vendredi 12 avril 2013

LA STARITZA MISSAÏLA par sa petite fille (3)


Ce fut peu de temps après la guerre. Le soir, fatiguée des leçons de ma bien-aimée trigonométrie, je fis une pause et j'allai rendre visite à ma grand-mère.
Comme on était bien dans sa petite maison! Les lampades des icônes luisent solennellement. Seul le tic tac lointain de l'horloge de grand-mère, s’égrène dans le silence furtif. Je me repose… 
Des histoires brèves et rares de grand-mère, j'ai appris certains épisodes de sa vie. Dans toute sa vie pas une seule fois elle ne jugea quiconque, et tout ce qu'elle m'a dit était en référence à elle-même seulement. J'ai découvert que le nom de famille de ses parents était Grankiny. Ils provenaient d'une lignée ancienne mais appauvrie. Ils étaient morts très tôt, et à 6 ans, Matrona (c'était le nom de sa grand-mère avant qu’elle ne prenne le voile) et sa sœur âgée de 3 ans furent orphelines. Par décision du conseil du village, où elles vivaient, chaque famille, à tour de rôle, a donné refuge aux jeunes fille pour une journée. La sœur de grand-mère mourut bientôt, tandis que grand-mère continua à passer de ferme en ferme jusques à l'âge de 17 ans, quand elle fut donnée en mariage au jeune, beau et riche Vassili Zorin. Avant cela, il avait aimé une autre fille, une vraie beauté, et il avait prévu de l'épouser. Toutefois, à la veille du mariage, il avait mal calculé ses forces et avait soulevé certaines très lourdes charges, blessant sérieusement son dos, à tel point qu'il avait perdu l'usage de ses jambes. Il est devenu infirme. La belle mariée l’a immédiatement rejeté et le mariage a été annulé. C'est alors qu'il a été marié à une orpheline, ma grand-mère.

Elle eut une vie difficile. Toutefois, elle ne se plaignit jamais de son époux. Elle n’était pas autorisée à entrer dans la maison, sauf si elle y était appelée. En été, elle dormait dans le hangar, et en hiver dans la cuisine. Grand-mère ne pouvait même pas prier dans la maison. Elle priait et faisait ses prosternations vers le Seigneur quand elle descendait dans la cave. Elle portait sur ses épaules le fardeau de tout le labeur sale et lourd de la maison. Seules les prières ferventes l’aidaient à survivre à ces épreuves.

Ce n'est qu'à l'âge de 23 qu’elle donna naissance à une fille, qui mourut bientôt. Et six ans plus tard, elle donna naissance à un fils, qui fut nommé Matthieu. C’était mon père. Peu de temps après le mari de grand-mère est mort. Et elle, après avoir confié son fils à sa belle-mère, décida de partir pour Jérusalem, pour y prendre le voile. Grand-mère m'a raconté comment avec une de ses amis, elles ont fait leur chemin à pied jusques à Kiev, à partir de là jusques à Odessa, et après cela - par bateau en Turquie, et ce n'est qu'après jusques à Jérusalem. "Grand-mère, n'était-ce pas dangereux pour deux jeunes femmes de marcher seules - quelqu'un aurait pu vous faire du mal à toutes les deux?" demandai-je.

"Oh, non!" répondit grand-mère. "Qui aurait jamais levé la main contre une pèlerine ? Bien au contraire: les gens nous ont aidées, beaucoup nous ont demandé de prier pour eux à Jérusalem." Je serais bien restée à Jérusalem, si cela n'avait pas été pour un seul et même rêve que j'ai vu trois fois. Je rêvais que j'étais submergée par l'eau, tandis qu'une voix disait: "Retourne dans ta patrie: on a besoin de toi là-bas" J'ai raconté mon rêve à un prêtre. Ensuite, nous avons longtemps prié ensemble: tu le sais, il existe différents types de rêves, non seulement ceux envoyés par le Seigneur, mais ceux qui viennent du Diable. Finalement, le prêtre a béni mon retour à la maison. "

Grand-mère est revenue à la maison quand elle avait déjà plus de 34 ans. Elle s’est installée dans la maison avec son fils, dans une maison qui lui avait été donnée comme cadeau par sa belle-mère. Un jour, elle tomba dans un sommeil léthargique, et n’en sortit que quand elle était dans un cercueil, et qu’on se préparait à l’enterrer. Pendant ce sommeil, elle eut une vision de la Sainte Vierge. Après cela grand-mère eut le don de clairvoyance. Et puis un flot continu de gens a commencé à venir vers grand-mère, dans l'espoir (jamais vain) de trouver une solution à ses problèmes dans ses prières. Des histoires de grand-mère, j'ai appris que beaucoup de soldats et officiers russes vinrent lui rendre visite pendant la guerre contre l'Allemagne nazie. Elle fit toujours de son mieux pour consoler et réconforter tout le monde, en leur donnant une croix, ses bénédictions, et en priant avec ferveur pour tout le monde. En raccompagnant ces gens-là, à l'occasion, elle pleurait pour eux quelquefois, car sa vision lui avait prédit qu'ils mourraient bientôt.

Quand les troupes d’Hitler se rapprochaient de Stalingrad, beaucoup ont commencé à douter que nos forces remportent la victoire. Cependant, grand-mère savait qu'ils allaient s’en sortir, et elle avait l'habitude de dire: "Les Allemands fuiront loin de Stalingrad!" Ainsi, elle allumait l'espoir dans le cœur du chef du mouvement local des partisans, qui vint lui rendre visite. Elle lui donna sa bénédiction, et donc calmé et sa détermination renforcée, il retourna vers son détachement.

Une fois, un officier allemand, commandant de la gare, est venu vers grand-maman. Grâce à un traducteur, il lui dit: "N'aie pas peur, vieille femme, il suffit de dire la vérité." Et elle répondit: "Je n'ai peur de personne, si ce n’est du Seigneur."

L'Allemand était préoccupé par le sort de sa famille à Berlin. Cependant, grand-mère le calma: " Ta famille est bel et bien vivante, et ils vont tous survivre. Cependant, quant à la maison que tu construis ici, en Russie, tout cela est pour rien ! Très bientôt tu fuiras et tu emballer tes biens, votre maison sera démontée rondin après rondin. "

L'officier ne crut pas la prophétie de grand-mère selon laquelle les Allemands fuiraient la Russie. Pourtant, tout cela s'est passé exactement comme elle l'avait prévu, et comme ses soldats et il a emballé ses biens, pour une évacuation rapide, nos gens démontaient déjà sa maison, rondin après rondin. Il leur cria: " Russes, que faites-vous Vous pouvez utiliser cette maison comme club, commissariat ou quelque chose de similaire!" Mais, hélas, personne ne l’écouta et très bientôt il ne restait rien de sa maison.

Après la guerre, le flux de personnes affluant pour voir grand-mère ne faiblit jamais. Les gens venaient de loin, marchant depuis leurs villes et villages, jeunes et vieux, des étrangers et d’autres de notre propre peuple. Ils venaient et venaient. Il y en avait tellement parmi eux qui avaient été durement touchés par la guerre, qui avaient été psychologiquement traumatisés, les laissant aux prises sous un lourd fardeau de péchés de conscience!

A tous ceux qui venaient vers grand-mère était garanti un accueil tout aussi chaleureux: elle ne faisait aucune distinction de grade ou de titre, et c'était la même chose avec tout le monde. Elle priait pour chacune et chacun d'entre eux.

Grand-mère se levait à 5 heures du matin, pour avoir le temps de dire ses prières avant que les gens n’arrivent. Après la prière, elle ne buvait toujours que du thé. Les gens attendaient déjà dans la salle. Le flux de gens se poursuivait sans relâche jusques à 4 ou 5 heures dans l'après-midi.
Grand-mère demandait toujours le nom d'une personne, et répondait à toutes les questions brièvement, distinctement et précisément.

Parfois, elle réussissait à avoir le temps de prier seule et de se reposer avant le déjeuner. Après le déjeuner, elle répondait à de nombreuses lettres qui venaient de diverses destinations. En soirée, grand-mère allait dans sa chambre. Elle était toujours un peu sombre, éclairée par des lampades qui brûlaient devant les icônes, et profondément calme. Seule, elle s'asseyait sur un banc devant les icônes et priait, ses chapelet à la main.

Les repas de grand-mère étaient très modestes. Elle avait cessé de manger de la viande longtemps avant qu'elle ne devienne moniale, au moment où son mari était mort. Ils comprenaient principalement de pommes de terre, des légumes, des oignons, du riz et du millet, du kvas, des pommes et des poires.

La vie entière de ma grand-mère était prière. Elle priait beaucoup et il semblait à chaque instant de sa prière rayonnait la joie. Ses yeux brillaient et elle tendait les mains vers l'icône de la Sainte Vierge avec ces paroles: "Quelle joie, quel incroyable joie!"

Version française Claude Lopez-Ginisty

D’après



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