samedi 30 mai 2020

Denis Akhalashvili: Couché sur un lit d’hôpital

Photo: financialtribune.comPhoto: financialtribune.com

L’homme moderne ne peut être malade. Un homme devrait sourire partout de ses 32 dents, montrant que tout va bien pour lui, et ira même de mieux en mieux. Sinon, vous pourriez être traité de malheureux, et il n’est pas possible d’être malheureux dans notre société. Dans la société moderne, le culte de l’homme bien portant, couronné de succès, est plus fort qu’il ne l’était chez les Spartiates. Ouvrez n’importe quel magazine et voyez combien tout le monde a réussi, est beau, et en bonne santé.  Mais, malgré les progrès de la médecine moderne, il y a chaque jour de plus en plus de maladies. Et quand elles vous touchent, vous vous retrouvez comme un être souffrant, comme quelqu’un qui serait tombé d’un avion.

Lorsque j’atterris à l’hôpital, pour quasiment deux semaines, j’eus le temps d’y réfléchir. Tout d’abord, tous mes projets semblaient avoir été sérieusement réécrits par quelqu’un, et ce « quelqu’un » l’avait fait sans s’être préoccupé le moins du monde de mon opinion. Au début, j’avais essayé de m’y opposer – j’avais pris des poignées de pilules et des piqûres, et affichais une apparence courageuse, mais cela empira et je fus emmené à l’hôpital en ambulance tous gyrophares allumés.

Tout à coup, il me sembla que ma vie ne m’appartenait pas – et de plus, que même mon propre corps avait cessé de m’obéir. Robuste, et tout à fait fonctionnel jusque là, il était devenu léthargique et faible. Et toutes les choses habituelles, qui semblaient faire partie de moi, se révélèrent ne plus m'appartenir du tout : personnes chères et aimées, livres, programmes, pensées, idées – tout demeurait quelque part à l’extérieur, et moi, impuissant et faible, j’étais là dans une chambre au plafond blanc qui sentait les médicaments.

Tout à coup, vous commencez à penser qu’en fait rien au monde ne vous appartient. Parce que peut arriver le moment où vous êtes parti et tout est laissé pour les autres. Tout d’abord, cela vous effraie, mais ensuite vous commencez à prier. Et cette prière diffère beaucoup de vos habituelles paroles de prière distraites. Vous ne prononcez pas simplement les mots de la prière, vous pleurez et vous criez, parce tout cela vous arrive pour de bon. Et vous devez en faire quelque chose.

Et, à un certain moment, Quelqu’un de mystérieux touche votre cœur, et le calme s’installe. Dans ce calme, les larmes de repentance coulent à flot et, grâce à cela, votre cœur desséché revient à la vie et, de manière inattendue, vous ressentez la même sorte de paix dans votre âme et le même repos que vous éprouviez dans les bras de votre mère quand vous étiez enfant. Vous cessez de vous inquiéter et de vous agiter, et vous faites confiance aux mains de ce mystérieux Médecin Qui tient votre cœur tourmenté dans Ses mains, et, simplement, vous vous réjouissez tranquillement.

Les saints, à la différence de nous-mêmes, ne se plaignaient pas, et accueillaient les maladies comme des hôtes chers. Car, en se remettant dans les mains de Dieu, avec tous leurs peines et leurs infirmités, ils dévoilaient ainsi la grande miséricorde de Dieu pour l’homme. Le dernier staretz d’Optino, saint Nicon [Belayev], depuis la prison où il avait été jeté parce qu'il était moine, écrivit ceci :

« Je suis arrivé à la conclusion que les peines ne sont rien d’autre que la réaction émotionnelle de notre cœur lorsque survient quelque chose de contraire à nos propres désirs, à notre propre volonté. Pour que vous ne soyez pas tourmentés gravement par les soucis, vous devez renoncer à votre propre volonté et vous humilier devant Dieu en toutes choses. Dieu désire notre salut et le conçoit d’une manière incompréhensible pour nous. Remettez-vous en à la volonté de Dieu et vous trouverez la paix pour votre âme et votre cœur inquiets. »

Les saints acceptaient la maladie comme une visitation de Dieu et, de manière incompréhensible, l’infirmité devenait une source de force spirituelle vivifiante qui transformait leurs âmes. Par les maladies, ils devinrent participants des souffrances du Christ et s’élevèrent jusqu’à des hauteurs spirituelles inconnues. Ils acceptaient humblement les maladies pour leurs péchés et devinrent saints par l’humilité et la Grâce du Sauveur.

A l’hôpital, je découvris ce que sont des amis orthodoxes et la prière commune – qui me remit littéralement sur pieds. Quand mes bras commencèrent à souffrir à cause des interminables perfusions et mon cœur à se sentir comme si quelqu’un avait placé sur lui une pierre tombale glacée, je me rappelai tous mes amis orthodoxes, parmi lesquels il y a de nombreux prêtres et moines, et me mis à implorer leur aide en prière. Et sur ma page Facebook j’écrivis juste : « Je demande vos prières ! Je suis couché à l’hôpital dans un état grave. »

Le troisième jour, je me réveillai tôt le matin, en pleine forme, avec un désir de prier depuis longtemps oublié. Non pas parce que « je devais », mais parce que je ne pouvais m’en empêcher. C’était une sorte de faim révérencieuse et sauvage, exactement comme celle d’un prisonnier qui vient d'être libéré après une longue incarcération !

Le lendemain était le Dimanche des Rameaux. J’attendis impatiemment le matin pour rapidement commencer ma règle de prière et, d’une façon générale, pour prier de toute mon âme la Très Sainte Mère de Dieu et tous mes saints favoris. Je la priai à haute voix – qu’y a-t-il d’embarrassant à cela, si vous êtes alité seul dans la chambre ?! Tout à coup, on frappa à la porte : c’était André, de la chambre voisine, qui malgré l’heure matinale ne dormait pas non plus. De manière inattendue, il me prit dans ses bras, m’embrassa trois fois, et dit alors tranquillement en me regardant dans les yeux : « Bonne fête des Rameaux, frère ! Le Christ est parmi nous ! J’en ai assez de t’entendre prier à travers le mur. Aujourd’hui est un jour de fête – prions ensemble ! »

Et je priais derrière des portes fermées, me cachant comme un maquisard dans la forêt ! Et il s’avère que cet homme va à l’église, fait communier son fils les dimanches, et prend sa voiture à quatre heures du matin pour faire la queue et se confesser auprès d’un prêtre bien connu. Cela m’émut aux larmes. « Voilà, pensai-je, Dieu m’a envoyé un frère. » Et Andréet moi avons commencé à réciter les prières ensemble. Nous lûmes, nous nous signâmes, et fîmes des métanies – ce fut un vrai plaisir !

Et quand vint le moment de ma perfusion, avant mon traitement, l’infirmière, Lyuba, - je ne sais pourquoi – commença à me parler des divins commandements et du fait qu’on ne peut pas se considérer comme un vrai chrétien si on ne les accomplit pas. Parce qu’ « alors tous nos discours concernant notre amour du Christ sont des mensonges et un blasphème éhonté – juste une sorte d’horreur ! » « Vous me comprenez ? » me demanda cette merveilleuse Lyuba, en me regardant droit dans les yeux. Je hochai la tête en signe d’approbation, et priai en silence : « Gloire à Toi, ô Dieu, gloire à Toi ! », sans pouvoir m’arrêter.


Version française hypodiacre Pierre 
d'après

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