lundi 10 novembre 2014

L'icône qui sauva une vie




Cette icône de la Mère de Dieu de "Kazan" avec les mots partiellement rongés en lettres latines, “Eta ikona budit hranit was wsu schizn,” orne l'église de la Joie de tous les affligés à Saint-Pétersbourg. L'une des paroissiennes de l'église a raconté son incroyable histoire.

Un jour, une vieille femme est entrée dans l'église et elle a agité les bras quand elle a vu l'icône de la Mère de Dieu de Kazan.

"D'où vient cette icône? Je l'ai donnée à un soldat allemand!" S'écria-t-elle avec stupéfaction. Je la reconnais à cause d'un trou caractéristique dans le cadre. "Je lui ai expliqué que cette icône avait été donnée à l'église par le consulat allemand de notre ville. La femme a fondu en larmes, elle a dit que son nom était Vera, et elle a raconté l'histoire expliquant comment son icône de famille orthodoxe avait fini en Allemagne.

"Je me suis enfui de mon village natal, qui s'est trouvé au centre des batailles. Je voulais partir avec ma soeur et mes trois enfants plus tôt, mais maman tomba gravement malade, et elle n'aurait pas survécu au voyage. Je viendrai plus tard, je le promis à ma sœur, l'envoyant avec les enfants à un endroit près de Riazan, où notre tante vivait dans un village de ferme collective. Maman est morte un mois plus tard, mais avant sa mort, elle fut en mesure de me bénir avec l'icône de famille de la Mère de Dieu de "Kazan". 

Mon défunt grand-père, en son temps, avait béni ma mère avant son mariage, et maman avait béni Sacha et moi avec elle quinze ans auparavant, même si mon mari était au Komsomol. Maintenant, l'icône était dans mon sac râpé de réfugiée. 

Je me suis assise sous l'auvent de l'une des maisons de fret de la gare, en regardant la danse folle de la neige tourbillonnante. Je ne pouvais pas penser à autre chose; J'ai seulement essayé de recroqueviller mes doigts dans les manches étroites d'un manteau léger. Le froid et la faim, c'était tout ce que je pouvais sentir. 

A présent un train roula jusqu'à la gare, les portes des voitures s'ouvrirent, et les Fritz se tinrent en rangs se tendant de longues boîtes. "Ils ont apporté des armes," la pensée indifférente m'a traversé l'esprit. Mais soudain j'ai ressenti un coup douloureux: "Il va vers l'avant! Où mon Sacha se bat! Ils lui tireront dessus avec ces fusils, et sur d'autres soldats russes... Oh, les maudits!"

"C'est étrange, mais les patrouilles allemandes ne firent pas attention à moi, une femme solitaire, amaigrie par la faim. Je ne me souvenais même pas de la dernière fois où j'avais mangé. 

J'avais depuis longtemps échangé ma montre, ma bague de mariage, et les boucles d'oreilles de maman pour de la nourriture. Je passais ma main sur le cadre en laiton derrière le tissu glacial du sac. "Ô Intercède, Très Sainte Mère de Dieu!" Murmurai-je de mes lèvres glacées. "Sauve et protège mes petits, ma sœur Nadia. Sauve et protège mon époux, l'esclave de Dieu, le soldat Alexandre.

" Quoi? Qu'est-ce qui ne va pas?" Vinrent les mots juste au-dessus de mon oreille. Je levai la tête. A côté de la banquette se tenait un soldat allemand. Je pouvais ressentir de la sympathie dans ses paroles, et je répondis: "C'est mauvais." L'Allemand était assis à côté de moi. Il posa son sac à dos bombé sur le terrain, farfouilla un peu dedans, puis tendit la main. "Nimmt! [Prends en allemand]" 

Il y avait un carré de pain sur lequel une tranche de lard était toute rose. Je pris le cadeau et le dévorai. L'Allemand sortit un thermos, versa un peu de thé fumant dans le couvercle, et dit: "Heiss! Gut! [Chaud! Bon!]" Probablement qu'il faisait partie de la garde ici à la gare. Il avait l'air d'avoir une vingtaine d'années, des yeux bleus. Son visage était naïf. Probablement que ses cheveux étaient de couleur claire, comme ceux de mon fils, Andreika, seulement on ne pouvait pas le voir sous sa casquette.

"L'Allemand a montré la locomotive, puis moi, et plissant comiquement son front, apparemment en essayant de trouver le mot, a demandé, "Loin?" "Loin! Maintenant, je ne vais pas réussir à aller là-bas!" J'ai immédiatement commencé à lui dire que j'avais espéré aller chez ma tante, mais que maintenant je restais sans rien. Mettant fin à mon histoire je lui ai dit, " j'ai des enfants là-bas. Kinder. Comprendre? Je traçais leurs silhouettes dans l'air avec mes mains, de haut en bas. Le jeune homme hocha la tête: "Oh, ja, Kinder!'' "Mais je n'arriverai pas à aller vers eux. Je vais geler." Je ne savais même pas que je pleurais. 

L'Allemand a de nouveau pris son sac et en a sorti un lourd paquet. "Voilà. Prenez." Il ouvrit le paquet et toucha son contenu, puis se lécha le doigt et dit:"Gut!" 

Il y avait du sel dans l'emballage. Du sel... qui valait alors plus que l'or. Pour du sel on pourrait obtenir du pain, du lait, et bien, n'importe quoi... Il n'y avait pas moins de trois kilogrammes dans le paquet. Et là, il était juste entrain de me le remettre à moi, une femme russe totalement inconnue. Voyant le choc sur mon visage, le jeune homme sourit et dit quelque chose que je ne compris pas. Puis il se leva, vissa le couvercle sur son thermos, le remit dans le sac à dos, fit un signe de la main, et s'en alla.

"Stop!" Je courus après le soldat. "Was ist es [Qu'y a-t-il]?" "Cette icône vous gardera toute votre vie, dis-je avec une ferme assurance. Il ne comprit pas. Encore une fois je lui ai dit, "Cette icône vous gardera toute votre vie!" 

Le jeune homme a tiré un crayon de sa poche, l'a mouillé de salive, et retournant la planche m'a demandé de répéter. Comme je répétais lentement, syllabe par syllabe, il a écrit sur le dos de l'icône en lettres latines: “Eta ikona budit hranit was wsu schizn,”

Nous ne nous sommes pas revus... Mais je fus en mesure de négocier l'échange du sel pour des vêtements chauds, des bottes de feutre, et du pain, et je suis arrivée à Ryazan. En '45 mon mari, Sacha, est revenu de la guerre.

Après avoir écouté attentivement la femme agitée, je lui ai dit avec joie ce que nous avions entendu des représentants du consulat allemand qui avaient donné l'icône de Kazan à notre église. 

Ce soldat allemand traversa toute la guerre [sans dommage]. Ses camarades sont morts sous ses yeux; un jour un camion dans lequel il était explosa, mais il fut capable de s'en échapper en sautant juste un instant avant l'explosion. Le reste des soldats périt. A la fin de la guerre, un obus est tombé sur leur abri souterrain, qu'il avait abandonné juste un instant auparavant. La puissance invisible de l'icône russe l'avait sûrement sauvé. 

Il comprenait maintenant et il réévalua beaucoup sa vie, et son âme s'ouvrit à la prière. Il rentra chez lui, se maria, et éleva  ses enfants. Il plaça l'icône dans un bel écrin de verre dans une place d'honneur de sa maison, et il pria toute sa vie devant elle. 

Quand il vieillit, il ordonna à son fils aîné de donner l'icône au consulat russe après sa mort. "Cette icône a vécu en Russie et doit y retourner. Qu'ils l'emportent à Leningrad, la ville qui a résisté au blocus, mourant de froid et de faim, mais ne cédant pas."

Voilà comment au milieu des années 1990, dans l'une des églises nouvellement rouvertes de Saint-Pétersburg, où le recteur de l'époque était l'archiprêtre Alexandre Tchistiakov, est venue la petite icône de la Mère de Dieu de "Kazan" avec une inscription en étranges lettres  latines au dos.

Version française Claude Lopez-Ginisty
d'après

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