lundi 18 décembre 2017

Tatiana Vladimirovna Torstensen: Saint Sébastien de Karaganda (12)


10 avril. Nuit de Pâques. Le père Sébastien a voulu qu’on le conduise l’église, mais il n’a pas pu se lever. Aux garçons qui étaient venus le chercher, il a dit de retourner à l’église. Nous l’attendions tous avec un « désarroi spirituel ». Les matines pascales se déroulaient mais nous avions tous de la peine au cœur. Un moment, je quittai l’office pour courir chez le père Sébastien :
– Pourquoi avez-vous quitté l’office ? me demanda-t-il. Je ne suis pas encore mourant ! D’ailleurs, j’aurai encore le temps de vous donner le baiser Pascal. Que chantait-on quand vous êtes sortie ?
– On chantait : « Ayant contemplé la Résurrection du Christ. »
– Donc les matines n’étaient pas finies. Retournez à l’église, ne vous inquiétez pas.
J’obéis et je rassurai les fidèles.
Au début de la liturgie, j’ai couru à nouveau chez le père Sébastien. Il était paisible, même joyeux :
– Je veux aller l’église dit-il. Durant la semaine Sainte, j’ai chanté quotidiennement l’office de Pâques dans ma chambre. À présent, je veux l’entendre chanter à l’église. Mais il ajouta : donnez-moi mon mandyas et mon klobouk. Je désire au moins assister à la liturgie puisque je suis trop faible pour pouvoir célébrer.
– Cependant vous avez très bien lu les Évangiles le Jeudi Saint, de façon tout à fait claire et distincte. Du reste, beaucoup mieux que ne le fit le père Alexandre ou même le diacre Paul.
Le père Sébastien se réjouit : – Vraiment ? Et moi qui me faisais du souci pensant que je ne lisais pas assez fort ! Que Dieu vous sauve ! Et de nouveau, il répéta : – Je vous recommande à tous de vivre en paix et dans l’amour je n’exige rien d’autre de vous : la paix et l’amour sont indispensables pour le salut. Enfin il rappela : tout ici-bas n’a qu’un temps, tout est éphémère ; pourquoi s’en soucier ? Il faut penser à ce qui est éternel…
On l’habilla et on le conduisit à l’église. Selon son désir, on lui apporta un plateau avec des prosphores dont la plus grande partie fut coupée en quatre morceaux et distribuée à l’église. Le père Sébastien demanda qu’on remette une prosphore entière à certaines personnes qu’il désigna.
Il était très fatigué et s’allongea sur le lit. Puis il revêtit le mandyas, mais il n’eut pas la force nécessaire pour le klobouk : tant pis, je resterai ainsi.
Le père Sébastien s’assit avec difficulté et ferma les yeux. Son pouls changea de rythme. Nous avons pensé alors lui faire une piqûre ici même, dans l’église, mais nous avons décidé de ramener le père Sébastien dans sa chambre pour la lui faire.
Après la piqûre, s’est assoupi. La liturgie finie, nous avons mangé le repas de Pâques. La porte de la chambre du père Sébastien restait ouverte. De temps en temps, nous allions jeter un coup d’œil. Il dormait paisiblement, respirait de façon régulière.
À 13 heures, je me suis rendue auprès du père Sébastien
–Le Christ est ressuscité ! lui dis-je.
 – En vérité il est ressuscité. Prenez un œuf et asseyez-vous près de moi. Puis il ajouta :
 – Alors que j’étais couché, je me souvenais de la façon dont mouraient les startsy à Optino : Le père Joseph fut malade très longtemps. Pour sa part, le père Anatole ne fut jamais malade. Il mourut paisiblement. D’âme et humilité, il était, d’entre nous, le plus proche du père Nectaire.
Ces deux startsy moururent après la révolution et furent enterrés au cimetière d’Optino. Le père Théodose, qui avait la responsabilité du skite, mourut en 1920, avant les persécutions. Mais après la fin de la guerre civile en 1921, tout changea à Optino, il y eut beaucoup d’arrestations, de condamnations.
Le père Anatole fut arrêté le 28 juillet de cette année-là. On lui coupa les cheveux, on lui rasa la barbe. Il supportait tout avec patience. Mais il demanda à ses bourreaux de lui accorder un sursis pour se préparer, soit jusqu’au lendemain matin. Ce délai lui fut accordé. Et le père Anatole se mit à prier. Deux heures après, son serviteur de cellule, vint le trouver et lui dit : – père, préparons-nous.
 – Ne me dérange pas, lui répondit le starets. Qu’as-tu à t’inquiéter ? Je n’irai nulle part avec eux.
La même scène se répéta deux heures plus tard, mais la troisième fois où le serviteur de cellule vint de nouveau trouver son starets, il le trouva mort sur son lit, les bras croisés sur la poitrine. On habilla le starets Anatole. On alluma des cierges. On lut des psaumes et l’Évangile. Au petit matin, ces gens-là vinrent le chercher. Demandant si le starets était prêt, ils furent très impressionnés de le voir mort et partirent.
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Le père Sébastien, fatigué par cette longue évocation de souvenirs, ferma les yeux et s’assoupit.

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