Sur Orthodoxie.com: Le métropolite de Volokolamsk Hilarion : « Le format ‘Amman’ des consultations se poursuivra »
Dans une interview à l’agence russe RIA Novosti, le métropolite de Volokolamsk Hilarion, président du Département des affaires ecclésiastiques extérieures de l’Église orthodoxe russe, a donné son appréciation sur la rencontre d’Amman. Après avoir traité le texte du communiqué final de la rencontre, le métropolite aborde plusieurs aspects de la réunion, que nous traduisons ci-dessous :
– Quelle est la position des Églises locales qui n’ont pas participé à la rencontre sur les questions soulevées à Amman ? Par exemple, les Églises d’Antioche, de Géorgie et de Bulgarie ?
– L’Église d’Antioche soutient pleinement l’Église russe sur les questions de l’ordre du jour concernant les questions inter-orthodoxes fondamentales, dont la question ukrainienne. Cependant, l’Église d’Antioche a son propre conflit avec l’Église de Jérusalem, ce qui a résulté dans la rupture de la communion eucharistique entre elles. Bien que des tentatives aient été entreprises ces dernières semaines pour parvenir à un rapprochement, il n’a pas été possible d’atteindre un accord définitif. Pour cette raison, l’Église d’Antioche n’a pas participé à la rencontre d’Amman. On nous reproche fréquemment dans les milieux grecs d’avoir eu une réaction trop vive aux actions de Constantinople. Il ne fallait pas, disent-ils, rompre la communion. Réfléchissons-y : le patriarcat d’Antioche a rompu la communion avec celui de Jérusalem en raison d’une paroisse au Qatar. Or, dans l’Église ukrainienne, il y a plus de 12.000 paroisses, plus de 250 monastères, plus de 100 hiérarques, et des millions de fidèles, que le patriarche de Constantinople a essayé d’arracher à l’Église orthodoxe russe une. Bien plus, le patriarche de Constantinople a « rétabli dans leur rang » ceux qui n’ont jamais eu d’ordination légitime. Comment pouvions-nous réagir ? En Grèce, depuis de nombreuses décennies, existe le schisme des vieux-calendaristes, qui comprend à la fois des « hiérarques », des « prêtres » et des paroisses, des monastères et des fidèles. Pourquoi le patriarche de Constantinople, en collaboration avec l’Église de Grèce, ne s’occupe-t-il pas de remédier à ce schisme ? Il existe en Amérique différentes juridictions orthodoxes. Pourquoi le Patriarcat de Constantinople, en collaboration avec les autres Églises orthodoxes locales ne s’occupe-t-il pas de la création d’une Église autocéphale en Amérique ? S’il avait le souhait de résoudre les problèmes réels, il y a un certain nombre de tels problèmes hors des frontières de l’Ukraine. Le but principal de l’intervention de Constantinople en Ukraine a été le souhait d’affaiblir l’Église russe une. Déjà dans les années 1920, Constantinople a soutenu les « rénovés » [groupe schismatique moderniste et pro-communiste, ndt], et en 1996, elle a divisé l’Église en Estonie. Toutes les discussions de Constantinople sur la guérison du schisme ukrainien ne sont que des « couvertures ». On comprend cela dans la majorité des Églises orthodoxes locales, dont celles qui, pour différentes raisons, n’ont pas participé à la rencontre d’Amman. On comprend là que Constantinople, dans ses agissements, s’appuie sur le soutien des USA, en jouant sur la confrontation politique entre ce pays et la Russie. Ce n’est pas un hasard si, dans la lettre au patriarche de Jérusalem Théophile, publiée le jour de la rencontre d’Amman, le patriarche Bartholomée a déclaré que le but de cette rencontre est « de servir le refus obstiné d’une certaine Église locale à identifier sa position et à se conformer à ce qui est accepté dans l’Orthodoxie depuis des siècles, ce en quoi l’aide, si elle n’y pousse pas, la Fédération russe ». De toute évidence, le patriarche de Constantinople considère que l’observation des principes séculaires de l’Orthodoxie est garanti aujourd’hui par les États-Unis, et non par la Fédération de Russie. Il est autrement difficile d’expliquer le fait que le secrétaire d’État des USA, Mike Pompeo, le représentant spécial des États-Unis pour les questions de liberté religieuse, Sam Brownback, ainsi que l’ambassadeur américain en Grèce, Geoffrey Pyatt, ancien ambassadeur en Ukraine, font ouvertement la promotion du plan constantinopolitain de création d’une structure orthodoxe en Ukraine séparée de l’Église russe. Nous avons des contacts, au sujet des questions discutées à Amman, avec de nombreuses Églises, dont celles qui n’y ont pas participé. Les consultations avec elles seront poursuivies de façon bilatérale, mais on peut espérer qu’elles se joindront aux étapes suivantes des discussions initiées à Amman.
– Revenons à la question du schisme en Ukraine : à votre avis, pourquoi le Concile de Crète qui s’est déroulé en 2016 n’a pu prévenir l’escalade de la tension dans le domaine ecclésiale en Ukraine et la création de pseudo-Églises à partir de structures schismatiques ?
– On nous dit souvent, maintenant, que le Concile de Crète a été notre occasion manquée de poser les questions qui nous préoccupent. Cependant, il n’en est rien. Le règlement et la thématique du Concile de Crète ont été convenus à l’avance et il n’était pas proposé de discuter des questions brûlantes telles que la résolution du schisme ukrainien. Qui plus est, la question fort délicate sur la façon d’accorder à l’avenir l’autocéphalie, a été retirée en temps opportun de l’ordre du jour du concile, bien que l’accord de principe ait été atteint. Il ne restait qu’à se mettre d’accord sur les détails. Nous savions à l’avance que le concile de Crète ne résoudrait rien, mais nous avions l’intention de nous y rendre, non pas tant dans le but de résoudre certaines questions, que par respect pour le patriarche de Constantinople, qui l’avait convoqué. Nous avions tout préparé pour le voyage, les chambres d’hôtel et les vols charters étaient réservés, les textes préparés. Mais lorsque les Églises locales, les unes après les autres, ont commencé à refuser de participer, la question qui s’est posée à nous était la légitimité des décisions qui seraient prises. Nous avions toujours insisté sur le fait que les désicions ne seraient légitimes que dans la mesure où un consensus complet de toutes les Églises orthodoxes reconnues par tous serait atteint. Et s’il n’y avait pas ce consensus ? Dans cette situation, le patriarche Cyrille a adressé une lettre au patriarche Bartholomée, proposant de tenir une rencontre péparatoire dans le but de régler les problèmes qui avaient surgi. Un refus sec s’en est suivi. Et il ne nous restait rien à faire si ce n’est de prendre avec grand regret la décision de ne pas participer au concile. Ce faisant, nous n’avons pas refusé de discuter le problème ukrainien, ni sous la forme bilatérale, ni multilatérale. C’est précisément dans le but de discuter ce problème que le patriarche Cyrille s’est rendu à Istanbul en août 2018. Cette discussion n’a abouti à rien. Le patriarche Bartholomée, totalement désinformé par son entourage, était certain que dès la signature du Tomos d’autocéphalie, la majorité des évêques canoniques rejoindraient l’Eglise nouvellement créée. Nos avertissements selon lesquels cela ne se produirait pas, n’ont pas été entendus. Et aujourd’hui, le patriarche de Constantinopole récolte les fruits qu’il a semés. Son nom n’est plus commémoré dans l’Église russe. Pour des millions de fidèles orthodoxes de Russie, Ukraine, Biélorussie, Moldavie, des Pays baltes, des États d’Asie centrale, pour les fidèles de notre nombreuse diaspora, il est devenu persona non grata. Dans les Églises orthodoxes locales, ses décisions sont sévèrement critiquées. Il ne reçoit le soutien que là où la diplomatie américaine a réussi à agir dans ce sens.
– Peut-on dire que le 26 février, en Jordanie, est né un nouveau « format Amman » de consultations inter-orthodoxes ? Y aura-t-il une suite ?
– Le résultat important de la rencontre d’Amman a été la décision sur la nécessité de poursuivre les consultations inter-orthodoxes. Les participants à la rencontre ont exprimé l’espoir qu’une réunion semblable aurait lieu rapidement, de préférence avant la fin de cette année, et que le patriarche de Constantinople y participerait. Son auto-isolement actuel, son absence de souhait à la fois d’initier lui-même des consultations inter-orthodoxes et de participer à celles qui sont initiées par les autres, ne peuvent qu’approfondir la confrontation qui a surgi entre lui et les autres Églises. Malgré ses transgressions canoniques, son inique intervention dans les limites du territoire de l’Église ukrainienne, sa légalisation des associations schismatiques sans grâce, sa participation au dialogue est possible et importante. Il doit écouter la voix des Églises locales, sans quoi ses actions unilatérales amèneront à des conséquences irréparables pour l’Orthodoxie mondiale. En 1054, le pape de Rome et le patriarche de Constantinople n’ont pu s’entendre au sujet de la juridiction ecclésiale sur le sud de l’Italie et certaines autres questions. Il s’est produit une rupture de la communion eucharistique, et les Églises en orient et en occident se sont engagées sur des voies différentes. Aujourd’hui, un schisme a surgi au sein de l’Église orthodoxe. Au cours d’un millénaire, les prétentions du pape à la primauté universelle ont provoqué l’opposition des Églises orthodoxes. Aujourd’hui, a surgi au sein de l’Orthodoxie un foyer de prétentions non seulement de primauté universelle, mais également d’une sorte d’infaillibilité. Le célèbre dicton « Roma locuta causa finita », indique le rôle du pape dans l’Église catholique. Mais maintenant, dans l’Église orthodoxe également, est cultivée l’opinion selon laquelle si l’on a décidé quelque chose à Istanbul, cela signifie que la question est close. On a décidé à Istanbul d’octroyer « l’autocéphalie à l’Ukraine », et on demande à tous non pas la discussion, mais la reconnaissance de cette décision. « Vous devez reconnaître que l’autocéphalie de l’Ukraine est un fait accompli » disent nos interlocuteurs de Constantinople. Mais chez nous, il n’y a jamais eu de chef infaillible terrestre de l Église, dont les décisions sont obligatoires indépendamment de l’accord panorthodoxe à leur sujet. Et les prétentions de Constantinople à l’infaillibilité appellent un juste rejet dans les Églises locales, ce qu’a montré la rencontre d’Amman. Pour trouver une sortie à la situation, une seule rencontre est insuffisante. Pour cette raison, les participants à la réunion d’Amman se sont mis d’accord sur la poursuite des consultations, auxquelles seront invités les primats et les représentants de toutes les Églises locales reconnues par tous.
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