jeudi 29 avril 2021

Homélie de S. Jean Chrysostome pour le Jeudi Saint

1. Aujourd'hui, mes frères, notre Seigneur Jésus-Christ a été trahi : c'est, en effet, le soir de ce jour que les Juifs Le prirent et s'en allèrent. Mais ne soyez pas abattus en apprenant que Jésus a été trahi ; ou plutôt soyez abattus et pleurez amèrement, non pas pour Jésus qui a été trahi, mais pour le traitre Judas. En effet, Celui qui a été trahi a sauvé le monde, tandis que le traître a perdu son âme ; Celui qui a été trahi est assis à la droite du Père dans les cieux, le traître est maintenant en enfer, attendant l’inexorable châtiment. Oh ! C'est sur lui qu'il faut pleurer et soupirer, c'est sur lui qu'il faut s’affliger, car c’est sur lui que notre Maître a versé des larmes. Car à sa vue, est-il dit [dans l’Écriture], « Il fut troublé et Il dit : « L’un de vous me trahira ». (Jn, XIII, 21.) Oh ! Qu'elle est grande la compassion du Maître ! Celui qui est livré s’afflige pour le traître. À sa vue, est-il dit, « Il fut troublé et Il dit : L’un de vous me trahira ». Pourquoi fut-Il attristé ? C'était tout à la fois pour nous montrer Son amour et nous apprendre à pleurer toujours, non sur celui qui subit le mal, mais sur celui qui le fait : car c'est là ce qui est pire, ce n’est pas un mal que de souffrir le mal, mais c’est plutôt de le faire. En effet, subir le mal procure le royaume des cieux, tandis que faire le mal, cela nous expose à la géhenne et au châtiment, car il est écrit : « Bienheureux ceux qui sont persécutés pour la justice, car le royaume des cieux est à eux ». (Matth. V,10.)

Voyez-vous comment subir le mal a pour récompense et rétribution le royaume des cieux ? Apprenez maintenant comment faire le mal apporte le châtiment et le supplice. Après avoir dit des Juifs : « Ils ont tué le Seigneur, ils ont persécuté ses prophètes » (I Thess. II, 15;), saint Paul ajoute : « Leur fin sera selon leurs œuvres ». (Il Cor. XI, 15.) Voyez-vous que les persécutés reçoivent le royaume des cieux, tandis que les persécuteurs héritent la colère [divine] ? Et ce n'est pas sans motif que je le dis, car je veux que nous ne nous emportions pas contre nos ennemis, qu'au contraire nous soyons miséricordieux envers eux, pleurions sur eux et ayons de la compassion pour eux ; ce sont eux qui subissent le mal en nous haïssant. Si nous disposons ainsi nos âmes, nous pourrons prier pour eux.

Voilà en effet le quatrième jour que je vous exhorte à prier pour vos ennemis, afin que mes avis aussi fréquemment répétés s’enracinent en vous. Si dans mes discours j'insiste autant, c'est pour détruire l'enflure de la colère et en calmer l'ardeur, afin qu'en venant prier vous n'en conserviez plus rien. Le Christ nous y a exhortés, non seulement en faveur de nos ennemis, mais aussi pour nous-mêmes qui leur pardonnons leurs péchés, car celui qui donne reçoit plus en cessant sa colère contre l’ennemi.

Et comment recevrai-je plus, direz-vous ? C'est qu'en pardonnant à votre ennemi, vos péchés contre le Maître sont pardonnés. Ceux-ci sont inguérissables et irrémissibles, tandis que ceux de votre ennemi sont pardonnables et faciles à expier. Écoutez Héli disant à ses fils : « Si un homme pèche contre un homme, on priera pour lui, mais s'il pèche contre Dieu, qui priera pour lui ? » (I Rois, II, 15.) En sorte que cette blessure ne saurait être facilement guérie par la prière : ce que la prière seule ne pourrait faire, le pardon des fautes du prochain l'opère. C'est pourquoi Notre-Seigneur a comparé les péchés contre le Maître à dix mille talents, et à cent deniers seulement les fautes contre le prochain. (Matth. XVIII, 23-25) Remettez donc cent deniers, afin qu'on vous remette à vous-même dix mille talents.

2. En voilà bien assez sur la prière pour nos ennemis, revenons, si vous le voulez bien, à la trahison et voyons comment le Maître a été livré. « Alors l'un des douze, appelé Judas Iscariote, alla vers les grands prêtres, et dit : Que voulez-vous me donner, et je vous Le livrerai ? » (Matth. XXVI, 14, 15.) Il semble d'abord que ces paroles sont claires et qu'elles ne renferment aucun sous-entendu. Mais si l'on examine attentivement chacune d'elles, elles offrent un vaste sujet de réflexions et un sens profond. Et d'abord, remarquons le temps. L'Évangéliste ne se contente pas de l'indiquer simplement, car il ne dit pas seulement : Il s'en alla, mais il a ajouté : alors il s'en alla. — Alors ? je vous le demande, quand ? Et pour quelle raison mentionne-t-il le temps ? Que veut-il m'enseigner ? Ce n’est pas sans but qu’il a dit cet « alors », car inspiré par l'Esprit-Saint, il n'a parlé ni au hasard, ni en vain. Que signifie donc cet « alors » ? Avant ce temps, avant cette heure, une courtisane s'approcha portant un vase de parfums qu'elle versa sur la tête du Seigneur. Elle montra un grand empressement, une grande foi, une grande obéissance, une grande révérence ; elle changea sa première vie, et devint meilleure et plus chaste. Et quand cette femme se fût repentie, quand elle eut gagné la faveur du Seigneur, alors le disciple livra le Maître. C’est pourquoi il est dit « alors », afin que vous n'accusiez pas votre Maître de faiblesse en Le voyant livré par Son disciple. Car telle était encore Sa puissance qu'il attirait à Lui les courtisanes, pour s'en faire obéir.

Mais quoi, direz-vous, Celui qui attirait les courtisanes ne put attirer Son disciple? — Il pouvait sans doute l’attirer, mais il ne voulut pas le rendre bon par nécessité ni se l'attacher par la force. « Alors, s'en allant... » Ce mot s'en allant, nous offre encore une réflexion non sans importance. — En effet, [Judas] ne fut point appelé par les grands-prêtres, il ne céda ni à la nécessité ni à la violence, mais ce fut de lui-même, de son propre mouvement qu'il fit le mal et prit une détermination qui n'était inspirée que par sa malice. Alors s'en allant, « l’un des douze... » qu'est-ce que l’un des douze ?... C'est en effet une très grande accusation pour lui d'être appelé l’un des douze. Il y avait soixante-dix autres disciples de Jésus, mais ils n'avaient qu'un rang secondaire, ils ne jouissaient pas d'un honneur aussi grand, ni d'une confiance aussi étendue, ils ne participaient pas à des mystères ineffables comme les douze. Ceux-ci étaient éprouvés, ils formaient le cortège royal, le cercle rapproché du Maître, c'est d'eux que se sépara Judas.

Afin donc que nous sachions que ce ne fut pas seulement un simple disciple qui Le trahit, mais l’un de la classe la plus éprouvée, on l'appelle : l’un des douze. Et celui qui a écrit ces choses, saint Matthieu n'en rougit pas. Pourquoi n'a-t-il pas honte ? — Pour que vous sachiez que les apôtres disent toujours toute la vérité et qu'ils ne dissimulent pas même ce qui semble ignominieux. Ce qui semble ignominieux en effet, montre la bonté du Maître pour les hommes : Il a daigné combler de si grands biens et supporter jusqu'à la dernière heure, le traître, le voleur et le larron. Il l'avertissait, Il l'exhortait, Il le comblait d'égards. Si celui-ci fut insensible à tout cela, la faute n'en est pas au Seigneur. En témoigne la femme pécheresse qui rentra en elle-même et fut sauvée. Ne désespérez donc point, en voyant cette femme, mais aussi, que l'exemple de Judas ne vous rende pas confiants en vous-mêmes. La présomption et le désespoir sont également funestes. La présomption renverse celui qui est debout, le désespoir ne laisse pas se relever celui qui gît à terre. C'est pourquoi saint Paul exhortait ainsi : « Que celui qui croit être debout prenne garde de tomber ! » (I Cor. X, 12.) Vous avez les deux exemples pour vous apprendre comment le disciple est tombé, alors qu'il paraissait se tenir debout, et comment la pécheresse gisant à terre s’était relevée. Notre esprit est versatile, notre volonté chancelante, c'est pourquoi nous avons besoin de nous garder et de nous fortifier de toutes parts.

« Alors s'en allant, l’un des douze ; Judas Iscariote ». Vous avez vu de quel chœur il est tombé, quelle doctrine il a méprisée, quels maux sont la paresse et la négligence ? Judas, qui était appelé Iscariote. Pourquoi me rappeler sa ville ? Plût à Dieu que je ne connusse pas même son nom ! « Judas, qui était appelé Iscariote ». Pourquoi nommer sa cité ? Il y avait parmi les disciples un autre Judas, surnommé le zélé, et dans la crainte que la similitude des noms ne fit prendre l'un pour l'autre, l'Évangéliste les a distingués en appelant l'un le zélé, à cause de sa vertu ; mais il n’a pas appelé l’autre par sa nature mauvaise ; c'est pourquoi il n'a pas dit : « Judas le traître ». Et cependant rien de plus naturel qu'après avoir désigné l'un par sa vertu, on désignât l'autre par sa nature mauvaise en disant : « Judas le traître ». Mais il fallait vous apprendre à garder votre langue pure de l’accusation et c’est pourquoi le mot « traître » a été épargné. S'en allant vers les grands prêtres, Judas Iscariote leur dit : « Que voulez-vous me donner et je vous le livrerai ? » Ô parole répugnante ! Comment est-elle sortie de sa bouche ? Comment a-t-elle fait mouvoir sa langue ? Comment le corps tout entier n’a-t-il pas été engourdi ? Comment l’esprit ne s'est-il pas retiré ?

3. « Que voulez-vous me donner, et je vous le livrerai ? » Sont-ce là, dis-moi, les enseignements du Christ ? Ne voulait-il pas par avance retenir votre inclination à l’avarice quand Il disait : « Ne prenez ni or, ni argent, ni monnaie, dans vos ceintures » (Matth. X, 9.) N'est-ce pas là ce qu'Il répétait à chaque instant, disant encore après cela : « Si quelqu'un vous frappe sur la joue droite, présentez-lui la gauche ». (Matth. V, 39.) « Que voulez-vous me donner et je vous le livrerai ? » Ô folie ! Quel motif, je te le demande, quelle accusation petite ou grande as-tu à faire valoir pour livrer le Maître ? Est-ce parce qu'Il t'a donné pouvoir contre les démons ? Est-ce parce qu'il t'a fait chasser les maladies ou guérir la lèpre, ressusciter les morts, triompher de la tyrannie de la mort ? Est-ce là ta reconnaissance pour tant de bienfaits ! « Que voulez-vous me donner et je vous le livrerai ? » Ô folie ! encore une fois. Ou plutôt, ô avarice !

 Car c'est elle qui a enfanté tous ces maux, qui t'a poussé à livrer ton maître. Telles sont en effet les racines de ce mal funeste : pire que le démon, il rend insensées les âmes qu'il envahit, il crée l’ignorance en elle ; on ne connaît plus rien, ni soi-même, ni le prochain, ni les lois de la nature ; on est privé de la raison, on devient fou. Voyez ce qu’elle a fait sortir de l’âme de Judas : la relation [avec Dieu], l'intimité, la compagnie de la Table, les miracles, la science, les exhortations, les avertissements ; l'avarice lui a fait oublier tout cela. Oh ! que saint Paul avait bien raison de s'écrier : « L'avarice est la source de tous les maux ». (I Timoth. VI, 10.)

« Que voulez-vous me donner et je vous le livrerai ? » Parole insensée ! Peux-tu livrer, je te le demande, Celui qui tient toutes choses, qui commande aux démons et à la mer et qui est le maître de toute la nature ? Aussi, pour mettre un frein à une pareille arrogance et montrer que s'il ne l'eût pas voulu, jamais il n'aurait été livré, écoutez ce qu’Il fait ? — À l'instant même où on le livrait, alors qu’on allait au-devant de Lui avec des bâtons, des lanternes et des torches allumées, Il leur dit : « Qui cherchez-vous ? » (Jean. XVIII, 4), et ils ne connaissaient plus Celui qu’ils étaient venus prendre. Judas lui-même était si peu capable de le livrer qu'il ne le reconnaissait pas même devant lui, malgré l'éclat des torches et des flambeaux. C'est ce que veut nous faire comprendre l'Évangéliste quand il dit : « Ils avaient des lanternes et des flambeaux, et ils ne le voyaient pas ». Tous les jours, le Christ l'avertissait, lui montrant tant par Ses œuvres, soit par Ses paroles, qu'il ne pouvait lui cacher son dessein de le trahir. Il ne le reprenait pas publiquement, en présence de tous, dans la crainte de le rendre plus impudent, mais Il ne gardait pas un silence absolu de peur que la pensée de n'être pas découvert ne lui fît entreprendre sa trahison sans crainte. Il disait donc souvent: « L’un de vous me livrera », mais sans indiquer ouvertement de qui il s'agissait. Il parlait souvent de la géhenne et du royaume et Il manifestait ainsi Sa puissance par la manière dont les pécheurs étaient punis et les justes récompensés.

Mais Judas fut sourd à ces avertissements et Dieu ne l'attira point par force. Comme il nous a laissé le choix des bonnes et des mauvaises actions, Il veut que nous soyons bons volontairement. Si nous nous y refusons, Il ne nous force pas, Il ne nous fait pas violence, car être bon par nécessité, ce n'est plus être bon. Judas était donc le maître de sa résolution et il était aussi en son pouvoir de ne pas se soumettre et de pas se laisser entraîner par l’avarice ; mais parce que son esprit était aveuglé, il a renoncé à son salut et dit : « Que voulez-vous me donner et je vous le livrerai ».

Pour mieux nous convaincre de l'aveuglement d'esprit, de la folie de Judas, l'Évangéliste nous le montre présent près de ceux qui venaient saisir son Maître, lui qui avait dit : « Que voulez-vous me donner et je vous le livrerai ? » Or, ce n’est pas seulement en cela que l’on peut voir la puissance du Christ, mais aussi par le fait qu’après qu’il eut prononcé une simple parole, tous les satellites reculèrent et furent renversés à terre ; mais puisque même après cela ils ne se départirent pas de leur impudence, Il se livra à eux, comme s'Il eût dit : J'ai fait tout ce qui dépendait de moi, j'ai manifesté ma puissance, j'ai montré que vous tentiez des choses impossibles. Je voulais réprimer votre malice, mais puisque vous n'avez pas voulu m'entendre et que vous persévérez dans votre folie, je me livre moi-même.

J’ai dit cela, afin que certains n'accusassent le Christ en disant : pourquoi n’a-t-Il pas changé Judas ? Pourquoi ne l’a-t-Il pas fait raisonnable et bon ? Comment pouvait-Il le faire bon ? Par la contrainte ou volontairement ? Si c’était par contrainte, Il ne pouvait le faire meilleur, car nul ne peut être bon par la contrainte. Si c’était volontairement et par disposition d’esprit, Il [le Christ] avait utilisé tout ce qui était possible pour redresser sa volonté et ses dispositions. S’il n’a pas voulu accepter le remède, ce ne fut pas la faute du médecin, mais de celui qui refusa sa guérison. Regardez ce qu’il a fait pour se le concilier et le sauver. Par ses paroles et par ses œuvres, Il lui apprit toute science, Il lui donna le pouvoir sur les démons et la faculté d'opérer de nombreux miracles; Il l'effraya par la menace de la géhenne, l'exhorta par la promesse du ciel ;  Il lui reprocha assidûment ses desseins secrets, tout en évitant de les rendre publics : Il lui lava les pieds avec les autres apôtres; Il l’a fait participant à Sa Table et Sa nourriture, Il ne négligea aucune circonstance, petite ou grande, et malgré tout, il resta incorrigible. Et afin que vous appreniez qu'il aurait encore pu changer, mais qu'il ne le voulut pas et que tout se produisit à cause de sa négligence, écoutez : « Après qu'il L'eût livré il jeta les trente pièces d'argent et il dit : « J'ai péché en livrant le sang du Juste. (Matth. XXVIII, 4.) »

Qu'est-ce que cela signifie ? Lorsque tu Le voyais opérer des miracles, tu ne disais pas : « J'ai péché en livrant le sang du Juste », mais : « Que voulez-vous me donner et je vous Le livrerai ? » Mais quand le mal est arrivé à son comble, quand la trahison a été accomplie et que le péché a été consommé, alors tu as reconnu ton péché. Quel enseignement trouvons-nous là ? — Tant que nous restons dans la négligence, les exhortations nous sont inutiles ; mais avec de l'application et des soins, nous pouvons nous élever au-dessus de nous-mêmes. Voyez Judas : son Maître l'avertit, et il n’a pas entendu ; lorsque personne ne l'exhorta, sa propre conscience s’est réveillée ; et sans que personne l'instruise il se transforme, il condamne ce qu’il avait osé faire, il jette les trente pièces d'argent.

« Que voulez-vous me donner et je vous le livrerai ? » Et ils lui payèrent, est-il trente pièces d'argent. Ils fixèrent le prix d'un sang qui n'a pas de prix. Pourquoi reçois-tu trente pièces d'argent, ô Judas ? Le Christ est venu répandre gratuitement Son sang pour le monde et tu fais de ce sang l'objet d'une convention et d'un pacte infâme ! Quoi de plus indigne qu'un tel marché !

4. Alors s'approchèrent les disciples. — « Alors », quand ? Tandis que ces choses se préparaient, que la trahison avançait, que Judas se perdait, les disciples s'approchèrent de Lui en disant : « Où veux-tu que nous préparions ce qu'il faut pour manger la Pâque ? (Matth. XXVI,17 et 14.) Avez-vous vu le disciple ? Avez-vous vu les [autres] disciples ? Celui-là livre le Maître, ceux-ci s'occupent de la Pâque. Le premier conclut les conditions, les autres se disposent à servir. Tous avaient vu briller les mêmes miracles, reçu le même enseignement et la même puissance. D'où vient un tel changement ? — De la volonté. Telle est partout la cause de tout bien et de tout mal. « Où veux-Tu que nous préparions ce qu'il faut pour manger la Pâque ? » C'était le soir, et parce que le Maître n'avait pas de maison, ils Lui disent : « Où veux-Tu que nous préparions ce qu'il faut pour manger la Pâque ? »

Nous n'avons rien de fixe, ni hôtellerie, ni habitation, ni maison. Quelle leçon pour ceux qui habitent des maisons splendides, de vastes portiques, de larges espaces ! Le Christ n'eut pas où reposer sa tête (Matth. VIII, 20). C'est pourquoi Ses disciples Lui demandent : « Où veux-Tu que nous préparions ce qu'il faut pour manger la Pâque ? » Quelle Pâque ? Ce n'était point encore la nôtre, mais celle des Juifs qui ne devait durer qu'un temps. Celle-ci fut préparée par les disciples, mais Lui-même fit les préparatifs de la nôtre. Il ne se contenta pas de la préparer, Il fut lui-même notre Pâque.

« Où veux-Tu que nous préparions ce qu'il faut pour manger la Pâque ? » C'était la Pâque des Juifs, cette Pâque qui avait été instituée en Égypte. — Pourquoi le Christ la mangea-t-Il ? Parce qu'Il accomplit toutes les prescriptions de la loi. C'est ainsi que lorsqu’Il fut baptisé, il a dit : « Il convient que nous accomplissions ainsi toute justice » (Matth. III, 15). Je suis venu racheter l'homme de la malédiction de la loi, car Dieu a « envoyé Son Fils, né d'une femme, né sous la loi, afin qu'Il rachetât ceux qui étaient sous la loi » et faire cesser la loi. (Gal. IV, 4, 5) Afin donc que l’on de dise pas qu’Il abolit la loi, faute de pouvoir l'accomplir parce qu'elle était pesante, difficile à accomplir, Il commença par l’observer dans son intégralité, puis Il l’abrogea. C’est pourquoi Il fit la Pâque, parce que la Pâque était une prescription de la loi. Et pourquoi la loi ordonnait-elle de manger la Pâque ?

Les Juifs étaient ingrats envers le Bienfaiteur et aussitôt qu'ils avaient été comblés de bienfaits, ils oubliaient la loi divine. Ainsi, alors qu’ils sortaient d'Égypte, voyant la mer se séparer devant eux et se réunir ensuite, sans compter une foule d'autres miracles, ils dirent : Faisons « des dieux qui marchent devant nous » (Exod. XXXII, 1.) Que dites-vous ? Les miracles sont encore dans vos mains et voilà que vous oubliez le Bienfaiteur ? Parce qu'ils étaient insensibles et ingrats à ce point, Dieu établit les fêtes, comme des monuments destinés à rappeler Ses dons et alors Il ordonna d'immoler la Pâque, afin, dit-Il aux Juifs, que « si vos fils vous demandent ce que signifie cette Pâque, vous leur disiez : parce qu’autrefois nos pères en Égypte ont marqué leurs portes du sang d'un agneau, afin qu'en le voyant l'ange exterminateur passât sans oser les frapper, ni leur infliger de plaie » (Exod. XII, 27) Et, dès lors cette fête fut un témoignage perpétuel de leur salut.

Plutôt, elle n'avait pas seulement l'avantage de rappeler le souvenir des bienfaits passés, elle en offrait un autre bien plus grand qui était de figurer l'avenir. Cet agneau en effet était la figure d'un autre Agneau - spirituel qu'il montrait d'avance. L’un était l'ombre, l’autre, la vérité. Mais quand le Soleil de justice eût apparu, l'ombre disparut, comme le soleil à son aurore chasse l’ombre. C'est pourquoi sur la même Table sont célébrées les deux Pâques, celle de la figure et la véritable. Les peintres qui, sur leur tableau, tracent les lignes du projet, ajoutent les ombres et complètent par les couleurs réelles. À la même Table, Il esquissa la Pâque qui était la figure et ajouta la Pâque véritable. « Où voulez-vous que nous préparions ce qu'il faut pour manger la pâque ? » Jusque-là c'était la Pâque des Juifs, mais voici qu’est venu le Soleil, que la lampe s'éteigne ! Voici que la vérité est venue, que les ombres disparaissent !

5. Je dis cela aux Juifs qui prétendent célébrer la Pâque, avec des cœurs incirconcis et dans un dessein pervers, et qui nous objectent les pains azymes. Comment, je vous le demande, célébrez-vous la Pâque, ô Juifs ? Le temple a été renversé, votre autel détruit, le Saint des saints a été foulé aux pieds, toute espèce de Sacrifice aboli, et vous osez commettre de pareilles iniquités ?

Vous avez été autrefois à Babylone, et ceux qui vous avaient emmenés en captivité vous disaient : « Chantez-nous des cantiques de Sion » (Ps. 136, V, 3), et vous refusiez. C'est David qui nous l'apprend en ces termes : « Nous nous sommes assis sur les bords des fleuves de Babylone et nous avons pleuré. Aux saules qui sont au milieu de cette contrée nous avons suspendu nos instruments de musique » (Ps.136, V, 1, 2), c'est-à-dire notre harpe, notre cithare, notre lyre et le reste : car on se servait autrefois de ces instruments pour accompagner le chant des psaumes. Emmenés en captivité, ils les avaient portés avec eux, en souvenir de la vie dans leur patrie, mais non dans l'intention de les utiliser. Alors, dit le psalmiste, ceux qui nous avaient emmenés captifs nous demandaient de chanter des cantiques, — et nous avons répondu : Comment chanterions-nous un cantique du Seigneur sur une terre étrangère ? Que dites-vous ? Vous ne chantez pas les cantiques du Seigneur sur une terre étrangère et vous célébrez la Pâque du Seigneur sur une terre étrangère ? Quelle ingratitude ! quelle iniquité !

Alors que leurs ennemis voulaient les forcer, ils n'osaient pas même chanter un psaume sur une terre étrangère, et maintenant qu'ils sont libres, sans que personne les contraigne ou leur fasse violence, ils se tournent contre Dieu. Comprenez-vous combien sont impurs les azymes ? combien illégitime cette fête? Comment enfin il n'y a réellement plus de Pâque judaïque ? Autrefois, il y eut la Pâque judaïque, mais elle est maintenant abolie, et remplacée par la Pâque spirituelle que notre Seigneur a transmise.

Car, pendant qu'ils mangeaient et buvaient, est-il dit, Jésus prit le pain, le rompit et dit : « Ceci est mon corps qui est rompu pour vous, pour la rémission des péchés » (Matth. XXVI, 26, 27, 28). Ceux qui sont initiés savent ce que ces paroles signifient. — Et prenant ensuite le calice, Il dit : « Ceci est mon sang qui est répandu pour plusieurs pour la rémission des péchés » (id.). Judas était présent quand Jésus disait cela. C'est ce même corps que tu as vendu, ô Judas, pour trente pièces d'argent ; c'est ce sang au sujet duquel tu viens de faire un marché infâme avec les pharisiens ingrats. Ô amour du Christ pour les hommes ! Ô démence, ô folie de Judas ! Tu as vendu ton Maître pour trente deniers, et Lui, après cela, n’a pas refusé de donner ce sang, qui avait été vendu, pour la rémission des péchés de celui qui l’avait vendu, si seulement il l’avait voulu. Judas était présent, il participa à la Table sacrée, afin qu'il n'eût aucun motif d'excuse, s'il persévérait dans sa malice. Le Seigneur avait produit et employé tous les moyens en Son pouvoir ; malgré tout Judas fut inébranlable dans son dessein pervers.

6. Mais il est temps enfin de s'approcher de cette Table redoutable. Le Christ est présent : c'est Lui qui a préparé cette Table, c'est Lui qu'on y reçoit. Ce n'est pas un homme qui fait que ce qui nous est offert soit véritablement le corps et le sang de Jésus-Christ, mais c'est le Christ même crucifié pour nous. Le prêtre, à l'autel, lorsqu'il prononce les paroles est la figure de Jésus-Christ ; la puissance et la grâce viennent de Dieu. « Ceci est mon corps », dit-il. Ces mots transforment ce qui est offert. Et, de même que cette parole : « Croissez et multipliez-vous et remplissez la terre » (Gen.I, 28), quoique n'ayant été prononcée qu'une fois, donne à jamais à notre nature la force de se reproduire, ainsi cette autre parole dite une seule fois opère le Sacrifice parfait à chaque autel et dans toutes les églises du monde, depuis la première Pâque jusqu'à ce jour, et opérera jusqu'au dernier avènement.

Arrière donc les apparences trompeuses, arrière ceux qui sont pleins de malice, que personne n’ait l’esprit empoisonné, car leur communion serait une condamnation. Alors Judas fut indignement participant à la Cène mystique, et lorsqu’il sortit, il trahit le Seigneur. [Cela s’est produit] afin que vous sachiez que ceux qui participent indignement aux Mystères, sont continuellement assaillis et envahis par le diable, comme il arriva à Judas. C'est que les honneurs profitent à ceux qui en sont dignes, tandis qu'ils tournent au grand châtiment de ceux qui en jouissent indignement. En vous parlant ainsi, je ne veux point vous effrayer, mais seulement vous rendre plus vigilants.

Approchons-nous donc tous avec une conscience pure. Qu’il n’y ait pas ici de Judas, qui aient une attitude perverse envers leur prochain, qu’aucun des impies [ne s’approche] ayant en son cœur un poison dissimulé. Le Sacrifice est une nourriture spirituelle, et de même que la nourriture corporelle reçue dans un estomac rempli d'humeurs malsaines augmente la maladie, non de par sa propre nature, mais à cause de la mauvaise disposition de l'estomac ; ainsi en est-il pour les mystères spirituels : reçus par une âme pleine de malice, ils la corrompent et l'affaiblissent davantage, non par leur nature, mais par l'effet de la maladie de l'âme.

Que personne n’ait donc en lui de pensées impures, mais purifions notre esprit. Nous nous approchons du Sacrifice sans tache, rendons notre âme sainte ; nous pouvons y parvenir, même dans un seul jour. Comment ? Par quel moyen ? — Si vous avez quelque chose contre votre ennemi, chassez la colère, guérissez cette plaie, faites cesser toute inimitié, afin de recevoir la guérison à la Table sainte, en participant au Sacrifice redoutable et saint. Respectez Celui qui est offert : c'est le Christ immolé qui est présent.

Mais à cause de qui et pourquoi a-t-Il été immolé ? C'était pour réconcilier ce qui est au ciel et ce qui est sur terre, pour nous rendre les amis des anges, pour nous réconcilier avec le Maître de toutes les créatures ; c'était pour nous rendre Ses amis, nous, Ses adversaires et Ses ennemis. Il a donné Sa vie pour ceux qui Le haïssaient et vous conserveriez de l'inimitié contre votre frère ! Et comment pourriez-vous ensuite vous approcher de la Table de la paix ? Votre Maître n'a pas reculé devant la mort à cause de vous, et vous refusez de déposer pour Lui la colère que vous avez contre votre semblable ? Pourquoi, dites-moi ? L’amour est la racine, la source et la mère de tous biens. Il m’a fortement, dis-tu, offensé, il m’a causé trop de mal, c’est tout juste s’il ne m’a pas exposé à un danger de mort. Mais quoi donc ? Il ne t’a pas encore crucifié sur la croix, comme les Juifs ont crucifié le Seigneur. Si tu ne remets pas à ton prochain les offenses, ton Père céleste ne te remettra pas tes péchés. Et avec quelle conscience diras-tu « Notre Père, qui est aux cieux, que Ton nom soit sanctifié » et les paroles suivantes (Matth. VI, 9). De la même façon, le sang qu’ont versé les Juifs, a été donné par le Christ pour le salut de ceux qui l’avaient versé. Que peux-tu faire de semblable ? Si tu ne pardonnes pas à ton ennemi, tu ne le blesses pas lui, mais toi-même. Tu lui as souvent nui au cours de la vie présente, mais tu t’es préparé un châtiment éternel au futur jour [du jugement],

Car Dieu ne hait rien tant que l'homme qui conserve du ressentiment, que le cœur coléreux ou l'âme enflammée [de haine]. Écoute ce que dit le Seigneur : « Si donc tu présentes ton offrande à l'autel, et que là tu te souviennes que ton frère a quelque chose contre toi, laisse là ton offrande devant l'autel, et va d'abord te réconcilier avec ton frère ; puis, viens présenter ton offrande » (Matth. V, 23-24). Que dis-tu ? Je laisse là le don, c’est-à-dire le Sacrifice ? Oui, dit-Il, parce c’est en raison de la paix avec ton frère qu’a été établi le Sacrifice. Ainsi, si le Sacrifice [est offert] pour la paix avec le prochain, et que tu n’observes pas la paix, alors bien que tu participes au Sacrifice, il t’est inutile d’y participer sans le désir de garder la paix.

Aussi, fais dès le début [i.e. préoccupe-toi de la paix] ce pour quoi le Sacrifice est offert, et tu en recueilleras abondamment les fruits C’est pourquoi le Fils de Dieu est venu dans le monde, afin de réconcilier notre nature avec le Père, comme le dit l’apôtre Paul : « Il vous a maintenant réconciliés, avec Dieu par la croix, en détruisant par elle l'inimitié » (Col. I,22 ; Eph. II, 16). Aussi, Il est venu non seulement pour créer la paix, mais Il nous béatifie si nous faisons la même chose et nous rend participants à Son nom [en disant] : « Bienheureux les pacificateurs, car ils seront appelés fils de Dieu » (Matth. V,9).

Ce qu'a fait le Fils unique de Dieu, faites-le selon votre pouvoir humain, afin de vous procurer la paix à vous-mêmes et aux autres. C'est pour cela que vous êtes appelés pacificateurs, enfants de Dieu, c'est pour cela qu'au temps du Sacrifice, Il n’a rappelé aucun autre précepte que celui de la réconciliation avec votre frère, pour vous faire comprendre que c'est le plus grand de tous. Je désirerais m'étendre davantage, mais en voilà bien assez pour ceux qui sont attentifs, s'ils veulent s'en souvenir.

C'est pourquoi, mes bien-aimés, rappelons-nous toujours ces paroles, et ces saints baisers de paix et cette redoutable salutation des uns envers les autres. Cela enlace nos âmes et fait de nous tous un seul corps, car nous sommes participants d’un seul corps. Confondons-nous donc tous en un seul et même corps, non dans une union charnelle, mais par le lien mutuel de l’amour qui réunira nos âmes. Ainsi, nous serons en mesure de jouir avec confiance de la Table qui nous est présentée et de devenir, enfin, les réceptacles de la paix qui nous a été accordée par le Christ. Quand même nous aurions pratiqué à l'infini des œuvres de perfection, si nous conservons le souvenir des injures, tout ce que nous ferons sera vain et ne nous servira à rien ; nous n'en pourrons retirer aucun profit pour le salut.

Sachant tout cela, laissons toute colère, et la conscience purifiée, approchons-nous avec toute la douceur et l’humilité de la Table du Christ, à qui soient gloire, honneur, adoration, avec le Père et le Saint-Esprit, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles. Amen !

 

Traduction sous la direction de M. Jeannin, 1864, 

revue, complétée et corrigée

par Bernard Le Caro

que nous remercions

 

Tropaire de S. Jean Chrysostome

Tel un flambeau, la grâce a jailli de tes lèvres, illuminant l’univers ; elle a découvert au monde la richesse du désintéressement, elle nous a montré la grandeur de l’humilité. Toi dont la parole nous instruit, ô Jean Chrysostome, notre père, intercède auprès du Verbe, le Christ Dieu, pour qu’Il sauve nos âmes.


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