dimanche 7 novembre 2021

Saint Père Païssios: « Que votre discours soit toujours gracieux, assaisonné de sel »

 


aîné de

C'était en février 1988. Assez froid à Karyes [Capitale de la Sainte Montagne]. C'est à assez haute altitude et c'est humide, ce qui rend les choses plus difficiles. Mais le temps était sec ce jour-là. Il y avait un peu de brise et si vous étiez habillé chaudement, c'était assez agréable. C'était en fin d'après-midi et le soleil venait de tomber derrière la colline. Je marchais le long d'un chemin avec le père Païssios, et en route, nous avons rencontré Père Callinique de la  Skite de Koutloumousiou.

Nous sommes arrivés au petit pont en bois. Il y avait des noisetiers tout autour, avec juste des branches nues.

« Qui est parti apporter des mandarines ? », demanda le père Païssios avec surprise.

Beaucoup plus loin, à une soixantaine de mètres, il y avait la porte de sa cour et quelque chose en bas, qui aurait pu être orange. De cette distance, il n'était pas possible d'en dire plus.

Nous sommes bientôt arrivés et, en effet, nous avons vu un grand sac en plastique, de couleur orange, plein de mandarines. Comment diantre les avait-il vues ? Comment savait-il qu'il s'agissait de mandarines et non d'oranges ? Étant donné que le sac était orange, il aurait pu contenir n'importe quoi, des pommes, par exemple.

« J'aime vraiment les mandarines », déclara-t-il, faisant semblant d'être gourmand. « J'en garderai trois pour moi... Non, mieux vaut en prendre cinq... Non, maintenant j'ai la chance d'en prendre sept », déclara-t-il avec un grand sourire et il s'arrêta au chiffre de sept.

« Fais passer le reste à frère Joseph, Père Callinique ».

Le Père Callinique prit sa bénédiction et partit. Père Païssios et moi sommes entrés dans sa petite maison. Nous nous sommes assis dans une cellule et il m'a demandé de lire quelques un de ses textes manuscrits.

Une vingtaine de minutes s'étaient écoulées lorsque quelqu'un a frappé à la porte, voulant le voir.

« Devrais-je répondre à la porte, Géronda? », ai-je demandé.

« Mieux vaut ne pas le faire. S'ils sont curieux, ils partiront. S'ils ont vraiment besoin de me voir, ils ne le feront pas.

Nous avons continué à lire, et après quelques minutes, on a frappé de nouveau.

« Maintenant, que faisons-nous, Géronda ? »

Au lieu de rideaux, il y avait un morceau de drap au-dessus de sa fenêtre.

« Jette un coup d'œil, sans qu'ils ne te voient et dis-moi combien ils sont».

« Je ne peux pas le dire, parce que je ne peux pas les voir »

« Ne peux-tu même pas les compter ? Qu'as-tu fait toutes ces années en Amérique ? Nous attendrons et ils frapperont à nouveau.

Bien sûr, après un certain temps, ils ont de nouveau frappé.

« Maintenant, je vais voir si je peux les compter. Je n'ai peut-être pas terminé l'école primaire, mais je verrai ce que je peux faire ».

Il s'est levé et a ouvert la porte.

« Qu'est-ce qui se passe, les gars ? Regardez l'heure. Pourquoi êtes-vous venus ? »

« Père, nous voulons te voir un peu. Est-ce possible ? »

« Certes, vous pouvez me voir, mais que trouverons-nous à vous offrir ? Combien êtes-vous ? Laisse-moi compter. Sept. Voyons ce qu'il y a dans la boutique à cette heure de la journée ».

Il entra et est revint avec les sept mandarines.

J'ai été absolument étonné par cet homme. Comment savait-il combien de mandarines garder ? Le savait-il à l'avance ? Dieu le lui avait-il montré, sans qu'il s'en rende compte ?

« D'où venez-vous ? », demanda-t-il avec intérêt.

« Nous sommes d'Athènes. Et Bruce et John viennent d'Amérique ».

D'Amérique? Si je leur donne  simplement une mandarine à chacun, ils se moqueront de nous. Voyons s'il y a quelque chose d'américain au supermarché ».

Il retourna à l'intérieur et revint avec un paquet de biscuits américains et une boîte de noix Planters. Ils furent étonnés et impressionnés.

« Père », demanda l'un d'eux, « que symbolise le talanto [Planche servant à appeler les frères dans un monastère. On la frappe avec un maillet voir photo ci-après] sur lequel on frappe dans les monastères ? »

talanto dans

Je ne sais pas ce que cela symbolise et ce n'est pas important. Ce qui compte, ce n'est pas de frapper le talanto dans un monastère, mais de multiplier le talent que Dieu vous a donné*. Écoutez. À cause du temps, vous devez partir. Je n'ai qu'une seule chose à vous dire. Le problème avec les Américains est qu'en anglais, "I" [Je] est toujours écrit avec une majuscule, alors qu'ici en Grèce, nous écrivons parfois "εγώ" avec un petit "ε".

Ils ont ri de sa plaisanterie et les Américains ont demandé : "Qu'est-ce que cela signifie ? Que devrions-nous faire ? »

« Débarrassez-vous de « I » de votre vocabulaire. L'égoïsme est notre grand ennemi. Nous devons tous, sans exception, lutter contre cela ».

Il y a une courtoisie à propos de la sainteté, une délicatesse, une grâce. Il n'a rien dit de sage ou de théologique, ni fait de révélations impressionnantes. Mais il leur a rempli le cœur. 

Il savait qu'ils viendraient, mais il leur a caché ça. Il a fait plaisir à chacun de ses visiteurs, il ne ressemblait à personne d'autre dans son comportement, édifiant dans son discours et relaxant par sa présence. 

Sans essayer de persuader personne de quoi que ce soit, il a convaincu tout le monde des choses les plus importantes. Avec lui, on était illuminés, on trouvait la joie et le repos. On se sentait comme Marie aux pieds du Christ. Comme les apôtres du Mont Thabor à la Transfiguration, on ne voulait  jamais partir.


Version française Claude Lopez-Ginisty

d'après

PEMPTOUSIA


NOTE: 

*Un autre des célèbres jeux de mots de saint Païssios. En grec, le mot Talento [« longeron en bois »] et le mot « talent » dans Matthieu, 25, 14-30) sont les mêmes. 

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