dimanche 3 mai 2020

Homélie de Père Elie de Terrasson-LavilleDieu pour le Dimanche de Thomas

Père Elie

Le 25 avril 202

            Huit jours après Pâques plusieurs enquêtent encore, plus ou moins discrètement, pour savoir s’il y a eu du monde au monastère pour célébrer Pâques, malgré le « confinement » rigoureux.

Eh bien après tout, pourquoi vous cacherais-je la vérité ? Oh que oui, il y avait du monde ! Et du beau monde ! Vous voulez des noms ?

            Attendez un peu, après une longue introduction, que je crois nécessaire,  je vais vous en révéler quelques-uns. Vos investigations pourtant m’étonnent : quoi ! Vous ne les avez pas vus ?

 

La Liturgie pascale sur le monde



Ou : Pâques 2020 au monastère de la Tansfiguration


Cela ne s’était jamais produit depuis 2000 ans : ce que les grands empereurs romains persécuteurs n’avaient pas réussi à faire, les Néron, Domitien, Trajan, Adrien, Antonin, Marc-Aurèle, Septime-Sévère, Maximin le Thrace, Dèce, Valérien, Aurélien, Dioclétien et Maximin, Julien l’Apostat… ce à quoi n’étaient pas parvenus les Sarrasins et les Seldjoukides, les Jacobins et les Bolcheviques, ni les régimes issus de la Grande Révolution maoïste et celle de Khmers Rouges, le « Nouvel-Ordre Mondial », lui, a réussi. Nikos Kazantzakis avait écrit « le Christ recrucifié », nous attendons qu’un auteur génial écrive une relation historique intitulée : « Le Christ reconfiné ».

Certes, des persécutions il y en a eu ; et il y en a de plus en plus !!! Certaines ouvertes, d’autres clandestines, toujours larvées. Des prêtres ont été déportés, des églises ont été détruites ou fermées, des chrétiens ont été arrêtés, torturés, pendus, empalés, égorgés, et cela continue ! L’éducation religieuse a été brimée, les écoles fermées, les œuvres caritatives interdites, les léproseries, les hôpitaux et les hospices spoliés, les biens des Églises confisqués et vendus, dilapidés. Bref, rien de nouveau sous le soleil. Mais, même appliquées à grande échelle, ces persécutions restaient locales. Dans d’autres contrées, l’Église chrétienne vivait, se développait ou vivotait, survivait, espérait ; respirait.

En l’an 33, Jésus crucifié et mort sur la croix a été enfermé, sous scellés officiels, dans une chambre sépulcrale. Il a été « mis en confinement » dans le creux d’un rocher, gardé par des soldats mandatés et soudoyés pour qu’on ne puisse pas Le dérober ! Peine perdue, comme on le sait aujourd’hui dans le monde entier, personne ne L’a dérobé : Il s’est soustrait tout seul à la mort en ressuscitant ! Ouch ! Incroyable, mais vrai ! Et maintenant Il vit ! (mais autrement et presque imperceptiblement…) Mais voilà, deux mille ans après, Il a été « re-confiné », pas en un lieu seulement, en une région ou en un pays, mais presque, nous osons à peine le dire tout bas, mondialement. « On » aurait voulu que ce fût universellement !

- Avant de poursuivre, je veux préciser ceci, car j’entends déjà les Inquisiteurs avides de proies et de bûcher, que ce n’est pas du « confinement » que je veux parler ; je ne viens pas ici contester ni condamner, même si vous sentez parfois poindre une note d’agacement. Mais je constate que les églises-Tombeaux-lieux résurrectionnels du Christ ont eu l’obligation légale de fermer leurs portes ; que là où des hommes, des femmes et des enfants venaient tout de même chercher réconfort, secours, guérison ou espoir, les soldats d’Hérode ont perquisitionné (armés parfois afin de poursuivre ceux qui n’ont à opposer comme arme que leurs chapelets), exigé la cessation des Offices, dispersé les participants (même lorsqu’ils n’étaient que cinq ou six, séparés pourtant par des distances sanitaires réglementaires), dénoncés par des faux témoins, les mêmes qui déjà portaient de faux témoignages lors du Jugement du Juste et qui ont apporté le prétexte à Sa condamnation. Ose-t-on s’introduire brutalement dans les lieux de prière musulmans, dans les quartiers « de non-droit » pendant la prière du vendredi ? Blasphème !

Donc c’est presque universellement que l’Église a été réduite au silence. De nouveaux scellés ont été apposés et la nuit pascale n’a pas pu avoir lieu, à quelques exceptions près : Chypre ? La Géorgie ? Le Monténégro ? La Sainte Montagne… Le patriarche de Jérusalem a pu recueillir le Feu sacré sorti du Tombeau comme tous les ans. Il doit sans doute être mort, maintenant, avec les fidèles et spectateurs présents, du coronavirus ! En d’autres lieux sans doute, la résurrection aura-telle été célébrée officiellement, mais je n’ai pas d’informations, ou ailleurs de façon clandestine et hors-la-loi.
Autre phénomène nouveau : ce fut fait, encouragé, exigé avec la bénédiction des autorités religieuses. Je ne conteste toujours pas ! Certains, qui ont été pris en fait de « désobéissance », - pour dix-neuf « contrevenants » - sont condamnés à une privation de liberté de plusieurs années. On ne badine pas avec le confinement sanitaire, fut-ce celui du Christ, quelquefois qu’en ressuscitant Il nous apporterait le covid 19 mortel ! Oui, je sais, j’entends vos sarcasmes, je ne suis pas encore complètement fou ni fanatique, mais une pointe d’humour est-elle encore permise ? Sérieusement, évidemment  ce n’est pas de cela que l’on a peur, mais de la contamination par ceux qui viennent à Sa rencontre. Ça se comprend… du moins par ceux qui n’ont pas la foi en la Présence vivificatrice de Dieu et qui n’ont pas besoin de Son secours. Il serait normal que nos autorités civiles ne soient pas sensibles à ces réalités, ce n’est pas leurs champs d’action, mais il revient aux autorités religieuses de leur faire part du point de vue des « croyants ». L’Eglise chrétienne a son mot à dire sur le destin du monde ! Un message original, et salvateur ! Mais qui s’en préoccupe ?

 Je ne conteste pas, mais j’ai le droit de manifester mon étonnement que si peu de hiérarques aient défendu le besoin de « leurs » ouailles de supplier Dieu EN Église. Nos chefs sont bien d’accord pour que l’on aille faire nos courses dans les supermarchés – suivant quelques précautions légitimes – pourquoi ne nous aident-ils pas, pour qu’avec les mêmes garanties, on puisse entrer dans nos églises ? La plupart d’entr’elles sont assez vastes pour y garder les distances de sécurité légales, et même plus.

Une autre chose ne manque pas de m’étonner et d’en surprendre beaucoup comme moi : qu’a trouvé la Gouvernance mondiale pour en arriver à ce silence de la majeure partie des services, entreprises, religions, associations, bref l’arrêt de la vie universelle et de l’économie mondiale ? Oh je ne dis pas qu’il y a «théorie du complot ». Mais on nous a communiqué la peur, la peur panique, l’obsession, la psychose. Nous sommes tous morts de frousse ! On nous culpabilise : « vous serez responsable de la mort d’autrui si vous ne respectez pas les règles, si vous sortez de chez vous… ». Nous sommes donc des assassins en puissance ? On a peur d’être malades nous-mêmes! On a peur de mourir ? Or la vie et la santé sont les biens suprêmes : « Bonne Année, bonne santé surtout » se souhaitait-on il y a quatre mois. Il n’y a dons pas de bien supérieur dans la vie. Je ne parle même pas du Paradis et de la Béatitude éternelle, mais même de l’Amour, de la Paix… Pense-t-on donc qu’il va nous être possible de ne jamais mourir ? A-t-on peur à ce point-là de comparaître devant Dieu ou de nous « ouvrir » à une vie que ne nous décrit pas La Science – et pour cause, puisque ce n’est pas son domaine d’investigation - et donc à « l’Inconnu » ? Mais quand les églises sont ouvertes, on y apprend justement à connaître l’Inconnu et l’inconnue vie ! Afin d’échapper à cette peur, à cette menace de la mort dont on prend tout à coup conscience qu’elle pourrait nous frapper, nous aussi, à l’improviste, on est prêt à renoncer à toutes nos libertés, à tous nos projets, et remettre notre destinée à nos experts es guerre. On se défausse de nos responsabilités, on accepte l’esclavage, demain les puces électroniques sous-cutanées, et le suivi permanent par GPS, drones, etc. Toute une panoplie de guerre contre quel ennemi ? Le virus à la mode ? Non : la population ; nous.

Même monsieur Matteo Salvini – il est vrai qu’il n’est pas très bien vu par les médias de la « pensée unique », donc « pas crédible » — même monsieur Salvini donc, reconnaissait que les mesures sanitaires n’étaient pas suffisantes pour lutter contre les ravages du Coronavirus version 2020, mais qu’il fallait aussi l’intervention de Dieu (c’est moi qui l’exprime ainsi). « Pour vaincre ce monstre, disait-il à la télévision italienne, la science seule ne suffit pas. Nous approchons de Pâques et nous avons besoin de la protection du Cœur Immaculé de Marie » et il renchérissait : « … le bon Dieu est nécessaire ». Il a lancé un appel aux évêques d’Italie dans ce sens ; je ne sais s’il a été écouté ; en tout cas au Vatican il ne semble pas avoir été entendu ; tout se fait par retransmission internet ou télévisée. En France non plus. On « retransmet » (mais seules les chaînes mandatées peuvent le faire, pas les autres) on ne peut pas célébrer « clandestinement » même pour « retransmettre »…

Pire, alors que l’on parle du « déconfinement progressif », les autorités religieuses et celles de la Franc-maçonnerie – promue au rang de « grande religion » - ont été briefées pour leur annoncer que les lieux de cultes ne seraient pas rouverts avant juin… Trop tard pour Pâques, mais messeigneurs les archevêques et évêques, profiterez-vous de ce laps de temps confortable pour « oser » demander à Pilate le Corps de Jésus ? Nous savons que vous avez beaucoup à faire pour vous occuper de vos brebis spirituelles très éparpillées, et vous faites beaucoup. Si vous êtes astreints aussi au confinement, vous devez économiser certainement en temps de déplacements, aussi pouvons-nous oser vous demander quelque démarche locale pour les besoins de nos âmes. Nous vous demandons rarement des faveurs ; ce n’en sont pas. Seulement l’expression d’une soif et d’une faim auxquelles vous pouvez remédier, vous nos « pasteurs » qui n’êtes pas « mercenaires ». Vous pourriez peut-être demander que soient rouvertes les églises, permises les Liturgies et les prières communes. Faute de masques, nous aurions besoin de recevoir le Sacrement de l’Huile-sainte (le « sacrement des malades » dans l’Église orthodoxe), c’est efficace vous savez, pour le corps et pour l’âme. Nous voulons prendre soin de l’une et de l’autre. Nous non plus nous ne voulons pas mourir, spirituellement ! Nous aurions aussi besoin de célébrer EN Église des Paraclisis (offices d’intercession), et des Pannykides (offices pour les défunts) pour les victimes du virus sévissant, et pour nos autres défunts, et des Actions de Grâces pour les miracles de charité dont nous sommes témoins journellement, et pour des guérisons miraculeuses du covid 19 (il y en a, dues à l’interventions de saints, mais on n’en parle pas ! Si nous pouvions aller à l’église, on nous en parlerait, ça nous redonnerait de l’espoir. Le son des cloches (mues électriquement) et le chant du muezzin (appel agressif à la prière coranique) ne sont pas suffisants. Nous oxygéner en sortant Mirza, Titi ou Youka, (ou notre poisson rouge ! Même l’humour est banni. Quel monde triste !) faire notre jogging autour de notre maison ou quarante kilomètres à vélo autour de l’église de mon village, ne nous suffit pas non plus. Vous savez, on ne nous a pas formés à la Prière intérieure – on nous a dit que c’était réservé aux moines - ni à la lectio divina. Il nous est bien difficile de prier pendant longtemps : nous n’avons pas l’habitude. L’aide de la Communauté, la chaleur de la célébration commune, la vision du reflet de la gloire de Dieu dans une assemblée de prière, la charité d’un amour partagé malgré des rivalités, des antipathies au nom de notre Sauveur manifesté, le mélange des conditions sociales différentes en un Corps, tout cela nous manque cruellement. Par dessus-tout, la vision, la proximité, l’expérience de l’Autre monde, la présence réconfortante de la Mère de Dieu, des saints, des Anges, dans une Action de grâces commune, nous fortifieraient, élargiraient nos perspectives vitales qui se sont rétrécies à nos murs et nos jardins (quand on en a !). Nous en avons besoin pour nous réchauffer et affronter nos épreuves, qui ne font que commencer, car on nous dit bien : « rien ne sera plus comme avant ! » En voilà une perspective ! Si donc il n’y a que cet horizon là, accordez-nous la possibilité d’un horizon infini, céleste, éternel. Si vous ne nous concédez pas cela, le pire qui est en nous va ressurgir : je vais devenir plus mauvais encore, je vais me révolter, casser, piller, tuer peut-être, ou me suicider ; pire horreur ! La violence n’est pas loin au fond de moi ; enfouie seulement sous une couche superficielle et fragile. Je connais la bête qui sommeille en moi et que seule la grâce de Dieu peut contenir, retenir, domestiquer ou ré-orienter. La prière personnelle appelle la grâce, certes, mais aussi la prière en Église. Bien sûr, je suis d’accord, on peut prier individuellement ou en famille. Et ça se pratique, nous assistons même à des conversions spectaculaires avec cela. Qui plus est, c’est une bonne école pour l’avenir. Mais enfin cela ne nous suffit tout de même pas. Ne nous en veuillez pas, nous sommes faibles et inhabitués ; peut-être rêveurs, mais « le monde » ne nous accorde plus de rêves, d’idéal, d’enthousiasme. Nous n’avons plus que la tristesse et l’angoisse.

Savez-vous comment a commencé l’héroïque – et éphémère (encore que… !) - insurrection de Vendée en 1793 ? La Convention, avec les prêtres jureurs à la Constitution (déjà) avait fermé les églises et posté des gardes à leurs portes (c’est une habitude, hein Pilate !). À Châtillon-sur-Sèvre alors que des villageois vendéens tentaient de se révolter contre ces ordres légaux qui arrêtaient les « prêtres non-jureurs », somme toute des prêtres fidèles à leur foi et à leurs pratiques de nombreuses fois centenaires, à leur Église et à leurs évêques, un jeune paysan, Jean Ripoche - mémoire éternelle !- épuisé par vingt-deux blessures, s’est effondré au pied d’un calvaire. Un soldat républicain lui a alors crié : « Rends-toi ! » Ripoche lui a rétorqué : « Rendez-moi mon Dieu ». À peine eut-il dit cela qu’il fut exaucé, puisque d’un coup de mousqueton héroïque le soldat en a fait un martyr, qui a ainsi immédiatement retrouvé « son Dieu ». C’était une manière de Le lui rendre, mais pas celle qu’il était en droit d’attendre ! Il est vrai que c’était une époque de fanatiques. Ses coreligionnaires ont aussi voulu qu’on leur « rendre leur Dieu » et qu’on leur rouvre leurs églises… ce fut le massacre que nous connaissons, le génocide qui commence à être dévoilé. Mais les temps ont changé... !

 Jadis, Joseph d’Arimathie a donc osé demander le Corps de Jésus à Pilate ;  nous supplions maintenant nos hiérarques, évêques et pasteurs, « d’oser s’introduire auprès de » « l’Élysée » ou de la « Place Beauvau » et de demander humblement, mais fermement, que l’on « nous rende notre Dieu » ! Vite, aussi vite que les supermarchés qui ouvrent et les écoles où des milliers d’enfants vont se rendre, avec beaucoup de leurs parents. N’ayez crainte, il n’y a pas de danger : ces établissements ne fonctionnent pas aux mêmes heures, ni aux mêmes jours que nos églises. Les nôtres, c’est le dimanche, le jour de la « grasse matinée », le lendemain des « sorties ». Il y a d’ailleurs moins de dangers de contamination : les clients des Temples de Dieu sont moins nombreux que ceux des temples de la consommation ou des temples du Savoir !

Cette demande mise à part, je ne revendique rien. Mes propos ont seulement pour but de décrire une situation dont je laisse le soin aux « responsables » de juger selon leur conscience de ce qui est bon, utile et nécessaire. Mais de grâce, que parlent ceux qui savent, que ceux qui sont au pouvoir agissent. Que tous cherchent à exercer leur discernement personnel et s’affranchissent de « l’opinion publique » ou de la « pensée  unique ». Que les chefs et les responsables cherchent les informations justes. Il y a un charisme dont Dieu n’est pas avare, c’est le « discernement ». C’est le moment de l’exercer, avec la grâce de l’Esprit-Saint ! Où sont les prophètes, je parle des vrais, pas des illuminés, des charlatans ou des opportunistes qui ont encore plus peur que les autres et qui se réfugient dans le confortable « politiquement correct » ou qui veulent sauver leur bout de gras en se mettant bien avec les « puissants » ? Ces derniers devraient savoir que c’est risqué et éphémère. « Il n’y a pas loin du Capitole à la Roche Tarpéienne » !

Enfin, voilà où je voudrais en venir : l’inanité de ces mesures. Je ne parle pas des mesures sanitaires et des précautions pour la santé publique (encore que je revendiquerai pour les uns et pour les autres la liberté et le droit de ne pas penser obligatoirement comme tout le monde, c'est-à-dire comme il est demandé de penser.) Ces mesures drastiques et contrôlées et les dispositions de rétorsion qui en découlent, n’ont brimé que nos corps. Et nous l’avons bien supporté ! Nos âmes cependant restent libres et personne ne peut nous ôter cette liberté : elle vient de Dieu. Ainsi, en silence, dans l’obscurité pré-pascale, d’une façon cachée comme les saintes Myrophores au Tombeau, des milliers de personnes se sont retrouvées, dans le sanctuaire de leur cœur et de leurs demeures, au cœur même de l’Église et du monde. Dans l’ensemble on n’a pas déjoué les décisions officielles ; Dieu a permis que nous les dépassions, que nous les sublimions.

Je ne peux que m’extasier devant le miracle dont nous avons été témoins. « Confiné » pour la seconde fois, le Christ n’en a pas moins persisté à ressusciter. Non, Il n’est pas ressuscité une nouvelle fois, mais Il a manifesté une nouvelle fois Sa Résurrection ! Il n’a pas pu, Il n’a pas voulu rester caché, Il est sorti du Silence : « Il s’est manifesté Orient des orients » ! Discrètement, reconnu par quelques-uns seulement, ceux qui L’attendaient. Oh oui, les cierges et les encens, les thrènes et les « Christ est ressuscité ! », les « Hristos Voskresse ! », les « Hristos anesti ! » ou autres « Hristos a înviat ! », nous ont manqué ! Le fait est que l’on peut s’en passer – on l’a vu - et l’exprimer par téléphone, Internet ou messageries, mais ce n’est pas complètement pareil ! C’est toute la différence qu’il y a entre le savoir et l’agir, l’analyse et l’expérience ! Comme je l’ai évoqué plus haut, une solidarité extraordinaire s’est développée entre tous, chacun encourageant l’autre, priant aux mêmes heures les uns et les autres pour manifester leur communion, rivalisant d’ingéniosité pour transformer leurs maisons en églises domestiques, en lisant des ouvrages spirituels, théologiques ou bibliques qu’en temps ordinaire ils n’ont pas le temps d’ouvrir, se transmettant « des liens » électroniques pour regarder reportages ou retransmissions, conférences, musiques ou spectacles, voire vidéos. Pour combien de ces « Églises domestiques » ce fut l’occasion de se retrouver ensemble devant Dieu, alors que les circonstances, les incompréhensions, les querelles, l’oubli de Dieu, la honte peut-être, en avaient divisé, séparé, opposé les membres ? Quelques prêtres - respectons leur conscience - ont réussi à célébrer des Offices et la Liturgie pascale, en petit comité, à « huis clos », mais pas clandestinement, comme les Vendéens lorsqu’ils se réfugiaient dans les forêts de Grasla ou de Vezins… Mais que n’ont-ils pas vu alors?

Oh surprise ! Lorsqu’ils se retournaient pour dire « Paix à tous ! » au Nom de Jésus, ils s’attendaient à ne voir qu’un assistant ou deux, ou même personne. Mais ils étaient des milliers là, présents, des millions, des myriades, qui répondaient « et avec ton esprit ! » Il y avait les absents physiquement pour « des motifs raisonnables » et les « empêchés ». Il y avait ceux qui se calfeutraient chez eux parce qu’ils avaient peur, mais personne ne peut ni n’a le droit de les juger. Il y avait les malades du covid 19 ou de quelque autre maladie, il y avait tous ceux qui s’associaient dans le monde entier à la Prière de l’Église, à la Mort-Résurrection de Jésus, L’Oint de Dieu.

Étaient là, tous les fidèles et habitués ordinaires de nos paroisses et de nos monastères et tous chantaient à l’unisson. Les voisins étaient là, qui nous honorent de leur amitié, même si en temps ordinaire ils ne sont pas encore à l’aise avec le Père éternel, tant d’années d’anticléricalisme les ont tellement éloignés de Ses représentants. On a paralysé leurs âmes, anesthésiées. Avec eux participaient tous ceux qui se sont endormis avant nous, ensevelis ou « passés par l’Église » en ce lieu même et ils revivaient avec nous, ils ressuscitaient. Ceux qui avaient été baptisés ici, ceux qui s’y étaient mariés, repentis, apaisés, réconciliés. Leurs chants, dépassant les siècles, résonnaient avec les nôtres. Leur silence était assourdissant, qui annonçait la glorieuse Résurrection, celle du Christ, de la leur et de la nôtre. Mais avec eux chantaient aussi, avec nous tous, les Chrétiens de tous les temps, depuis Adam, jusqu’au dernier homme, incorporés au Christ, souffrant, ressuscitant et glorifiés avec Lui.

Autour de l’autel, Géronda Aimilianos présidait, assisté de son disciple Élisée, des saints Jérôme et « Papa » Éphrem (il avait toujours ses quatre assiettes de pastèque à la main), de nos pères Sérapion, Myron et les autres. Le sanctuaire s’agrandissait, s’élargissait et se remplissait. En fait, tous présidaient, non pas chacun à son tour, mais tous ensemble. Ils ne faisaient qu’un Corps, un seul être et nous voyions que cet Être était le Christ qui nous incorporait à Lui ! Le grand saint Athanase était là, avec saint Hilaire et saint Martin, Clovis, Sorus et Arédius. Nous reconnaissions parmi eux les pères Placide et Séraphim, Cassien et Théotokis, François, Jules, Jean et d’innombrables autres. Dans le même instant nos bien-aimés frères athonites se tenaient au chœur de gauche, que nous croyions vide jusqu’à ce que nos yeux s’ouvrent, alors que les sœurs d’Ormylia, Gérondissa Nikodimie en tête, soutenaient le chant de nos quatre Françaises, accompagnées par celles de Solan et de Bois-Salair ou de Maldon, surmontant avec elles leur fatigue et leurs maux.

Sainte Geneviève et Jehanne d’Arc leur tenaient compagnie et chantaient aussi leurs hymnes propres, en concordance avec les nôtres, chacun selon sa langue et sa Tradition, comme « les Parthes, les Mèdes et les Élamites » à la Pentecôte, car c’était déjà – ou c’était encore - la Pentecôte. « La multitude des croyants n’avait qu’un cœur et qu’une âme, et nul ne disait sien ce qui lui appartenait, mais tout était commun entre eux. Avec grande puissance, les Apôtres rendaient témoignage à la résurrection du Seigneur Jésus, et une grande grâce était à l’œuvre chez tous ». En ce moment de grâce, nous en avons été témoins !

Nos amis grecs ne manquaient pas, et Marie-Noël, avec son beau-père Hristos, tout étonné de se trouver là. Nous avons reconnu nos frères serbes et monténégrins, avec leurs saints Sabba, Lazare, Basile, Nicolas, Justin, rencontrés à maintes reprises, et les évêques qui nous manifestent leur communion vivante, Irénée, Amphilokijé, Athanasijé, avec tous nos amis que je ne peux nommer tellement ils sont nombreux. En première place Vladika Chrysostome qui reconnaissait la croix pectorale qu’il avait offerte, et Ivanna, qui s’élève rapidement vers le Royaume avec notre frère-père Déjan et leurs petites ; tous deux ( Chysostome et Ivanna) martyrs au milieu de centaines d’autres holocaustes consumés par l’uranium appauvri que notre barbarie otanienne leur a déversé par tonnes. Ils nous souriaient et chantaient à tue-tête avec nous pour nous signifier leur pardon et leur douloureuse joie d’accomplir leur destin national. Ils nous invitaient à honorer le nôtre… Les parias du Kosovo, ses martyrs, ses moines étaient là aussi, nombreux.

N’avons-nous pas reçu aussi nos sœurs de Moscou ( tiens ! l’une d’elle est « coronavirusée » : au secours Saint Nicéphore le Lépreux !) avec père Hyéronimijé. Et celle de l’Oural, Ekaterinbourg, GaninaYama et Alapavesk, avec leurs fidèles, leurs prêtres et évêques dont le courageux Cyrill (qui a fait d’ailleurs à cette occasion une profonde, merveilleuse et encourageante homélie), et leurs saints, Séraphim, Serge et Sabbas, Nicolas, Siméon de Verkouturijé et Féodor Kouzmitch. Nathalie de Valamo… et j’en passe. Beaucoup !

Plus nous regardions et plus nous reconnaissions de visages connus et aimés, d’Égypte et de Roumanie, de Géorgie et du Liban, d’Angleterre, d’Allemagne et de Suisse. L’archevêque du Sinaï aussi, et celui de Chypre, les Abyssiniens et les Coptes d’Alexandrie, ou du Waddi Natroun et ceux de saint Georges de Kozeba, quoi, tous ici aussi ? Mais pourquoi les nommerais-je tous ? Ils sont trop nombreux et d’ailleurs, les dyptiques en font mémoire lors de la proscomidie. Nous avons la liste, et il y en avait encore de bien plus nombreux, anonymes que nous nous mettions à aimer aussi comme si nous les connaissions depuis toujours. Tout le monde était là, personne ne manquait, autour du Trône glorieux du Ressuscité, c’était le plérôme du Corps du Christ.

Et, au fur et à mesure que le temps passe, me reviennent à la mémoire les noms ou les faces de ceux que nous n’apercevions pas alors et n’en étaient pas moins présents. Le plus surprenant était que tous ces corps saints se déplaçaient immobiles, tantôt présents dans « l’assistance », – et en même temps – à la Sainte Table, tantôt sur l’iconostase et tantôt sur les murs, icônes vivantes parmi les icônes vivantes. C’était une incessante et immobile danse sacrée, une valse, un tournoiement perpétuel et hésychaste en même temps, auquel se joignait le mouvement pendulaire du polyéléos. L’église de béton s’agrandissait aux dimensions de l’univers, et nous voyions à travers le monde et au-delà de l’histoire d’autres lieux où se célébrait la Liturgie, mais il nous semblait que c’était la même, en même temps, unique et universelle : « eux en nous et nous en eux », comme lors des harmonieuses et multiples Liturgies sur l’esplanade de l’Ascension au Mont des Oliviers, les jours de la panégyrie.

Plongeant son regard plus intérieurement, le prêtre, le fidèle, le « croyant » voyaient les Puissances célestes qui dansaient dans le Ciel pour accueillir le Roi de la Gloire, la Lumière véritable. Les bougies de nos polyéléi, des choros (lustres qui ornent les églises orthodoxes) et des couronnes de lumières, allumés « pour le panache », manifestaient la ronde glorieuse des Anges et des Archanges qui se joignaient à nous dans leur étonnement de voir Dieu revêtu de notre nature, puis bafoué ensanglanté, mort et ressuscité, nous entraînant avec Lui auprès d’eux. Des déportés emprisonnés à Solovky vivaient aussi de telles Liturgies, et d’autres à Buchenwald, Jacenovac ou au Struthof, au Cambodge, en Chine ou au Chili. La Liturgie est universelle. Le Golgotha, partout ! La Résurrection, cosmique !

Que ne nous a-t-il pas encore été donné de vivre ? Notre microcosme était changé. Enfermés dans nos quelques mètres carrés, tout à coup les murs disparaissaient, et autour de nous – ou bien était-ce même en nous ? - les arbres et les plantes, les plus petites fleurs de printemps, les camélias rouges et les herbes vertes et tendres, les oiseaux, tous les animaux qui dormaient ou les hulottes qui veillaient, et même la souris qui me nargue et qui m’énerve dans le coin là-bas, tous manifestaient leur manière individuelle de refléter la Lumière divine. La Gloire de Dieu se révélait à travers eux. Et je me suis mis à aimer la petite souris. Les objets inertes, les rochers, les minéraux, les éléments, même les forces dites « naturelles » qui d’ordinaire nous terrifient et détruisent nos biens et nos demeures et nos civilisations, tout prenait sa raison d’être. Nous voyions comment Dieu arrive à Ses fins à travers eux, en les prenant à Son service, et les dispose au service des hommes ; comment ils Lui rendent aussi grâces, non pas en toute liberté personnelle comme il nous est donné de le faire - c’est là d’ailleurs où Dieu trouve « Sa gloire en l’Homme » — mais parce que telle est Sa Volonté, pour la glorification de l’univers entier, visible et invisible, subrepticement rendu visible. Nous percevions cela « intuitivement », car nous étions en symbiose ! La prodigalité des dons divins nous devenait apparente, la communication de Ses Énergies, diraient les savants théologiens.

Par Sa résurrection ignorée de beaucoup, rejetée par certains – qui ne pourront pourtant pas la fuir toujours - La lumière Véritable a éclairé le cosmos tout entier, et nous pouvions voir les planètes, les astres et les galaxies que nos télescopes ne peuvent déceler, tous prenaient leur centre au cœur de chacun de nous. Et ils brillaient de notre joie, la distance et le temps ne fonctionnaient plus comme nous l’expérimentons d’habitude ! De la qualité de notre adoration dépendait leur propre action dans le cosmos. Le soleil en premier lieu, les autres beaucoup plus éloignés aussi. En Christ ils étaient nous et nous étions eux, rois de la création avec le Roi de l’univers et leur – notre - Créateur. Lorsqu’un élément de la création se mouvait, agissait, « pensait », aussitôt à l’autre bout de l’univers, mais c’était ici même, les autres éléments vibraient, réagissaient, se manifestaient, changeaient. La pureté de notre pensée, de notre cœur, notre orientation vers Dieu conditionnaient l’équilibre qu’ils apportent à la marche du cosmos et à ses effets pour l’humanité. Nous étions cause de leurs dérèglements et de notre déséquilibre, nous influencions leur harmonie et notre destinée. Notre regard voulait voir encore plus, assoiffé que nous étions d’Amour comme Lui nous le communiquait : Sa nature. Il nous semblait, mais c’était la réalité, que chacune des cellules de notre corps vibrait de la même joie, du même Amour. Il serait difficile de s’exprimer clairement, mais le moindre atome de notre être, et ceux de tous ceux qui étaient ainsi mystérieusement présents, ne faisaient qu’un. Tous étaient unifiés non pas par la Lumière de la Résurrection, mais devenaient Lumière avec La Lumière, Amour avec l’Amour. Véritablement sous nos yeux se réalisait ce vœu de Jésus que nous avions entendu deux jours auparavant : « Père… je leur ai donné la gloire que tu m’as donnée, pour qu’ils soient un, comme nous, un : moi en eux et toi en moi, pour qu’ils soient parfaitement un, pour que le monde connaisse que c’est toi qui m’as envoyé, toi qui les as aimés comme tu m’as aimé. Père, ce que tu m’as donné, je veux que, où je suis, ils soient aussi avec moi, pour qu’ils voient ma gloire, celle que tu m’as donnée, parce que tu m’as aimé avant la fondation du monde » (Jn 17, 22-24 et suiv. ; 1er évangile de l’Office des Saintes Souffrances)

Mais pourquoi ne parlerais-je que de l’Espace qui se télescope. Le temps ne comptait plus, ne se comptait plus, ne s’égrainait plus. Et pourtant rien n’était figé ni statique. Il était devenu un instant, un mystérieux Présent qui ne finit pas et n’a pas commencé. Comme lors de la prière ! Mais nos paupières ne tombaient plus et les pensées s’étaient enfin unifiées et apaisées. Oh oui, nous avions conscience d’être présents devant le Tombeau ouvert miraculeusement pour que les Maries le voient vide, ainsi que les premiers Apôtres, témoins des deux Anges assis sur la pierre, mais nous étions au même instant présents tous ensembles dans la grotte de Bethléem lorsque naissait Dieu incarné, et avec la Bienheureuse Théotoque lorsque l’Ange Gabriel lui a annoncé qu’elle serait mère du Rédempteur. Nous étions avec Moïse sur le Sinaï et avec Paul au énième ciel, et avec Abraham qui, sur le mont Morriah, substituait un pauvre bélier, entravé à un buisson par les extrémités, à son fil Isaac qui portait déjà le bois de l’Holocauste Parfait et qu’il croyait que Dieu lui demandait de sacrifier. Et avec Joseph dans la citerne, vendu, sacrifié par ses frères, ensanglanté mais non-mort et même glorifié à la cour de Pharaon. Et, nous étions – aurais-je assez d’audace pour l’affirmer ? – témoins de la création de « l’Homme », Adam. Oh ! Que loin de nous étaient les pensées de connaissances curieuses et oisives :  si les jours de la création selon la genèse représentent des ères géologiques, et s’il y avait eu un seul homme à l’origine, ou une race, ou des races, et si Dieu continuait à créer, et si le monde évoluait successivement de la biosphère jusqu’à quelque  noosphère, et quel rôle nous, l’homme, avions à y tenir... C’était plutôt comme si nous renaissions de nouveau avec Adam et Ève, comme le disait Jésus à Nicodème ou plus exactement c’était comme si nous assistions à notre propre engendrement. Nous étions rendus « au principe » de la Création, et nous englobions en même temps son achèvement. L’alpha et l’oméga. Et il en était en réalité bien ainsi ! Nous contemplions, nous recevions, nous applaudissions, nous acquiescions : nous adorions. Et déjà, nous pénétrions avec Jésus dans le Royaume qu’Il nous a promis. Nous étions ressuscités, la mort était déjà vaincue. Quelle différence y a-t-il entre notre vie d’aujourd’hui et celle de demain ? Il nous a été donné de voir un instant que ce n’est qu’une différence d’état : espace et temps sont déjà dépassés, il n’existe plus que le « aujourd’hui » de Dieu. Christ est ressuscité et nous aussi ! Notre regard rivé à la terre et à ses lois physiques transitoires nous aveugle ! Ah, quelle déchéance ! Notre effort, notre prière, notre « retournement intérieur » consisteront désormais à nous hisser à ce niveau d’existence, sans l’imaginer, sans vouloir le revivre sensiblement, mais dans la certitude que là est la Vérité, car nous l’attestons, nous l’avons vue. Il est la Voie, La Vérité, La Vie ! Il nous faut retrouver cette unité de temps et d’espace, ce monde divin dans lequel le Seigneur nous avait placés et dont nous n’aurions jamais dû nous séparer par orgueil (pas seulement Ève et Adam, mais moi aussi, pauvre de moi !). Et ce pourquoi ? je m’en rends compte maintenant, pour nous faire dieux sans Lui ou en rivalité avec Lui, alors qu’Il voulait nous faire Dieu en Lui ; nous déifier. C’est l’Unique Présent, c’est l’éternité, c’est notre expérience pascale et chrétienne. Quotidienne, quoique souvent inconsciente. Mais notre circulation lymphatique aussi est « inconsciente », elle n’en demeure pas moins notre « expérience », tout comme les échanges d’oxygène dans nos cellules par le sang  et tant d’autres choses ! Si nous ne faisons pas l’expérience de l’éternité de cette façon, c'est-à-dire même inconsciente, nous ne sommes pas chrétiens, nous ne sommes pas hommes !

Et puisqu’il nous était interdit de nous embrasser, nous avons dit le « baiser de Paix ». Dans cette frustration humaine, une grande paix nouvelle s’est répandue dans tout notre être. Nous étions un avec les absents, avec les morts, avec les hommes de bonne volonté, avec les saints et aussi avec les pécheurs dont je suis le premier. Pécheurs avec les pécheurs, nous portions avec eux le poids de notre patrimoine déchu collectif, héritant en commun de la miséricorde unique de Dieu. Et notre effort de « conversion » les soulageait et les encourageait et les aidait aussi à se lever ; et nous voyions que la sainteté du Christ rejaillissait sur les saints et eux nous soutenaient dans notre effort ou le suscitaient, car ce n’était qu’un Corps, qu’un être en une multitude de personnes qui se mouvait sous la Puissance de l’Esprit-Saint. Si faible sois-je, je sentais bien moi-même que c’est la vie du Christ qui me mouvait, qui m’élevait, qui me faisait me tourner vers Lui et vers le Père, dont pourtant je me sens, je me sais, si loin ; si proche !

Moi-même, penché sur le saint calice dont je ne distribuerai aujourd’hui le Précieux Sang qu’à une infime minorité de personnes, et sur le discos (patène) où je disposais les saintes parcelles du Précieux Corps, je voyais rassemblées toutes les parcelles eucharistiques à travers le monde entier, et de tous les temps, comme l’unique et total Corps du Christ qui unit tous les hommes en un seul être divinisé, « christifié ». Et je communiais pour les autres, pour les absents, pour les privés de communion, pour les indécis qui n’osent croire à la dignité que Dieu leur confère malgré leur péché. Que je me sentais petit et que Dieu me révélait ! Que j’étais grand en Lui, avec tous ! Je ne pouvais pas ne pas les aimer – j’aurais pu ; j’en gardais la liberté mais pour rien au monde je l’aurais voulu – au contraire de toute ma volonté je voulais les aimer et je voulais recevoir leur amour, l’échanger, chose impossible par moi-même. Dieu me le montrait, je voulais les faire miens, me les assimiler et m’assimiler à eux. Et, puisque je ne le pouvais, Jésus ressuscité le faisait pour moi et mon bonheur était d’y acquiescer. Que j’étais heureux, je ne m’appartenais plus, j’appartenais à Dieu et au monde et le monde m’appartenait et Dieu me laissait « L’accaparer » bien qu’il soit impossible de s’approprier Dieu, pour l’offrir au monde, invisiblement, mais réellement et efficacement.

Est-ce cela la Résurrection ? Car il ne s’agit pas de « revivification », n’est-ce pas ? Alors que depuis mon enfance j’en avais perpétuellement l’image et que je ne pouvais m’en départir. Celle de Jésus a bien eu lieu historiquement, et une fois pour toutes, il y a vingt siècles, mais notre participation à la résurrection, aujourd’hui, n’est-elle pas ce changement de niveau d’existence, encore momentané certes, cruellement fugitive, mais prélude – sans doute bien faible et partiel – à ce qui se passera lorsqu’à mon tour, à notre tour, nous rendrons notre dernier soupir, avec Lui et en Lui : « Père entre tes mains je remets mon esprit ! » En attendant, nous réendossons notre corps charnel, et nous supportons la tentation du désespoir, nos doutes, l’impression d’abandon de Dieu à cause de nos fautes, notre indignité pour le « salut », nos innombrables mesquineries qui pourtant nous meurtrissent moi-même en premier chef. Quel masochisme ! Mais, qu’importe : « Ta volonté, non la mienne ! » Non, décidément, « rien ne sera jamais plus comme avant ! »

Seigneur, ne nous laisse pas entrer en tentation, et si demain des épreuves terribles nous attendent, laisse-nous nous rappeler ces moments d’éternité afin que nous ayons la force, par ton Esprit-Saint, de nous souvenir de toi et de dire toujours : Christ est ressuscité !


Alors, véritablement non, le « confinement », même s’il est sagesse des hommes aveugles, et œuvre du Malin clairvoyant qui par cela aurait voulu nous couper de la Source de notre Vie, non, véritablement non, le Christ n’est pas resté confiné ; Il s’est manifesté. Cependant, rouvrez-nous vite nos églises, les portes de l’enfer ne prévaudront pas contre Elles. « Princes, enlevez vos portes, et le Roi de Gloire entrera ! » que nous nous engouffrions à Sa suite ! Laissez-nous notre divin « vivarium » !

Merci, mon Seigneur, de nous avoir montré cela ; merci de t’être servi de nos maîtres, professeurs et initiateurs et pères successifs, et les Pères de l’Église, et ses saints que nous y avons trouvés vivants. À nos pèlerinages sur leurs lieux de vie ou de martyre, et la vénération de leurs saintes Reliques, celles de leurs icônes que nous avons embrassées avec tant d’amour, ils ont répondu par ces Liturgies, ils se sont manifestés vivants, ils nous ont éveillés à une autre forme d’Amour. Aujourd’hui nous te rendons grâces pour eux, car c’est à eux, et à Ton Esprit que nous devons cela. Nous rendons grâces également pour nos compagnons de route, de ceux qui nous ont fait confiance et de ceux qui nous ont blessés, voire trahis. À ceux-là nous pardonnons de tout cœur, nous leur demandons pardon et prions avec eux dans le même amour de Dieu ; ce sont peut-être ceux-là d’ailleurs qui nous ont le plus aidés, encouragés, éclairés, initiés. Puissent-ils encore nous aider à être fidèles jusqu’au dernier moment, que nous entrions ensemble dans le Monde Nouveau dont nous n’avons perçu que l’ombre. Mais quelle ombre !
Et merci à vous tous qui étiez ainsi présents et dont j’ai indiscrètement révélé l’identité. Mais, « rien de caché qui ne doive être manifesté, rien n’arrive de secret que pour venir se manifester » ! (Mc 4,22).

À Jésus, ressuscité, revient la gloire et notre adoration, avec Son Père Éternel et avec Son Esprit Très-Saint et vivificateur, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles.
Amen !


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