samedi 13 avril 2013

LA STARITZA MISSAÏLA par sa petite fille (4)


Oh, combien de prosternations elle faisait! Je n'ai jamais vu des ampoules comme celles qu'il y avait sur les genoux de grand-mère! Elle priait quand elle était seule, debout, assise, en faisant quelque chose, elle priait en elle-même, tout en recevant les gens: avant d'offrir des conseils ou un avis, ramassant ses chapelets et levant les yeux vers l'icône de la Mère de Dieu, pendant la prière, elle recevait une réponse de la Vierge. C'est seulement alors qu’elle répondait à la question qu’on lui avait posée.

Dans la matinée, après la prière, grand-mère embrassait toujours toutes ses icônes, puis la croix, et après avoir pris de l'eau bénite et un morceau de prosphore, elle venait à nous et faisait le signe de la croix sur tous les coins de la maison et sur nous tous aussi. Souvent, le soir je la trouvais tout seule, priant avec ferveur, en silence. Elle s'endormait avec le chapelet en main.
En été, quand grand-mère avait un nombre particulièrement important de visiteurs, elle sortait de temps en temps dans le jardin, où elle remerciait avec zèle le Seigneur et lui faisait des prosternations, après quoi elle retournait vers les gens.

Parfois, elle venait dans la salle prier pour l'un de ceux en visite chez elle, et disait: venaient Seigneur, quel esprit léger émane de cette personne" Cependant, à d'autres occasions, elle disait: "Celui-ci est un esprit très lourd." Elle priait, comme si elle se débarrassait d’une lourde charge, et revenait vers ses interlocuteurs.
Dans ces moments terrifiants d’athéisme sous le régime soviétique, ma grand-mère était une source de lumière spirituelle: elle était porteuse de la foi, une foi profonde en Dieu, et dans la force de la prière.

Grand-mère elle-même fut toujours un brillant exemple d'amour pour le Seigneur.

Elle ne fut jamais découragée, elle ne s'est jamais plainte qu’en hiver de l'eau laissée dans un seau debout près du poêle gelait, et des moments où ces visiteurs qui avaient raté leur train restaient pour passer la nuit chez elle, elle n'avait aucune linge de lit à leur offrir. Par exemple, quand le père Mikhaïl du village de Bunino passa la nuit chez grand-maman, il plaça une souche de bouleau sous sa tête en guise d’oreiller.

Grand-mère regardait toujours le côté lumineux de la vie. Sa patience et son humilité étaient incroyables! Il semblait que les forces obscures n'avaient absolument aucun pouvoir sur elle. C'est ce qui explique l'amour, la joie et la tranquillité qui émanaient d'elle et qui étaient transmises à d'autres gens. Elle aimait les gens et les aidait. Les gens qui arrivaient de la ville, elle les accueillaient invariablement avec ces paroles: "Eh bien, mes oiseaux sont arrivés à tire d’aile !"

Tant de larmes ont été versées devant elle, tant de cœurs ont été consolés par elle, et tant de gens ont reçu l'espoir de grand-mère! Les gens venaient à elle avec toutes sortes de maladies. Ce n'étaient pas seulement des maux physiques, mais divers problèmes auxquels ils étaient confrontés dans leur vie. Certaines personnes venaient se plaindre de maladies des organes internes, du cœur, les autres étaient possédées par le Diable. Elle les guérissait tous, d'abord et avant tout par la puissance de la prière à Dieu, et à la Mère de Dieu. Par ailleurs, elle donnait aux gens de l'eau bénite et elle utilisait des plantes médicinales.

Elle mettait une calotte qu'elle avait rapportée de Jérusalem, sur la tête des malades physiques et des possédés. Au-dessus de la calotte, [elle mettait] également une pierre venant de là-bas. Puis elle posait sa main dessus et faisait la lecture de la prière. En outre, elle avait plus souvent recours à la prière suivante:
"Que Dieu se lève et que ses ennemis soient dispersés et que ceux qui Le haïssent fuient de devant Sa Face. Qu’ils se dissipent comme se dissipe la fumée et comme la cire fond devant le feu, qu’ainsi périssent les démons devant ceux qui aiment Dieu et, se signant de la Croix, disent dans l’allégresse : Réjouis-toi, très précieuse et vivifiante Croix du Seigneur, qui chasses les démons par la puissance de Celui qui fut crucifié sur toi, notre Seigneur Jésus-Christ. Descendu aux enfers, Il a foulé la puissance du Diable et nous a donné Sa Croix précieuse, afin de repousser tout adversaire. Ô toute précieuse et vivifiante Croix du Seigneur, aide-moi avec la sainte Souveraine, la Vierge Génitrice de Dieu et tous les Saints. Amen ! "

Une fois, j'ai personnellement été témoin de la façon dont ma grand-mère traitait une femme possédée. Entrant dans le couloir, j'ai entendu les aboiements d'un chien venant de la chambre de grand-mère. J'étais terrifiée et me précipitai à l’intérieur. Alors qu'est-ce que je vis? Assis sur un tabouret devant ma grand-mère était une femme, pâle, de la sueur coulait sur son visage, et elle aboyait! Je n'aurais jamais cru cela si je ne l'avais pas vu et entendu moi-même! Plus tard, la femme se calma, et grand-mère se coucha pour se reposer. Pour moi, elle dit: " Petite-fille, quand je traite les gens, n’entre jamais dans la salle, car bien que cela ne me fait rien, cela pourrait t’affecter négativement."

Le passé, le présent et l'avenir était révélés à grand-mère dans les moindres détails. Un jour où je suis venue dans sa chambre - il n'y avait personne, et grand-mère balayait le sol avec ces paroles: "Oh que je suis désolé pour elle!"
"Pour qui, grand-mère?" demandai-je.
"Oh, elle apporte une pastèque tellement grande et lourde pour moi!"

Quelque temps plus tard, on frappa à la porte et, en effet, sur le seuil se tenait une femme avec une pastèque énorme.

Les gens qui rendaient visité à grand-mère, étaient une source d'inquiétude et de préoccupation pour les autorités locales et le procureur régional. De ce fait, ils tentèrent de disperser les gens, de faire fuir ceux-ci et d’essayer de faire peur à ma grand-mère. Mais elle répondait toujours: "Je ne convoque jamais personne C'est leur douleur qui les incite à venir à moi, je ne peux pas leur tourner le dos. "

Grand-mère n'a jamais rien demandé aux autres. Si elle avait reçu quelque chose des autres, elle le donnait immédiatement à ceux qui en avaient besoin.
Elle recevait tous les jours un grand nombre de lettres, dont chacune était imprégnée de douleur et de tristesse, et qui contenait la question suivante: "Qu'est-ce que je peux faire?" Grand-mère répondait à celles-ci dans la soirée, après avoir raccompagné le dernier des visiteurs à l'extérieur. Ma mère était la secrétaire grand-mère. Les lettres ne pouvaient pas être conservées, car cela pouvait nuire à ceux qui les avaient envoyées, aussi après leur avoir répondu grand-mère les brûlait.

Quand ils demandaient des conseils à grand-mère, elle répondait invariablement brièvement, sans jamais répéter sa réponse à deux reprises. Si elle considérait quelque chose qui lui était demandé comme un acte digne, elle bénissait les gens pour le faire. Si elle estimait que ce n’était pas quelque chose qui devait être fait, elle disait: "Je ne te donne pas ce conseil, mais ne fais pas ta volonté." Grand-mère voyait le présent et le futur d'une personne qui s'adressait à elle, et sur la base de ceci, elle donnait une réponse exhaustive.
Pour nous tous, membres de sa famille, grand-mère disait: "Soyez plus humbles, mais plus proches de Dieu", ou "l'humilité et la patience sont plus élevés que le jeûne et la prière", "Quand vous le pouvez, gardez le silence", "La parole est d'argent, mais le silence est d'or. "

Notre famille a toujours vécu par les conseils de grand-mère. Nous, ses petits-enfants, n’entreprenions jamais quoi que ce soit sans sa bénédiction. Il est difficile de décrire avec des mots à quel point nous l'aimions. Chaque fois que nous rentrions chez nous venant de quelque part, nous pensions tout d'abord à notre grand-mère, et non pas à nos parents, même si nous les aimions tendrement. Nous avons toujours été soucieux de lui plaire et de lui faire plaisir.
Peu de temps avant d'obtenir mon emploi, ma mère, grand-mère et moi étions assis à boire du thé dans la matinée. Il y avait déjà des gens qui attendaient grand-mère. Tout à coup, elle laissa tomber sa tasse de thé et tomba de sa chaise.

Je me précipitai vers elle, la soulevai et la fit asseoir. Il fallut un certain temps pour elle pour réaliser ce qui s'était passé. C’était à la fin de novembre 1953. Ce jour-là, ma mère et moi l'avons suppliée de ne pas se fatiguer, et de passer la journée en repos. Toutefois, elle refusa et elle alla vers les gens. Depuis ce jour, elle commença à s'affaiblir, à perdre l'appétit, mais elle ne voulait pas décevoir ses visiteurs en refusant de les recevoir. Je me souviens de la façon dont grand-mère un dimanche soir m'a appelé vers elle: "Allons, laisse-moi te bénir, tu partiras pour un nouvel emploi alors que je serai encore endormie."

Je sentis l’état faible et malade de grand-mère tandis qu’elle faisait le signe de la croix sur moi. A 5 heures du matin, je partis pour la gare. Mon premier jour à mon nouveau travail se passa bien, mais le lendemain soir je fus saisi par l'angoisse, à un point tel que je me suis précipitée dans la chambre de mon amie, toute agitée. Finalement, j'ai pris la décision de rentrer à la maison au matin.

En vain, ils essayèrent de me calmer et de me convaincre de ne pas y aller. J'étais sourde à tous leurs arguments. J'ai passé une nuit blanche et le matin, je rentrai chez moi. A l'instant où je suis descendue du train, j'ai rencontré une voisine. "Va vite", a-t-elle dit, "ta grand-mère est en train de mourir".

Mon domicile était à 4 kilomètres. J'ai couru la distance, pleurant et priant Dieu pour que grand-mère ne meure pas. Lorsque j'ai ouvert la porte du couloir, j'ai vu ma mère pleurer et j’ai crié: "Est-ce que grand-mère est morte ?" Ma mère me calma: "Non, elle t’attend, mais elle est entrain de sombrer."
Grand-mère ouvrit les yeux, et me demanda même: "Comment est ton nouvel emploi" Je lui ai répondu: "Bien, je l'aime, mais c'est temporaire."
"Peu importe," dit grand-mère", tu ne seras jamais sans emploi."
Jusques à l’ultime instant toutes ses pensées furent pour ses proches.
La veille le Père Fiodor nous avait rendu visite. Il donna la communion à grand-mère et lui administra les derniers sacrements. De toute sa vie grand-mère n'avait jamais demandé l'aide de médecins profanes, se tournant toujours vers notre Bon Seigneur pour avoir de l'aide. Elle ne prit jamais une seule pilule. Elle était à jamais en souci pour les autres, craignant d’être un fardeau pour les autres.

A partir du moment de mon arrivée et jusques à son dernier souffle je n'ai jamais quitté le chevet de grand-mère. Je trempai ses lèvres, car elles étaient desséchées. Son bras était immobile et sa main continuait à faire le signe de la croix. Pendant un instant, elle ouvrit les yeux et me regarda. Elle dit: "Petite-fille, fais de bonnes actions pour les gens, et ne fais jamais de mal aux autres."
L'instant d'après, elle ferma les yeux et se glissa dans ses propres pensées.
Une jeune fille de la Baltique pleurait, demandant à être autorisée à voir grand-mère. Je ne voulais vraiment pas troubler une personne en train de mourir, mais grand-mère dit: "Laisse-la entrer" Ce fut la dernière personne à obtenir des conseils de ma grand-mère et sa bénédiction juste avant sa mort.
Le soir, il devint évident que le temps de grand-mère était compté. Ma mère lui demanda: "Où as-tu mal?" "Partout", répondit tranquillement grand-mère. Il y avait des larmes qui coulaient de ses yeux, tandis qu’une sueur froide perlait sur son front. Je l'ai essuyée avec une serviette. "Pourquoi pleures-tu?" Lui ai-je demandé. Grand-mère soupira et disparut. Son visage était calme et serein. Il était 6 heures du soir, le 16 décembre 1953.

Tout comme grand-mère vécut modestement et discrètement toute sa vie, n’ennuyant jamais personne, pleine d'amour pour les gens, les aidant, ainsi elle est morte paisiblement, humblement et magnifiquement, sans importuner quiconque.
Cinq ans plus tard, mon père est mort, et ma mère prit le voile en 1991...
Grand-mère est morte, mais n'a pas quitté notre vie: elle est toujours avec ceux qui ont besoin d'elle, qui se tournent vers elle avec Foi et dans la prière.
Je sais que grand-mère est toujours proche, et au bon moment, elle m'envoie aide et réconfort et la paix spirituelle à mon cœur…

Version française Claude Lopez-Ginisty

d’après



Haïjin Pravoslave (LIII)


Rayons du Soleil
Grains du chapelet de Dieu
Les saints intercèdent

上帝的朋友 ( L'ami de Dieu)

vendredi 12 avril 2013

LA STARITZA MISSAÏLA par sa petite fille (3)


Ce fut peu de temps après la guerre. Le soir, fatiguée des leçons de ma bien-aimée trigonométrie, je fis une pause et j'allai rendre visite à ma grand-mère.
Comme on était bien dans sa petite maison! Les lampades des icônes luisent solennellement. Seul le tic tac lointain de l'horloge de grand-mère, s’égrène dans le silence furtif. Je me repose… 
Des histoires brèves et rares de grand-mère, j'ai appris certains épisodes de sa vie. Dans toute sa vie pas une seule fois elle ne jugea quiconque, et tout ce qu'elle m'a dit était en référence à elle-même seulement. J'ai découvert que le nom de famille de ses parents était Grankiny. Ils provenaient d'une lignée ancienne mais appauvrie. Ils étaient morts très tôt, et à 6 ans, Matrona (c'était le nom de sa grand-mère avant qu’elle ne prenne le voile) et sa sœur âgée de 3 ans furent orphelines. Par décision du conseil du village, où elles vivaient, chaque famille, à tour de rôle, a donné refuge aux jeunes fille pour une journée. La sœur de grand-mère mourut bientôt, tandis que grand-mère continua à passer de ferme en ferme jusques à l'âge de 17 ans, quand elle fut donnée en mariage au jeune, beau et riche Vassili Zorin. Avant cela, il avait aimé une autre fille, une vraie beauté, et il avait prévu de l'épouser. Toutefois, à la veille du mariage, il avait mal calculé ses forces et avait soulevé certaines très lourdes charges, blessant sérieusement son dos, à tel point qu'il avait perdu l'usage de ses jambes. Il est devenu infirme. La belle mariée l’a immédiatement rejeté et le mariage a été annulé. C'est alors qu'il a été marié à une orpheline, ma grand-mère.

Elle eut une vie difficile. Toutefois, elle ne se plaignit jamais de son époux. Elle n’était pas autorisée à entrer dans la maison, sauf si elle y était appelée. En été, elle dormait dans le hangar, et en hiver dans la cuisine. Grand-mère ne pouvait même pas prier dans la maison. Elle priait et faisait ses prosternations vers le Seigneur quand elle descendait dans la cave. Elle portait sur ses épaules le fardeau de tout le labeur sale et lourd de la maison. Seules les prières ferventes l’aidaient à survivre à ces épreuves.

Ce n'est qu'à l'âge de 23 qu’elle donna naissance à une fille, qui mourut bientôt. Et six ans plus tard, elle donna naissance à un fils, qui fut nommé Matthieu. C’était mon père. Peu de temps après le mari de grand-mère est mort. Et elle, après avoir confié son fils à sa belle-mère, décida de partir pour Jérusalem, pour y prendre le voile. Grand-mère m'a raconté comment avec une de ses amis, elles ont fait leur chemin à pied jusques à Kiev, à partir de là jusques à Odessa, et après cela - par bateau en Turquie, et ce n'est qu'après jusques à Jérusalem. "Grand-mère, n'était-ce pas dangereux pour deux jeunes femmes de marcher seules - quelqu'un aurait pu vous faire du mal à toutes les deux?" demandai-je.

"Oh, non!" répondit grand-mère. "Qui aurait jamais levé la main contre une pèlerine ? Bien au contraire: les gens nous ont aidées, beaucoup nous ont demandé de prier pour eux à Jérusalem." Je serais bien restée à Jérusalem, si cela n'avait pas été pour un seul et même rêve que j'ai vu trois fois. Je rêvais que j'étais submergée par l'eau, tandis qu'une voix disait: "Retourne dans ta patrie: on a besoin de toi là-bas" J'ai raconté mon rêve à un prêtre. Ensuite, nous avons longtemps prié ensemble: tu le sais, il existe différents types de rêves, non seulement ceux envoyés par le Seigneur, mais ceux qui viennent du Diable. Finalement, le prêtre a béni mon retour à la maison. "

Grand-mère est revenue à la maison quand elle avait déjà plus de 34 ans. Elle s’est installée dans la maison avec son fils, dans une maison qui lui avait été donnée comme cadeau par sa belle-mère. Un jour, elle tomba dans un sommeil léthargique, et n’en sortit que quand elle était dans un cercueil, et qu’on se préparait à l’enterrer. Pendant ce sommeil, elle eut une vision de la Sainte Vierge. Après cela grand-mère eut le don de clairvoyance. Et puis un flot continu de gens a commencé à venir vers grand-mère, dans l'espoir (jamais vain) de trouver une solution à ses problèmes dans ses prières. Des histoires de grand-mère, j'ai appris que beaucoup de soldats et officiers russes vinrent lui rendre visite pendant la guerre contre l'Allemagne nazie. Elle fit toujours de son mieux pour consoler et réconforter tout le monde, en leur donnant une croix, ses bénédictions, et en priant avec ferveur pour tout le monde. En raccompagnant ces gens-là, à l'occasion, elle pleurait pour eux quelquefois, car sa vision lui avait prédit qu'ils mourraient bientôt.

Quand les troupes d’Hitler se rapprochaient de Stalingrad, beaucoup ont commencé à douter que nos forces remportent la victoire. Cependant, grand-mère savait qu'ils allaient s’en sortir, et elle avait l'habitude de dire: "Les Allemands fuiront loin de Stalingrad!" Ainsi, elle allumait l'espoir dans le cœur du chef du mouvement local des partisans, qui vint lui rendre visite. Elle lui donna sa bénédiction, et donc calmé et sa détermination renforcée, il retourna vers son détachement.

Une fois, un officier allemand, commandant de la gare, est venu vers grand-maman. Grâce à un traducteur, il lui dit: "N'aie pas peur, vieille femme, il suffit de dire la vérité." Et elle répondit: "Je n'ai peur de personne, si ce n’est du Seigneur."

L'Allemand était préoccupé par le sort de sa famille à Berlin. Cependant, grand-mère le calma: " Ta famille est bel et bien vivante, et ils vont tous survivre. Cependant, quant à la maison que tu construis ici, en Russie, tout cela est pour rien ! Très bientôt tu fuiras et tu emballer tes biens, votre maison sera démontée rondin après rondin. "

L'officier ne crut pas la prophétie de grand-mère selon laquelle les Allemands fuiraient la Russie. Pourtant, tout cela s'est passé exactement comme elle l'avait prévu, et comme ses soldats et il a emballé ses biens, pour une évacuation rapide, nos gens démontaient déjà sa maison, rondin après rondin. Il leur cria: " Russes, que faites-vous Vous pouvez utiliser cette maison comme club, commissariat ou quelque chose de similaire!" Mais, hélas, personne ne l’écouta et très bientôt il ne restait rien de sa maison.

Après la guerre, le flux de personnes affluant pour voir grand-mère ne faiblit jamais. Les gens venaient de loin, marchant depuis leurs villes et villages, jeunes et vieux, des étrangers et d’autres de notre propre peuple. Ils venaient et venaient. Il y en avait tellement parmi eux qui avaient été durement touchés par la guerre, qui avaient été psychologiquement traumatisés, les laissant aux prises sous un lourd fardeau de péchés de conscience!

A tous ceux qui venaient vers grand-mère était garanti un accueil tout aussi chaleureux: elle ne faisait aucune distinction de grade ou de titre, et c'était la même chose avec tout le monde. Elle priait pour chacune et chacun d'entre eux.

Grand-mère se levait à 5 heures du matin, pour avoir le temps de dire ses prières avant que les gens n’arrivent. Après la prière, elle ne buvait toujours que du thé. Les gens attendaient déjà dans la salle. Le flux de gens se poursuivait sans relâche jusques à 4 ou 5 heures dans l'après-midi.
Grand-mère demandait toujours le nom d'une personne, et répondait à toutes les questions brièvement, distinctement et précisément.

Parfois, elle réussissait à avoir le temps de prier seule et de se reposer avant le déjeuner. Après le déjeuner, elle répondait à de nombreuses lettres qui venaient de diverses destinations. En soirée, grand-mère allait dans sa chambre. Elle était toujours un peu sombre, éclairée par des lampades qui brûlaient devant les icônes, et profondément calme. Seule, elle s'asseyait sur un banc devant les icônes et priait, ses chapelet à la main.

Les repas de grand-mère étaient très modestes. Elle avait cessé de manger de la viande longtemps avant qu'elle ne devienne moniale, au moment où son mari était mort. Ils comprenaient principalement de pommes de terre, des légumes, des oignons, du riz et du millet, du kvas, des pommes et des poires.

La vie entière de ma grand-mère était prière. Elle priait beaucoup et il semblait à chaque instant de sa prière rayonnait la joie. Ses yeux brillaient et elle tendait les mains vers l'icône de la Sainte Vierge avec ces paroles: "Quelle joie, quel incroyable joie!"

Version française Claude Lopez-Ginisty

D’après



Haïjin Pravoslave (LII)


Comme une pluie pure
La source des pleurs joyeux
Fait fleurir ton âme

上帝的朋友 ( L'ami de Dieu)

jeudi 11 avril 2013

LA STARITZA MISSAÏLA par sa petite fille (2)




Staritza Missaïla de Koursk

Je me souviens comment, avant la nouvelle année, la journée de travail se termina tôt - à 14 heures, et nous, les filles, nous montâmes dans la petite chambre où nous avions l'habitude de déjeuner. Tout à coup, nous avons été approchées par un prisonnier de guerre italien qui a dit: " Les filles, je n'ai pas de cadeau de Nouvel An pour vous, mais comme je suis artiste du théâtre de l'Opéra de Rome, mon cadeau pour vous est une chanson!"

Nous nous sommes figées là  dans cet escalier, alors qu’il chantait la célèbre chanson "Mère". Aucune de nous ne savait l'italien, mais le mot "mama", révélait la grande profondeur de cette belle chanson…

La voix du ténor italien résonnait, comme si son âme pleurait. La tendresse, l'amour, la douceur, la chaleur de l'esprit - tous venus déferler sur nous, comme une grande vague de marée imprégnée de tristesse poignante et d'amour, et nous avons été emportées par elle à un tel point que nous avons pleuré sans honte. Pendant tout ce temps la voix glorieuse se transportait à travers l'atelier.

Pour nous calmer, l'Italien a immédiatement suivi avec quelque chose dans une veine plus joyeuse et légère ; souriant et faisant des pas de danse, il a réussi à nous faire rire, même s'il y avait encore des larmes qui brillaient dans nos yeux.

A l'entrée même de l'atelier Emile est venu et m'a souhaité chaleureusement une bonne et heureuse année, et que je puisse bientôt être de retour dans ma patrie. Il me donna une boîte de lampe vide remplie de chocolat. Je l'ai remercié et lui ai dit combien j'étais désolée de ne pas avoir un cadeau pour lui. Je me tins sur la pointe des pieds pour embrasser sa joue d'une manière fraternelle. Il fut très touché.

Plus tard dans la nuit, les pilotes anglais lancèrent leurs "cadeaux" sur nous - d'abord il y avait des bombes, puis elles dispersaient du phosphore. Croyez-moi, c'est un spectacle terrible! Toute personne qui ait jamais été témoin de cela ne l'oubliera jamais.

Les bombardements étaient de plus en plus fréquents. Mais on n’y était pas de plus en plus habitués ! Je priais seulement: "Ô Seigneur, aie pitié de nous, sauve-nous!"

Un jour, avec les filles je suis sortie dans la cour après un raid aérien et je vis un spectacle terrible. Il y avait un énorme cratère prenant la plus grande partie de la cour, et tout ce qui nous entourait avait été éclaboussé par la boue. Quand nous sommes allés aux portes du camp, pour prendre le chemin de l'usine, nous ne pouvions pas en croire nos yeux. Il n'y avait plus de maisons, pas plus de gare, seulement des tas de décombres et de briques fumantes, et une église "rescapée" où ils amenaient soit des blessés soit des morts. Je me souviens d'avoir vu deux hommes portant une civière avec une jeune femme blonde allemande, qui avait un enfant de 2 ou 3 niché sur sa poitrine. Leurs têtes étaient secouées à chaque pas des hommes portant la civière. La guerre frappe toujours plus durement les gens communs et ordinaires. A peine lucide à cause de la peur, nous sommes arrivées à l'usine. Mais la pensée ne me quittait pas que je devais le fait que j'étais encore en vie aux prières de ma grand-mère. J'ai aussi prié pour que le bain de sang effroyable prenne fin dès que possible.

Une fois que je suis revenue du travail, je me suis endormie aussitôt. Alors, j'ai fait un rêve remarquable: Quelqu'un… je ne pouvais pas voir qui c'était, enlevait les écailles de mes yeux…

Je me suis réveillée avec un cœur léger et l'esprit tranquille, et le monde semblait joyeux et rayonnant pour moi, malgré tout. La peur m'avait quittée, et à partir de ce moment, j'ai cessé de craindre les raids aériens.

La vie, dans l'intervalle, a continué, tout aussi dure que jamais. La seule pensée qui réchauffait nos cœurs et maintenait nos espoirs, c'est que l'armée soviétique approchait des frontières de l'Allemagne.

Un jour, Jacques est venu vers moi rapidement, il a commencé à m'aider dans mon travail, comme à son habitude, et soudain il dit avec force: "Liouda, Je t'aime. Je suis tombé amoureux de toi à l’instant où je t’ai vue, petite fille qui pleurait à chaudes larmes... J'aime ta modestie et ta ténacité. Je peux toujours sentir ta présence, même quand tu n’es pas là, au moment où je ferme les yeux. Tu es toujours avec moi... Je sens que je peux te parler de quoi que ce soit sous le soleil. Tes parents ont inculqué tellement de ce qui est bon en toi! Je t'aime non seulement pour ta douce beauté, mais pour ton âme profonde ... "
J'ai été profondément touchée par cette déclaration d'amour. J’ai remercié Jacques avec profusion de ses tendres sentiments envers moi. Alors il a répondu qu'il n'avait jamais été amoureux avant, et que tout son temps avait été consacré aux études et aux sports; qu'il avait déjà 26 ans et qu’il était tout à fait capable de distinguer le véritable amour d'une fantaisie passagère. Son sentiment pour moi, c'était de l'amour véritable, dit-il.
Bientôt, il m'a proposé. "La guerre sera bientôt finie", a-t-il dit. "Accepterais-tu de devenir ma femme?"

J'ai souri et j’ai dit: "Jacques, si tu me promets de ne jamais m’embrasser ou même de me prendre par le bras jusques à la fin de la guerre, même juste avant notre mariage, je suis d'accord."
Il se mit à rire, embrassa mon front, et dit: "C'est d’accord ! Maintenant tu es ma promise, et en France une promise est aussi bien qu’une épouse, tu dois donc me laisser prendre soin de toi Et autre chose - nous avons besoin d'échanger nos adresses: lorsque la guerre sera finie, il y aura une période de chaos je te trouverai, où que tu sois… "

Chaque rencontre avec Jacques fut l'occasion de découvrir quelque chose de nouveau et de merveilleux le concernant. Il était ma lumière dans toutes ces épouvantables ténèbres.
Un jour, je me sentais faible et sur le bord des larmes, alors que je me rappelais ma famille bien-aimée, ma maison, mon enfance heureuse. Jacques me dit: "Tout ce qui t’a été arraché, je promets de te le redonner après la guerre, je sais que je peux te rendre heureuse!"

Cependant, bientôt mes rencontres avec Jacques prirent fin. Il eut seulement le temps de se précipiter vers moi et de me dire qu’il avait été strictement interdit aux prisonniers de guerre de quitter le camp, car ils avaient refusé de signer un accord sur le service volontaire en Allemagne. "Je suis surveillé de près," dit-il. Il déposa un baiser sur mon front et partit rapidement.
Quelque temps passa, et Jacques parvint à me rencontrer à nouveau. Il était très agité:
"Liouda", dit-il. "Ne t’inquiète pas s’ils m'emmènent en camp de concentration. Je peux tout supporter par amour pour toi! Je reviendrai. Adieu! Ils me regardent!"

Je ne savais pas que cela allait être notre dernière rencontre. De retour au camp, j'ai découvert que les filles de notre caserne avaient été transférées à la ville de Nordé Ham. Tout le monde avait déjà emballé ses affaires, et remis le linge de lit. En pleurant, j'ai écrit à Jacques une lettre d'adieu, y glissant ma seule photo de moi-même. J'ai donné la lettre à une jeune fille qui se trouvait à Brême et qui pourrait peut-être voir Jacques.

Jacques ne reçut pas ma lettre. Quelque temps après, j'ai reçu une belle lettre de lui, le genre de lettre qui ne pouvait être écrite que par quelqu'un aime vraiment. Ce même jour, j'ai rapidement envoyé une réponse. J'ai été heureuse d'apprendre qu'il était à Brême, et n'avait pas été arrêté. Je débordais de joie. Sa réponse ne tarda pas à venir.

Mais tout d'un coup ses lettres ont cessé de venir. Ensuite, nous les filles ont été prises en charge sur le territoire soviétique par les troupes anglaises, qui étaient entrées dans la ville. J'ai pu arriver à la maison seulement en Août 1945. Un peu plus tard je suis allé à la ville de Kharkov et je suis accidentellement tombé sur une fille avec qui j'avais travaillé dans les cuisines à Nordé Ham. Il s'est avéré qu’après que nous nous soyons quittées, elle s'était trouvée à un point de rassemblement où elle avait rencontré Emile, ami de Jacques. Emile l’a informée que Jacques était mort dans un raid aérien.
Je me sentais sur le point de défaillir... Brusquement, j'ai dit au revoir à la jeune fille et je me suis éloignée, ne sachant pas où j'allais... J'ai pleuré, oubliant tout autour de moi... Jacques était mort! Il n'était plus! Non! Cela ne pouvait pas être possible! J'ai refusé de l'accepter! Non! "

Je ne me souviens pas comment je suis arrivée à la maison ce jour-là, c'était comme dans une brume... La mort de Jacques avait tué une partie de moi, aussi. Une lumière s'était éteinte pour moi. Je vivais dans l'espoir qu'il me retrouverait bientôt. "Peut-être que c'est une erreur?" Pensais-je, prête à saisir n’importe quelle chimère. "Peut-être que ce n'était pas mon Jacques qui était mort!" J'ai donc écrit une lettre à Emile. La réponse est arrivée assez tôt: Emile me pria d'être forte... Il écrivit que Jacques n'avait jamais cessé de m'aimer, que je serais certainement devenue sa femme s'il n'avait pas été tué. Dans les tous derniers jours de Mars, à la veille de l'avance de l'armée anglaise, il y eut une alerte de raid aérien. Jacques l’ignora avec la conviction qu'il n'y aurait pas de bombardement sérieux. Alors, seul, il est resté dans la caserne, pour m’écrire une lettre. Ce fut un coup direct sur l’endroit où il se trouvait…

Seigneur! Je te suis très reconnaissante pour l'envoi sur mon chemin épineux de Jacques, cet homme si merveilleux. Mais il ne pouvait pas rester sur cette terre de péché, il était trop noble, trop beau, trop pur et plein d'abnégation. Très probablement, je n'étais pas digne d'un tel homme. Tu me l'as donné pendant un certain temps, dans les moments les plus difficiles de ma vie. Une fois que les choses allaient mieux, Tu l'as repris. Je Te remercie, Seigneur, de m'avoir donné la chance de vivre l'amour véritable - pur, désintéressé et sans tache sur cette Terre…

Version française Claude Lopez-Ginisty
d’après

Haïjin Pravoslave (LI)


Le plus grand miracle
C'est la promesse ineffable
De l'Eternité

上帝的朋友 ( L'ami de Dieu)

mercredi 10 avril 2013

LA STARITZA MISSAÏLA par sa petite fille (1)


Nous vous offrons ce récit de Ludmilla Sokolova, petite-fille de la staritza orthodoxe russe Missaïla, sur la façon dont prières de sa grand-mère et les siennes l’aidèrent à survivre aux terribles années de la Deuxième Guerre mondiale. Ce sont des extraits d'un livre intitulé « Les Prières de grand-mère», publié à Moscou en 2005 par la maison d'édition " Otchiy Dom ".
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"Une chaude soirée d'été, avant la guerre, grand-mère nous appela ma sœur Rita et moi à nous joindre à elle en regardant le ciel étoilé. Nous regardâmes de tout notre soûl, quand tout à coup grand-mère dit que Rita, quand elle serait grande, travaillerait en tant qu’experte d’étude de la nature, tandis que je me rendrais à l'étranger. "Pas pour les voyages», a-t-elle ajouté, "mais pour travailler."
À l'époque, j'étais vraiment surprise, mais c'est exactement ce qui s'est passé.
Lorsque les Allemands occupèrent Koursk, ils ont commencé à ramasse les russes dans la zone occupée pour le travail forcé en Allemagne. Mes parents eurent juste le temps d’amener ma sœur aînée Rita dans une ville différente, alors qu'ils n'étaient pas très préoccupés par moi, car je n'avais que 14 ans, et les fascistes avaient besoin d'esclaves adultes. Donc, personne ne se souciait de me cacher d'eux. Or il s'est avéré que ce fut une erreur.

Je fus saisie, et je me trouvai sans aucun papier officiel parmi des milliers d'autres filles malheureuses, comme un petit poisson pris dans un vaste filet.
Ils m'ont amenée dans une grande et belle ville portuaire - Brême. Nous y arrivâmes le soir. Il pleuvait des cordes. Nous, les esclaves, nous fûmes poussés dans les trams vers la périphérie de la ville, dans une usine d'aviation énorme et près d’une usine de menuiserie. Ce n'était pas une auberge de jeunesse qu'ils tenaient prêt pour nous, mais une sombre caserne laide, avec deux rangées de barbelés l’encerclant... Pas un arbre ou un buisson en vue!
Épuisées, silencieuses et abattues, par trois, nous sommes entrées dans notre demeure prison. Il y avait dix chambres dans chacune des casernes. Chaque chambre avait 24 lits à deux étages.

Nous avons été accueillies par une certain sœur Annie, tout de blanc vêtu. Suspendu à une chaîne autour de son cou au lieu d'une croix un anneau d’homme énorme en acier. «C'est la bague de mon fiancé, il est en Russie", a-t-elle dit, et elle a ensuite annoncé pour nous la routine quotidienne. Le rassemblement était à 5 heures du matin, suivi par le petit déjeuner, composé d'une tasse de café avec deux cuillères à café de sucre, dans la journée - soupe de navet, et le soir pour le souper - 250 grammes de pain.

Après avalant le souper qu’on nous a donné j'ai réclamé une des couchettes supérieures et je m’y suis allongée. Toutefois, au moment où je me suis allongée sur la paillasse il y eu le son d'une alarme. Il n'y avait nulle part où aller: les fenêtres étaient barricadées, la porte verrouillée. J'ai tiré la couverture sur ma tête et j’ai pleuré en silence, adressant mes pensées à ma grand-mère. Mais alors je me suis dit brusquement: "Ressaisis-toi ! Tu dois avoir beaucoup de patience pour survivre à cette épreuve, personne ne se soucie le moins du monde de tes larmes, tout le monde ici en aura sa part! ".
Pour commencer, de concert avec les autres que j'ai été envoyée à la cuisine pour éplucher les pommes de terre, mais quelques mois plus tard, les femmes réfugiées allemandes sont arrivées et ont pris notre place. Nous avons déménagé vers une autre tâche.

Je me suis retrouvée à l'usine de menuiserie. Le vieux maître, que je devais appeler "grand-père" en allemand, m'a appris comment attacher des feuilles de bois séché avec un nœud marin. J'ai eu de la chance: le travail n'a pas été trop pénible, mais il y en avait beaucoup.

J'étais seule dans le vaste atelier, et j'ai bien aimé être seule. Je ne voulais voir personne. Les souvenirs m'assaillaient, déferlant sur moi comme une vague. Et je me laissais aller aux larmes. Après tout, personne ne pouvait me voir, alors je ne devais pas avoir honte…

J'ai pleuré et prié... J'ai eu pitié de moi et de mes proches, qui étaient en deuil pour moi. C’était une plainte bruyante et enfantine au Seigneur. Je partageais ma douleur avec Lui, et cela diminuait la douleur.

Cependant, une fois, quand je pleurais et priais tandis que je faisais mon travail à l'atelier, certains jeunes gens sont entrés. J'étais tellement plongée dans mon travail, je ne les ai pas remarqués au début. Comme cela s'est avéré plus tard, c’étaient des prisonniers de guerre français. Trois paires d'yeux me regardaient en silence: une jeune fille dans un chemisier blanc et robe tunique lumineuse, avec de longs cheveux blonds. Debout autour de moi pendant un court instant, ils sont partis en silence, pour ne pas me déranger. Ils posèrent seulement des questions à propos de la jeune fille russe qui travaillait depuis longtemps à l'usine, qui j'étais et pourquoi je pleurais amèrement. "Elle s'ennuie de sa mère patrie", répondit la jeune fille.

Notre vie triste, emplie de faim et de froid traînait en longueur. Non seulement avais-je arrêté de rire – je souriais à peine. Je me suis enfermée loin des autres. Je n'ai pas partagé mes pensées avec quelqu'un, ne me suis jamais plainte que j'étais trop jeune pour travailler 12 heures par jour à l'atelier, famélique et à moitié endormie. Et pourquoi aurais-je pris la peine de dire quoi que ce soit à quiconque? Tout le monde était tout aussi affamé et fatigué que je l'étais, même si elles étaient plus âgées que moi, je savais que de retour à la maison, grand-mère, le père, la mère et mes sœurs priaient pour moi.

Il y avait de la vapeur qui montait des feuilles du bois au séchage. Dans l'atelier froid cette vapeur faisait craquer la peau de mes mains. Parfois, lorsque la sirène d'alarme hurlait, la machine de séchage - le dessiccateur - était éteinte, et je pouvais grimper à l'intérieur et me réchauffer un peu.

J'ai remarqué que le chariot en bois était  apporté à mon atelier par un seul et même Français. Comme je l'ai découvert plus tard, son nom était Jacques, et il avait 26 ans. Outre sa propre charge de travail, il faisait ce qu'il pouvait pour m'aider. Je n'ai jamais lancé une conversation avec lui. Cependant, une fois il m'a dit en allemand, que je connaissais depuis l'école jusqu'à un certain point, "Liouda, ne t’afflige pas: votre armée se rapproche de Poznan." Après cela, chaque fois que nous nous sommes rencontrés, je lui posais la même question: "Quoi de neuf?"
Le patron de l'usine a exigé que chaque matin je vienne à son bureau pour prendre mes instructions pour la journée. Exactement à 6 heures, je frappais à sa porte, et après avoir entendu "Entrez!" j’entrais en disant: "Bonjour!" J'écoutais en silence à toutes les instructions, je demandais si c'était tout, et après avoir entendu "oui", je partais.

Ce que je trouvais étonnant, c'est que le patron ne m'a jamais donné les instructions assis. Il était toujours debout à la fenêtre. Une fois qu'il a vu mes mains, toutes fendues et rougies et il me conduisit dans le bureau et dit à son personnel d’appliquer un médicament sur mes mains.

Les prières grand-mère m'ont aidée, je le savais avec certitude. Je rencontrais régulièrement des gens vraiment gentils. Par exemple, chaque fois que je quittais l'atelier, un Allemand âgé du nom de Franz s’approchait de moi et me demandais comment j’allais ce  jour-là, et sournoisement glissait dans ma poche un sandwich qu'il avait caché pour moi. Il avait pitié de moi, m'aidait dans mon travail, et adorait bavarder avec moi. Peut-être, en me parlant, se rappelait-il ses propres enfants... Il a dit qu'il avait passé un long moment dans le camp de concentration et attrapé la tuberculose des os de la jambe. Il n'arrêtait pas de dire: "Nous, Allemands, n'avons pas besoin d'Hitler ou de Staline". Ensuite, il cessa de venir. Je ne pouvais pas poser aux Allemands des questions sur lui.

J'étais toujours tellement fatiguée que j'étais constamment somnolente. Ainsi, rien ne m'empêchait de tomber dans le sommeil le moment est venu à l'heure du coucher. Une fois un ami de Jacques, Emile, grand, âgé de 24 ans, le Français à l’air slave m'a demandé: "Liouda, que feras-tu quand tu rentreras chez toi?" et j'ai répondu "Je dormirai!"

Emile était gentil et souriait beaucoup. Par moments, il m'apportait une pomme ou une barre de chocolat. Je me sentais tellement à l'aise avec lui, comme si c’était un vieil ami. Même si je dois admettre que j'étais timide avec Jacques. Il avait un regard perçant qui vous évaluait d’un clin d'œil. Il semblait que c’était une personne d'une caste supérieure: toujours intelligent, soigné et sérieux. Rien d’étonnant à cela: il avait réussi à obtenir un diplôme de deux universités, était officier. Il s’était trouvé lui-même prisonnier, car il avait catégoriquement refusé de rejoindre les rangs de l'armée d'Hitler. Je les aimais tous les deux Emil et Jacques. Leur comportement est très noble.

Un jour, lors d'une alarme aérienne, je n’étais pas à l'abri, mais j’ai décidé de monter dans le dessiccateur éteint pour me réchauffer. Mais Jacques est apparu et m'a offert de m'asseoir à côté de lui sur son chariot. Tout à fait imperceptiblement il m'entraîna dans une conversation, en me parlant de lui-même. Il est apparu qu'il était d'une certaine ville sur la frontière franco-belge, fils unique de parents qu'il aimait beaucoup. Je n'ai même pas remarqué la façon dont j'avais commencé à lui parler de ma famille. Jacques était le premier en Allemagne avec qui je partageais ces détails personnels de ma vie. Je lui ai dit combien étaient remarquables mes parents, sœurs et ma grand-mère, et combien je les aimais…

Puis Jacques a sorti des gants chauds en laine de sa poche et adit:
" Voilà, ma mère me les a envoyés- ils sont trop petits pour moi. Essaie-les! ".
Je les ai mis facilement et j’ai levé les mains: "Eh bien, ils sont très chauds !"
"Porte-le, chère jeune fille", a déclaré Jacques, " afin que tes mains ne te fassent pas si mal avec ce dur labeur."
A ce moment, la sirène de fin d'alerte a retenti, et Jacques et moi sommes retournés chacun à son lieu de travail.

Les alertes aériennes avaient lieu de plus en plus souvent, non seulement dans la journée, mais la nuit, aussi. C’était de plus en plus difficile pour nous, presque des enfants, de tenir la cadence avec des quarts de 12 heures de travail, étant donné qu’avec les raids aériens nous dormions peu la nuit.

Je priais de plus en plus, allant de l'autre côté de la caserne et disant mes prières enfantines pendant un long, long moment. Je n'ai jamais demandé au Seigneur tout ce qui me concernait, mais je priais pour que la guerre finisse bientôt et que tous mes parents s’en sortent sans mal et bien vivants. Je me suis rappelé comment grand-mère avait l’habitude de me dire: "Chaque fois que tu as peur, dis une prière à la Sainte Mère de Dieu, elle saura exactement ce dont tu as besoin, et prie aussi Jésus. " Alors je priais !
"Réjouis-toi, ô Vierge Génitrice de Dieu, Marie pleine de grâce, le Seigneur est avec toi. Tu es bénie entre les femmes et béni est le fruit de ton sein, car tu as porté le Sauveur de nos âmes!"
"Seigneur Jésus Christ, Fils de Dieu, aie pitié de moi, pécheur."

Je priais dans mon lit, avant de m'endormir, je priais sur le chemin du travail, et tout de suite je me sentais mieux. Le Seigneur ne m'a jamais abandonné, parce que ma grand-mère priait pour moi. Même s'il faisait très froid, si nous étions à demi-affamés et si la charge de travail presque plus que nous pouvions supporter, le Seigneur nous envoya, nous les six filles de Russie, dans un village perdu et calme, où il n'y avait que trois Allemands, et nous ne les avons presque jamais vus après qu'ils nous aient donné nos instructions pour la journée. Tous les autres étaient des prisonniers de guerre étrangers - français et italiens. Toutes nos filles étaient bien élevées et modestes, n'avaient jamais rêvé d'entacher leur réputation et leur nom de famille. Ce qui explique peut-être pourquoi tous les hommes nous traitaient avec beaucoup de respect et d'amour fraternel.


Version française Claude Lopez-Ginisty
d’après


Haïjin Pravoslave (L)


Laisse les pensées
Tels des papillons de nuit
Partir en fumée

上帝的朋友 ( L'ami de Dieu)

mardi 9 avril 2013

La bienheureuse Alypia, folle-en-Christ: Témoignages et miracles (8)





D'après les souvenirs de Marie:
Deux mois avant sa mort, elle ne laissait pas les gens rester la nuit...
Le samedi (29 octobre) elle m’a envoyé un mot. Quand je suis arrivée, elle a dit: "Va à notre Eglise, tu peux  acheter les cierges et les laisser pour le lendemain matin. Prends la Pannikhide, cours à la Laure et ne reviens pas vers moi." Le dimanche, 30 octobre, je suis venue vers elle après la liturgie. Matouchka était très faible. Avant sa mort, la staritza a demandé pardon à tous et nous a demandé de venir à son lieu de sépulture avec tous nos problèmes.
D'après les mémoires d'une fille spirituelle de la staritza:
- Peu de temps avant sa mort, Matouchka eu beaucoup de personnes rassemblées dans sa maison. Tout à coup, elle dit à tout le monde de s'agenouiller et de se taire. Tranquillement, les portes s'ouvrirent, Matouchka se tourna vers elle et dit: "Etes-vous venus me voir?" Nous étions tous à genoux dans un silence respectueux pendant que Matouchka avait une conversation tranquille avec ses visiteurs invisibles. Qui étaient-ils et quelles nouvelles lui apportaient-elle - tout cela reste un mystère. Elle ne nous l'a pas révélé, mais après cette visite, elle parlait souvent de sa mort: "Je vais mourir quand le premier gel et la neige arriveront. Je serai enterrée dans les bois." Le 29 octobre, j'étais chez Matouchka et je pleurais fort. "Ne reste pas ici à pleurer. Va donner des aumônes dans les églises." Des lettres comportant une demande de prier pour notre Matouchka furent envoyées à tous les monastères. Les enfants spirituels allèrent même vers le staretz N.  dans un endroit éloigné de Russie. " La pomme est mûre, elle ne peut plus rester sur l'arbre et doit tomber" - répondit le staretz qui connaissait Matouchka seulement en esprit.

Ce fut le 30 octobre  qu’une première forte gelée et une grosse neige duveteuse arrivèrent.
Quand les affaires de Matouchka furent données, je reçus un petit coussin. Et maintenant, quand j'ai une migraine, je me couche sur le coussin et la douleur s'arrête. Reçois le Royaume des cieux et une mémoire éternelle, notre chère Matouchka Alypia pour tout le labeur que tu as entrepris dans ta vie terrestre pour nous, pauvres pécheurs.

D'après les souvenirs d’Ekaterina Ermolenko:
- Au cours de la cérémonie commémorative, du corps de Matouchka émanait une forte odeur, ses mains étaient chaudes, et quand les gens les baisaient, un parfum agréable restait sur les lèvres pendant une longue période.

Maintenant, on a collecté beaucoup de preuves des guérisons par la prière de Matouchka.
D'après le témoignage de Ludmilla:
" Je cuisais un biscuit pour le prendre avec moi sur la tombe de Matouchka et je me suis brûlé la main. Une grosse ampoule qui s'était formée sur la main était très douloureuse. Sur la tombe, nous avons prié et nous avons pris une petite collation. Après je suis rentrée… la main était parfaitement bien: pas d’ampoule, pas même une trace de brûlure, pas de douleur, je n'ai pas remarqué quand la guérison s'est produite, je n'ai vu que le résultat.
Un an plus tard, sur mon index, j’avais une grosseur épaisse avec la taille d'un haricot qui empêchait le doigt de se plier. Ayant déjà une expérience de la guérison de la brûlure, à la croix sur la tombe de Matouchka, je murmurai : "Matouchka, mon doigt me fait mal!" et je touchai la croix avec la grosseur. Nous avons prié... Une demi-heure plus tard, j'ai vu que la bosse sur mon doigt avait disparu. Il restait seulement une petite cicatrice rose - pour mémoire!

Bienheureuse staritza Alypia, prie Dieu pour nous!

Version française Claude Lopez-Ginisty
d'après