samedi 20 août 2016

Arthur H. Hugues: Ankara s'en prendra-t-elle au patriarche Bartholomée?


Arthur H. Hugues a servi comme ambassadeur américain au Yémen en 1991-1994, après quoi il est devenu sous-ministre adjoint au Secrétaire d'Etat aux Affaires du Proche-Orient. Il a également été sous-secrétaire adjoint à la Défense pour le Proche-Orient et pour l'Asie du Sud et il a occupé de nombreux autres postes pour le service extérieur des Etats-Unis, y compris à titre de chef de mission adjoint à Tel-Aviv.

Au moins depuis l'époque de Mustafa Kémal, les chrétiens orthodoxes de Turquie ont subi des répressions de la part de l'Etat. Des milliers de chrétiens turcophones durent émigrer. En 1971, le séminaire théologique de Halki fut fermé. La diffusion de littérature orthodoxes et les activités missionnaires de toute nature sont interdites. Dans une tentative d'encourager le patriotisme et d'obtenir un soutien plus large de la partie conservatrice de la société, le gouvernement turc a essayé de construire des relations avec les nationalistes, dont les plus radicaux s'en sont même pris à plusieurs tentatives au patriarche Bartholomée! [le patriarche Bartholomée Ier de Constantinople est le 270e archevêque et l'archevêque actuel de Constantinople et le patriarche œcuménique, depuis Novembre 1991.]

Il n'est pas étonnant alors qu'une telle situation induise le Patriarcat à établir des liens étroits avec l'élite politique américaine. Des congrégations aux États-Unis et des dons des entrepreneurs américains d'origine grecque sont les principales sources de revenus pour le Patriarcat œcuménique. A son tour, Washington considère l'état de la minorité religieuse en Turquie comme une carte maîtresse dans le jeu diplomatique pour faire pression sur Ankara. De plus, étant primus inter pares [Premier parmi des égaux] parmi les chefs des autres Églises autocéphales, le patriarche œcuménique de Constantinople peut affecter l'ensemble du monde orthodoxe. Et, évidemment, le renseignement américain ne pouvait pas manquer une telle occasion .

Ainsi, l'un des membres du lobby américano-israélien au Patriarcat de Constantinople est le père Alexandre Karloutsos, le chargé des affaires publiques auprès de l'archevêque Dimitrios. Grâce à ses liens avec des responsables de haut niveau et à des milliardaires gréco-américains, il est essentiellement la seule personne qui contrôle le flux d'argent des États-Unis au Phanar, et cela lui donne de larges possibilités d'exercer une pression sur le Patriarcat œcuménique. 

D'autre part, Karloutsos a également de bonnes relations avec l'ancien directeur de la CIA George Tenet, et le prédicateur Fethullah Gülen coopérant avec les services de enseignements américains. Cela signifie que le montant du financement est directement lié à la façon dont s'acquittent avec succès les têtes du Patriarcat accomplissant les tâches qu'ils reçoivent de leurs superviseurs américains.

En outre, le patriarche Bartholomée a personnellement a rencontré Gülen, ou Hoca Efendi, comme il l'appelle, un assez grand nombre de fois. Ils se sont rencontrés par exemple,  le 6 Avril 1996 pour discuter des perspectives de dialogue interreligieux. C'était avant que Gülen ait fui aux États-Unis avec l'aide du diplomate Morton Abramovitz, les agents de la CIA Graham Fuller et George Fidas, et le Père mentionné ci-dessus Alexander Karloutsos.

Le patriarche de Constantinople a loué Gülen en 2012 quand il a pris part à une réunion de l'Association des Journalistes et Ecrivains (GYV) fondée par le prédicateur turc. 

Environ un mois avant l'événement, le Chicago Tribune a publié une interview avec Bartholomée dans laquelle il a hautement apprécié les efforts de Gülen pour développer le dialogue interreligieux et favoriser l'intimité entre les religions "pour le bénéfice de l'humanité." Puis, une semaine après la réunion de l'Association, le 13 mai 2012 dans une interview consacrée au prix que Bartholomée a reçu du Roosevelt Institute, le Patriarche a mentionné publiquement son amitié avec "Hoca Efendi" [Gülen]: "Nous l'aimons vraiment. Nous espérons qu'il reviendra bientôt." Tout un chacun devrait se demander la raison pour laquelle le patriarche de Constantinople a évoqué l'irrecevabilité des offices religieux musulmans à Hagia Sophia seulement le 11 Juillet. Un mois après qu'ils aient commencé - et seulement 4 jours avant la tentative de coup d'état?

Est-ce que le gouvernement turc à réalisé son échec après la récente tentative de coup d'Etat? Essaiera-t-il de gagner le patriarche orthodoxe à sa cause ou exercera-t-il une répression à son encontre? 

De toute évidence, il serait beaucoup plus facile pour Erdogan de couper le financement étranger de la minuscule communauté orthodoxe turque pour se débarrasser pour de bon de celui-ci. D'un autre côté, la coopération avec son propre patriarche orthodoxe pourrait donner à la Turquie de nouvelles possibilités pour améliorer sa réputation et étendre son influence dans le monde orthodoxe. Les autorités devraient-elles enfin reconnaître le statut œcuménique du Patriarcat de Constantinople?

Malheureusement, il serait extrêmement difficile de justifier une telle décision en ce moment. Au lieu de consolider les Eglises orthodoxes, le Concile tenu en Juin en Crète les a simplement aliénées. Nous avons vu le patriarche Bartholomée incapable d'unir le monde orthodoxe. En outre, il est apparu que son influence n'affecte même pas la moitié des chrétiens orthodoxes! Les raisons en sont son autoritarisme, son opiniâtreté et son hostilité envers l'Eglise orthodoxe russe.

Un tel fait diminue la valeur du Patriarcat pour ceux qui sont au pouvoir en Turquie. Et le patriarche Bartholomée ne semble pas avoir beaucoup de temps pour tenter de changer la situation.


Version française Claude LOPEZ-GINISTY
d'après
citant

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