samedi 8 mars 2014

STARITZA NIKODIMA DE DIVIYEVO † 2/15 mars ( 1990) [11]


11 . Les orphelins élevés

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 The children of the orphanage in pre-revolutionary Diveyevo.
Les orphelins de l'orphelinage de Diviyévo avant la Révolution

La troisième sœur était Simotchka [diminutif de Synclétique], qui fut également élevée dans l'orphelinat de Diviyévo, mais elle s'est mariée avec la bénédiction de Père Séraphim. Sa vie n'a pas été facile. Elle est morte d'un cancer alors qu'elle était encore jeune. C'était difficile pour Matouchka. Après la mort de Père Séraphim, onze orphelins, ses neveux et nièces, furent sous sa responsabilité. Elle avait une grande famille. Certains étaient morts, d'autres avaient péri au front, et les enfants sont devenus orphelins. Ainsi, il s'est avéré que tous se sont retrouvés avec Matouchka.

A peine la Reine Céleste l'avait-elle bénie pour élever des enfants que tous ces enfants pleuvaient sur elle. Elle avait pris soin du staretz pendant douze ans, et maintenant qu'il avait disparu, le Seigneur lui attribuait une nouvelle obédience. Sa maison était pleine d'enfants, et c'étaient des temps de disette. "Ces enfants," racontait-elle, "couraient après moi tirant sur le bas de ma robe, en disant: "Maman, nous voulons manger. Maman, nous voulons un peu de lait." J'étais moi-même tout en larmes, et je les a placés devant l'icône de la Mère de Dieu: "Où vais-je obtenir du lait pour vous. Demandez à la Mère de Dieu!" Alors, ils se tenaient devant l'icône de la Mère de Dieu et répétaient : "Maman, Maman, nous voulons un peu de lait."

Mais bien sûr que c'était juste une horreur que d'essayer de comprendre ce qu'il fallait faire avec eux. Onze enfants, pas de place dans la maison, la pauvreté, la faim, et je ne savais pas ce que j'allais faire avec eux. Et Simotchka était alitée, en train de mourir d'un cancer." 
Elle devait se rendre dans une autre maison de l'autre côté de la ville pour s'occuper de sa soeur mourante, et s'occuper de ces enfants d'une manière ou d'une autre. 
"Un jour," dit-elle, "Je suis venu pour voir Simotchka, et elle m'a dit: "Pachenka, Batiuchka (Père Séraphim) était ici. Tu sais, je me trouvais ici comme ça, quand tout à coup la porte de la chambre s'est ouverte. Il est entré. Il était avec une moniale. (Père Séraphim n'était plus en vie depuis maintenant trois ans!) Il fit le tour de la pièce et encensa (semble-t-il qu'il prédisait sa mort à elle Simotchka), et il a chanté " Saint Dieu, Saint Fort..." Il est venu à mon lit, m'a bénie, et a dit: "Pacha est bouleversée, elle est inquiète de savoir comment elle va élever les enfant, comment elle va les nourrir. Voilà, j'ai apporté quelques icônes. Donne-les à Pacha, Pacha va rentrer à la maison, et le long du chemin, elle rencontrera un homme qui lui demandera si elle a quelques petites icônes de ce genre. Qu'elle ne dise pas de prix, mais il suffit de prendre tout ce qu'il offrira. Elle élèvera ses enfants avec cet argent. Qu'elle prenne courage." Et puis il est parti par la fenêtre. Prends donc ces icônes, Pacha." 
Matouchka a pris les icônes, qui étaient des images de papier. Elle rentra chez elle. Elle était presque à la maison quand un petit homme monté sur un cheval lui demanda si elle n'avait pas par hasard, telle ou telle image. Elle lui dit que oui et qu'il était le bienvenu. "Combien en veux-tu?" a-t-il demandé. " Autant que vous m'en donnez," répondit-elle. Et il lui donna quelques sous. Elle le regarda et se demanda comment elle allait nourrir ses orphelins avec ça. Que ferait-elle avec eux maintenant? 
À ce moment, quelqu'un lui a apporté une chambre à air en caoutchouc. "Que vais-je faire avec cette chambre à air?" a-t-elle dit " Cela pourrait être utile," répondit-il. "A quoi cela pourrait-il être utile?" " Eh bien, achète-la." "Combien ça coûte?" Cela coûtait exactement ce que le petit homme lui avait donné. Qui il était, c'était aussi un mystère, mais il est clair qu'il n'était pas un homme terrestre. Elle pensait: "Eh bien, puisque c'est juste assez d'argent, cela signifie que l'argent a été donné pour acheter cette chambre à air." 
Alors, elle a acheté une grande chambre à air en caoutchouc. Elle pensait: "Qu'est-ce que je vais faire à présent? Maintenant, je n'ai même pas de l'argent. Et comment vais-je prendre soin des enfants? Soudain, le Seigneur lui a donné sa sagesse: elle pourrait faire des galoches. 
Alors elle se mit tout de suite à faire des galoches avec la chambre à air en caoutchouc, et tout s'est tellement bien passé;  elle a fait les galoches, les a vendues, a obtenu un peu d'argent et elle a acheté une chèvre. 

C'était tout simplement un miracle! Matouchka a dit "maintenant, j'étais soudainement  inspirée. J'ai appris à faire des couvertures et à coudre. J'ai appris tout ce qu'une mère a besoin de savoir pour prendre soin de cette grande famille. J'ai travaillé jour et nuit sans repos, fait des pantalons ou des chemises de drap. Alors le Seigneur envoyait un tissu, des petits bouts, et je comprenais ce que je pouvais en faire sortir. Je cousais quelque chose, le vendais au bazar et voilà, il y avait de l'argent. Et il y avait la guerre​​. Voilà le genre d'époque que c'était. Une guerre, et j'avais onze enfants. Une moniale toute seule." Voilà ce que cela signifie que d'avoir une foi profonde! 


Version française Claude Lopez-Ginisty

d'après

Haïjin Pravoslave (CCCI)


Dieu joue en ton âme
La symphonie du salut
Sise en l’Evangile


上帝的朋友 ( L'ami de Dieu)

vendredi 7 mars 2014

STARITZA NIKODIMA DE DIVIYEVO † 2/15 mars ( 1990) [10]



Mère de Dieu d'Iviron

10. Apparition de la Mère de Dieu

Plus tard, elle nous a raconté comment la Mère de Dieu d'Iviron, une icône thaumaturge, est venue à eux. Ils avaient de nombreuses icônes miraculeuses, mais celle-ci l'était particulièrement. La Mère de Dieu lui était apparue en rêve sous la forme de cette icône d'Iviron. 
Juste derrière la maison de Matouchka coulait ce que la tradition identifie comme la source même sur laquelle saint Serge a prié, et à partir de laquelle coule un ruisseau. Lorsque la Laure fut également fermée, on peut dire que c'était la Laure, où Père  Séraphim avait vécu. L'église Saint-Elie était ouverte, il est vrai, mais l'Eglise des Catacombes était ici. Cette source est bien connue dans la vie de saint Serge de Radonège. Quand les frères murmurèrent contre le saint [parce qu'ils n'avaient pas d'eau], il prit un moine avec lui, et il alla à l'extérieur du monastère. Là, ils prièrent sur ​​une goutte d'eau de pluie pour que le Seigneur leur donne de l'eau, et de cette goutte d'eau jaillit une source, puis toute une rivière.

Cette source était juste derrière leur maison, dans un grand ravin. La Mère de Dieu apparut à Matouchka dans un rêve au-dessus de cette source. Elle lui  parla de l'icône: "Sers-moi!" Après le rêve de Matouchka, elle dit à Père  Séraphim: " Père, je dois aller à un certain endroit, non loin de Diviyévo, où il y aura un passage de la Mère de Dieu d'Iviron. La Reine Céleste me commande de la servir. Bénis-moi, Père, je devrais y aller et la servir. La Mère de Dieu m'a demandé de le faire." 
Mais Père Séraphim lui a dit: "Pachenka, elle viendra à toi, tu n'as pas à aller où que ce soit." 
"Dans la soirée, l'icône est effectivement arrivée, la même que celle qu'elle avait vue dans son rêve. Quand elle vit cela, elle fut stupéfaite. Comme Père Séraphim l'avait dit, la Reine Céleste était venue à elle. C'était une icône thaumaturge. Plus tard, un miracle s'est produit avec cette icône. 
Quand le Père Séraphim mourut, Matouchka pria devant cette icône, demandant comment elle devait vivre maintenant, et ce qu'elle devrait faire. La Mère de Dieu sortit de l'icône, la bénit et détermina son obédience. Matouchka lui demanda: "Mère de Dieu, comment puis-je te servir?" Elle sortit [de l'Icône] et dit: " Tu élèveras des enfants." Après la mort de Père Séraphim, douze enfants sont venus, comme les douze morceaux de bonbons que Maria Ivanovna lui avait donnés. Ce fut le service que la Reine céleste avait désigné pour elle.

Voici un autre épisode de sa biographie. Quand elle vivait avec ses parents après que son monastère ait été fermé, il y eut une épidémie de typhus. Le village réunit une assemblée. Les gens mouraient et il n'y avait personne pour prendre soin d'eux, car tout le monde avait de grandes familles. Pour l'assemblée du village (les villages étaient alors comme des monastères, comme des républiques orthodoxes), est venue cette moniale du monastère. Elle n'avait pas sa propre famille, alors ils pensaient lui donner la tâche de s'occuper des victimes du typhus. Elle est toute seule, si elle meurt, ce n'est pas une grande catastrophe, raisonnaient-ils. Ils ont donc trouvé un endroit pour les loger et envoyé tous les malades là-bas avec Matouchka. 
C'était son obédience, prendre soin des patients atteints de typhus. Elle a dit qu'elle n'avait pas dormi pendant des semaines pour prendre soin d'eux. Mais elle n'a jamais été malade. Puis la Mère de Dieu elle-même lui apparut aussi, dans un manteau bleu clair, portant des manchettes. La Mère de Dieu ne lui dit rien, elle la bénit seulement. C'est ainsi que la Mère de Dieu lui donna des forces. 
Tels étaient les peines et les travaux de Matouchka. Chaque fois qu'elle se souvenait de cette apparition de la Mère de Dieu, Matouchka pleurait toujours, disant seulement: "Vous ne pouvez pas imaginer à quel point elle est belle! Oh, combien la Reine du Ciel est belle." Elle était tout simplement impuissante à décrire la Mère de Dieu. Saint Séraphim lui apparut plusieurs fois, mais la Mère de Dieu lui apparut à deux reprises.

Après sa mort Père Séraphim, avait prédit que Xénia, la sœur aînée de Matouchka, le trahirait. "Quand je mourrai," dit-il, "Xénia me trahira." Puis Père Séraphim est mort. Comme les chrétiens des premiers siècles de l'Eglise des Catacombes, Père Séraphim fut enterré sous l'autel de l'Eglise des Catacombes, dans le sous-sol où ils gardaient les pommes de terre. Ils creusèrent une tombe et il l'enterrèrent dedans. 
Il est intéressant de voir la connexion qu'elles avaient avec l'autre monde, pas seulement avec les saints, mais avec leurs proches qui avaient également atteint la sainteté, car après sa mort, Père Séraphim leur apparaissait souvent. 

Elles parlaient avec lui après sa mort. Elles donnèrent tout ce qui avait  été laissé dans l'Eglise des Catacombes de Saint-Elie, les vêtements épiscopaux qui avaient été cousus pour Père Séraphim, et tous ses vases liturgiques, tout de suite après sa mort. Leur fenêtre s'ouvrait à droite sur cette butte où était la source de Saint-Serge, et Père Séraphim partait toujours par le porche arrière, par mesure de précaution, chaque fois que quelqu'un frappait à la porte. Il devait se cacher. Il sortait sur la butte et attendait jusqu'à ce qu'ils partent, de sorte que personne ne l'y vit souvent. 
Après sa mort, on le vit souvent assis sur cette colline. Elles regardaient par la fenêtre, et Père Séraphim était assis en veste blanche, comme il l'avait toujours fait sur ​​cette colline.



Version française Claude Lopez-Ginisty
d'après

Haïjin Pravoslave (CCC)


Il n'est qu'une joie
Qui nous console de tout
L'amitié du Christ

上帝的朋友 ( L'ami de Dieu)

jeudi 6 mars 2014

STARITZA NIKODIMA DE DIVIYEVO † 2/15 mars ( 1990) [9]


9. Un miracle du saint hiérarque Spyridon de Trimythonte


Tous les vêtements étaient prêts, et Père Séraphim savait qu'il devait être consacré évêque, mais il est tombé malade d'un cancer, et il était au lit. Il avait très envie de certains poissons de rivière. Mais en ces temps de disette, même ses nombreux enfants spirituels ne pouvaient pas lui en trouver. 
Un jour, il appela Matouchka et sa nièce (également nommée Pacha, Prascovia Vladimirovna, qui est encore en vie), et il lui dit: "Bienheureuse Pachenka, va au marché et apporte-moi un peu de poisson." Elle a dit, comme toujours: " Père bénis!" 
On pourrait penser qu'elle savait que tout le monde avait essayé et essayé, mais n'en avait pas trouvé, mais c'est ce genre de foi et d'obéissance qu'elle avait. Elle et Pacha prirent un traîneau et allèrent au marché. 
Quand elles sont arrivées, il y avait un marchand de noble apparence qui vendait du poisson, et elles se sont mises dans sa file d'attente. Il se dirigea vers elles et leur donna tous les poissons qu'il avait. Bien sûr, les autres personnes qui faisaient la queue furent indignées. Elles prirent le poisson avec joie et partirent. 
Plus tard, quand elles avaient déjà atteint la porte d'entrée de la maison, elles se sont exclamé: " Ah! Où allons-nous retrouver du poisson? Pourquoi ne lui avons-nous pas demandé où il habitait? Retournons-y!" 
Mais bien sûr, il n'y avait aucune trace de lui. Elles revinrent à la maison tout en colère. Père Séraphim leur demanda:"Pachenka, quel est le problème? N'avez-vous pas trouvé de poissons?" "Oui, nous en avons trouvé, mais nous n'avons pas trouvé où habite le vendeur." "Et qui vous a vendu le poisson?" "Eh bien comment le saurions-nous? Nous ne lui avons pas demandé qui il est, ni d'où il vient." 

Père Séraphim les conduisit dans la cellule où était leur église, et leur montra l'icône du saint hiérarque Spyridon. "Était-ce lui?" Matouchka dit qu'elles furent frappées de crainte. "C'est lui !" 
Père Séraphim mangea de ce poisson jusqu'à son dernier jour.


Version française Claude Lopez-Ginisty
d'après



mercredi 5 mars 2014

Jean-Claude LARCHET/Recension: Alexandre Schmemann, Le Grand Carême


Schmemann


Recension: Alexandre Schmemann, Le Grand Carême, éditions de l’Abbaye de Bellefontaine, Bégrolles-en-Mauges, 1999, 136 p. (Spiritualité orientale n° 13).
En ce début de Grand Carême, le petit livre du Père Alexandre Schmemann qui lui est consacré est particulièrement utile pour comprendre l’organisation, les particularités et le sens de ce temps fort de la vie liturgique et ascétique.

Après une introduction qui présente le Grand Carême comme un « voyage vers Pâques », l’auteur souligne le message essentiel des cinq dimanches préparatoires: le désir pour le dimanche de Zachée, l’humilité pour le dimanche du Publicain et du Pharisien, le retour d’exil pour le dimanche du Fils prodigue, la consicence du Jugement dernier pour le dimanche de Carnaval, et le pardon pour le dimanche de la Tyrophagie que l’Église célèbre aujourd’hui.

Il présente ensuite les prières, lectures et chants propres au Grand Carême, période imprégnée d’une « radieuse tristesse »: la prière de saint Éphrem le Syrien (qui est commentée), les lectures de l’Ancien Testament adaptées à ce temps liturgique (Genèse, Isaïe, Proverbes), et l’hymnologie du Triode (livre liturgique propre à cette période).

Une troisième partie de l’ouvrage est consacrée à la Liturgie des Présanctifiés, qui a la particularité d’être célébrée le soir, les mercredis et vendredis, avec les Saints Dons consacrés à la Liturgie du dimanche précédent. L’auteur y explique les deux significations de la communion (fête et réjouissance de la présence du Christ d’une part, source et force soutenant notre effort spirituel d’autre part), les deux significations du jeûne (total et ascétique), la communion du soir, et enfin l’ordonnance de l’office.

La quatrième partie présente l’esprit du Grand canon de saint André de Crète (chanté les quatre premiers jours de la première semaine et le jeudi de la cinquième semaine), ainsi que les particularités des différents samedis et dimanches de Carême.

L’auteur montre enfin ce que doit être « le carême pour nos vies », soulignant la nécessité de prendre le carême au sérieux, l’importance de la participation aux services liturgiques, de la prière et du jeûne, et montrant comment doit s’instaurer en cette période un « style de vie » particulier.
Une annexe dresse un bref historique du carême.
On peut discuter la distinction faite par le Père Alexandre entre le « jeûne total » et le jeûne « ascétique », puisque le jeûne total a lui aussi un caractère ascétique, mais il s’agit d’un détail dans un ensemble de grande qualité.
Pour être bien guidé dans le Grand Carême, un complément idéal de ce livre est l’excellent ouvrage de Bernard Le Caro, Le Grand Carême (édition des Syrtes, 2012), qui propose des extraits des hymnes liturgiques propres à chaque jour et des lectures spirituelles adaptées, et constitue donc un accompagnement au quotidien.

Haïjin Pravoslave (CCXCIX)


Soleil de Justice
Le Christ éclaire le monde
Gisant aux ténèbres

上帝的朋友 ( L'ami de Dieu)

mardi 4 mars 2014

STARITZA NIKODIMA DE DIVIYEVO † 2/15 mars ( 1990) [8]



Archimandrite Seraphim (Batiukov) 1880-1942.
Staretz Séraphim (Batioukov)
1880-1942

8. Le staretz Séraphim (Batioukov)

Un homme est venu à Diviyévo, le futur ascète, le staretz Séraphim (Batioukov). Il vint à Diviyévo parce qu'il y avait là-bas des moniales qui avaient de l'expérience dans la vie spirituelle. Il était très jeune à l'époque, comme l'a raconté Matouchka. Il était issu d'une famille très noble et très pieuse. Il était très jeune et il reçut un enseignement spirituel des moniales de Diviyévo. 
Avant la révolution, il était venu au monastère, et bien sûr, il en avait reçu un grand bienfait. La plupart du temps, il allait voir Mère Michaela. Quand la révolution avait déjà eu lieu, cet homme, qui a toujours eu tout ce qu'il fallait dans la vie, a pris le rang sacerdotal pendant le temps de la persécution, ce qui en dit déjà beaucoup sur lui. Les détails de sa vie peuvent être appris à partir des souvenirs de Julia Yakovlevna Vasilevskaya, la tante d'Alexandre Men, que le staretz baptisa. Il connaissait le staretz Nectaire d'Optina qui lui avait donné une instruction spirituelle, et il était le fils spirituel du staretz Zacharie (Zossime dans le schème), qui fut enterré dans le cimetière allemand [à Moscou]. Père Séraphim reçut la tonsure monastique, il était était prêtre, Supérieur de l'église des saints Cyr et Jean à Solyanka, le métochion serbe.
Les moniales de Diviyévo qui avaient été près de Mère Michaela et qui étaient maintenant dispersées, vinrent à lui pour être instruites spirituellement en ces temps orageux. Matouchka était proche du staretz et le connaissait bien. Un jour, elle pensa: "Il serait bon pour moi de vivre avec Batiouchka." Eh bien, c'était une pensée venant de sa simplicité d'âme. Alors Père Séraphim l'a appelée et lui a dit: "Voilà, Pacha, Tu vas à Sergeyev Posad et tu cherches une maison." Alors, elle et sa sœur Susanne (Xénia) ont acheté une maison à Sergeyev Posad. Puis vint la déclaration du Métropolite Serge. Père Séraphim ne l'a pas acceptée, et il est parti de là où il vivait, et il est parti avec un autre prêtre pour vivre dans cette maison. Comme Batiouchka le dit lui-même "pour l'amour de la pureté de l'Orthodoxie." 
Il est allé pratiquement dans l'Eglise des Catacombes et Matouchka partit avec lui. Père Séraphim a vécu douze ans dans cette maison. Les offices divins et la Liturgie étaient célébrés tous les jours, tous les jours les Vêpres…Les offices n'ont jamais été sautés, et Père Séraphim servait tous les jours. C'était une petite maison avec deux chambres, un petite avec un couloir étroit, et l'autre un peu plus grande, avec une petite cuisine. C'est étrange, mais cette petite maison a accueilli jusqu'à soixante personnes. 
Lorsque nous vivions là-bas, nous étions dix ou douze, et elle était bondée. Mais comment une soixantaine de personnes pouvaient y tenir, cela s'apparente au miracle évangélique des pains et des poissons, lorsqu'il  eut cinq pains pour cinq mille personnes. Matouchka dit que beaucoup de gens venaient, et c'était au cours de la période de persécution féroce de l'Église. Mais, et cela est intéressant, Père Séraphim disait: "Tant que je vivrai, personne ne vous touchera, mais après ma mort, ils le feront, mais tant que je suis vivant, vous, vous n'avez rien à craindre." 
Et vraiment c'était très inexplicable et très étrange que tant de gens viennent, ils étaient suivis par le NKVD, mais même ainsi [ils n'ont pas été arrêtés]. Il arrivait même, comme Matouchka le raconte, que l'office soit en cours, et que nous chantions (ils avaient un autel qui était consacré).  Nous savons que le NKVD se promène sous les fenêtres, on pourrait même les voir à travers la fenêtre, mais ils ne pouvaient pas entrer, et donc le Seigneur nous gardait. Ils se promenaient pendant un moment, puis ils partaient. Rien ne s'est passé alors tant que Père Séraphim était vivant. Les persécutions sont venues plus tard." 

Au moment où elle vivait avec le père Séraphin, pendant douze ans, elle a travaillé dans une usine, une usine de jouets semble-il, et elle a été comptée parmi les travailleurs exemplaires. Elle devait se cacher. Dans la rue, elle était "tante Pacha," et tous ses voisins la respectaient beaucoup, la traitaient avec grand respect. Beaucoup de gens venaient en permanence dans sa maison, ne s'intéressant pas à qui elle était. Mais en tout cas, on ne savait pas que le Père Séraphim y vivait. 
Peut-être que quelqu'un le savait, mais c'était si secret qu'il était impossible de comprendre. Elle allait travailler comme une ouvrière du monde ordinaire. C'était difficile: offices quotidiens, travail très lourd, mais le Seigneur lui donnait des forces. " Je revenais à la maison," disait-elle, " et je ne pouvais plus sentir mes bras et les jambes, mais je devais chanter et assister aux offices. Malgré cela, elle travaillait si consciencieusement que ses patrons la respectaient beaucoup, et même ils l'envoyèrent dans certains cercles de haut rang de Moscou comme travailleuse exemplaire. 
Puisqu'elle ne mangeait pas de viande, la question s'est naturellement posée de savoir ce qu'il fallait faire quand ils en offraient. Elle demanda à Père Séraphim: "Que dois-je faire au sujet de la viande? Je n'en mange pas, je suis moniale."  Père Séraphim lui dit: " Le Seigneur en prendra soin, Pachenka... Ne refuse pas; mange tout ce qu'ils te donnent." 
Quand ils ont mis de la viande devant elle, elle a essayé d'en manger un peu, elle n'en avait pas eu dans sa bouche pendant de nombreuses années, et elle s'est immédiatement sentie malade. Tout le monde a dit: "Oh, qu'est-ce que c'est, notre travailleuse exemplaire, comment cela se peut-il? Eh bien, sans doute, qu'elle a besoin de manger cet autre plat." Ainsi, elle a échappé à la nécessité de manger de la viande.

Elle ne nous a pas  dit grand-chose sur la vie de Père Séraphim, car il y avait déjà un livre écrit sur lui. Comme elle nous l'a dit, Père Séraphim l'appelait " Bienheureuse Pashenka." Il disait même: "Bienheureuse Pachenka, viens ici, apporte-moi ceci ou cela, Bienheureuse Pachenka." En outre, l'obéissance qu'elle lui témoignait était intouchable; si Père Séraphim disait quelque chose, il devait en être ainsi."

Vladyka Athanase (Sakharov) vint les voir et se confessa au Père Séraphim. Leur Eglise des Catacombes était sous la juridiction de l'évêque Athanase. C'était aussi un grand staretz. Père Séraphim était aussi préparé pour la consécration comme évêque, mais comme le staretz était très profond, il a apparemment vu que l'Eglise des Catacombes finirait sa mission et que sa raison d'être cesserait. Peut-être même qu'il demanda au Seigneur de le guider sur le chemin de sa vie.



Version française Claude Lopez-Ginisty
d'après

lundi 3 mars 2014

Canon de saint André de Crête




Saint André de Crête 
et 
sainte Marie d'Egypte
GRAND CANON DE ST ANDRÉ DE CRÈTE
ÉDITION BILINGUE SLAVON-FRANÇAIS
Feuillets liturgiques de la Cathédrale de l’Exaltation de la Sainte-Croix
Genève 2011


STARITZA NIKODIMA DE DIVIYEVO † 2/15 mars ( 1990) [6/7]


Statue de saint Séraphim à Sarov


6. Tentations

Le monastère de Sarov était proche. Les moines et les moniales se connaissaient, et les moines de Sarov fournissaient de la nourriture et de l'aide au monastère de Diviyévo. Il y avait là un moine... Eh bien, l'Ennemi a conçu une telle tentation pour ce moine, qu'il est allé dans ce monastère de femmes, et il a été très attiré par Mère Nikodima, par Pachenka. 
Il avait une telle passion qu'il ne cessait d'y venir. Elle prenait la vie spirituelle tellement au sérieux qu'elle disait tout à Maria Ivanovna, ses pensées, ses tentations, et le tout avec une grande simplicité. Elle a dit à Maria Ivanovna "Mamachenka, pourquoi continue-t-il à venir ici, je ne veux même pas le regarder. Qu'il arrête de venir ici, il m'a même dit: "Pacha, fuyons ensemble, nous allons bien vivre ensemble. Qu'a-t-il imaginé? Mamachenka, qu'il arrête de venir ici."  Mais voici la sagesse qu'ont les bienheureux [Fols et Folles en Christ]. Elle l'a bénie de faire ce qui suit: "Non, Pacha, quand il vient, tu t'assieds  avec lui et tu ne le chasses pas. Assieds-toi avec lui et parle-lui." 
"Comment puis-je rester avec lui? Je vais aux offices. Pourquoi devrais-je rester avec lui?" " Non, tu t'assieds avec lui. Rien ne se passera entre vous, et tu l'aideras. Ce sera un grand ascète. Cela [sa tentation] va passer. Mais si on le repousse maintenant, il va tomber dans le découragement et son âme périra." Matouchka nous a dit: "En raison de mon jeune âge, je ne comprenais pas comment son âme périrait. Eh bien, il est venu et a pleuré, disant tout en larmes: "Pacha, partons, je vais acheter une maison, nous vivrons bien." Mais je n'affirmais qu'une chose, comme elle m'avait dit de le faire: "Tu es moine, et je suis moniale. Nous avons fait un vœu devant Dieu, et nous devrions garder ce vœu." C'était sa réponse… 
Il pleurait, essayant toute sorte de persuasion, peignant chaque image. "Je gardais le silence," nous dit-elle," "et j'écoutais, je voulais aller à l'église, mais je répétais juste sans cesse: "Nous avons fait un vœu". 
Et vraiment, quand ils ont fermé le monastère de Sarov, ce moine s'est caché dans la forêt de Sarov et il est devenu un ascète bien connu. Ainsi les prières de la bienheureuse ont sauvé son âme. Voilà ce qu'est la sagesse d'un guide spirituel.

7. Bonbons

Lorsque le monastère a fermé, la bienheureuse Maria Ivanovna a discerné l'ensemble du destin de chaque moniale. Chaque moniale est venue et elle lui a dit ce qui l'attendait. 
Celles qui ont été envoyées en prison étaient particulières, des élues, et elle leur dit encore la durée de leur terme en prison. Mais à Mère Nikodima elle a donné douze morceaux de bonbons et elle a dit: "Tu es affectée à élever des orphelins." C'était sa bénédiction pour Maria Ivanovna. Ils ont fermé le monastère, elle est allée dans sa ville natale dans le domaine de Sasovo. Ses parents lui ont construit une cellule dans le jardin. Voilà la piété qu'ils avaient, elle était moniale, et cela devrait se poursuivre. 
Elle connaissait un prêtre que les autorités ont commencé à appeler pour interrogatoire, et qu'ils ont finalement incarcéré et envoyé à Solovki. Eh bien, à cause de ce prêtre, Matouchka fut également emmenée au NKVD, mais elle n'a pas été arrêtée ou incarcérée. Ce sont des moments difficiles. Elle ne leur en raconta pas grand chose, mais il y avait toujours des persécutions, et toujours des dangers, et elle était toujours à deux doigts d'aller en prison. Mais apparemment, ce n'était pas la volonté de Dieu; Maria Ivanovna ne l'avait pas bénie pour aller en prison. Matouchka dit qu'ils allaient l'y emmener, l'interroger, la garder un moment, puis la laisser aller, même si elle était liée à de nombreux prêtres et à d'autres personnes (et la quasi-totalité d'entre eux ont péri). 
On pourrait dire que c'était son premier Golgotha​​. Il est clair que sa souffrance était très grande. Tout d'abord, bien sûr, elle a souffert du fait que ces gens qui lui étaient proches ont souffert, et d'autre part de tous ces interrogatoires, dont elle se rappelait avec de profonds soupirs.

Version française Claude Lopez-Ginisty
d'après

Interview du Métropolite Onuphre




Le métropolite Onuphre, locum tenens du siège métropolitain de Kiev : « L’Église doit suivre le Christ et non les politiciens ».

Le site pravmir.ru a regroupé et publié plusieurs interviews accordées par le métropolite Onuphre, avant les récents événements en Ukraine et sa nomination en tant que locum tenens du siège métropolitain de Kiev. Nous les publions in-extenso ci-dessous.


- Cette année, quinze années se seront écoulées depuis l’Assemblée épiscopale de Kharkov. Vous étiez l’un de ceux qui ont adopté une position rigide envers Philarète [le primat de l’Église schismatique ukrainienne, ndt] et ceux qui étaient avec lui. Maintenant, alors que tant de temps s’est passé, comment estimez-vous ces événements, vos propres actes ? Qu’est-ce qui vous a alors renforcé dans vos convictions ?

- L’époque était complexe, certains s’employaient très activement à impliquer l’Église dans les labyrinthes des réseaux politiques. Quant à moi, bien sûr, je comprenais et savais que l’Église ne peut emboîter le pas aux politiciens. Je voyais de façon précise et définie que c’était là une tentative d’annihiler l’Église, bien que personne ne puisse l’anéantir. Mais ceux qui combattaient l’Église de cette façon, pensaient qu’ils la transformeraient en club politique, qu’elle les applaudirait et se laisserait mener par le bout du nez. Non seulement moi-même, mais beaucoup, presque tous les évêques, lorsqu’arriva le moment critique – être ou ne pas être l’Église canonique en Ukraine – ont fait front. C’était un moment auquel on ne pouvait se taire, être passif. Dieu a agi ainsi par notre intermédiaire. C’est alors que se réalisèrent à nouveau les paroles prophétiques du Sauveur, selon lesquelles les « portes de l’enfer ne prévaudront pas » contre l’Église. Et si ce n’était pas nous, d’autres auraient agi. De toutes façons, l’Église canonique a survécu. Nous avons agi selon l’injonction de Dieu, et le Seigneur nous a donné une telle raison et un tel zèle, que nous nous sommes réunis à Kharkov et avons condamné Philarète [métropolite ayant causé le schisme dans l’Église orthodoxe d’Ukraine et déposé ensuite par les autorités ecclésiales canoniques, ndt]. Nous avons fait ce qui était nécessaire selon les règles et les canons de l’Église, nous avons élu un nouveau primat [le métropolite de Kiev Vladimir].

- Combien y a-t-il maintenant d’églises dans le diocèse de Tchernovtsy, accaparées par Philarète ?

- Dans notre diocèse, il y a deux « diocèses », deux « évêques » de Philarète. Pour autant que je sache, il y a environ 45 paroisses dans chacun d’entre eux. Il y a quelques villages qui sont passés entièrement du côté de Philarète, mais en définitive très peu. Dans certains villages, il y a une division : il y a à la fois nos propres églises, et celles de Philarète. Il y a des villages, où il n’y a que l’église de Philarète, mais les fidèles vont dans d’autres endroits, dans les villes, afin d’aller dans l’église canonique et se confesser, communier.

- En comparaison avec les autres diocèses, par exemple celui de Tchernigov et de Rovno, où se produisent des heurts « physiques » avec Philarète, se comporte-t-il ici aussi agressivement ?

- Philarète se comporte de façon identique dans tous les diocèses. Il voudrait tout soumettre à lui, mais il a perdu la canonicité, et son rang sacerdotal. Il tente de temps à autre, à l’aide des courants politiques, de se réanimer, mais c’est la même chose que d’appliquer un cataplasme sur un corps mort.

– Existe-t-il aujourd’hui un danger de répétition de la situation qui s’est produite il y a quinze ans, lorsque le pouvoir ukrainien a tenté d’imposer depuis le haut une union contre-nature avec Philarète ?

- Un danger semblable existe de la part du président [Ianouvkovitch, ndt]. Il insiste, de façon particulièrement active pour que toutes les Églises ukrainiennes s’unissent et se séparent de Moscou. Mais c’est là de la politique. Nous ne pouvons nous séparer, nous avons avec Moscou, comme avec tout le monde orthodoxe, des canons, des règles communes. Il peut y avoir dans l’Église des séparations, mais leur cause doit être non politique, mais spirituelle. Si une partie de l’Église tombe dans l’hérésie, l’erreur, et bien que cela ne me plaise pas, que je ne désire pas me séparer d’elle, je dois néanmoins le faire, je dois partir. Comment l’Église russe a-t-elle quitté Constantinople ? La Russie n’a jamais était dépendante de Constantinople politiquement, elle a toujours été indépendante, mais elle s’est trouvée pendant 600 ans sous l’omophore du patriarche de Constantinople. Or, les patriarches de Constantinople ont commencé à conclure l’union, celles de Lyon et de Florence, suite à quoi celle de Brest-Litovsk couvait déjà. Tout cela a duré longtemps. Et puis, lorsqu’il devint évident que Constantinople s’engageait dans l’hérésie, alors l’Église russe a quitté le giron de Constantinople, et s’est choisi un primat. C’est la seule raison. C’est une question de fond, les politiciens doivent suivre l’Église, et non l’Église suivre les politiciens. Et que se passe-t-il maintenant ? De la même façon que, dans le monde, tout est sens dessus dessous, tant dans l’économie que dans la politique, on s’efforce aussi dans la vie ecclésiale de placer au premier rang ce qui est secondaire, et au second rang ce qui est primordial.

- L’Église est-elle satisfaite des relations qui existent en Ukraine entre elle et l’État ?

- Il serait souhaitable que tous obéissent à la Loi divine : tant nous, que les prêtres, et tous les chrétiens, et le pouvoir à tous les nouveaux. Je ne veux pas que le pouvoir m’obéisse, mais je souhaite moi-même obéir à la Loi divine et m’y soumettre. C’est ce que je souhaite que le pouvoir fasse lui-même. Lorsque l’on dit que l’Église était jadis « leader », menait tous les hommes, on comprend avant tout l’Église comme Loi sacrée, laquelle définit celle-ci, la remplit de la Grâce divine. C’est cette Loi sacrée qui doit constituer une orientation pour nous tous, qui vivons sur terre ; nous tous, que nous soyons détenteurs du rang sacerdotal, des gens simples, des dirigeants – nous devons suivre cette Loi sacrée.

- Monseigneur, dites-nous, comment avez-vous perçu l’union de l’Église russe [la réunion du Patriarcat de Moscou et de l’Église russe hors-frontières, ndt] dans votre diocèse ?

- Les gens d’Église, qui fréquentaient toujours l’Église, ont accueilli avec grande joie cet événement. Aujourd’hui, lorsque tout se désunit, se brise, cela constitue un défi à ceux qui prônent le séparatisme. Les gens, particulièrement ceux qui vivent à l’étranger, sont très satisfaits de cette union. Parce qu’auparavant, ceux qui vivaient en Allemagne, en Amérique, en Australie, ne savaient pas quelle église fréquenter. Ils venaient chez nous, écrivaient, demandant dans quelle église on pouvait aller, et dans laquelle cela était interdit. Séjournant en terre étrangère, ils ne pouvaient s’orienter immédiatement, et nous, pourquoi le taire encore, donnions la bénédiction de fréquenter aussi les lieux de culte de l’Église hors-frontières. Moi-même, je la donnais, afin que nos fidèles, s’il y avait là une communauté de l’Église russe hors-frontières, aillent là et non chez les uniates ou les catholiques. Et ils le faisaient. Mais la situation était tendue, le clergé de l’étranger ne commémorait pas le patriarche. Or, en se réunissant, la blessure a littéralement été guérie.

- Monseigneur, votre service archipastoral a lieu dans cette région, où vous êtes né et avez été élevé. Cette une région complexe, multinationale, frontalière… Quels changements s’y sont produits durant ces dernières années, qui ne sont peut-être pas les plus réussies quant aux relations interethniques ?

- La région, dans laquelle j’accomplis mon obédience épiscopale, est celle de Tchernovtsy. C’est effectivement une région multinationale, où vivent beaucoup de Roumains, de Moldaves, de Russes, il y a aussi des Géorgiens et des Polonais, auxquels se sont maintenant ajoutés des ressortissants d’Asie Centrale. Mais, traditionnellement, tous les peuples habitant cette région ont vécu en paix. Actuellement, c’est effectivement une époque à laquelle est cultivée le nationalisme, mais la région de Tchernovtsy, Dieu soit louée, n’a pas été ébranlée par ce nationalisme, et les gens continuent à vivre comme par le passé dans la concorde, la paix, la tolérance les uns envers les autres.

- Si on la compare aux autres régions d’Ukraine ou de Russie, est-ce une région religieuse ?

- Oui, sans aucun doute, c’est une région où il y a beaucoup de croyants.

- En était-il ainsi durant les années soviétiques ?

- Même à l’époque soviétique, lorsque les fidèles se « dissimulaient » aux autorités, il y avait ici néanmoins beaucoup d’églises en comparaison avec les autres régions. Même pendant les soviets, il y avait ici jusqu’à 150 prêtres simultanément. Maintenant, il y a dans notre diocèse 400 paroisses, la population ne comptant que 960.000 personnes.

- Dans une situation fort complexe comme celle qui s’est créée en Ukraine maintenant, à quel point l’Église orthodoxe peut-elle préserver l’indépendance de sa position, de ses décisions ?

- Cela est possible non sans difficultés… En fait, ces personnes qui allaient à l’église sous le régime athée, sont aujourd’hui des enfants dévoués à l’Églises, ennemis de l’immixtion des politiciens dans la vie ecclésiale, ils se prononcent pour l’unité de la sainte Église orthodoxe russe. Parmi ceux qui sont venus à l’Église beaucoup plus tard, lorsqu’a commencé le temps de la liberté, beaucoup sont également devenus de fidèles enfants de l’Église, mais certains d’entre eux n’ont pas une compréhension suffisante de la mission de l’Église, de ce qu’est l’Église à proprement parler…

- Est-ce à dire que l’on peut affirmer que, dans une mesure significative, les problèmes de la vie ecclésiale en Ukraine sont liés à ceux que l’on peut qualifier de jeunes convertis ?

- On peut dire qu’ils comprennent et aiment moins l’Église. Ils pensent qu’il s’agit d’une organisation humaine, que l’on peut manipuler. Il n’y a pas une compréhension claire que l’Église a ses propres lois, ses règles et son Chef. L’Église a pour chef le Christ, elle doit Le suivre, et non pas suivre les politiciens.

- Monseigneur, malheureusement et ce n’est un secret pour personne, que de nombreuses discussions ont lieu au sujet de la possibilité potentielle de détachement de l’Église d’Ukraine du Patriarcat de Moscou. À quel point cela est-il possible de votre point de vue ? Et si, à Dieu ne plaise, cette séparation se produisait, quelles en seraient les conséquences ?

- Je suis convaincu que nous n’avons aucun argument spirituel en faveur du détachement du Patriarcat de Moscou. La mission principale de l’Église est le salut des âmes. Dans notre Église – l’Église orthodoxe russe – cette grâce du salut existe à ce jour. Que peut-on chercher de plus dans l’Église ? Ces gens qui cherchent leurs propres intérêts dans l’Église, et non ceux de Dieu, souhaitent la séparation. Si elle a lieu, ce sera contre la volonté de Dieu. Si cela se produit, je pense que l’Orthodoxie en Ukraine se trouvera en grand danger, et je suis même convaincu qu’elle sera anéantie.

- Anéantie ou réformée ?

- On peut appeler cela de différentes façons. Il y a déjà eu des tentatives de formation d’une Église indépendante en Ukraine, et non seulement une, mais plusieurs. Et tout cela n’a mené à rien de bon. Pourquoi ? Je ne sais pas : l’Esprit nous manque, ou alors il y a un dessein Divin quelconque, contre lequel on ne peut aller… Et ce dessein, je pense, est que nous soyons les enfants d’un seul prince Vladimir, que nous soyons ensemble. Et que ces enfants vivent en Ukraine, ou en Russie, ou en Biélorussie, cela n’a pas d’importance.

- À quel point sont puissants en Ukraine aujourd’hui ces gens qui cherchent leurs propres intérêts et non ceux de Dieu ?

- Fondamentalement, ce sont les gens qui se trouvent près du pouvoir, qui ont entre les mains les leviers et qui les utilisent pour détruire l’Église, réalisant cela au moyen des schismes : un schisme, un autre, un troisième… Naturellement, ce ne sont pas tous les politiciens, en Ukraine, qui agissent ainsi, mais il y en a un certain nombre.

- Et comment surmonter cette nouvelle menace de schisme en Ukraine ?

- Surmonter ? Elle ne se surmonte pas, il faut simplement rester ferme dans la foi et confesser la vérité. Ils ont leurs buts, leurs objectifs, scinder, mais notre tâche est de conserver l’Église une et canonique.

- Aujourd’hui en Ukraine, pour celui qui ne comprend pas bien toutes les subtilités des relations ecclésiales actuelles, il est facile de confondre une église orthodoxe avec une église uniate, une église relevant de l’Église d’Ukraine du Patriarcat de Moscou avec celle des schismatiques. Comment une personne « habituelle », vivant en Ukraine, qui vient seulement de se joindre à l’Église, ou encore qui vient d’arriver en Ukraine, peut-elle éviter les erreurs ?

- En demandant aux gens qui est le chef de l’Église. Et si l’on ne peut demander à personne, si on est entré dans une église par mégarde, écouter quel évêque est commémoré. Si l’on commémore Philarète ou Méthode Koudriakov, [schismatiques, se prétendant tous deux Primats de l’Église orthodoxe d’Ukraine, ndt], ou encore le pape de Rome, il faut sortir, tandis que si l’on commémore le patriarche [de Moscou] métropolite Vladimir, il faut rester.

- Et selon votre point de vue, y a-t-il des différences spécifiques dans la vie ecclésiale en Russie et en Ukraine ?

- Il y a des différences, peut-être, concernant des éléments administratifs insignifiants, dans la résolution des questions économiques, d’intendance, mais non dans la foi. Tout est identique dans les offices liturgiques.

- Monseigneur, il y eut un temps où l’Église se trouvait pratiquement exclue de la vie publique, d’autant plus de la vie politique de l’État. L’Église se trouvait alors dans des conditions extrêmement critiques. Aujourd’hui, au contraire, l’implication dans la politique se produit, parfois, consciemment, parfois inconsciemment, mais cela, probablement recèle aussi certains dangers. Ne le pensez-vous pas ?

- Je le pense. Vous savez, il y a ce conseil chez les pères spirituels qu’au monastère, il ne doit pas y avoir entre les frères de relations trop proches, amicales, pas de confidences excessives. La raison en est que, les hommes étant imparfaits, ces relations proches, ouvertes, le fait que l’on confie l’un à l’autre des secrets intérieurs, tout cela peut être parfois utilisé par l’ennemi [le diable, ndt] et retourné de telle façon que les personnes concernées deviennent les ennemis les plus irréconciliables. Cela s’est produit et peut se produire et dans l’Église et dans l’État : dans les deux cas, les hommes ne sont pas parfaits. Et une union trop étroite peut finalement se transformer en haine mutuelle. Que Dieu fasse qu’il ne se produise rien de semblable.

- Monseigneur, dans votre diocèse, vous avez dit qu’il y a près d’un million d’habitants en tout, avec 400 paroisses, 500 moines et moniales. Ces beaucoup…

- Cela résulte beaucoup du fait que le pouvoir soviétique en Russie a été établi dès 1917, tandis que chez nous, en Bucovine, depuis 1946. Nous n’avons pas connu des persécutions, des destructions, aussi violentes qu’en Russie. Je pense que cela est l’un des facteurs fondamentaux de cette situation.

- Cela veut dire que malgré tout les traditions de la vie ecclésiale et monastique y ont été préservées dans une mesure plus grande qu’en Russie, plus exactement, qu’elles y ont été moins détruites ?

- Oui. Ici, il n’y a pas eu un tel anéantissement du monachisme, du clergé, des fidèles, comme en Russie. Au moins dans la région de Tchernovtsy, parce que dans les autres régions [d’Ukraine], sous la domination de l’Union soviétique dès le début, ils sont passés par les mêmes épreuves qu’en Russie.

- Si l’on parle de la situation des monastères, il arrive souvent, malheureusement que lorsque l’on fonde un nouveau monastère ou restaure un monastère ancien, il n’y a pas de supérieur expérimenté, de père spirituel expérimenté, qui pourraient y organiser correctement la vie monastique, et pour cette raison, le cheminement d’une nouvelle communauté est difficile, douloureux.

- C’est un problème commun. Nous avons aussi ce genre de problèmes. Chez nous aussi, tous les moines sont jeunes, la transmission de la vie monastique a été interrompue, et les supérieurs, les higoumènes, sont de jeunes moines. Ils apprennent comment il faut vivre la vie monastique, et s’efforce de l’enseigner à leur communauté. L’homme apprend lui-même comment cheminer spirituellement, et apprend aussi à l’autre à marcher… Mais, bien sûr, la personnalité de l’higoumène est importante pour le monastère. C’est comme la cellule du corps, si elle est saine, tout sera sain autour d’elle, un organisme sain se formera, mais si elle est malade, l’organisme peut connaître des complications, et à l’intérieur il se détériorera, sera faible, maladif.

- Monseigneur, existe-t-il des professions agréables ou désagréables à Dieu ? Quelle attitude avoir envers l’activité publique ou politique ?

- Les professions peuvent être classifiées en fonction de leur moralité. Il n’est secret pour personne quelles sont les profession immorales. Pour ce qui concerne l’activité politique, c’est une fonction complexe, dans laquelle il n’est pas facile de s’unir à Dieu, car dans le domaine politique, il y a beaucoup de compétition, d’aspiration à acquérir de l’influence, il y a le mensonge, qui d’une façon ou d’une autre agit sur l’homme, l’assombrit et ne lui donne pas la possibilité de voir la Lumière divine. Les professions dans lesquelles il y a le moins de mensonges et le plus de vérité, aident mieux l’homme dans sa vie spirituelle.

- Est-ce à dire que le chrétien ne doit pas s’occuper de politique ?

En général, ce n’est pas une œuvre chrétienne en elle-même, mais Dieu y appelle aussi les chrétiens. C’est ainsi que si, dans notre pays orthodoxe, il n’y a que des politiciens qui ne sont pas chrétiens, nous retournerons peu à peu au passé athée récent, lorsque l’Église était persécutée. Aussi, si Dieu appelle des hommes à ce service, Il leur donnera la force de résister aux tentations.

- Et si un politicien déjà formé, ou un homme qui occupe une certaine place dans la société, dans quelque structure politique et économique, devient un chrétien sincère, doit-il abandonner son activité ?

- Je pense qu’il faut agir selon sa conscience. Peut-être doit-il l’abandonner, mais peut-être aussi, le Seigneur lui dira de rester en place et de témoigner. C’est un fait que parfois des politiciens se convertissent sincèrement au Christ. Rappelez-vous seulement du saint prince Vladimir, égal-aux-apôtres. Le principal est que l’homme dispose d’un critère spirituel correct, de mesures justes, par lesquels il peut définir où est la vérité, où est le mensonge. Si vous les distinguez tous les deux, vous pouvez vous détourner du mensonge. Peut-être pas entièrement, mais d’une certaine façon. Si l’homme ne peut s’y retrouver, c’est une tragédie pour lui.

- C’est justement cette question que l’on doit soumettre à son père spirituel ?

- Sans aucun doute. Il est très difficile pour l’homme d’être objectif envers lui-même. Habituellement, les gens ont envers eux-mêmes une attitude empreinte de partialité, ils s’efforcent de prouver qu’ils ont raison ou de se justifier. Pour être sûr de la justesse de ses opinions, il faut prendre conseil de son père spirituel, et si celui-ci approuve, il faut agir en conséquence.

- Nous avons des fraternités orthodoxes, des mouvements associatifs. Nous, orthodoxes, devons-nous nous réunir dans des organisations, cela est-il nécessaire, utile ?

- Les fraternités se sont justifiées dans les cas où l’Église était fortement persécutée [allusion aux fraternités orthodoxes qui se sont constituées en Ukraine au XVème-XVIème siècle pour résister à l’uniatisme, ndt]. C’étaient des laïcs qui avaient une attitude pleine de zèle envers la pureté de la foi, ils s’unissaient, parce que l’Église n’était pas en position de le faire. Ils se réunissaient et luttaient. Mais quand l’Église mène une existence paisible, les fraternités militantes ne doivent pas exister. Les gens doivent aller à l’église et agir, accomplir les obédiences dans l’enceinte de l’Église sous une direction spirituelle. Le principal est ici que les gens n’errent pas, en l’absence de direction spirituelle. Car tout en pensant qu’ils luttent pour l’Église, qu’ils la défendent, ils commencent à la combattre. S’ils sont orthodoxes, ils doivent être dans l’Église. S’ils sont orthodoxes sans avoir l’esprit d’Église [et créent des mouvements], il faut les considérer comme des mouvements séculiers. Si l’on se considère orthodoxe, avec un esprit ecclésial, aucun mouvement ou fraternité n’est nécessaire. Il faut être dans l’Église, il faut être obéissant à l’Église, accomplir un service social, et alors le Seigneur dirige Lui-même.

- Mais alors, qui peut-on qualifier d’orthodoxe ?

- L’orthodoxe est celui qui est baptisé et qui, ne serait-ce que dans une certaine mesure, s’efforce de vivre de façon orthodoxe. Il ne suffit pas de confesser les dogmes orthodoxes, mais il faut vivre selon ces règles. Si l’on croit intellectuellement de façon orthodoxe, mais que l’on vit selon des critères tout autres, on ne peut s’appeler orthodoxe. Dans ce cas on peut dire d’un tel homme qu’il est sympathisant de l’Orthodoxie, proche d’elle, mais non pleinement orthodoxe.

En ce qui concerne les canons de l’Église, ceux-ci disposent que celui qui ne fréquente pas les offices pendant trois semaines consécutives et sans raison valable, peut être excommunié de la communauté ecclésiale. Cela ne signifie pas que l’Église doive ignorer ses enfants égarés. Elle prie pour tous. Toutefois, à la proscomédie, dans le sanctuaire, selon les règles ecclésiales, il faut commémorer les membres véritables de l’Église, tandis que lors des offices d’intercession, on peut commémorer tous les baptisés. Dans ses prières personnelles, chacun peut prier pour tous, dont les athées.

Lors de la proscomédie, les parcelles détachées pour les membres de l’Église, sont placées à côté de l’Agneau, ceci signifiant qu’ils portent leur croix et montent avec le Christ au Golgotha. Et il est indispensable que cet acte symbolique ne soit pas en contradiction avec la réalité.