on s’adonne à la prière du cœur qui peut être faite en tous temps, partout, et pendant l’accomplissement de toutes sortes d’activités. Saint Paul a demandé à Thimotée de se souvenir de Jésus-Christ : " Souviens-toi de Jésus-Christ ressuscité des morts." ( 2 Thimothée 2,2). Saint Grégoire le Théologien a dit : "Il est plus important de se souvenir de Dieu que de respirer." Un autre Père a ajouté que Dieu demande que nous nous souvenions toujours de Lui parce qu’Il nous donne tout : notre existence et notre souffle.
Que Jésus soit la préoccupation de votre langue ; que Jésus soit la forme et l’idée honorable de votre intellect ; que Jésus soit votre respiration et que vous ne vous lassiez jamais d’appeler Jésus. D’une telle perpétuelle et douce mémoire de Jésus, ces grandes vertus théologales que sont la Foi, l’Espérance et l’Amour, croîtront et parviendront à maturité pour devenir de grands arbres dans votre cœur. Sachez que quand un amant est éloigné de sa bien aimée, il n’est nulle autre consolation pour lui que de se souvenir constamment de son nom. […] Ainsi, l’âme qui aime Jésus, mais qui ne peut ni le voir, ni jouir de Sa présence, ne peut être consolée autrement que par le souvenir constant de Son saint Nom, l’appelant toujours avec amour, larmes et douleur du cœur. […] C’est ce que Saint Isaac nous dit : "Quand l’âme s’émeut au souvenir de Dieu, le cœur s’émeut directement par l’amour et les yeux se remplissent de larmes. Il est habituel à l’âme de verser des larmes quand elle se souvient de la personne bien aimée.
En nous souvenant de Jésus et en disant la prière de Jésus, nous cultivons en notre cœur l’amour pour Jésus et pour Ses commandements. Qu’y a-t- il de plus béni, de plus heureux, de plus doux, que de contempler toujours le très glorieux, très plaisant et très aimé Nom de Jésus-Christ, par Lequel tout homme qui demande quoi que ce soit au Père, le reçoit sans faillir ? "Tout ce que vous demanderez au Père en mon Nom, Il vous le donnera." (Jean 15, 16) Et encore : "Quoi que vous demandiez en mon Nom, je le ferai, afin que le Père soit glorifié dans le Fils." ( Jean 14. 13)
Quelle autre pensée ou mémoire est plus divine et pleine de grâce que la pensée et la mémoire du Nom salutaire, divin et redoutable de Jésus-Christ, Fils de Dieu ? Saint Paul l’a dit : "C’est pourquoi Dieu L’a élevé et Lui a donné un Nom qui est au-dessus de tous les autres noms ; afin qu’au Nom de Jésus tout genou fléchisse dans le ciel, sur terre et aux enfers; et que toute langue confesse que le Seigneur Jésus-Christ est Seigneur dans la gloire de Dieu le Père." ( I Philippiens 2, 9-11).
Je vous ai dit ces choses à cause de grand amour que j’ai pour votre salut. Toutes ces choses, comme un perroquet, je les ai apprises des livres sacrés des Pères inspirés de Dieu, et je les ai entendues de la voix vivante de certains Pères spirituels qui avaient en partie l’expérience de ces choses là." ( Saint Nicodème l’Aghiorite in Nicodemus of the Holy Mountain, a Handbook of Spiritual Counsel, Paulist Press, New York, USA, pp. 168-170)

La prière est mémoire constante de Dieu, contact vivifiant avec l’Amour ineffable et immarcescible du Christ, rencontre avec le Saint-Esprit Donateur de Vie, garde du péché et humilité. Il faut s’arracher au monde qui nous entoure pour entrer dans la prière. "Dieu donne la prière à celui qui prie", disent nos Pères dans la foi. Si notre prière n’est pas violent arrachement au monde pour s’emparer avec violence du Royaume, si elle est accomplie par simple habitude, sans humilité, elle ne montera pas vers les Cieux. La prière doit devenir comme un besoin irrésistible afin que notre âme connaisse véritablement le Seigneur. La douceur de la prière ne viendra pas de paroles mécaniques répétées sans réelle conviction, mais elle naîtra de l’irrésistible besoin impérieux de rentrer dans la Présence, d’avoir cette audace incommensurable de vouloir Le rencontrer face à Face parce qu’Il est notre Père véritable.

© Claude Lopez-Ginisty
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Une première version de ce texte 
a été publiée
aux 
Editions du Désert 
en 2003 
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