lundi 17 mai 2021

Dans une interview au journal « POLITIKA », l’évêque de Bačka Irénée (Église orthodoxe serbe) précise la véritable nature de la primauté du Patriarcat de Constantinople 


 POLITIKA : Ces jours-ci, on a pu entendre des déclarations de la part de l'Église orthodoxe russe, mais aussi du Patriarcat de Jérusalem, selon lesquelles on envisage une nouvelle réunion des représentants des Églises orthodoxes locales, comme celle qui s'est tenue à Amman, à laquelle l'Église serbe avait également participé, ainsi qu’une opinion de Moscou selon laquelle il n'est plus nécessaire de maintenir la pratique de convocation de telles réunions par le patriarche œcuménique, parce qu'il a perdu le statut de premier parmi les égaux en raison de son soutien aux schismatiques ukrainiens. Comment voyez-vous ces appels, mais aussi la remarque concernant le patriarche œcuménique ? 

 Mgr Irénée : Des discussions pour surmonter ce problème sont nécessaires. Elles devraient être menées sous différentes formes, bilatérale et multilatérale, et la forme la plus opportune et la plus fructueuse serait la forme conciliaire, panorthodoxe. Cependant, le patriarche de Constantinople refuse de convoquer le Concile panorthodoxe jusqu'à nouvel ordre, car, selon son interprétation, lui, en tant que premier évêque de l'Église orthodoxe, a le droit d'agir de manière indépendante et arbitraire sur les questions de juridiction et d'autocéphalie, au mépris de l’opinion des autres, même lorsqu'elle est majoritaire ou universelle. Cela semble connu, n'est-ce pas ? 

Malheureusement, ce genre de rhétorique des rives du Bosphore rappelle trop la rhétorique des rives du Tibre en Italie. « Nouvelle Rome », Constantinople, aujourd'hui Istanbul, comme si elle voulait être une copie fidèle de la « vieille Rome » au sens ecclésiastique, et une copie de son édition papale du deuxième millénaire de l'ère chrétienne. Celle-ci, l'Église orthodoxe, dirigée par le Patriarcat de Constantinople, appelé à juste titre « La Grande Église du Christ », ne l’a jamais accepté, et je suis convaincu qu'elle ne l’acceptera pas à l'avenir. 

En outre, certains théologiens de Constantinople défendent la thèse selon laquelle nul autre que le patriarche œcuménique n'a le droit de convoquer des Conciles panorthodoxes ou inter-orthodoxes. Bien entendu, cela n’a pas de fondement en théologie ou dans l'histoire de l'Église. La plupart des Conciles œcuméniques du passé n'ont pas été convoqués par le patriarche de Constantinople, et c’est un fait, certains papes romains et certains patriarches de Constantinople ont été jugés par des Conciles œcuméniques pour hérésie. 

Si l'Église de Constantinople avait vraiment une juridiction universelle et le monopole de la convocation de conciles locaux et universels, il n’y aurait aucun concile dans lequel un pape ou un patriarche de Constantinople aurait siégé sur le banc des accusés, non seulement pour un délit disciplinaire ou moral, mais encore pour la transgression dogmatique la plus grave, l'apostasie de la vraie foi. 

C’est pourquoi le patriarche de Jérusalem, avec son autorité en tant qu'évêque de la ville sainte de Jérusalem et l'autorité de son Église en tant que plus ancienne Église apostolique gardienne des plus grands sanctuaires de la Terre sainte, a la possibilité et le droit de convoquer d'autres patriarches et dirigeants ecclésiastiques pour surmonter les problèmes émergents et préserver l'unité de l'Église – dans le cas où le premier patriarche selon le rang ne le fait pas. À ce stade, nous sommes confrontés à la question : quelle est la nature de la primauté de l’évêque de premier rang ? Est-ce la primauté de pouvoir ou d’honneur ? Le patriarche œcuménique est-il le premier ex sese (par lui-même), de jure divino (de droit divin), ou par la volonté de l'Église, sur la base de facteurs historiques et non strictement théologiques ? Est-il au-dessus du Concile des évêques ou est-il le président du Concile, donc l’un de ses membres ? 

L'Église orthodoxe n'a qu'une seule réponse à toutes ces questions, explicite et sans ambiguïté : il n'y a pas de primauté de pouvoir dans l'Église ; le premier évêque selon l’honneur l’est par la volonté de l'Église, conditionnée par des raisons historiques ; en définitive, il n'est pas au-dessus du Concile. En un mot, il est primus inter pares (le premier parmi les égaux), et en aucun cas primus sine paribus (le premier sans égaux), comme le dispose la nouvelle théorie néo- papiste de certains théologiens. 

Malgré tout ce qui a été dit, l'archevêque de Constantinople, de la Nouvelle Rome et patriarche œcuménique (son titre officiel complet), n'a pas perdu le statut de premier parmi les égaux, c'est-à-dire la primauté d’honneur. De plus, il ne peut le perdre, sauf lors d'un nouveau Concile œcuménique, si, bien entendu, ce Concile finit par prendre une telle décision. Car, il a reçu cette primauté par décision du IIème concile œcuménique, tenu en l'an 381 à Constantinople, dont le 3ème canon dispose : « l'évêque de Constantinople aura la préséance d'honneur après l'évêque de Rome, puisque cette ville est la nouvelle Rome ». Ce canon a été confirmé et renforcé par le 28e canon du IVème Concile œcuménique, tenu en 451 à Chalcédoine près de Constantinople, dans lequel il est dit : « ... nous approuvons et prenons la même décision au sujet de la préséance de la très sainte Église de Constantinople, la nouvelle Rome (…) pensant que la ville honorée de la présence de l'empereur et du sénat et jouissant des mêmes privilèges civils que Rome, l'ancienne ville impériale, devait aussi avoir le même rang élevé qu'elle dans les affaires d'Église, tout en étant la seconde après elle». Ainsi, sur la base de données politiques (Nouvelle Rome, la ville de l'empereur et du Sénat), et non sur la base d'un impératif dogmatique et ecclésiologique, comme les nouveaux adeptes de la conception officielle catholique-romaine de la primauté le pensent - un petit diocèse basé dans la ville de Byzance, diocèse suffragant subordonné au métropolite d’Héraclée - a été reconnu au plus haut niveau de première Église d’Orient, de sorte que la primauté de Rome a été étendue à la Nouvelle Rome. Dans la théorie juridique et l'idéologie de l'Empire romain, les deux villes étaient en fait considérées comme les deux moitiés de la même capitale. En expliquant la signification de la primauté dans l'Église, Mgr Athanase (Jevtić), de bienheureuse mémoire, écrit que la primauté dans l'Église existe sans aucun doute et doit exister, mais qu'elle ne saurait jamais violer la plénitude conciliaire de chaque Église orthodoxe. 

La primauté, par conséquent, ne signifie pas l’autorité sur les Églises, mais est un élément essentiel de leur nature conciliaire. J'ai tenté - je ne sais pas si j’ai réussi – de faire accéder au moins quelques dimensions doctrinales importantes de notre foi « en l’Église, une, sainte, catholique et apostolique » aux lecteurs de « Politika », de la manière la plus simple et la plus compréhensible possible, une foi que nous trahissons quand, à travers le brouillard de la vanité, de l'ambition, des préjugés, des engagements géopolitiques (non ecclésiaux) et d'autres idoles immatérielles, nous ne pouvons ou ne voulons pas voir la lumière éternelle de la vérité divine, qui seule peut nous libérer de nos illusions et passions tragiques. 

 Pour résumer la réponse à la deuxième partie de votre question : l'instance inférieure ne peut pas contester, et encore moins annuler, les décisions de l'instance la plus élevée. Celle-ci est le Concile œcuménique dans l'Église, ou, plus précisément, elle-même par son Concile général. Par conséquent, le patriarche œcuménique - malgré son échec lors de son intervention non canonique sur le territoire canonique du Patriarcat de Moscou, qui a prolongé, approfondi et étendu le schisme en Ukraine à presque toute l'Orthodoxie - n'a pas perdu sa réelle primauté d’honneur, reconnue par toutes les Églises orthodoxes, et l’autorité qui en découle canoniquement. Or, malheureusement, pour beaucoup d’orthodoxes, dans une plus ou moins grande mesure, le patriarche œcuménique a mis en péril la réputation et la confiance dont il jouissait jusqu'à récemment, à la fois en termes de position et en tant que personne. Selon ma profonde conviction, il peut rétablir les deux, la réputation et la confiance, en un clin d'œil - et non seulement rétablir mais aussi les augmenter de manière inattendue - s'il annonce publiquement le fait qu'il a été victime de désinformation de la part des schismatiques ukrainiens et de manipulations des autorités ukrainiennes, et abroge donc la reconnaissance de la soi-disant Église orthodoxe d'Ukraine, rétablit l'unité de l'Orthodoxie et encourage le dialogue entre tous. Un tel geste de sa part montrerait à tous dans le monde le sens de la primauté selon la conception orthodoxe : c'est un service sans compromis à l'unité de l'Église, où l’Église qui détient le premier trône a le rôle d'inspiratrice, de médiatrice et de coordinatrice, et non pas d’un commandant solitaire. 

Le Seigneur Christ nous enseigne, Lui-même et par Ses propres paroles, que ceux qui sont derniers, volontairement et par amour, deviennent les premiers devant Dieu, et que ceux qui veulent être les premiers à tout prix deviennent inévitablement les derniers devant Dieu et devant les hommes. En tant que l'un des humbles collaborateurs de longue date de Sa Sainteté le patriarche Bartholomée dans le domaine des affaires inter-orthodoxes et panorthodoxes (entre autres pour surmonter le schisme de l'Église orthodoxe bulgare au Grand Concile de Sofia, où il a présidé et accompli une grande œuvre historique de guérison des blessures spirituelles et de réconciliation entre frères), j'ose conclure par ces réflexions - peut-être de façon immodeste, mais en tout cas sincèrement, avec amour et respect pour sa personne et son ministère - par un cri à Dieu et un appel à lui-même, le patriarche œcuménique, d'être à la hauteur de sa tâche et de ses responsabilités, de faire un choix digne de ses saints et grands prédécesseurs, d’éliminer tout scandale et toute pierre d'achoppement et d'essuyer toute larme causée par la douleur du schisme et toute souffrance due à la violence schismatique en Ukraine, et non pas seulement en Ukraine. S'il le veut, il peut le faire. Qu’il en soit ainsi, qu’il le soit ! Que Dieu fasse qu’il en soit ainsi ! » 

 Traduction : Sonja Đokić Petrel 
Source : Orthodoxie.com 
Troisième partie de l’interview 
de l’évêque de Bačka Irénée à « Politika » : 
les questions de l’Église orthodoxe en Macédoine 
et de la possibilité d’une nouvelle réunion panorthodoxe 
qui ne serait pas convoquée par le Patriarche de Constantinople - Orthodoxie.com

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