lundi 3 mars 2014

Interview du Métropolite Onuphre




Le métropolite Onuphre, locum tenens du siège métropolitain de Kiev : « L’Église doit suivre le Christ et non les politiciens ».

Le site pravmir.ru a regroupé et publié plusieurs interviews accordées par le métropolite Onuphre, avant les récents événements en Ukraine et sa nomination en tant que locum tenens du siège métropolitain de Kiev. Nous les publions in-extenso ci-dessous.


- Cette année, quinze années se seront écoulées depuis l’Assemblée épiscopale de Kharkov. Vous étiez l’un de ceux qui ont adopté une position rigide envers Philarète [le primat de l’Église schismatique ukrainienne, ndt] et ceux qui étaient avec lui. Maintenant, alors que tant de temps s’est passé, comment estimez-vous ces événements, vos propres actes ? Qu’est-ce qui vous a alors renforcé dans vos convictions ?

- L’époque était complexe, certains s’employaient très activement à impliquer l’Église dans les labyrinthes des réseaux politiques. Quant à moi, bien sûr, je comprenais et savais que l’Église ne peut emboîter le pas aux politiciens. Je voyais de façon précise et définie que c’était là une tentative d’annihiler l’Église, bien que personne ne puisse l’anéantir. Mais ceux qui combattaient l’Église de cette façon, pensaient qu’ils la transformeraient en club politique, qu’elle les applaudirait et se laisserait mener par le bout du nez. Non seulement moi-même, mais beaucoup, presque tous les évêques, lorsqu’arriva le moment critique – être ou ne pas être l’Église canonique en Ukraine – ont fait front. C’était un moment auquel on ne pouvait se taire, être passif. Dieu a agi ainsi par notre intermédiaire. C’est alors que se réalisèrent à nouveau les paroles prophétiques du Sauveur, selon lesquelles les « portes de l’enfer ne prévaudront pas » contre l’Église. Et si ce n’était pas nous, d’autres auraient agi. De toutes façons, l’Église canonique a survécu. Nous avons agi selon l’injonction de Dieu, et le Seigneur nous a donné une telle raison et un tel zèle, que nous nous sommes réunis à Kharkov et avons condamné Philarète [métropolite ayant causé le schisme dans l’Église orthodoxe d’Ukraine et déposé ensuite par les autorités ecclésiales canoniques, ndt]. Nous avons fait ce qui était nécessaire selon les règles et les canons de l’Église, nous avons élu un nouveau primat [le métropolite de Kiev Vladimir].

- Combien y a-t-il maintenant d’églises dans le diocèse de Tchernovtsy, accaparées par Philarète ?

- Dans notre diocèse, il y a deux « diocèses », deux « évêques » de Philarète. Pour autant que je sache, il y a environ 45 paroisses dans chacun d’entre eux. Il y a quelques villages qui sont passés entièrement du côté de Philarète, mais en définitive très peu. Dans certains villages, il y a une division : il y a à la fois nos propres églises, et celles de Philarète. Il y a des villages, où il n’y a que l’église de Philarète, mais les fidèles vont dans d’autres endroits, dans les villes, afin d’aller dans l’église canonique et se confesser, communier.

- En comparaison avec les autres diocèses, par exemple celui de Tchernigov et de Rovno, où se produisent des heurts « physiques » avec Philarète, se comporte-t-il ici aussi agressivement ?

- Philarète se comporte de façon identique dans tous les diocèses. Il voudrait tout soumettre à lui, mais il a perdu la canonicité, et son rang sacerdotal. Il tente de temps à autre, à l’aide des courants politiques, de se réanimer, mais c’est la même chose que d’appliquer un cataplasme sur un corps mort.

– Existe-t-il aujourd’hui un danger de répétition de la situation qui s’est produite il y a quinze ans, lorsque le pouvoir ukrainien a tenté d’imposer depuis le haut une union contre-nature avec Philarète ?

- Un danger semblable existe de la part du président [Ianouvkovitch, ndt]. Il insiste, de façon particulièrement active pour que toutes les Églises ukrainiennes s’unissent et se séparent de Moscou. Mais c’est là de la politique. Nous ne pouvons nous séparer, nous avons avec Moscou, comme avec tout le monde orthodoxe, des canons, des règles communes. Il peut y avoir dans l’Église des séparations, mais leur cause doit être non politique, mais spirituelle. Si une partie de l’Église tombe dans l’hérésie, l’erreur, et bien que cela ne me plaise pas, que je ne désire pas me séparer d’elle, je dois néanmoins le faire, je dois partir. Comment l’Église russe a-t-elle quitté Constantinople ? La Russie n’a jamais était dépendante de Constantinople politiquement, elle a toujours été indépendante, mais elle s’est trouvée pendant 600 ans sous l’omophore du patriarche de Constantinople. Or, les patriarches de Constantinople ont commencé à conclure l’union, celles de Lyon et de Florence, suite à quoi celle de Brest-Litovsk couvait déjà. Tout cela a duré longtemps. Et puis, lorsqu’il devint évident que Constantinople s’engageait dans l’hérésie, alors l’Église russe a quitté le giron de Constantinople, et s’est choisi un primat. C’est la seule raison. C’est une question de fond, les politiciens doivent suivre l’Église, et non l’Église suivre les politiciens. Et que se passe-t-il maintenant ? De la même façon que, dans le monde, tout est sens dessus dessous, tant dans l’économie que dans la politique, on s’efforce aussi dans la vie ecclésiale de placer au premier rang ce qui est secondaire, et au second rang ce qui est primordial.

- L’Église est-elle satisfaite des relations qui existent en Ukraine entre elle et l’État ?

- Il serait souhaitable que tous obéissent à la Loi divine : tant nous, que les prêtres, et tous les chrétiens, et le pouvoir à tous les nouveaux. Je ne veux pas que le pouvoir m’obéisse, mais je souhaite moi-même obéir à la Loi divine et m’y soumettre. C’est ce que je souhaite que le pouvoir fasse lui-même. Lorsque l’on dit que l’Église était jadis « leader », menait tous les hommes, on comprend avant tout l’Église comme Loi sacrée, laquelle définit celle-ci, la remplit de la Grâce divine. C’est cette Loi sacrée qui doit constituer une orientation pour nous tous, qui vivons sur terre ; nous tous, que nous soyons détenteurs du rang sacerdotal, des gens simples, des dirigeants – nous devons suivre cette Loi sacrée.

- Monseigneur, dites-nous, comment avez-vous perçu l’union de l’Église russe [la réunion du Patriarcat de Moscou et de l’Église russe hors-frontières, ndt] dans votre diocèse ?

- Les gens d’Église, qui fréquentaient toujours l’Église, ont accueilli avec grande joie cet événement. Aujourd’hui, lorsque tout se désunit, se brise, cela constitue un défi à ceux qui prônent le séparatisme. Les gens, particulièrement ceux qui vivent à l’étranger, sont très satisfaits de cette union. Parce qu’auparavant, ceux qui vivaient en Allemagne, en Amérique, en Australie, ne savaient pas quelle église fréquenter. Ils venaient chez nous, écrivaient, demandant dans quelle église on pouvait aller, et dans laquelle cela était interdit. Séjournant en terre étrangère, ils ne pouvaient s’orienter immédiatement, et nous, pourquoi le taire encore, donnions la bénédiction de fréquenter aussi les lieux de culte de l’Église hors-frontières. Moi-même, je la donnais, afin que nos fidèles, s’il y avait là une communauté de l’Église russe hors-frontières, aillent là et non chez les uniates ou les catholiques. Et ils le faisaient. Mais la situation était tendue, le clergé de l’étranger ne commémorait pas le patriarche. Or, en se réunissant, la blessure a littéralement été guérie.

- Monseigneur, votre service archipastoral a lieu dans cette région, où vous êtes né et avez été élevé. Cette une région complexe, multinationale, frontalière… Quels changements s’y sont produits durant ces dernières années, qui ne sont peut-être pas les plus réussies quant aux relations interethniques ?

- La région, dans laquelle j’accomplis mon obédience épiscopale, est celle de Tchernovtsy. C’est effectivement une région multinationale, où vivent beaucoup de Roumains, de Moldaves, de Russes, il y a aussi des Géorgiens et des Polonais, auxquels se sont maintenant ajoutés des ressortissants d’Asie Centrale. Mais, traditionnellement, tous les peuples habitant cette région ont vécu en paix. Actuellement, c’est effectivement une époque à laquelle est cultivée le nationalisme, mais la région de Tchernovtsy, Dieu soit louée, n’a pas été ébranlée par ce nationalisme, et les gens continuent à vivre comme par le passé dans la concorde, la paix, la tolérance les uns envers les autres.

- Si on la compare aux autres régions d’Ukraine ou de Russie, est-ce une région religieuse ?

- Oui, sans aucun doute, c’est une région où il y a beaucoup de croyants.

- En était-il ainsi durant les années soviétiques ?

- Même à l’époque soviétique, lorsque les fidèles se « dissimulaient » aux autorités, il y avait ici néanmoins beaucoup d’églises en comparaison avec les autres régions. Même pendant les soviets, il y avait ici jusqu’à 150 prêtres simultanément. Maintenant, il y a dans notre diocèse 400 paroisses, la population ne comptant que 960.000 personnes.

- Dans une situation fort complexe comme celle qui s’est créée en Ukraine maintenant, à quel point l’Église orthodoxe peut-elle préserver l’indépendance de sa position, de ses décisions ?

- Cela est possible non sans difficultés… En fait, ces personnes qui allaient à l’église sous le régime athée, sont aujourd’hui des enfants dévoués à l’Églises, ennemis de l’immixtion des politiciens dans la vie ecclésiale, ils se prononcent pour l’unité de la sainte Église orthodoxe russe. Parmi ceux qui sont venus à l’Église beaucoup plus tard, lorsqu’a commencé le temps de la liberté, beaucoup sont également devenus de fidèles enfants de l’Église, mais certains d’entre eux n’ont pas une compréhension suffisante de la mission de l’Église, de ce qu’est l’Église à proprement parler…

- Est-ce à dire que l’on peut affirmer que, dans une mesure significative, les problèmes de la vie ecclésiale en Ukraine sont liés à ceux que l’on peut qualifier de jeunes convertis ?

- On peut dire qu’ils comprennent et aiment moins l’Église. Ils pensent qu’il s’agit d’une organisation humaine, que l’on peut manipuler. Il n’y a pas une compréhension claire que l’Église a ses propres lois, ses règles et son Chef. L’Église a pour chef le Christ, elle doit Le suivre, et non pas suivre les politiciens.

- Monseigneur, malheureusement et ce n’est un secret pour personne, que de nombreuses discussions ont lieu au sujet de la possibilité potentielle de détachement de l’Église d’Ukraine du Patriarcat de Moscou. À quel point cela est-il possible de votre point de vue ? Et si, à Dieu ne plaise, cette séparation se produisait, quelles en seraient les conséquences ?

- Je suis convaincu que nous n’avons aucun argument spirituel en faveur du détachement du Patriarcat de Moscou. La mission principale de l’Église est le salut des âmes. Dans notre Église – l’Église orthodoxe russe – cette grâce du salut existe à ce jour. Que peut-on chercher de plus dans l’Église ? Ces gens qui cherchent leurs propres intérêts dans l’Église, et non ceux de Dieu, souhaitent la séparation. Si elle a lieu, ce sera contre la volonté de Dieu. Si cela se produit, je pense que l’Orthodoxie en Ukraine se trouvera en grand danger, et je suis même convaincu qu’elle sera anéantie.

- Anéantie ou réformée ?

- On peut appeler cela de différentes façons. Il y a déjà eu des tentatives de formation d’une Église indépendante en Ukraine, et non seulement une, mais plusieurs. Et tout cela n’a mené à rien de bon. Pourquoi ? Je ne sais pas : l’Esprit nous manque, ou alors il y a un dessein Divin quelconque, contre lequel on ne peut aller… Et ce dessein, je pense, est que nous soyons les enfants d’un seul prince Vladimir, que nous soyons ensemble. Et que ces enfants vivent en Ukraine, ou en Russie, ou en Biélorussie, cela n’a pas d’importance.

- À quel point sont puissants en Ukraine aujourd’hui ces gens qui cherchent leurs propres intérêts et non ceux de Dieu ?

- Fondamentalement, ce sont les gens qui se trouvent près du pouvoir, qui ont entre les mains les leviers et qui les utilisent pour détruire l’Église, réalisant cela au moyen des schismes : un schisme, un autre, un troisième… Naturellement, ce ne sont pas tous les politiciens, en Ukraine, qui agissent ainsi, mais il y en a un certain nombre.

- Et comment surmonter cette nouvelle menace de schisme en Ukraine ?

- Surmonter ? Elle ne se surmonte pas, il faut simplement rester ferme dans la foi et confesser la vérité. Ils ont leurs buts, leurs objectifs, scinder, mais notre tâche est de conserver l’Église une et canonique.

- Aujourd’hui en Ukraine, pour celui qui ne comprend pas bien toutes les subtilités des relations ecclésiales actuelles, il est facile de confondre une église orthodoxe avec une église uniate, une église relevant de l’Église d’Ukraine du Patriarcat de Moscou avec celle des schismatiques. Comment une personne « habituelle », vivant en Ukraine, qui vient seulement de se joindre à l’Église, ou encore qui vient d’arriver en Ukraine, peut-elle éviter les erreurs ?

- En demandant aux gens qui est le chef de l’Église. Et si l’on ne peut demander à personne, si on est entré dans une église par mégarde, écouter quel évêque est commémoré. Si l’on commémore Philarète ou Méthode Koudriakov, [schismatiques, se prétendant tous deux Primats de l’Église orthodoxe d’Ukraine, ndt], ou encore le pape de Rome, il faut sortir, tandis que si l’on commémore le patriarche [de Moscou] métropolite Vladimir, il faut rester.

- Et selon votre point de vue, y a-t-il des différences spécifiques dans la vie ecclésiale en Russie et en Ukraine ?

- Il y a des différences, peut-être, concernant des éléments administratifs insignifiants, dans la résolution des questions économiques, d’intendance, mais non dans la foi. Tout est identique dans les offices liturgiques.

- Monseigneur, il y eut un temps où l’Église se trouvait pratiquement exclue de la vie publique, d’autant plus de la vie politique de l’État. L’Église se trouvait alors dans des conditions extrêmement critiques. Aujourd’hui, au contraire, l’implication dans la politique se produit, parfois, consciemment, parfois inconsciemment, mais cela, probablement recèle aussi certains dangers. Ne le pensez-vous pas ?

- Je le pense. Vous savez, il y a ce conseil chez les pères spirituels qu’au monastère, il ne doit pas y avoir entre les frères de relations trop proches, amicales, pas de confidences excessives. La raison en est que, les hommes étant imparfaits, ces relations proches, ouvertes, le fait que l’on confie l’un à l’autre des secrets intérieurs, tout cela peut être parfois utilisé par l’ennemi [le diable, ndt] et retourné de telle façon que les personnes concernées deviennent les ennemis les plus irréconciliables. Cela s’est produit et peut se produire et dans l’Église et dans l’État : dans les deux cas, les hommes ne sont pas parfaits. Et une union trop étroite peut finalement se transformer en haine mutuelle. Que Dieu fasse qu’il ne se produise rien de semblable.

- Monseigneur, dans votre diocèse, vous avez dit qu’il y a près d’un million d’habitants en tout, avec 400 paroisses, 500 moines et moniales. Ces beaucoup…

- Cela résulte beaucoup du fait que le pouvoir soviétique en Russie a été établi dès 1917, tandis que chez nous, en Bucovine, depuis 1946. Nous n’avons pas connu des persécutions, des destructions, aussi violentes qu’en Russie. Je pense que cela est l’un des facteurs fondamentaux de cette situation.

- Cela veut dire que malgré tout les traditions de la vie ecclésiale et monastique y ont été préservées dans une mesure plus grande qu’en Russie, plus exactement, qu’elles y ont été moins détruites ?

- Oui. Ici, il n’y a pas eu un tel anéantissement du monachisme, du clergé, des fidèles, comme en Russie. Au moins dans la région de Tchernovtsy, parce que dans les autres régions [d’Ukraine], sous la domination de l’Union soviétique dès le début, ils sont passés par les mêmes épreuves qu’en Russie.

- Si l’on parle de la situation des monastères, il arrive souvent, malheureusement que lorsque l’on fonde un nouveau monastère ou restaure un monastère ancien, il n’y a pas de supérieur expérimenté, de père spirituel expérimenté, qui pourraient y organiser correctement la vie monastique, et pour cette raison, le cheminement d’une nouvelle communauté est difficile, douloureux.

- C’est un problème commun. Nous avons aussi ce genre de problèmes. Chez nous aussi, tous les moines sont jeunes, la transmission de la vie monastique a été interrompue, et les supérieurs, les higoumènes, sont de jeunes moines. Ils apprennent comment il faut vivre la vie monastique, et s’efforce de l’enseigner à leur communauté. L’homme apprend lui-même comment cheminer spirituellement, et apprend aussi à l’autre à marcher… Mais, bien sûr, la personnalité de l’higoumène est importante pour le monastère. C’est comme la cellule du corps, si elle est saine, tout sera sain autour d’elle, un organisme sain se formera, mais si elle est malade, l’organisme peut connaître des complications, et à l’intérieur il se détériorera, sera faible, maladif.

- Monseigneur, existe-t-il des professions agréables ou désagréables à Dieu ? Quelle attitude avoir envers l’activité publique ou politique ?

- Les professions peuvent être classifiées en fonction de leur moralité. Il n’est secret pour personne quelles sont les profession immorales. Pour ce qui concerne l’activité politique, c’est une fonction complexe, dans laquelle il n’est pas facile de s’unir à Dieu, car dans le domaine politique, il y a beaucoup de compétition, d’aspiration à acquérir de l’influence, il y a le mensonge, qui d’une façon ou d’une autre agit sur l’homme, l’assombrit et ne lui donne pas la possibilité de voir la Lumière divine. Les professions dans lesquelles il y a le moins de mensonges et le plus de vérité, aident mieux l’homme dans sa vie spirituelle.

- Est-ce à dire que le chrétien ne doit pas s’occuper de politique ?

En général, ce n’est pas une œuvre chrétienne en elle-même, mais Dieu y appelle aussi les chrétiens. C’est ainsi que si, dans notre pays orthodoxe, il n’y a que des politiciens qui ne sont pas chrétiens, nous retournerons peu à peu au passé athée récent, lorsque l’Église était persécutée. Aussi, si Dieu appelle des hommes à ce service, Il leur donnera la force de résister aux tentations.

- Et si un politicien déjà formé, ou un homme qui occupe une certaine place dans la société, dans quelque structure politique et économique, devient un chrétien sincère, doit-il abandonner son activité ?

- Je pense qu’il faut agir selon sa conscience. Peut-être doit-il l’abandonner, mais peut-être aussi, le Seigneur lui dira de rester en place et de témoigner. C’est un fait que parfois des politiciens se convertissent sincèrement au Christ. Rappelez-vous seulement du saint prince Vladimir, égal-aux-apôtres. Le principal est que l’homme dispose d’un critère spirituel correct, de mesures justes, par lesquels il peut définir où est la vérité, où est le mensonge. Si vous les distinguez tous les deux, vous pouvez vous détourner du mensonge. Peut-être pas entièrement, mais d’une certaine façon. Si l’homme ne peut s’y retrouver, c’est une tragédie pour lui.

- C’est justement cette question que l’on doit soumettre à son père spirituel ?

- Sans aucun doute. Il est très difficile pour l’homme d’être objectif envers lui-même. Habituellement, les gens ont envers eux-mêmes une attitude empreinte de partialité, ils s’efforcent de prouver qu’ils ont raison ou de se justifier. Pour être sûr de la justesse de ses opinions, il faut prendre conseil de son père spirituel, et si celui-ci approuve, il faut agir en conséquence.

- Nous avons des fraternités orthodoxes, des mouvements associatifs. Nous, orthodoxes, devons-nous nous réunir dans des organisations, cela est-il nécessaire, utile ?

- Les fraternités se sont justifiées dans les cas où l’Église était fortement persécutée [allusion aux fraternités orthodoxes qui se sont constituées en Ukraine au XVème-XVIème siècle pour résister à l’uniatisme, ndt]. C’étaient des laïcs qui avaient une attitude pleine de zèle envers la pureté de la foi, ils s’unissaient, parce que l’Église n’était pas en position de le faire. Ils se réunissaient et luttaient. Mais quand l’Église mène une existence paisible, les fraternités militantes ne doivent pas exister. Les gens doivent aller à l’église et agir, accomplir les obédiences dans l’enceinte de l’Église sous une direction spirituelle. Le principal est ici que les gens n’errent pas, en l’absence de direction spirituelle. Car tout en pensant qu’ils luttent pour l’Église, qu’ils la défendent, ils commencent à la combattre. S’ils sont orthodoxes, ils doivent être dans l’Église. S’ils sont orthodoxes sans avoir l’esprit d’Église [et créent des mouvements], il faut les considérer comme des mouvements séculiers. Si l’on se considère orthodoxe, avec un esprit ecclésial, aucun mouvement ou fraternité n’est nécessaire. Il faut être dans l’Église, il faut être obéissant à l’Église, accomplir un service social, et alors le Seigneur dirige Lui-même.

- Mais alors, qui peut-on qualifier d’orthodoxe ?

- L’orthodoxe est celui qui est baptisé et qui, ne serait-ce que dans une certaine mesure, s’efforce de vivre de façon orthodoxe. Il ne suffit pas de confesser les dogmes orthodoxes, mais il faut vivre selon ces règles. Si l’on croit intellectuellement de façon orthodoxe, mais que l’on vit selon des critères tout autres, on ne peut s’appeler orthodoxe. Dans ce cas on peut dire d’un tel homme qu’il est sympathisant de l’Orthodoxie, proche d’elle, mais non pleinement orthodoxe.

En ce qui concerne les canons de l’Église, ceux-ci disposent que celui qui ne fréquente pas les offices pendant trois semaines consécutives et sans raison valable, peut être excommunié de la communauté ecclésiale. Cela ne signifie pas que l’Église doive ignorer ses enfants égarés. Elle prie pour tous. Toutefois, à la proscomédie, dans le sanctuaire, selon les règles ecclésiales, il faut commémorer les membres véritables de l’Église, tandis que lors des offices d’intercession, on peut commémorer tous les baptisés. Dans ses prières personnelles, chacun peut prier pour tous, dont les athées.

Lors de la proscomédie, les parcelles détachées pour les membres de l’Église, sont placées à côté de l’Agneau, ceci signifiant qu’ils portent leur croix et montent avec le Christ au Golgotha. Et il est indispensable que cet acte symbolique ne soit pas en contradiction avec la réalité.

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