jeudi 2 août 2018

Interview de la Grande Duchesse Elisabeth Féodorovna avant son martyre (3)

Mrs Rheta Childe Dorr 
*
Ste Elisabeth Féodorovna

Nous sommes retournés au couvent et j'ai été emmené dans un petit salon, qui est la retraite privée de l’higoumène. 

Elle n'est pas beaucoup plus grande qu'une chambre d'entrée, et elle donnait la même impression générale de bleu, de blanc et d'or que l'on voit dans tout le lieu. Il y avait beaucoup de livres reliés dans ce bleu lapis qui semble être la couleur préférée de la Grande Duchesse ; quelques photos, principalement de la Mère de Dieu et de l'Enfant ; quelques petites tables, dont une avec le livre de Stephen Graham, "La Maison de Marie et Marthe", tenu ouvert par un morceau de broderie négligemment tombé. 

Il y avait des chaises simples en saule anglais avec des coussins bleus et un petit bureau rempli de papiers. Partout, dans la fenêtre, sur les tables et le bureau, il y avait des bols et des vases de fleurs. Chaque pièce du lieu, en fait, était remplie de fleurs.

La porte s'est ouverte et la Grande Duchesse est arrivée avec un sourire radieux de bienvenue et une main blanche tendue. "Je suis si heureuse de constater que j'ai eu le temps de vous rencontrer aujourd'hui, Mme Dorr, dit-elle, d'une voix particulièrement douce.

"Votre Altesse parle anglais ?" me suis-je exclamée de surprise, et elle m'a répondu en me faisant signe de m'asseoir dans un fauteuil confortable : "Pourquoi pas ? Ma mère était anglaise!"

J'avais oublié pour le moment que la Grande Duchesse et sa jeune sœur, l'ancienne Impératrice de Russie, étaient filles de la princesse Alice d'Angleterre et petites-filles de la reine Victoria. La Russie semblait l'avoir oublié aussi et ne s'être souvenu que du fait que le père de ces femmes était le Grand-Duc de Hesse et du Rhin. 

La Grande Duchesse a ajouté, lorsque nous fûmes assises, que lorsqu'elle était enfant à la maison, ils parlaient toujours anglais à leur mère, et  allemand à leur père. "Je suis heureuse d'avoir l'occasion de parler anglais, car si l'on est entièrement russe, comme moi, et surtout si l'on est orthodoxe, on entend peu de choses, sauf en russe ou en français. Puis elle dit, avec un autre sourire radieux : "Dites-moi ce que vous pensez de mon couvent."

Je lui ai dit quil me semblait avoir fait un pas en arrière dans le treizième siècle lumineux et romantique.

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"C'est exactement ce que je voulais que mon couvent soit, répondit-elle, un de ces types médiévaux occupés et utiles. De tels couvents étaient des aides merveilleusement efficaces pour la civilisation au Moyen-âge, et je ne pense pas qu'on aurait dû les laisser disparaître. La Russie a besoin, certainement, du genre de couvent qui occupe l'espace entre l'austèrité, les ordres fermés et la vie du monde extérieur. 

Nous lisons les journaux ici, nous suivons les événements et nous recevons et consultons les personnes qui mènent une vie active. Nous sommes des Marie, mais nous sommes aussi des Marthe."

Version française Claude Lopez-Ginisty
d'après
Rheta Childe Dorr
Inside the Russian Revolution
(Chapter XV)
New York, 
The MacMillan Company
1918 

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