lundi 10 février 2020

Jean-Claude LARCHET/ Recension: Seÿna Bacot, « Saint Ménas, soldat et martyr. Sa vie, ses miracles, son sanctuaire »



Seÿna Bacot, « Saint Ménas, soldat et martyr. Sa vie, ses miracles, son sanctuaire », Éditions Lis & Parle, Bagnolet, 2020, 112 p. + 1 cahier d’illustrations de 8 p.


Saint Ménas est un saint très vénéré dans l’Église orthodoxe, et aussi un saint majeur de l’Église copte. Soldat et martyr, de nombreux miracles se produisirent auprès de ses reliques peu de temps après sa mort, dans le siècles qui suivirent. Aujourd’hui, il est surtout invoqué pour les oublis et les pertes de mémoire, où son action se révèle d’une très grande efficacité, comme le soulignait encore récemment le regretté père Placide Deseille.


On trouvera un résumé de sa Vie dans le Synaxaire du Père Macaire de Simonos Petra en date du 11 novembre, jour de sa commémoration dans l’Église orthodoxe.


Issu d’une famille originaire de l’ancienne Nicopolis, ville du Delta du Nil, Ménas serait né vers 275 en Phrygie où son père était préfet. Enrôlé dans l’armée romaine sous l’empereur Dioclétien, il fut nommé rapidement chef de la cohorte des Rutiliaques, de la ville de Koutayia. Lorsque Dioclétien édicte de nouvelles règles de persécution des chrétiens, Ménas fit don aux pauvres des biens qu’il avait hérités de ses parents et se retira dans le désert pour y mener une vie d’ermite.


Après cinq années de solitude, il quitta en 296 sa retraite et se rendit à Cothyée, en Phrygie, un jour de grande fête où le peuple était rassemblé dans l’amphithéâtre. Il s’avança dans l’arène pour proclamer publiquement sa foi chrétienne. Le préfet fit amener cet inconnu, lui fit subir un long interrogatoire et après l’avoir torturé, le fit décapiter.


Conformément au souhait du martyr d’être enterré dans son pays, sa dépouille fut chargée sur le dos d’un chameau pour être transportée en Égypte. Près du lac Maréotis (Mariout), à environ 70 km au sud-ouest d’Alexandrie, l’animal s’arrêta et refusa obstinément d’aller plus loin. Les caravaniers y virent un signe du ciel: c’est là que le corps de Ménas fut enseveli.


Quelque temps plus tard, un berger constata que l’un de ses moutons, malade de la gale, avait été guéri après avoir traversé le lieu. Il prit de la terre de cet endroit, y mêla de l’eau et en enduisit tous les agneaux galeux ou atteints d’une autre maladie. Ils guérirent tous ! La nouvelle s’étant répandue dans l’ensemble du pays, la fille de l’empereur byzantin, gravement malade, fit le déplacement jusqu’au lieu de la sépulture miraculeuse et fut elle aussi guérie.


C’est alors que fut bâtie la première église (la “chapelle du tombeau”), dédiée à celui qui fut désormais considéré comme saint Ménas.


Un four de potier fut également construit près de la basilique pour la fabrication de petites fioles en terre cuite servant au transport de l’eau de la source voisine, aux vertus curatives. Elles furent marquées à l’effigie du saint: ”La représentation de Ménas est invariable, précise le site internet du Musée du Louvre sur sa page consacrée aux ampoules à eulogie dont il conserve quelques exemplaires: debout, vêtu de la tunique courte à manches longues maintenue à la taille par un ceinturon, les épaules couvertes de la cape militaire et les pieds chaussés de brodequins lacés. Face au spectateur, il lève les bras en signe de prière, flanqué de deux chameaux agenouillés, dans la symétrie la plus stricte. (…) La fabrication, presque industrielle, des ampoules de saint Ménas marcha bon train aux IVe et Ve siècles : les pèlerins venus des quatre coins de l’Empire achetèrent et disséminèrent cette production.”


Autour du sanctuaire et de la source, des maisons, des thermes et des cimetières furent ensuite implantés, permettant l’installation d’une population locale et le déroulement d’un pèlerinage qui connut son apogée du Ve au VIIe siècle, mais se prolongea jusqu’au XIe siècle au moins. Pour diverses raisons, le sanctuaire déclina, et au XIVe siècle les reliques du saint furent transportées dans un quartier du Vieux-Cire où fut construite une église qui lui fut dédiée. De nos jours cependant, un monastère perpétue la vénération du saint près des ruines de l’ancien sanctuaire.


Ce livre de Seÿna Bacot – diplômée de l’École des Langues et Civilisations du monde Ancien [ELCOA] en égyptien, copte et grec biblique, dont les recherches portent principalement sur des textes documentaires et des textes littéraires coptes – propose d’abord une courte étude qui introduit le lecteur à la vie de saint Ménas, à l’histoire du sanctuaire et du pèlerinage dont il fut l’objet, et à la diffusion des « ampoules à eulogie » fabriquées à l’effigie du saint.


On est un peu déçu par le manque de détails sur la vie du saint, mais ce livre a pour objet principal de présenter douze de ces miracles que les pèlerins racontaient à leur retour et qui nous ont été transmis dans deux manuscrits à l’écriture et à l’ornementation particulièrement soignées. Ils ont été rédigés en langue copte, et six d’entre eux sont traduits ici pour la première fois en français. Ces courts récits décrivent avec précision le quotidien des pèlerins dans un environnement historique et géographique bien défini. La langue et le style de ces textes pleins de vie, mélanges de spontanéité et de sérieux, traduisent fort bien la dévotion simple mais profonde des pèlerins de ce saint lieu.


Deux miracles plus récents, qui ne figurent pas dans ce livre (où sont seulement traités des manuscrits anciens) méritent d’être signalés :


Pendant les troubles qui suivirent la révolution grecque et les sanglantes répressions déclenchées par les Turcs (1826), certains Turcs d’Héraklion en Crète décidèrent de massacrer les chrétiens qui s’étaient rassemblés dans la cathédrale dédiée à saint Ménas pour célébrer la fête de Pâques. Alors qu’ils s’apprêtaient à entrer dans l’église, saint Ménas leur apparut sous l’aspect d’un cavalier redoutable brandissant une épée. Il sema la panique parmi les Turcs et délivra les chrétiens. En signe de reconnaissance, les fidèles d’Héraklion célèbrent chaque année ce miracle le mardi de Pâques.


Plus récemment, pendant les combats qui eurent lieu en Afrique du Nord (1942), les troupes nazies commandées par le général Rommel, en route pour Alexandrie, firent halte près d’un lieu nommé El-Alameïn (déformation arabe du nom de saint Ménas), où se trouvaient les ruines d’une ancienne église qui lui était dédiée. En face des milliers de soldats allemands puissamment armés, se trouvaient de faibles forces alliées, parmi lesquelles figuraient quelques Grecs. L’issue de l’affrontement qui se préparait semblait certaine. Or, la nuit venue, saint Ménas apparut au milieu du camp allemand à la tête d’une caravane de chameaux, exactement comme il était représenté sur une des fresques de l’église. Cette apparition jeta la stupeur, puis la panique parmi les Allemands, et atteignit si fort leur moral que les alliés remportèrent brillamment la victoire. En reconnaissance, on restaura l’église du saint et l’on fonda sur les lieux un petit monastère.


Jean-Claude Larchet

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