mardi 11 février 2020

MATTHEW NAMEE : Déclarations de loyauté du patriarche Athénagoras envers l'Amérique

Patriarche  Athénagoras

Grâce à mon collègue Aram Sarkisian, je suis récemment entré en possession du premier lot d'une série de documents du Département d'État américain relatifs à l'Église orthodoxe - et en particulier au Patriarcat œcuménique - au début des années 1950. Il me faudra des mois - voire des années - pour passer au crible tous ces documents et partager mes découvertes. Cet article représente un petit pas en avant.

Le patriarche œcuménique Athénagoras est l'une des figures les plus importantes de l'histoire orthodoxe moderne. Après 17 ans à la tête de l'archidiocèse grec d'Amérique du Nord et du Sud, il fut élu patriarche œcuménique en 1948, au moment où la guerre froide commençait. Lorsque nous parlons d'Athénagoras et du gouvernement américain, le contexte est d'une importance vitale, car si certaines déclarations d'Athénagoras sont alarmantes quel que soit le contexte, nous ne pouvons pas oublier que nous sommes au début de la guerre froide. De nombreuses personnes - y compris le patriarche - ont considéré qu'il s'agissait d'une guerre entre le Bien et le Mal. Et les États-Unis étaient, aux yeux du patriarche Athénagoras et de millions et de millions d'autres personnes, l'agent évident de tout ce qui était bon, contre la menace existentielle du communisme soviétique.

Pendant son séjour aux États-Unis en tant qu'archevêque, Athénagoras a fait la connaissance des deux présidents Roosevelt et Truman, et comme je l'ai expliqué dans un article précédent, il était désireux d'aider les responsables des services de renseignement américains pendant la Seconde Guerre mondiale (par exemple, en 1942, il a dit à un agent de l'OSS : "Tous ceux qui sont sous mes ordres sont sous les vôtres. Vous pouvez les commander pour tout service dont vous avez besoin. Aucune question ne sera posée et vos instructions seront exécutées fidèlement").

Après l'élection d'Athénagoras comme patriarche, dans une manifestation de soutien très publique, le Président Truman a fait venir le Patriarche élu à Istanbul dans l'avion présidentiel (ce qui serait aujourd'hui connu sous le nom d'Air Force One). Staline considérant désormais le Patriarcat de Moscou comme un outil à des fins géopolitiques soviétiques, l'Amérique avait son propre patriarche orthodoxe à Constantinople. L'Orthodoxie est devenue le sujet (ou, pourrait-on dire, la victime) d'une des nombreuses guerres par procuration entre les États-Unis et les Soviétiques à cette époque.

Rien de tout cela n'est nouveau. Ce qui est nouveau, c'est que nous disposons désormais de documents déclassifiés du Département d'État attestant de la nature précise des relations entre les États-Unis et le patriarche Athénagoras. Ces documents présentent Athénagoras comme étant disposé et désireux de collaborer avec le gouvernement américain. Loin d'être une marionnette, il semble s'être considéré comme un partenaire clé dans la guerre de l'Amérique contre le communisme.

Dans ce premier article, je vais partager une partie de la documentation sur les relations entre Athénagoras et le Département d'État. À l'avenir, il y a beaucoup de pistes à suivre et d'histoires à explorer, mais nous commencerons ici, avec la compréhension de base de l'arrangement, tel que présenté par le Département d'État dans ses propres documents de 1950-51.

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8 février 1950 Mémorandum du vice-consul James Gustin au consul général à Istanbul concernant une conversation entre le patriarche, le consul Merrill, et moi-même le 1er février 1950 (source)

... Athénagoras semblait très heureux de rencontrer M. Merrill, et a dit que je pouvais transmettre le message à l'Amérique que lui, le patriarche, travaillait sans relâche à la cause de l'Amérique. Il a déclaré que les États-Unis étaient l'espoir du monde et qu'il serait toujours très fier de l'occasion qu'il avait eue de connaître personnellement le président Roosevelt depuis sa nomination au poste de gouverneur de l'État de New York jusqu'à sa mort, puis de connaître personnellement le président Truman. Il a également exprimé sa reconnaissance pour l'étroite coopération qu'il a reçue dans le passé de la part du Département d'État. Il a également mentionné la grande courtoisie qui lui avait été témoignée à Ottawa lorsqu'il s'y était rendu pour renoncer à sa citoyenneté américaine, et combien la gentillesse personnelle de l'ambassadeur l'avait touché.

[Note : Athénagoras a dû renoncer à sa citoyenneté américaine pour devenir un citoyen turc lors de son élection en tant que patriarche œcuménique. Il l'a fait parce que les États-Unis n'autorisaient pas, à l'époque, la double citoyenneté, et que le Patriarche œcuménique devait être citoyen de la République de Turquie].

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26 mai 1950 Mémorandum sur la conversation entre le patriarche et le Consul général LeVerne Baldwin le 1er février 1950 (source)

... Il [Athénagoras] a souligné son américanisme, sa foi dans la politique de bon voisinage, dans les méthodes démocratiques, et dans le courage et la franchise de l'Amérique, qu'il s'est efforcé de mettre en œuvre dans sa politique en tant que patriarche. Il a demandé si le gouvernement américain estimait qu'il était sur la bonne voie dans son approche du gouvernement turc et dans la manière dont il traitait son patriarcat...



... Le patriarche Athénagoras a déclaré qu'il serait heureux de tenir le consul général Lewis informé, par les voies actuelles, des communications qu'il pourrait recevoir et qui, selon lui, pourraient nous intéresser ; je l'avais remercié pour ses actions passées à cet égard.

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22 septembre 1950 Mémorandum du Consul général Frederick Merrill sur un entretien avec le patriarche œcuménique (source)

... Athénagoras a également parlé longuement de la situation de l'Église orthodoxe au Moyen-Orient. Le point faible de tous, a-t-il dit, est Alexandrie et la seule solution qui reste est d’en faire expulser le patriarche. Bien que Chrystophe soit un vieil homme, il est encore vigoureux et extrêmement dangereux, dans la mesure où il est certainement influencé par des agents communistes et qu'il prévoit un voyage aux États-Unis, via le Canada, où (Canada) il est en contact avec un agent communiste. Il insista à nouveau pour que les gouvernements grec et américain interviennent directement auprès de lui, Athénagoras, afin de lui donner l'excuse nécessaire pour corriger la situation à Alexandrie. Athénagoras saisit toutes les occasions pour parler de ce problème particulier - qui semble l'inquiéter grandement.

[À l'avenir, j'écrirai davantage sur toute cette affaire d'Alexandrie et sur les tentatives d'Athénagoras de faire expulser le patriarche avec l'aide des États-Unis et de la Grèce].

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Mémorandum du 4 avril 1951 de F.T. Merrill au Consul général concernant un entretien avec Sa Sainteté le patriarche œcuménique, Athénagoras (source)

... Athénagoras semblait beaucoup plus optimiste quant à ses divers projets visant à rapprocher les églises orthodoxes du Proche-Orient du Phanar à Istanbul, et de l'"Amérique", comme il l'a ajouté. Comme d'habitude, il a longuement parlé de sa conviction que les États-Unis doivent rester au Proche-Orient pendant plusieurs siècles pour remplir la mission qui leura été donnée par Dieu de donner la liberté, la prospérité et le bonheur à tous les peuples, etc...

... Un autre plan, qu'il a dit avoir retourné dans son esprit, était de placer le Mont Athos sous la "bénédiction culturelle" de l'Institut byzantin de Washington. Il ne semblait pas savoir comment il s'y prendrait. Son désir est évidemment d'attirer un soutien financier au monastère et d'ouvrir ses archives, sa bibliothèque, etc. à l'Institut byzantin et à d'autres chercheurs américains.

[Je souligne, car, bien que j'essaie de présenter tout ce matériel de la manière la plus impartiale possible, la déclaration d'Athénagoras sur les États-Unis au Proche-Orient est assez remarquable et semble rester significative jusqu'à aujourd'hui].

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C'est tout ce que j'ai aujourd'hui, mais il y a beaucoup plus d’autres choses à venir.

Version française Claude Lopez-Ginisty
d’après

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