lundi 11 janvier 2021

Dans son interview à l’hebdomadaire « Pečat » l’évêque de Bačka Irénée a abordé les problèmes contemporains de l’orthodoxie

Dans son interview à l’hebdomadaire « Pečat » l’évêque de Bačka Irénée a abordé les problèmes contemporains de l’orthodoxie

Source du texte Orthodoxie.com

Nous publions ci-après des extraits de l’interview annuelle accordée par l’évêque de Bačka Irénée à l’hebdomadaire serbe Pečat, dans lesquels il exprime son opinion sur le schisme en Ukraine, la primauté dans l’Église, l’ingérence de l’administration des États-Unis dans les affaires internes de l’Église orthodoxe, la prochaine élection du patriarche de l’Église orthodoxe serbe et les défis auxquels fera face celui-ci.

– La position de l’Église orthodoxe serbe a toujours été complexe et prédestinée à la lutte avec les difficultés et les épreuves, tant séculières que spirituelles. Parmi celles-ci, préoccupantes depuis longtemps déjà pour l’avenir de l’orthodoxie, on parle souvent de l’introduction du néo-papisme, soutenu par le Patriarcat œcuménique et le patriarche Bartholomée. L’Église orthodoxe serbe a pris une position de principe fondée sur la tradition canonique, lorsqu’il est question du schisme en Ukraine. L’Église orthodoxe russe, dans ce sens, a grandement apprécié la position de principe de l’Église orthodoxe serbe et du patriarche Irénée de bienheureuse mémoire. Cependant, les Églises locales hellénophones (pas toutes), dont, récemment, celle de Chypre, se sont alignées sur la position pour le moins problématique du patriarche de Constantinople Bartholomée. Comment évaluez-vous le développement futur de l’événement qui a fortement ébranlé les orthodoxes dans le monde ?

– Le problème du « néo-papisme » que vous mentionnez existe malheureusement. Nous avons l’évolution suivante : le Patriarcat de Constantinople, à savoir l’Église mère de l’Église orthodoxe serbe – un fait que nous n’avons pas le droit d’oublier et que nous n’oublierons jamais – a accompli une intrusion non canonique dans la juridiction de l’Église orthodoxe russe et a « réhabilité » des communautés schismatiques en Ukraine, il n’a pas aboli, ni atténué les schismes en Ukraine mais, au contraire, les a approfondis et prolongés. Les schismes existants, depuis le sol de l’Ukraine, ont été transférés au monde orthodoxe entier. On en est arrivé à l’interruption de la communion liturgique et canonique du Patriarcat de Moscou avec le Patriarcat de Constantinople et ceux des primats et des évêques des Églises qui reconnaissent le schismatique impénitent Épiphane – plus exactement le citoyen Doumenko – en tant que métropolite légitime de Kiev et primat « autocéphale » (!) de l’Église en Ukraine, où vit et œuvre le remarquable métropolite de Kiev et de toute l’Ukraine Onuphre, reconnu par toutes les Églises orthodoxes, autour duquel sont rassemblés environ cent évêques canoniques avec plus de 15000 prêtres et moines, et des dizaines de millions de fidèles. Cependant, la reconnaissance non conciliaire, unilatérale, des groupuscules schismatiques, a non pas seulement provoqué un schisme entre les Églises [locales orthodoxes ndt], mais des divisions et des tensions à l’intérieur de celles-ci, ce dont témoignent les polémiques entre évêques et théologiens en Grèce et à Chypre. Dans le chaos spirituel et canonique qui s’est nouvellement créé, l’Église orthodoxe serbe soutient, comme vous l’avez à juste titre souligné, une position de principe de fidélité inconditionnelle à l’ordre canonique séculaire de l’Église orthodoxe, que personne n’a le droit de manipuler. Que certains interprètent cette position de principe comme l’alignement des uns contre les autres, c’est là le problème de leur conscience et de leur conception de l’Église. Nous ne sommes contre personne, encore moins contre le glorieux patriarcat martyr [Constantinople, ndt] qui, en 1219, a accordé le statut autocéphale à notre Église et qui, en saint Sava, a reconnu la personnalité digne d’être le premier archevêque serbe autocéphale, mais nous sommes opposés aux agissements qui menacent ou détruisent l’unité de l’Église orthodoxe et remettent en question la crédibilité de l’orthodoxie chez les catholiques-romains et les chrétiens hétérodoxes en général. Il est difficile de prévoir comment les choses vont se développer à l’avenir, mais si je juge sur la base de précédents dans l’histoire de l’Église, j’espère que dans un avenir plus ou moins rapproché, la crise sera surmontée. Que Dieu fasse que cela se produise le plus rapidement possible !

– Au Concile de Crète déjà, vous avez souligné les travers que sont les tentatives actuelles pour que l’orthodoxie reçoive une sorte de « pape oriental », et vous avez publié un texte sur vos désaccords avec une telle approche. Quelle position ecclésiologique doit être adoptée à notre époque pour éviter les tentations de centralisation, mais aussi d’anarchie ?

Je pourrais répondre d’une façon très étendue à cette brève question, au point que la réponse occuperait un numéro entier de la revue « Pečat ». Si l’on rassemblait tout ce qui a été écrit à ce sujet, ce seraient des tomes entiers, et non pas seulement un livre. Mais ici, compte tenu de l’espace à ma disposition, je me limiterai à l’essentiel. En quoi se distinguent les ecclésiologies orthodoxe et catholique-romaine, alors que l’une et l’autre reconnaissent l’existence d’une primauté dans l’Église ? L’Église catholique-romaine accepte la primauté de l’évêque de Rome, le pape, en tant que primauté de juridiction, en tant qu’autorité suprême dans la prise de décision qui concerne l’Église dans son intégralité. Le pape est pratiquement au-dessus du concile des évêques : même si tous les évêques catholiques romains étaient réunis et décidaient quelque chose, le pape aurait la possibilité de principe d’opposer son veto et de prendre lui-même la décision. Nous pouvons représenter schématiquement la structure de l’Église catholique-romaine comme une pyramide au pied de laquelle se trouvent les fidèles, au-dessus d’eux les prêtres, au-dessus de ceux-ci les évêques, et à son sommet même se trouve le pape. Cette structure a trouvé son expression dans l’adage connu « Roma locuta, causa finita ». À vrai dire, la structure « pyramidale » de l’Église catholique-romaine a été considérablement atténuée, mais néanmoins non abolie, au concile de Vatican II (1961-1965) de telle façon que soit accepté l’enseignement de la Sainte Écriture et des saints Pères de l’Église, préservé et cultivé dans sa continuité dans l’orthodoxie, selon lequel l’Église est constituée par le peuple de Dieu, qui comprend tous ses membres sans distinction, les évêques, les moines, les laïcs… Contrairement à la structure de l’Église romaine, l’Église orthodoxe ne ressemble pas à une pyramide. L’image qui lui conviendrait est celle d’une grande maison avec beaucoup d’appartements et de membres de la famille, où chacun a sa fonction spécifique. Les évêques accomplissent un service particulier. Ils règlent les questions concernant toute l’Église lors des conciles, étant entendu qu’aucun d’entre eux, voire celui qui préside, n’est au-dessus du concile. Toutes les décisions sont prises ou à l’unanimité ou à la majorité des voix. Le président n’a pas le droit de veto et peut être mis en minorité, mais cela ne lui enlève pas sa dignité de premier parmi les évêques. Sa primauté n’est pas celle du pouvoir, mais de l’honneur. Il est effectivement le premier, mais non hors ou au-dessus du concile, il est le premier dans le concile, « le premier parmi les égaux » (« primus inter pares ») et en aucun cas le « premier sans égaux » (« primus sine paribus), ce à quoi prétend déjà depuis des siècles l’évêque de « l’ancienne » Rome, et depuis peu l’évêque de la « Nouvelle Rome », à savoir Constantinople, aujourd’hui Istanbul. Les deux prétentions sont inacceptables pour le concept orthodoxe de la nature et de l’organisation de l’Église. Selon le 28ème canon du IVème Concile œcuménique, l’évêque de la Nouvelle Rome a obtenu le même « privilège d’honneur » dont disposait l’évêque de Rome dans l’unique Église d’alors. Toutefois, dans l’énumération ou les diptyques, il se trouvait à la deuxième place, après l’évêque de Rome, car la primauté romaine est plus ancienne et remonte à l’époque apostolique. Les canons n’attribuent à aucun d’eux la primauté de pouvoir. Un tel concept, en général, n’existe pas dans les canons de l’Église. En bref, c’est la conciliarité et non la monarchie qui caractérisent l’Église. La relation entre le premier évêque selon l’honneur et le concile des évêques est en même temps dynamique, mais la seule chose possible est la suivante : ni le premier ne peut décider seul, sans le concile, ni le concile seul, sans le premier évêque, comme le dispose le 34ème canon apostolique. L’équilibre divino-humain et l’harmonie caractérisent non seulement la personne du Christ, mais aussi Son corps, l’Église de Dieu. Ma modeste réponse finale à votre question est que : la conciliarité est le seul passage possible du grand navire historique qui s’appelle l’Église entre la Scylla de la centralisation et la Charybde de l’anarchie.

– Il y a les problèmes du schisme et de l’affaiblissement lié à celui-ci, qui sur la scène mondiale, par l’ingérence de forces étrangères, avant tout occidentales, ont porté un coup historique sévère à toute l’orthodoxie. Le processus continu de nouvelles Églises indépendantes non canoniques n’est pas interrompu après la création de la soi-disant Église orthodoxe d’Ukraine. L’Église orthodoxe serbe est également menacée, particulièrement son archevêché d’Ohrid et son diocèse métropolitain du Monténégro et du Littoral. Pouvons-nous dire, lorsqu’il s’agit de la métropole du Monténégro et du Littoral que le danger susmentionné définitivement écarté et que nous pouvons dans ce sens regarder l’avenir sereinement ?

– Les circonstances sont telles que « le langage diplomatique » et les euphémismes sont peu utiles. Il est certes plus agréable et en tout cas plus élégant d’utiliser des expressions plus subtiles, mais lorsque l’on fait face à une diplomatie « bulldozer », cela perd son sens. À quoi cela ressemble en pratique, l’exemple qui suit le montre. Le président du Synode de l’une des principales Églises orthodoxes, tout comme son épiscopat, son clergé, ses moines et son peuple, n’ont montré aucun enthousiasme au sujet de la décision de leur Église-mère, le Patriarcat de Constantinople, à l’occasion de la crise ecclésiastique en Ukraine, ni pour les décisions prises et appliquées pour soi-disant surmonter la crise et rétablir l’unité de l’orthodoxie dans ce pays (comme cela est connu de tous, les décisions irréfléchies et les mesures non canoniques n’ont pas seulement permis de surmonter le schisme en Ukraine, mais l’ont encore approfondi, pour finalement provoquer le schisme entre les Églises orthodoxes locales, et aussi au sein de certaines d’entre elles). Mais l’ennemi ne dort jamais… Après environ une année de silence de l’éminent archevêque et de la hiérarchie de son Église locale, entre en scène M. Brownback, ambassadeur des États-Unis, qui surveille la situation des libertés religieuses non seulement sur le territoire de son pays, mais sur tous les autres méridiens. Après quelques sept ou huit de ses visites à l’archevêque et de ses discussions avec lui, je suppose au sujet de questions théologiques, particulièrement la problématique du domaine du droit canon, nous avons un renversement copernicien dans la position de l’archevêque et de son synode. Le résultat ? La reconnaissance instantanée de la structure schismatique en Ukraine en tant que véritable Église, sans prendre en compte les considérations contraires des éminents canonistes et théologiens de l’Église concernée ! Des scènes semblables se sont déroulées lors des rencontres des fonctionnaires américains avec les primats et les hauts représentants de certaines autres Églises orthodoxes. Les fonctionnaires en question, au demeurant, ouvertement et publiquement, au nom de leur État véritablement grand et puissant, se mêlent des affaires religieuses et des problèmes canoniques des Églises orthodoxes locales, bien qu’une telle activité ne soit pas conforme à l’esprit et à la lettre de la constitution démocratique de leur propre pays. Par ces paroles, je ne souhaite pas insinuer quoi que ce soit, ni tirer des conclusions infondées, ni traiter avec indulgence les représentants de l’Église qui, selon moi, considèrent de façon insuffisamment responsable tous les dangers et les épreuves concernant l’unité de l’Église. Je ne fais que transmettre ce que je lis, vois et entends. Je souhaite servir la vérité autant que je le peux, sans colère ni partialité. Quant au statut de notre Archevêché autonome d’Ohrid et de notre diocèse métropolitain du Monténégro et du Littoral, je crois qu’il demeurera tel qu’il est et comme il est défini dans le tomos constantinopolitain de 1922, ce qui est scellé par un consensus panorthodoxe. Le prix de l’unité de notre Église locale est élevé, très élevé. Nous ne saurions oublier la souffrance et la patience digne de Job de l’archevêque d’Ohrid Jean pour l’unité de l’Église, ni la lutte et la même patience du métropolite Amphiloque récemment décédé, pour l’Église orthodoxe serbe et sa liberté.

– Depuis longtemps, vous vous êtes déterminé clairement : Nous ne sommes pas pour Moscou, mais pour l’observance de l’ordre canonique séculaire et nous ne sommes pas contre Constantinople, mais contre toute initiative qui provoquerait à coup sûr des bouleversements et des divisions encore plus graves que ceux que nous avons déjà. Actuellement, dans une partie du public, on souligne souvent votre « proximité et vos relations particulièrement bonnes avec l’Église russe ». Comment commentez-vous cela ?

– Je pense que tout commentaire serait superflu mais, puisque vous me le demandez directement, je répondrai directement. Je ressens une véritable et pleine proximité ainsi qu’une intimité mutuelle avec toutes les Églises orthodoxes. Il me semble que la possibilité même d’une plus grande « proximité » avec une Église et une moins grande « proximité » avec une autre, qui partage la même foi, révèle le fait que les gens qui pensent et ressentent les choses de cette façon, saisissent fort faiblement la vérité de l’unité et de la conciliarité de l’Église.

– Abordons le moment où sera élu le nouveau patriarche serbe. On en débat sur la place publique, il y a beaucoup d’hypothèses, parfois de spéculations mal intentionnées sur le nom des évêques qui sont « les candidats les plus probables ». Souvent, votre nom est mentionné. Attendez-vous que, dans cet événement important pour l’Église et les fidèles, mais aussi pour notre pays en général, tout se passe sans secousses et pressions, selon les principes canoniques et la pratique ecclésiale établie ?

– Toute spéculation autour de l’élection du successeur au trône de saint Sava est l’expression ou bien d’un bas niveau et de courtes vues, ou bien d’une attitude mal intentionnée envers notre Église et notre peuple. Le fait de tout monter en spectacle ainsi que la « téléréalité » dans notre vie n’ont pas non plus épargné notre Église. Certaines personnes appartenant aux cercles ecclésiastiques, ou plutôt para-ecclésiastiques, ont contribué à un tel phénomène. Par ailleurs, dans la mer du journalisme du mensonge et de la propagande, on peut trouver des amalgames dans lesquels on reconnaît différents intérêts des structures politiques et idéologiques, non pas seulement de ce pays. L’Église serbe, déjà depuis saint Sava, en se confiant pleinement dans le Seigneur Dieu, a surmonté de telles épreuves, pressions et tentatives d’influencer sa mission. Il en est de même maintenant. Les pressions que vous mentionnez n’influenceront pas, j’en suis certain, nos hiérarques qui eux seuls décident. Dans la prière au Seigneur et à saint Sava, comme cela a été le cas jusqu’à maintenant, en conformité avec les saints canons, les statuts de l’Église orthodoxe serbe et les décisions de la sainte assemblée des évêques, nous élirons notre prochain primat. Nos évêques sont prêts « à toute bonne œuvre dans le Christ Jésus », de telle façon que la sainte assemblée des évêques, comme jusqu’à maintenant, reconnaîtra les personnalités qui pourraient mener l’Église à l’avenir, conciliairement, c’est-à-dire à la fois personnellement et conciliairement. Pour ce qui concerne les spéculations sur le « candidat le plus évident », ou « les candidats les plus évidents », je ne me perdrai pas en paroles et commentaires insensés. L’Esprit Saint, qui guide l’assemblée des évêques, nous donnera infailliblement un nouveau patriarche. Ces choses sont claires et toutes réflexions et conjectures à ce sujet ne servent à rien.

– Hormis les questions ouvertes susmentionnées et les problèmes sérieux dans l’orthodoxie, quels seraient, selon vous, les défis et les épreuves auxquels fera face le futur patriarche serbe ? 

– Il n’est pas facile de répondre à cette question. Nous avons déjà abordé les problèmes dans l’orthodoxie mondiale et nous les avons quelque peu éclaircis dans le cadre de l’interview. Sur le plan interne, outre la coopération avec la Serbie en tant qu’État, pour ce qui concerne la préservation, dans le cadre de la Serbie, de la Vieille Serbie (Kosovo et Métochie) et des grands sanctuaires qui s’y trouvent, le principal sera, à tout le moins c’est ce qu’il me semble, de prendre soin de la vie spirituelle et des valeurs spirituelles de nos diocèses dans « la région » – peu importe ce que cela signifie – et dans la diaspora, dans le monde entier, mais aussi dans notre Église dans son ensemble.

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