jeudi 7 décembre 2023

Le dernier jour de la vie de saint Jacob [Tsalikis]

 

Le staretz dans son église

La nuit du 20 au 21 novembre arriva. L'heure approchait où le Père Jacob devait mettre fin à son martyre dans cette vie. Il y avait assez de maladies, et il y avait aussi le labeur du grand ascète. Et le staretz béni le savait bien. Le rideau tombait sur le petit monde, et le rideau du monde sans limites, le monde sans fin, du bonheur et de la gloire, s'ouvrait. C'est le monde auquel sont destinés ceux qui ont beaucoup souffert et aimé le Seigneur sans hésitation.

Le bienheureux staretz Jacob veillait en prière depuis le soir. Bien qu'il ait été épuisé, il n'avait pas oublié ceux qui étaient en deuil. Il lut les dernières lettres et répondit à une quinzaine d'entre elles, réconfortant et conseillant au besoin. C'était le 21 novembre. Le jour se levait, et le staretz commença à célébrer la fête de l'Entrée au Temple de la Mère de Dieu, pour laquelle il s'était préparé toute la nuit. Il s'habilla pour descendre à l'église. Il n'aurait pas dû descendre, mais il le désirait tellement, tellement que rien ne pouvait l'empêcher de faire sa dernière communion. Il descendit avec beaucoup d'efforts. Bien qu'il fût encore sombre dehors, certains moines pouvaient observer son visage changé. Son visage avait un éclat inhabituel, débordant du seul amour, et son sourire angélique le rendait encore plus beau. Pendant l'office du matin, il chantait à genoux avec une telle aisance et une telle magnificence qu'on aurait pu penser qu'il n'était pas malade.

La voix divine remplissait l'église d'un chant merveilleux, comme si plusieurs anges chantaient ensemble. Ce jour-là était également sacré pour le père Hilarion parce qu'il a été ordonné hiérodiacre à Filla par le Métropolite de Halchidha le matin. Il était évident que cette liturgie n'était pas ordinaire. Cependant, il n'a ni parlé ni révélé ce qu'il avait vécu pendant sa dernière liturgie. Avait-il revu les cherubim et les seraphim ? Avait-il vu les Saints autour de lui ? Avait-il vu le Très Saint-Sang du Seigneur ou Jésus le Seigneur comme l'Agneau sur le Saint-autel, comme auparavant ? Nous n'en savons rien.

La liturgie se termina peu avant 9 heures, et le staretz quitta l'église dans une très bonne disposition spirituelle. Il descendit ensuite les escaliers jusqu'à la porte centrale du monastère, traversa de l'autre côté et monta les quelques marches de l'autre aile du monastère. À quelques mètres se trouvait l'église de saint Haralampos, où quelques personnes l'attendaient pour se confesser. Il entendait habituellement des confessions là-bas, et il fit de même maintenant. Après avoir confessé les autres, à 10 heures, il entendit la confession du hiérodiacre Gennade, à qui il s'adressa avec joie et insistance :

Je suis content que tu sois là ! Ne pars pas, pour que tu puisses être ici quand ils m'habilleront.

En entendant cela, le hiérodiacre protesta, ne voulant pas croire ce qu'il avait entendu du staretz au sujet de sa mort imminente. Mais le staretz insista.

Après avoir terminé la confession, il montra des signes de fatigue mais maintint une disposition joyeuse. Il se leva, prit le diacre par la main, et ils quittèrent la petite église. Ils descendirent dans les escaliers et  entrèrent dans l'église principale. Là, il pria, embrassa toutes les icônes, remercia et glorifia Dieu. Mais le staretz vivait déjà dans un autre monde. Son être intérieur et extérieur étaient éclairés par la Lumière divine, d'où émanaient sa joie et son rayonnement. Un seul moine, Ephraïm, eut le privilège d'être témoin de cet état merveilleux. Il nettoyait les chandeliers et il vit le staretz béni entrer dans l'église avec un visage transformé. Il rayonnait de luminosité et dégageait  joie et  bonheur. Le moine resta immobile, regardant le staretz, lui-même inondé de joie et d'étonnement.

Puis, le père Jacob sortit de l'église et, avec le hiérodiacre, ils firent le tour du monastère depuis l'intérieur. Ils allèrent partout, passant devant tous les moines, les bénissant et transmettant la joie débordante de son visage angélique. Après avoir inspecté tout le monastère, ils sortirent par la porte sud, tournant lentement à droite et s'arrêtant à l'atelier, où il bénit avec amour les moines. Puis il tourna de nouveau à droite et, s'arrêtant devant chaque petite chapelle, fit le signe de la croix à plusieurs reprises. Par la suite, il monta plus haut, vers le nord-ouest, demandant au hiérodiacre de l'aider à grimper un peu plus loin. De ce point de vue, tout le monastère pouvait être vu comme depuis un avion. C'était beau, rénové, bien entretenu... Il l'avait trouvé en ruines, détruit et très petit. Maintenant, il était renouvelé et plein de bons moines.

Il le regarda d'en haut et ne pouvait se lasser de le voir. Dans son regard, on pouvait voir un grand amour pour le monastère. Il passa beaucoup de temps à l'examiner. Pensait-il à l'apparence du monastère lorsqu'il arriva pour la première fois ? Je ne pense pas, parce que la joie ne quitta jamais son visage. Il n'y avait pas de temps pour des souvenirs désagréables... Maintenant, il ne faisait que glorifier, car il ne restait que quelques instants, et il les consacrait à de grandes choses...

Ses jambes ne pouvaient plus le tenir, alors il dit au hiérodiacre :

« Viens, mon fils, allons-y. »

Ils se tournèrent de l'autre côté. Il était presque midi ; le midi du 21 novembre.

Étant épuisé, l'aîné se retira dans sa cellule pendant un certain temps. Entre-temps, le père Alexis arriva, qui allait organiser des funérailles pour la première fois. Le nouveau prêtre ne connaissait pas l'ordo du service ni comment chanter. Le bienheureux staretz lui donna patiemment  des instructions sur ce qu'il fallait faire, étape par étape, et commença à chanter la stichère du service funéraire. Le père Alexis chanta, mais le staretz chantait beaucoup plus magnifiquement et se réjouissait en esprit. À un moment donné, le père Alexis pensait qu'il avait appris à chanter le service funèbre et qu'il voulait partir, remerciant et cherchant la bénédiction du staretz. Mais le staretz insista pour chanter tout l'office depuis le début. Et c'est ainsi que cela fut fait. Le père Alexie le chanta dans son intégralité, et le staretz n'éprouva que  joie et plaisir.

Le père Alexis est après 2 heures, et le staretz resta seul. À 15 h 15, il y a eu un coup à la porte, et ils l'informèrent que Gérasima était arrivée. Et même s'il avait du mal à recevoir des étrangers dans sa cellule, il dit quand même:

« Laissez-la venir. Cet enfant est dans le besoin. Je dois la voir. »

Il reçut Gérasima pour la confession. Il mit son épitrachelion et s'assit sur le bord du lit, face au Crucifix, et commença. Il écouta attentivement, la conseilla, l'encouragea et soudain, avec un visage changé, il dit :

« Ma fille, voici le Vénérable David... Et saint Jacques, le frère du Seigneur... Chante leur tropaire ! »

Pendant ce temps, les minutes passaient, et l'agonie du staretz  augmenta parce qu'il voulait voir son disciple, le diacre Hilarion, qui avait été ordonné ce matin-là par le métropolite Chrysostome de Halchidha pendant la liturgie.

À 16 h 15, sans entendre de bruit, le père Jacob dit à Gérasima :

« Ma fille, ouvre la porte, comme les parents sont arrivés. »

Et en effet, les parents avaient atteint la porte. Lorsque Gérasima ouvrit la porte, le staretz essaya de se lever, de se tenir debout, mais à ce moment-là, il dit : « J'ai le vertige, j'ai le vertige... » et il s'effondra, perdant son équilibre. La jeune fille réussit à rattraper le staretz et le tint pour l'empêcher de toucher le sol. Sa respiration était très laborieuse. En même temps, les parents entrèrent, dirigés par le père Hilarion, mais en voyant le staretz allongé sur le sol, la confusion, la peur, la panique et les pleurs s'ensuivirent immédiatement. Le père Cyril s'agenouilla et commença à frotter ses mains, tandis que d'autres moines se précipitèrent vers l'église de Saint Haralampos et lurent la Paraclèse, en pleurant. Un autre moine s'empressa d'appeler le médecin. Le pouls du grand ascète était faible, presque imperceptible. Son visage devint légèrement rouge, mais le staretz resta calme, sans angoisse. Et après quelques instants, son dernier souffle s'échappa de ses saintes lèvres...

Et ainsi l'âme du staretz s'envola vers les cieux comme un petit oiseau, comme il l'avait prophétisé auparavant. Tout était arrivé à la fin. À 4 h 17 de l'après-midi, le bienheureux staretz quitta le monde périssable de la douleur et entra dans la demeure bénie du Dieu Trinitaire.

Les pères du monastère ne voulaient pas croire que leur staretz était parti ; ils essayèrent quand même de l'aider. Il y eut une agitation indescriptible. Ils parlaient en pleurant, ce qui rendait difficile de se comprendre. Néanmoins, tout était arrivé à une fin.*

Version française Claude Lopez-Ginisty

d'après

THE ATHONITE TESTIMONY

*Extrait du livre Bienheureux Jacob Tsalikis - Evanghelismos Publishing House.

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