mercredi 9 novembre 2022

Qui chantait aux anciens offices liturgiques et comment ? Histoire des huit tons ecclésiastiques

L'histoire du chant liturgique commence dans le monde céleste, où les rangs angéliques chantent la louange de Dieu. Leur chant provient d'avant la création du monde et se poursuit dans l'éternité. L'histoire « terrestre » du chant liturgique peut être divisée sous certaines conditions en plusieurs périodes.

Examinons l'époque au cours de laquelle le principal système de chant liturgique connu sous le nom de huit tons d'Eglise a été formé.

Périodes de formation du chant liturgique

L'historien de la musique Vladimir Martynov, dans son ouvrage de recherche intitulé History of Liturgical Singing [Histoire du Chant Liturgique], identifie trois principales périodes de formation du chant d'église.

La première commence avec la chute de l'homme et continue jusqu'au prophète Moïse. Pendant cette période, le chant liturgique existait sous sa forme première. Les sacrifices de l'Ancien Testament ont peut-être inclus certains éléments musicaux, bien que les Écritures n'en fassent aucune mention. Dans le même temps, la musique était activement utilisée dans les cultes païens, suivis par les peuples voisins des Juifs. Les manifestations religieuses du peuple élu de Dieu ont commencé à recevoir un accompagnement musical. Moïse et les fils d'Israël chantaient des chants au Seigneur (Ex. 14:32), (Ex. 15:20, 21).

La deuxième étape - de Moïse à la Nativité du Christ - est une période de développement progressif du culte et du chant de l'Ancien Testament à l'aide d'instruments de musique, servant auparavant à louer les dieux païens.

Le Roi David était un grand musicien et chanteur. Il a systématisé le chant liturgique et créé un système strict. Il a également organisé une série de services de chorale dans le Tabernacle, désignant des chantres formés à y chanter et limitant le culte au chant des psaumes composés par ses soins. « David a également ordonné aux chefs des Lévites de nommer les membres de leurs famille comme chantres pour faire monter des sons forts de joie sur les instruments de musique, sur les harpes, les lyres et les cymbales. » (1 Chroniques 15:16).

Cette tradition s'est poursuivie sous le roi Salomon. Selon les recherches de Martynov, les chantres et les musiciens du Temple de Jérusalem, constituaient une caste distincte au sein de la tribu Lévite. Le don musical était transmis par la lignée familiale, c'est-à-dire que l'on ne pouvait devenir chantre que par naissance.

L'incarnation du Seigneur Jésus-Christ inaugura une troisième période, celle du Nouveau Testament, au cours de laquelle le chant d'adoration fut séparé de la musique instrumentale, trouva son propre système et fut comparé au chant angélique. Saint Jean Chrysostome dans son Homélie 23 sur Éphésiens dit : "... Jésus, le Fils du Père de miséricorde, le Fils du Dieu Même, a apporté toute vertu, a fait descendre du Ciel tous les fruits qui y sont d'où, Il a apporté les chants du Ciel . Carles paroles que disent les Cherubim en Haut, il nous a chargés de les dire aussi, Saint, Saint, Saint ...»

Le chant d'Eglise du Nouveau Testament fut développé et raffiné au cours de plusieurs siècles, jusqu'à ce qu'il soit finalement incarné dans les huit tons d'Eglise. L'histoire des huit tons se compose de deux périodes : la première - des saints apôtres à saint Constantin le Grand - et la seconde - du règne de saint Constantine à saint Jean de Damas.

La période des saints apôtres et de la persécution

Les premiers offices chrétiens étaient également prioches de l'office de l'Ancien Testament. En dehors de leur participation aux offices du Temple, ils célébraient leurs propres réunions chrétiennes dans leurs maisons. Ces réunions étaient accompagnées de chant. Certains écrivains du 1er siècle av. J.-C. nous ont laissé des descriptions de tels services.

Philon d'Alexandrie a décrit dans son livre Sur la vie contemplative les chants et les hymnes chantés par les premiers chrétiens lors de leurs rassemblements. Composer ces chants et les exécuter était de nature libre et ils étaient même improvisés. Selon l'Apologeticum de Tertullien (Ch. 39), après s'être lavé les mains et avoir allumé les lampes, tout le monde était invité à chanter des chants de louange à Dieu, soit tirés de l'Écriture, soit composés par quelqu'un.

Les premières congrégations chrétiennes étaient peu nombreuses et se composaient principalement de personnes et sans instruction. Pour cette raison, les hymnes chantés par la congrégation lors des offices étaient simples et de forme dépouillée. « Après le repas, ils font la veillée sacrée qui est menée de la manière suivante. Ils se lèvent tous ensemble et se tenant au milieu du réfectoire se forment d'abord en deux chorales, l'une d'hommes et l'autre de femmes, le chef et le chantre choisis pour chacun étant le plus honoré parmi eux et aussi le plus musicien. Ensuite, ils chantent des hymnes à Dieu composés de nombreuses mesures et fixés à de nombreuses mélodies, chantant parfois ensemble, reprenant parfois l'harmonie antiphonale, les mains et les pieds gardant le tempo en accompagnement, et chantant avec enthousiasme reproduisent parfois les paroles de la cérémonie, parfois les mouvements d'une danse chorale (Sur la vie contemplative).

Les premiers offices chrétiens n'avaient ni chantres formés ni règles strictes, à l'exception de la tradition émergente pour les débutants d'apprendre des plus expérimentés. Dans le même temps, les trois formes suivantes de chant d'église, qui se distinguent dans les premiers siècles, se trouvent encore aujourd'hui dans les cultes :

  1. Chant hypophonique. La chorale chante avec un chanteur plus expérimenté, répétant après lui soit toute la strophe mélodique, soit sa fin, soit une certaine énonciation, par exemple, le refrain « Sa miséricorde est éternelle, Alléluia ! » D'autres exemples de la pratique liturgique moderne sont les refrains "Car Dieu est avec nous" aux Grandes Complies de Noël et de la Théophanie, ou le Tropaire de Pâques "Christ est ressuscité".
  2. Chant antiphonique (alterné). Les lignes du chant sont chantées alternativement par deux chorales ou par un soliste (canonarque) et une chorale. Pline le Jeune (106) dans une lettre à l'empereur Trajan a écrit : « certains jours, les chrétiens se rassemblent avant le lever du soleil et chantent à tour de rôle des hymnes de louange à Dieu. » Cette forme a été fermement établie dans le culte grâce à Saint Ignace le théologien, évêque d'Antioche, qui eut une vision d'anges louant la Sainte Trinité dans le chant antiphonal.
  3. Chant symphonique (consonnal). Tous les participants chantent l'hymne dans une mélodie commune, "d'une seule bouche et d'un seul cœur". Les exemples d'aujourd'hui de chant symphonique (selon la tradition locale) comprennent les chants "Fortifie-nous, ô Seigneur..." chantés aux grandes vêpres, "Ayant contemplé la résurrection du Christ" le dimanche matin, ainsi que "Le Credo" et "Notre Père" à la Divine Liturgie.

Les genres distingués dans la pratique liturgique comprenaient des psaumes, des chants de louange et d'actions de grâce, et des hymnes. Saint Grégoire de Nyssa dans son traité sur les textes des Psaumes explique ces concepts comme suit : « Un psaume est une mélodie nécessitant un instrument de musique ; une chant est une mélodie de voix humaine avec des mots articulés. Un hymne est une louange donnée à Dieu pour les bénédictions qui nous ont été conférées. »

Parmi les premiers théologiens chrétiens travaillant sur le concept et la structure du chant religieux d'Orient figuraient saint Clément d'Alexandrie, saint Athanase le Grand, saint Ephraim le Syrien, saint Basile le Grand, saint Grégoire de Nysse, saint Jean Chrysostome, et d'autres.

Bien qu'il n'y ait pas eu d'interdictions pures contre l'utilisation d'instruments de musique dans le culte, ils sont pratiquement obsolètes dans l'Église du Nouveau Testament. Les saints Pères considéraient l'homme lui-même comme un instrument du Saint-Esprit et ils  soulignèrent que le chant approprié est la résultante d'une vie juste. « Devenons la flûte, devenons la cithare du Saint-Esprit... Préparons-nous pour Lui, comme nous accordons les instruments de musique », dit saint Jean Chrysostome.

Ainsi, le christianisme fit un grand pas dans la formation et la structuration du culte et du chant religieux dès les premiers siècles. Pourtant, la persécution entrava le développement de tout son potentiel.

La période de saint Constantin le Grand à St. Jean de Damas

L'édit de Milan (313) de l'empereur Constantin le Grand a fait du christianisme la religion d'État remplaçant les catacombes par des églises majestueuses. En plus des améliorations extérieures de l'Église, il y eut aussi un raffinement interne. L'office du culte devint de plus en plus solennel. Cela affecta le chant de l'Eglise, qui prenait des formes de plus en plus complexes, nécessitant une préparation sérieuse de la part des choristes.

La deuxième période de formation du chant liturgique fut caractérisée par l'apparition de nouveaux types de chants (par exemple, tropaires et stichères) et l'institution de chantres professionnels formés. Le canon (15) du Synode de Laodicée (367) déclare : « Personne d'autre ne chantera dans l'Église, sauf seulement les chantres canoniques, qui montent à l'ambon et chantent à partir d'un livre. » Dans le même temps, selon le hiéroconféreur Nicodème (Milash), les laïcs furent autorisés à reprendre les chantress canoniques après que ceux-ci aient commencé un cantique d'église.

Ainsi, le niveau de chant liturgique augmenta considérablement. À partir de ce moment-là, comme V. Martynov l'écrit, les chantres ont commencé à être installés dans leur ministère par une petite bénédiction et une prière spéciale. Les chantres étaient vêtus de surplis blancs et occupaient deux kliros. Les choristes constituaient une entité distincte avec sa propre hiérarchie. Avec les principaux chanteurs des chœurs droit et gauche, il y avait aussi des choristes chantant des stichères uniques, des mentors instruits enseignant l'alphabétisation musicale aux chantres et des compositeurs d'église écrivant de nouveaux chants.

C'était un grand honneur de s'engager dans le chant liturgique. De nombreux dirigeants byzantins, imitant le roi David, ont montré leurs compétences en hymnographie et en composition. L'empereur Justinien a composé l'hymne "Fils Unique", les empereurs Léon le Sage et Constantin Porphyrogénète ont écrit plusieurs stichères et exapostilaires. De nombreux archipasteurs de l'Église œuvrèrent dans ce domaine, par exemple, les patriarches Sophrone de Jérusalem, Germain de Constantinople et Méthode Ier de Constantinople. Les saints Basile le Grand et Jean Chrysostome devinrent les auteurs de la Liturgie.

La création d'un grand nombre de nouveaux chants et l'émergence de nouvelles formes mélodiques au cours de cette période ont conduit à la nécessité de les organiser en un seul système cohérent. Au IVe siècle, le premier système de modes d'église est apparu. Selon V. Martynov, saint Ambroise de Milan emprunta cette démarche à l'Orient, introduisant le système des quatre voix avec des noms grecs : Protus, Deuterus, Trims et Tétanus. Au sixième siècle, saint Romain le Melode composa des kontakions et des ikos de huit tons.

Au VIIIe siècle, saint Jean de Damas élabora le principe des huit tons [modes] ecclésiaux, en le transformant en un système parfait. Cette collection de chants réglés sur huit tons modifiables fut compilée dans un livre appelé l'Octoèque, qui est encore utilisé pour les services divins aujourd'hui. Au début du Xe siècle, ce système devint courant dans l'Église orientale.

Dans l'histoire de l'écriture de chants ecclésiastiques, les huit tons d'Eglise sont devenus la source vivante de tous les chants grecs, slaves du sud (bulgares, serbes) et russes. Les tonss ecclésiaux de la Grèce d'Orient utilisés aujourd'hui par l'Église orthodoxe ne transmettent pas les formes musicales et les subtilités exactes de l'ancien prototype byzantin. Cependant, ils contiennent des fondations musicales solides, les propriétés mélodiques et rythmiques du prototype byzantin. Plus important encore, ils transmettent le même esprit, caractérisé par un sentiment religieux vivant et lumineux, rempli de joie et d'espoir spirituels.

Version française Claude Lopez-Ginisty

d'après

The catalogue of Good Deeds


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