vendredi 10 mai 2019

Métropolite Hilarion: L’hydre à deux têtes du schisme ukrainien et l’Orthodoxie mondiale

Métropolite Hilarion


Un article du métropolite Hilarion de Volokolamsk, président du Département des relations ecclésiastiques extérieures du Patriarcat de Moscou, sur le portail orthodoxe « Iissous ». 

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Il y a eu quatre mois, le 6 mai, que le patriarche Bartholomée de Constantinople a signé le « tomos » d’autocéphalie de « l’église orthodoxe d’Ukraine ». Épiphane Doumenko y était nommé chef de la nouvelle structure, avec le titre de « métropolite de Kiev et de toute l’Ukraine ». Le patriarche Bartholomée l’avait annoncé dans une lettre aux primats de toutes les Églises orthodoxes locales, exigeant qu’ils reconnaissent dans cette structure l’Église orthodoxe canonique d’Ukraine, en lieu et place de l’Église orthodoxe ukrainienne dirigée par Sa Béatitude Onuphre, métropolite de Kiev et de toute l’Ukraine. 

Durant ces quatre mois, aucune Église orthodoxe locale n’a reconnu l’acte du patriarche Bartholomée, infraction criante aux canons. Plusieurs Églises ont officiellement désapprouvé cet acte, et annoncé qu’elles n’admettaient pas la légalisation des schismatiques, mais qu’elles soutenaient l’Église orthodoxe ukrainienne canonique, dirigée par le métropolite Onuphre. D’autres Églises se sont donné le temps d’étudier la situation. Mais aucune n’a soutenu l’iniquité qui venait d’être accomplie. Pourquoi ? 

Premièrement, comme chacun sait, l’Église orthodoxe ukrainienne rassemble la majorité des orthodoxes d’Ukraine. Elle se compose de près de 13 000 paroisses, de plus de 200 monastères et de millions de fidèles. C’est elle, et non le groupe des schismatiques aujourd’hui légitimé par le patriarche Bartholomée, qui est la seule et unique Église canonique d’Ukraine, ce qu’avait déclaré plus d’une fois le patriarche Bartholomée publiquement, notamment, pour la dernière fois, en janvier 2016 pendant la Synaxe des primats des Églises locales. 

En second lieu, c’est l’Église orthodoxe ukrainienne, dirigée par Sa Béatitude le métropolite Onuphre, qui est l’Église nationale de l’Ukraine. Ce n’est pas une « église russe », comme cherchait à le faire croire le président sortant, P. Porochenko. Ses membres sont des citoyens ukrainiens, qui sont nés et qui ont grandi dans ce pays, qui possèdent un passeport ukrainien et qui aiment leur patrie. Son centre administratif n’est pas à Moscou, mais à Kiev. Quoiqu’en dise Porochenko, dans l’Église ukrainienne, on ne prie pas pour les autorités russes, ni pour l’armée russe, mais pour le pouvoir ukrainien et pour l’armée ukrainienne. L’Église orthodoxe ukrainienne est auto-administrée, elle possède toutes les prérogatives lui permettant d’être vraiment l’Église nationale de ce pays. Elle est liée au Patriarcat de Moscou par des liens d’unité spirituelle et historique, remontant aux temps de la Rus’ de Kiev, mais elle ne dépend de Moscou ni administrativement, ni financièrement, ni en aucune autre façon. 

Troisièmement, tout le monde sait que le groupe schismatique légalisé par le patriarche Bartholomée est le résultat de la fusion de deux groupes, dont aucun n’avait de hiérarchie canonique au moment où il a été reconnu par Constantinople. L’un d’eux, le fameux « patriarcat de Kiev », est dirigée par un homme dont l’excommunication a été confirmée par toutes les Églises locales, dont celle de Constantinople. L’autre groupe remonte à un évêque de l’Église russe réduit à l’état laïc, et à un individu qui n’a jamais été ordonné ni évêque, ni prêtre. Le peuple les appelle « les auto-ordonnés ». La reconnaissance de cette fausse hiérarchie s’est effectuée sans étude de son origine, ni même sans ré-ordination, par la seule volonté arbitraire du patriarche Bartholomée. 

Quatrièmement, même après la réception du « tomos », la communauté schismatique continue à agir dans le chaos canonique le plus complet, à piétiner les canons. L’association dénommée « église orthodoxe d’Ukraine » a deux chefs qui portent à peu près le même titre. L’un se nomme « métropolite de Kiev et de toute l’Ukraine », l’autre se donne le titre de « patriarche de Kiev et de toute la Rus’ d’Ukraine ». Le premier sert à un usage externe, le second à un usage interne. C’est le second, et non le premier, qui dirige la « métropole de Kiev ». « L’EOd’U est officiellement reconnue par le patriarche œcuménique – a-t-il récemment déclaré. Mais il existe un patriarcat de Kiev, en Ukraine. C’est pourquoi nous ne sommes pas satisfaits du statut de métropolite. Cela fait 25 ans que nous fonctionnons comme Patriarcat. Le peuple a élu ses patriarches. Je suis le troisième. Avant moi, il y a eu le patriarche Vladimir et le patriarche Mstislav. Il y a eu des patriarches ! C’est pourquoi, pour l’Ukraine, nous sommes un patriarcat. Pour le monde extérieur, c’est-à-dire pour le monde orthodoxe, nous sommes la métropole de Kiev. » Les Églises orthodoxes locales peuvent-elle vraiment reconnaître cette hydre à deux têtes ? 

Cinquièmement, le schisme a démontré sa complète faillite spirituelle et canonique. Les positions du « tomos » sont soumises à des interprétations équivoques, et ne sont pas appliquées. Ainsi, le « tomos » prévoit que « l’église orthodoxe d’Ukraine » n’aura pas de paroisses hors de l’Ukraine. Cependant, du point de vue du faux-patriarche Philarète Denissenko, ces paroisses peuvent ne pas quitter le prétendu « patriarcat de Kiev » : « Nous ne pouvons pas les forcer, et, en même temps nous ne pouvons pas les rejeter. Puisqu’elles ne veulent pas nous quitter, nous les considérons comme nôtres. » L’hydre à deux têtes ne peut pas ne pas avoir de comptes doubles. Pour le consommateur intérieur, il y a toujours le « patriarcat de Kiev », avec son réseau de « paroisses étrangères », tandis que pour l’observateur extérieur il n’y a que la « métropole de Kiev », qui n’en a pas. 

Sixièmement, avec le soutien des autorités, qui ont honteusement perdu les élections, une campagne d’usurpations des églises de l’Église orthodoxe ukrainienne a été organisée par les partisans du schisme, à laquelle il n’a toujours pas été mis fin. Ces usurpations se font par la violence : des gens masqués s’introduisent de force dans une église, frappent les fidèles, mettent le prêtre dehors, et se proclament propriétaires légitimes du bâtiment. Comment l’Orthodoxie mondiale doit-elle réagir à ces iniquités ? Comme elle l’a fait en la personne des patriarches Théodore d’Alexandrie, Jean d’Antioche et Théophile de Jérusalem, qui se sont réunis à Chypre autour de l’archevêque Chrysostome de Chypre pour « appeler tous les partis à coopérer pour, d’une part, revenir à l’unité eucharistique, qui est la plénitude de l’Église en Jésus Christ, et, d’autre part, pour protéger les fidèles, les églises et les monastères contre les attaques et les actes de violence, d’où qu’ils viennent et quels que soient les causes et les motifs qui les suscitent. » 

En prenant la décision sans précédent de légaliser le schisme ukrainien, le patriarche Bartholomée comptait que les hiérarques de l’Église canonique rejoindraient la nouvelle structure, et qu’elle serait reconnue par les Églises orthodoxes locales. Ni l’un, ni l’autre ne s’est produit, la « blitzkrieg » a échoué. Au lieu de résoudre le problème du schisme, le patriarche Bartholomée n’a fait que l’aggraver, soulevant une indignation justifiée contre ses actions dans l’ensemble de l’Orthodoxie. Si, auparavant, étant le « premier entre égaux » il pouvait jouer un rôle de coordination et de consolidation dans la famille des Églises orthodoxes locales, il s’est auto-liquidé comme centre de coordination en se décrétant « premier sans égaux ». 

Il est donc tout à fait naturel que les primats des Églises orthodoxes locales commencent à chercher de nouvelles formes d’interaction. La rencontre des quatre primats à Chypre est un premier signe. Dans le communiqué final, il est précisé : « Les trois primats ont approuvé l’initiative de médiation prise par Sa Béatitude Chysostome, archevêque de Chypre, et Sa Béatitude poursuivra son entreprise en vue de l’unité de l’Église orthodoxe en Christ. » 

Qu’est-ce que cela veut dire ? Qu’en l’absence d’un centre de coordination en la personne du « premier parmi les égaux », les Églises orthodoxes vont tenter de créer un autre centre d’interaction. Puisque le premier dans les dyptiques s’est mis à l’écart, le second, le troisième, le quatrième ou le dixième peut coordonner des efforts panorthodoxes pour surmonter les schismes et les discordes, celui auquel les Églises orthodoxes locales confieront cette mission parce qu’il aura la sagesse et l’humilité nécessaires, sans prétendre à la primauté, ni à la souveraineté. 

Lorsqu’au Ve siècle le patriarche Nestor de Constantinople devint hérétique, le patriarche Cyrille III d’Alexandrie, au IIIe Concile œcuménique, joua un rôle décisif pour la condamnation de cette hérésie. Lorsqu’au XIVe siècle le patriarche de Constantinople soutint l’union avec Rome, les autres patriarches orientaux ne le reconnurent pas. Alors que le patriarche Bartholomée a pris le parti du schisme, l’Orthodoxie mondiale n’en est pas pour autant décapitée. Le patriarche de Constantinople n’a jamais été le chef de l’Église universelle. C’est le Seigneur Jésus Christ qui l’a toujours été et qui le restera. Dans la tradition catholique, le pape de Rome est considéré comme le vicaire du Christ, Son représentant sur terre, mais cela ne fait pas partie de la tradition orthodoxe. 

« L’homme étant soumis à la mort, il ne peut y avoir de chef permanent dans l’Église, et notre Seigneur Jésus Christ Lui-même, comme Chef, tenant le gouvernail de l’Église, la dirige par les Saints Pères. » Quatre patriarches orientaux, ceux de Constantinople, d’Alexandrie, d’Antioche et de Jérusalem, ont apposé leur signature sous ce texte, en 1723. En 1895, répondant à l’appel du pape Léon XIII, le Synode de l’Église constantinopolitaine a déclaré : « Nous appuyant sur les Pères et sur les Conciles œcuméniques, nous témoignons que l’évêque de Rome n’a jamais été considéré comme le dirigeant suprême, ni comme le chef infaillible de l’Église, et que tout évêque est le chef et le primat de son église locale, subordonné uniquement aux décrets conciliaires et aux décisions de l’Église catholique, comme étant seuls infaillibles. L’histoire ecclésiastique montre que l’évêque de Rome ne faisait nullement exception à cette règle. Le seul et éternel principe d’autorité et l’unique Chef de l’Église est notre Seigneur Jésus Christ. » 

L’actuel patriarche de Constantinople a renié la doctrine commune, exprimée sans équivoque dans ces textes, en se prenant pour l’unique chef infaillible de l’Église orthodoxe, pouvant traiter les plaintes de n’importe laquelle des Églises locales, intervenir dans leurs affaires, juger à sa convenance, selon son bon vouloir. Mais la triste expérience de son interventionisme volontariste dans les affaires ukrainiennes a montré que, tout en respectant les institutions existantes découlant de la primauté d’honneur selon les dyptiques, le plérôme de l’Orthodoxie rejette les abus de pouvoir du patriarche de Constantinople, comme il avait, dans le passé, empêché les hiérarques de s’approprier des prérogatives qui ne leur appartenaient pas. 

Le schisme reste un schisme, et les épreuves ne font qu’affermir l’Orthodoxie. L’exemple de l’Église orthodoxe ukrainienne, qui suit aujourd’hui la voie des confesseurs de la foi, répondant patiemment et courageusement aux défis externes et internes, l’a montré. Dans sa vaillante défense de la vérité, elle est puissamment soutenue par les Églises orthodoxes locales, dont le soutien et la solidarité aideront finalement à mettre fin au schisme ukrainien.

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