jeudi 17 mars 2011

Père Daniel Syssoev: Les entretiens Serbes (II) Quatrième et dernière partie


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La question suivante concerne les tentations modernes qu’on rencontre chez nous. En Serbie on a introduit le passeport biométrique. Il existe une tentation parmi certaines personnes dans l’Eglise qui pensent que s’ils acceptent ce nouveau passeport ils renient le Christ et reçoivent le sceau de l’Antéchrist.
Youri Maximov : C’est une tentation diabolique, et un des pièges classiques du Malin. On peut facilement voir cela dans l’histoire russe. Il n’y a pas longtemps chez nous, quand on a remplacé le passeport soviétique par le passeport russe, des gens disaient que si quelqu’un acceptait le nouveau passeport, il n’était plus chrétien et rien ne pouvait le sauver. Ils disaient qu’il ne faut pas accepter le nouveau passeport, que celui-ci vient de l’Antéchrist et il faut garder les anciens, « bons » passeports soviétiques. Et pourtant, quarante ans auparavant, quand ces « bons » passeports soviétiques avaient été introduits dans l’ensemble du pays, des gens disaient exactement la même chose, que ces passeports venaient de l’antéchrist et qu’il ne fallait pas les accepter. Pire que cela, déjà avant la révolution, à l’époque du tsar, on disait qu’il ne fallait pas accepter le passeport impérial parce qu’il venait de l’Antéchrist.
Le père Daniel : Saint Dimitri de Rostov écrivit qu’au XVIII siècle, quand les premiers passeports et le premier papier-monnaie apparurent, il y avait des gens qui affirmaient que cela était le sceau de l’Antéchrist.
Youri Maximov : Quel est le sens de cette ruse ? Son but est de détourner la personne de regarder le Christ, et de fixer son regard sur les choses extérieures : le passeport, la carte de rationnement, le code barre, etc. Or, une personne ne peut pas servir deux maîtres. Voilà en fin de compte, au lieu de penser, sommes-nous avec le Christ, ou ne sommes-nous pas avec lui, accomplissons-nous Ses commandements ou ne les accomplissons-nous pas, adhérons-nous forcement à la foi chrétienne ou n’y tenons-nous pas, au lieu de cela nous pensons, accepter ou non le passeport, y a-t-il un code barre sur le paquet ou non. C’est dire que les gens ne regardent plus l’essentiel, mais s’en laissent distraire.
Les gens qui partagent ce point de vue sur les nouveaux passeports et autres sujets étrangers à la foi citent le père Païssios l’Athonite et quelques autres Pères, dont je connais très peu de choses, uniquement ce que j’ai lu sur l’internet. Comment devrait-on réagir à cela ?
Le père Daniel : Nous savons que même les Pères de l’Eglise faisaient des fautes quand ils enseignaient, ils s’écartaient de la Tradition Sacrée. Saint Vincent de Lérins a dit que la Tradition Sacrée est ce qui a été cru partout, toujours et par tous. Cependant, l’enseignement du sceau comme une sorte de moyen d’identification extérieur, ou un « avant-sceau » (en Russie on a inventé ce terme) est un nouvel enseignement. Avant il n’y avait pas cet enseignement. En fait, cette opinion sur le sceau est fausse de point de vue théologique. Monsieur Maximov a parlé de la signification spirituelle de cette question, je vais parler de la signification théologique. Le fait est que pour nous, ce qui compte c’est l’Alliance avec le Christ. Nous avons un accord avec Dieu, et Dieu est avec nous. Et comme le Seigneur le dit, personne ne peut nous enlever des mains du Père Céleste. Car, notre Père est plus grand que tous. Le Seigneur dit : « Nul ne les arrachera de ma main. » Selon les Pères de l’Eglise - Hippolyte de Rome, André de Césarée et Irénée de Lion, le sceau de l’Antéchrist, décrit dans le treizième chapitre de l’Apocalypse, dépend précisément d’un accord personnel avec l’Antéchrist. Cela est aussi une alliance, mais d’un autre genre. Non sans raison saint André de Césarée dit que de même que nous recevons le sceau du Saint-Esprit par la Confirmation, l’Antéchrist lui aussi donnera le sceau du Malin. Il n’est même pas une question de moyen technique, c’est une pensée erronée. On pourrait mettre le sceau avec un simple stylo, on pourrait le mettre n’importe comment. Car, le sens de ce sceau n’est pas lié à des matériaux techniques, il est dans la volonté de la personne qui passe du côté du Diable. Cela est tellement important !
Beaucoup de gens pensent que l’Antéchrist ne pourra pas nous reconnaitre sans le sceau. Or, comme on lit dans les Epitres aux Thessaloniciens, Satan vivra en l’antéchrist, il agira par l’action du Satan à qui sont soumis tous les esprits du mal. Les esprits du mal nous suivent constamment, ils possèdent déjà assez de matériaux compromettants contre nous. Comme il est décrit dans les épreuves de sainte Théodora, les démons notent tous nos péchés. Croyez-vous que l’Antéchrist aura de la difficulté à demander à ses démons où nous nous trouvons ? Evidement, ce sera facile pour lui. Pour cela il n’a pas besoin de nous suivre. Pour l’Antéchrist il ne sera pas important de savoir où se trouve la personne, de quoi elle s’occupe, ce qu’elle vend. Pour l’Antéchrist l’essentiel sera de savoir que la personne a fait un accord avec lui, qu’elle est entrée en union avec lui. Il utilisera la faim pour faire du chantage. Alors l’interdiction sur le commerce et le principe du commerce sera simple : soit tu te prosternes devant moi, soit tu meurs de la faim.
Chez nous une substitution a eu lieu, pourtant cette substitution a été faite par des sectes religieuses. L’idée que le numéro d’identification fiscal, le passeport biométrique et le passeport lui-même sont le sceau de l’Antéchrist vient du milieu schismatique. Divers groupes schismatiques ont inventé cette histoire du passeport. D’abord cela a été fait par des vieux-croyants russes et ensuite par les « begounes », la secte dont a parlé Monsieur Maximov. En ce qui concerne le numéro d’identification fiscale, cela nous est venu des Adventistes du Septième Jour. Dans les années 1970, une des prophétesses adventistes a eu une vision, révélée par un certain esprit, que le numéro d’identification fiscale était en vérité le sceau de l’Antéchrist. Comprenez-vous de quelle source obscure nous vient tout cela ?
Et pourquoi Satan diffuse-t-il tout cela ? Il le fait pour que tous ces gens qui ont peur du sceau acceptent tranquillement le vrai sceau de l’Antéchrist. Parce qu’ils ne chercheront pas le sceau là où il se trouve en réalité. Ils le chercheront dans des matériaux techniques dont l’Antéchrist n’a pas besoin. Le diable veut accoutumer les gens à ne pas se méfier du véritable ennemi. Voilà ce qu’a dit Saint Hippolyte: «Que dira l’homme quand il accepte le sceau de l’Antéchrist ? Il dira : « Je renie Dieu le Créateur du ciel et de la terre, Son Fils Unique Jésus Christ, le Saint-Esprit et la Sainte Eglise et je me livre à toi. » Vous voyez que saint Hippolyte avait raison. Maintenant l’Antéchrist contrôle des gens par leur renoncement à la création de l’univers. La théorie de l’évolution n’est-elle pas une préparation à la venue de l’Antéchrist ? Bien sûr que cette théorie est une préparation, surtout l’évolution théiste qui affirme que Dieu a créé le monde avec l’aide du mal et de la mort. Cela amène à l’Antéchrist. L’affirmation que le Christ n’est pas le seul chemin vers Dieu, c’est une affirmation qui amène à l’Antéchrist. L’affirmation que nous pouvons être sauvés en dehors de l’Eglise, elle aussi amène à l’Antéchrist. L’affirmation que nous devons bien nous installer dans ce monde, c’est aussi une affirmation qui amène à l’Antéchrist ; et quand nous dirons que nous vivons dans la paix et la sécurité, la ruine arrivera, comme l’apôtre Paul l’a dit. Le chemin de l’Antéchrist est dans l’idéologie et non dans la technologie. Voilà en réalité la substitution diabolique qui est devant nous, la substitution d’une véritable question d’accord personnel par une question d’appareils techniques. A mon avis, spirituellement beaucoup de gens partagent déjà des idées de l’Antéchrist. L’idée qu’il y a un seul Dieu, mais plusieurs chemins envers Lui, ceci est une idée de l’Antéchrist. Mais personne ne s’oppose à cette idée, personne ne lutte contre elle. On lutte contre des choses qui ne sont plus du tout actuelles. On disait qu’il y avait un ordinateur, nommé « la bête » à Bruxelles, en avez-vous entendu parler ? Mais je vous en prie, l’ordinateur « la bête » fabriqué en l’année 1976 est moins puissant que le mien qui est ici. Même cet appareil d’enregistrement que vous tenez dans votre main est plus puissant que l’ordinateur qui devait s’emparer de toute l’humanité. Mais cette vieillerie fait quand même peur à certaines gens. Tout cela témoigne simplement du dérèglement d’esprit dans lequel des gens sont tombés. Il y a un symptôme clair à remarquer : plus on s’occupe de la lutte contre le passeport biométrique et le numéro d’identification fiscale, plus on devient nerveux, anxieux, méchant et agressif. Cela pourrait-il venir du Saint-Esprit ? Est-ce que le Saint-Esprit peut être le « Dieu de désordre ». Comme l’apôtre Paul l’a dit, Dieu n’est pas un Dieu de désordre, mais de paix. Mais je n’ai pas encore vu un seul homme tranquille et calme s’engager dans la lutte contre le numéro d’identification fiscale. Ce sont tous des hystériques. Chez nous il y avait un archimandrite respecté dans un monastère important, je ne cite pas son nom pour ne pas lui faire honte, qui était actif dans la lutte contre le numéro d’identification fiscale et pour finir il est devenu fou. Il est devenu littéralement fou, il courait nu autour du monastère et criait des bêtises. Il fut finalement interné dans une maison de fous. Voilà l’obscurcissement spirituel qui a complètement ruiné un homme. Chez nous des gens ont commencé de s’enfuir dans des grottes. Vous connaissez l’histoire de Penza ? Ce sont là tous les résultats de la même illusion. Un tel aveuglement peut-il venir de Dieu ? Non, cela vient de Satan. Et cela vient de Satan parce que le Diable veut nous tromper. Il nous trompe de manière que nous oubliions le Christ et pensions uniquement au Diable. Quand vous avez parlé du père Païssios, je me suis souvenu d’une histoire que j’ai apprise d’un témoin. Dans les années 1980 des pèlerins sont venus chez le père Païssios et lui demandèrent, quand est-ce que l’Antéchrist arrivera. Père Païssios leur demanda, « Pourquoi, vous voulez absolument le voir? »
Encore une question sur la vie spirituelle. Que faut-il d’essentiel pour affronter les tentations modernes ? Quelle vertu en particulier sera la plus importante ?
Le père Daniel : La confiance en Dieu est la chose principale et essentielle. Si nous n’avons pas la confiance en Dieu, notre prière devient une pratique pénible, notre père spirituel se transforme en psychanalyste. Toutes nos œuvres deviendront de simples travaux de compte. Il faut avoir une confiance personnelle en Dieu. Il faut se rappeler que nous marchons sous le regard de Dieu et que Dieu est avec nous. Dieu nous tient vraiment dans Ses mains et personne ne peut nous arracher de Ses mains. Comme l’apôtre Paul le dit, qui nous séparera de l’amour du Christ ? En effet, si nous sommes avec Dieu, toutes les autres vertus se mettent en place. La prière devient la communication avec Dieu, Qui est avec nous. L’obéissance devient la capacité d’entendre Sa Parole Sainte, de L’entendre à travers le bruit du monde. L’obéissance au père spirituel devient l’habilité à voir en lui l’image vivante du Christ et à contempler le Seigneur à travers lui. Le père spirituel est celui qui nous amène à Dieu et non celui qui se met sur le chemin pour nous humilier. Il en va de même pour l’humilité. Pas l’humilité qui dit, je suis mauvais, je suis bête, je ne comprends rien, mais l’humilité qui dit que sans Dieu je ne peux rien faire, et avec Dieu je peux faire beaucoup. En fait, l’humilité a un autre côté : l’audace. Elle est en nous quand nous nous rendons compte des talents que le Seigneur nous a accordés et pour lesquels il faudra Lui rendre compte. La douceur dans ce cas est liée avec le courage, car la douceur sans Dieu c’est la couardise, et la douceur avec Dieu c’est le courage. C’est comme cela pour tout. C’est pourquoi il faut marcher avec Dieu. De tout temps, dans les temps modernes et anciens, toujours.
Quels sentiments ont les orthodoxes russes pour des saints serbes comme saint Nicolas (Vélimirovitch) et saint Justin (Popovitch) ?
Youri Maximov : Saint Nicholas de Serbie et saint Justin Popovitch sont les saints serbes les plus aimés et les plus connus en Russie, ils sont aussi les orthodoxes serbes du vingtième siècle les plus connus en Russie. Le peuple orthodoxe russe a fait leur connaissance grâce à quelques petites traductions. Les paroles du Saint-Esprit, qui étaient dans les œuvres de ces deux ascètes serbes, ont trouvé une si forte résonnance dans les cœurs des russes, que les éditeurs, ayant vu cet intérêt, ont tout de suite commencé à publier et à traduire de plus en plus leurs livres. Actuellement, si vous entrez dans une librairie russe, vous verrez beaucoup de livres de saint Nicolas et de saint Justin. De plus, si vous regardez un ouvrage contemporain, vous verrez des citations des saints Nicolas et Justin. C’est l’offrande de l’Eglise Orthodoxe Serbe qui a été acceptée avec amour et gratitude par l’Eglise Orthodoxe Russe jusqu’au présent. Ces deux saints ont une très grande autorité en Russie. Je pense que c’est grâce au talent particulier de saint Nicolas, qui savait expliquer des choses compliquées d’une façon simple, il savait aussi comment les communiquer aux cœurs des lecteurs contemporains. Pourtant il n’écrivait pas de versions simplifiés et raccourcies ou des choses élémentaires, il expliquait les choses les plus profondes de notre foi. Pour cela, bien sûr, l’amour pour lui, ainsi que son autorité, est si grande. Et il le mérite. Grâce à cette vague d’intérêt pour l’héritage ascétique serbe on a traduit, et on traduit encore d’autres livres serbes en langue russe, d’autres livres d’auteurs religieux, parmi lesquels des théologiens serbes contemporains qui sont encore vivants. Mais à ma connaissance aucun de ces écrivains ne possède la même popularité parmi des lecteurs russes que ces deux colonnes de la pensée religieuse. Car, en lisant les textes de Nicolas de Serbie, nous sentons qu’il va droit au cœur.
Le père Daniel : J’aimerais ajouter quelque chose. Le fait est que ces premières traductions de saint Justin ont apparu dans les années 1970 sous la forme de « samizdat ». Ces versions samizdats, qui ont été traduites aux environs de 1982-1983, ont réussi à faire quelque chose de très important. D’abord il faut comprendre qu’à l’époque soviétique, l’œcuménisme était courant. Nous savons que toutes les églises, y compris des hiérarques, participaient à ce mouvement. Elles espéraient qu’avec un ennemi commun – l’idole du matérialisme – elles pourraient surmonter les divergences qui existaient entre orthodoxes, catholiques et autres. Cela, bien sûr, était une erreur. Et justement l’œuvre de saint Justin, « L’Eglise Orthodoxe et l’œcuménisme » a fait beaucoup pour changer les points de vue d’un grand nombre des gens qui maintenant effectivement définissent la vie de l’Eglise russe. Cela n’a pas concerné uniquement des théologiens et hiérarques, vraiment ce livre a eu l’effet d’une bombe. En ce qui concerne Nicolas de Serbie, d’après mon expérience, il est beaucoup apprécié par les gens de tous les jours. Alors que saint Justin a beaucoup aidé les gens versés dans la théologie à changer leur conception du monde. Je le dirais comme ça. Avec son livre contre l’œcuménisme, saint Justin a largement donné l’élan pour réévaluer le phénomène de l’œcuménisme. Grâce à lui, très peu d’idées œcuméniques sont restées dans l’église russe, et l’œcuménisme est méprisé chez nous. Le plupart de gens, même ceux qui s’occupent de l’œcuménisme, se disculpent. Il n’y avait jamais eu cela auparavant. Dans les années 1970, l’œcuménisme était considéré comme quelque chose de complètement normal. Maintenant, il est considéré comme quelque chose de honteux, même par ceux qui l’étudient. Et en effet, c’est là le mérite de saint Justin. Après les œuvres de saint Justin, et encore plus tard, on a commencé à publier les œuvres de saint Hilarion Troïtski et d’autres auteurs. Mais c’est effectivement saint Justin qui a posé la première pierre.

Version française
Aviv SALIOU-DIALLO et Charles HABEL
que nous remercions


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