vendredi 27 décembre 2024

Bernard Le Caro: L’information orthodoxe sur internet : être responsable

Bernard Le Caro

Grâce aux immenses progrès technologiques de la fin du XXe siècle, l’information est désormais disponible à chacun, dans le monde entier, sur presque tous les sujets. C’est là une bonne nouvelle pour l’Église orthodoxe actuellement : ce fut souvent difficile, en Europe occidentale, voire pratiquement impossible à certains moments, de publier un livre orthodoxe si son contenu, pour une raison ou une autre, était considéré « politiquement incorrect ». 

Même de courtes informations sur le monde orthodoxe étaient difficiles à publier. Or, nous avons maintenant la possibilité, et ce à titre gratuit, d’atteindre les lecteurs non seulement dans un pays spécifique, mais aussi dans tous les pays du monde. Mais il y a un « revers à la médaille » : on peut trouver toute chose sur la toile, du meilleur jusqu’au pire. 

C’est pourquoi publier des informations sur internet constitue une énorme responsabilité, si l’on tient compte en outre du fait que les gens ont tendance à croire tout se qui s’y trouve. Aussi, notre responsabilité ne se limite pas seulement au monde orthodoxe, mais aussi au monde entier, où nombreux sont ceux qui attendent de nous « une parole nouvelle », pour utiliser l’expression de Dostoïevski, à savoir une parole orthodoxe. Il suffit de mentionner à ce sujet que le programme orthodoxe de la Télévision française est suivi par 130'000 personnes… Aussi, notre responsabilité est immense.

Alors, quels doivent être les critères des contenus d’un site internet orthodoxe ? Quel type d’informations est nécessaire en tenant compte de notre expérience dans le monde occidental ? Qu’est-ce qui doit être exclu à tout prix ?

Premièrement, quels devraient être les critères d’un site internet orthodoxe ? Commençons par une petite histoire. Cela se passait à Paris après la seconde guerre mondiale. Pour différentes raisons, l’Église orthodoxe russe était divisée en trois parties, chacune d’entre elles luttant contre les deux autres. Aussi, il n’était pas rare qu’une paroisse quitte son évêque pour en rejoindre un autre, il y avait des actions en justice entre juridictions orthodoxes, etc… À cette époque, la paroisse relevant de saint Jean de Changhaï avait rejoint une autre juridiction, et un paroissien dit à celui-ci : « Il faut lutter ! », ce à quoi le saint archevêque répondit : « Non, il ne faut pas lutter, il faut construire ! » Il me semble que ces paroles de saint Jean devraient être présentes à notre esprit lorsque nous mettons un article en ligne : celui-ci doit être positif, constructif

C’est un devoir que de faire connaître les événements positifs du monde orthodoxe : en particulier les vies des saints et des startsy de notre époque, avec leurs enseignements, les monastères, les nouveaux livres publiés, les organisations caritatives, etc… Naturellement, notre but n’est pas de sombrer dans une sorte de pharisaïsme, mais de donner de l’espérance au monde et des idées pour faire le bien. En d’autres termes : « Que votre lumière brille devant tous les hommes, pour qu'ils voient le bien que vous faites et qu'ils en attribuent la gloire à votre Père céleste » (Mt 5, 16). Au demeurant, comme le disait si bien le patriarche Paul de Serbie, de bienheureuse mémoire : ce que nous faisons pour l’Église représente seulement 1%, les 99% restants étant accomplis par l’Esprit Saint. C’est donc là notre premier critère.

Un second critèrepeut être trouvé dans les enseignements de saint Païssios de la Sainte Montagne. Celui-ci me dit un jour : « Si tu trouves des excréments sur ton chemin, prends une pelle, et jette-les dans les buissons, afin que les gens qui passent ne les étalent pas partout ». Saint Païssios voulait dire que nous ne devons pas publier des informations scandaleuses. 

Se référant à des périodiques qui publiaient ce genre d’information à l’époque, saint Païssios disait que les ennemis de l’Église n’avaient qu’à ouvrir ces journaux pour y trouver des arguments contre l’Église. Rappelons-nous des paroles de l’office des Saints Pères des Conciles œcuméniques : « Cette boisson de vérité n’est pas celle de la contestation, mais de la confession » [ύδωρ ου προχέων αντιλογίας, άλλ' ομολογίας].C’est donc le second critère. Nous ne sommes pas intéressés par les « règlements de comptes » entre ecclésiastiques, par les commérages, etc… Mais naturellement, c’est une toute autre chose de publier des documents sur l’intégrité de la foi orthodoxe, lorsque celle-ci est en danger. Cela devient alors un devoir, étant toutefois entendu que les faits doivent être vérifiés.

Le troisième critèrepeut être illustré par une autre histoire de saint Païssios : comme vous le savez tous, des événements terribles se sont produits en 1974 : l’armée turque s’empara alors d’un tiers du territoire de Chypre, en chassant ses habitants grecs. Maintenant, selon saint Païssios, quelle était la cause lointaine de tous ces événements ? Quelques mois avant cet événement tragique, trois métropolites avaient décidé de déposer l’archevêque Makarios III en raison de son statut anti-canonique : en effet, il était à la fois primat de l’Église et président de l’État cypriote. 

Le gouvernement militaire en place alors à Athènes vit là une bonne occasion de se débarrasser de l’archevêque Makarios et d’obtenir ainsi « l’enosis », c’est-à-dire l’union politique de Chypre avec la Grèce, ce à quoi l’archevêque était opposé. C’est ainsi que, dans un premier temps, l’archevêque Makarios fut chassé. Mais le gouvernement turc, voyant se profiler « l’enosis », saisit à son tour l’occasion pour envahir l’île. Le résultat fut que la Turquie s’empara d’un tiers de Chypre, en expulsa tous les Chypriotes grecs. 200.000 d’entre eux durent quitter ainsi leurs foyers ancestraux et se réfugier dans une autre partie de l’île. 

Peu après ces événements, je rencontrai saint Païssios qui, désappointé, me dit : « Plus personne ne demande maintenant qui est canonique ! » Plus que sûrement, les métropolites qui défendaient l’ordre canonique n’avaient pas recherché un tel résultat. Saint Païssios ajouta : « Pour tout ce que tu fais, regarde au delà du bout de ton nez ! » Cela veut dire que nous devrions réfléchir sérieusement avant de publier une information, en pensant à ses tenants et ses aboutissants. La question devrait être : « Sera-ce une bonne chose pour l’Église ou non ? » Et il faut avoir en vue qu’avec internet, l’information peut atteindre absolument n’importe qui sur notre planète, et être utilisée de façon abusive. Je dirais donc que le troisième message aux personnes engagées dans l’information électronique orthodoxe aujourd’hui est : « Soyez responsables ! » et il convient de se rappeler de ces paroles de saint Isaac le Syrien : « Le discernement est la plus grande des vertus ».

Pour résumer ce qui précède, l’information devrait être positive, éviter les scandales et être responsable. En d’autres termes, nous devrions éviter que ces paroles de saint Paul nous soient appliquées: « A cause de vous, le nom de Dieu est blasphémé parmi les païens ! » (Rom 2, 24).

Nous avons vu quelle sorte d’information devrait ou non être mise en ligne, mais il y a une autre raison de s’inquiéter : lorsque l’on entre le mot « Orthodoxie » sur internet, on trouve n’importe quoi, et c’est encore un euphémisme ! Il y a des sites qui ne sont absolument pas sérieux, certains sites appartiennent à des groupes non canoniques, mais aussi à des fantaisistes qui se réclament de l’Orthodoxie sans appartenir à celle-ci de quelle façon que ce soit. Une solution serait, me semble-t-il, qu’un label soit apposé à chaque site internet réellement orthodoxe. Maintenant, quel label et qui pourrait se charger de l’accorder ? Pourrait-on imaginer un groupe de travail avec un représentant officiel de chaque Église orthodoxe ? C’est là une matière à réflexion.

Pour finir, et ce n’est pas la moindre chose, les gérants de sites orthodoxes devraient soigneusement vérifier les informations. En conclusion, notre objectif devrait être que les gens qui consultent un site orthodoxe, se posent eux-mêmes les bonnes questions, ressentant ce que saint Païssios appelait « la bonne anxiété », celle qui rappelle aux hommes le but ultime de leur existence : le salut.

Conférence prononcée dans le cadre du 1er « Congrès international des médias numériques et de la pastorale orthodoxe » à Athènes, le 9 mai 2015. 





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