Alexandre Soljénitsyne, Le Déclin du courage, Harvard, 8 juin 1978




Date: 8 juin 1978

Extraits du discours prononcé par Alexandre Soljénitsyne, prix Nobel de littérature(1970) à Harvard le 8 juin 1978. Il condamne alors les deux systèmes économiques -le communisme et le capitalisme. Il dénonce surtout la chute spirituelle de la civilisation. 




"Je suis très sincèrement heureux de me trouver ici parmi vous, à l'occasion du 327ème anniversaire de la fondation de cette université si ancienne et si illustre. La devise de Harvard est « VERITAS ». La vérité est rarement douce à entendre ; elle est presque toujours amère. Mon discours d'aujourd'hui contient une part de vérité ; je vous l'apporte en ami, non en adversaire.

Il y a trois ans, aux Etats-Unis, j'ai été amené à dire des choses que l'on a rejeté, qui ont paru inacceptables. Aujourd'hui, nombreux sont ceux qui acquiescent à mes propos d'alors.(...)

Le déclin du courage est peut-être le trait le plus saillant de l'Ouest aujourd'hui pour un observateur extérieur. Le monde occidental a perdu son courage civique, à la fois dans son ensemble et singulièrement, dans chaque pays, dans chaque gouvernement, dans chaque pays, et bien sûr, aux Nations Unies. Ce déclin du courage est particulièrement sensible dans la couche dirigeante et dans la couche intellectuelle dominante, d'où l'impression que le courage a déserté la société toute entière. Bien sûr, il y a encore beaucoup de courage individuel mais ce ne sont pas ces gens là qui donnent sa direction à la vie de la société. Les fonctionnaires politiques et intellectuels manifestent ce déclin, cette faiblesse, cette irrésolution dans leurs actes, leurs discours et plus encore, dans les considérations théoriques qu'ils fournissent complaisamment pour prouver que cette manière d'agir, qui fonde la politique d'un Etat sur la lâcheté et la servilité, est pragmatique, rationnelle et justifiée, à quelque hauteur intellectuelle et même morale qu'on se place. Ce déclin du courage, qui semble aller ici ou là jusqu'à la perte de toute trace de virilité, se trouve souligné avec une ironie toute particulière dans les cas où les mêmes fonctionnaires sont pris d'un accès subit de vaillance et d'intransigeance, à l'égard de gouvernements sans force, de pays faibles que personne ne soutient ou de courants condamnés par tous et manifestement incapables de rendre un seul coup. Alors que leurs langues sèchent et que leurs mains se paralysent face aux gouvernements puissants et aux forces menaçantes, face aux agresseurs et à l'Internationale de la terreur. Faut-il rappeler que le déclin du courage a toujours été considéré comme le signe avant coureur de la fin ?

Quand les Etats occidentaux modernes se sont formés, fut posé comme principe que les gouvernements avaient pour vocation de servir l'homme, et que la vie de l'homme était orientée vers la liberté et la recherche du bonheur (en témoigne la déclaration américaine d'Indépendance.)Aujourd'hui, enfin, les décennies passées de progrès social et technique ont permis la réalisation de ces aspirations : un Etat assurant le bien-être général. Chaque citoyen s'est vu accorder la liberté tant désirée, et des biens matériels en quantité et en qualité propres à lui procurer, en théorie, un bonheur complet, mais un bonheur au sens appauvri du mot, tel qu'il a cours depuis ces mêmes décennies.

Au cours de cette évolution, cependant, un détail psychologique a été négligé : le désir permanent de posséder toujours plus et d'avoir une vie meilleure, et la lutte en ce sens, ont imprimé sur de nombreux visages à l'Ouest les marques de l'inquiétude et même de la dépression, bien qu'il soit courant de cacher soigneusement de tels sentiments. Cette compétition active et intense finit par dominer toute pensée humaine et n'ouvre pas le moins du monde la voie à la liberté du développement spirituel.

L'indépendance de l'individu à l'égard de nombreuses formes de pression étatique a été garantie ; la majorité des gens ont bénéficié du bien-être, à un niveau que leurs pères et leurs grands-pères n'auraient même pas imaginé ; il est devenu possible d'élever les jeunes gens selon ces idéaux, de les préparer et de les appeler à l'épanouissement physique, au bonheur, au loisir, à la possession de biens matériels, l'argent, les loisirs, vers une liberté quasi illimitée dans le choix des plaisirs. Pourquoi devrions-nous renoncer à tout cela ? Au nom de quoi devrait-on risquer sa précieuse existence pour défendre le bien commun, et tout spécialement dans le cas douteux où la sécurité de la nation aurait à être défendue dans un pays lointain ?

Même la biologie nous enseigne qu'un haut degré de confort n'est pas bon pour l'organisme. Aujourd'hui, le confort de la vie de la société occidentale commence à ôter son masque pernicieux.

La société occidentale s'est choisie l'organisation la plus appropriée à ses fins, une organisation que j'appellerais légaliste. Les limites des droits de l'homme et de ce qui est bon sont fixées par un système de lois ; ces limites sont très lâches. Les hommes à l'Ouest ont acquis une habileté considérable pour utiliser, interpréter et manipuler la loi, bien que paradoxalement les lois tendent à devenir bien trop compliquées à comprendre pour une personne moyenne sans l'aide d'un expert. Tout conflit est résolu par le recours à la lettre de la loi, qui est considérée comme le fin mot de tout. Si quelqu'un se place du point de vue légal, plus rien ne peut lui être opposé ; nul ne lui rappellera que cela pourrait n'en être pas moins illégitime. Impensable de parler de contrainte ou de renonciation à ces droits, ni de demander de sacrifice ou de geste désintéressé : cela paraîtrait absurde. On n'entend pour ainsi dire jamais parler de retenue volontaire : chacun lutte pour étendre ses droits jusqu'aux extrêmes limites des cadres légaux.

J'ai vécu toute ma vie sous un régime communiste, et je peux vous dire qu'une société sans référent légal objectif est particulièrement terrible. Mais une société basée sur la lettre de la loi, et n'allant pas plus loin, échoue à déployer à son avantage le large champ des possibilités humaines. La lettre de la loi est trop froide et formelle pour avoir une influence bénéfique sur la société. Quand la vie est tout entière tissée de relations légalistes, il s'en dégage une atmosphère de médiocrité spirituelle qui paralyse les élans les plus nobles de l'homme.

Et il sera tout simplement impossible de relever les défis de notre siècle menaçant armés des seules armes d'une structure sociale légaliste.

Aujourd'hui la société occidentale nous révèle qu'il règne une inégalité entre la liberté d'accomplir de bonnes actions et la liberté d'en accomplir de mauvaises. Un homme d'Etat qui veut accomplir quelque chose d'éminemment constructif pour son pays doit agir avec beaucoup de précautions, avec timidité pourrait-on dire. Des milliers de critiques hâtives et irresponsables le heurtent de plein fouet à chaque instant. Il se trouve constamment exposé aux traits du Parlement, de la presse. Il doit justifier pas à pas ses décisions, comme étant bien fondées et absolument sans défauts. Et un homme exceptionnel, de grande valeur, qui aurait en tête des projets inhabituels et inattendus, n'a aucune chance de s'imposer : d'emblée on lui tendra mille pièges. De ce fait, la médiocrité triomphe sous le masque des limitations démocratiques.

Il est aisé en tout lieu de saper le pouvoir administratif, et il a en fait été considérablement amoindri dans tous les pays occidentaux. La défense des droits individuels a pris de telles proportions que la société en tant que telle est désormais sans défense contre les initiatives de quelques-uns. Il est temps, à l'Ouest, de défendre non pas temps les droits de l'homme que ses devoirs.

D'un autre côté, une liberté destructrice et irresponsable s'est vue accorder un espace sans limite. Il s'avère que la société n'a plus que des défenses infimes à opposer à l'abîme de la décadence humaine, par exemple en ce qui concerne le mauvais usage de la liberté en matière de violence morale faites aux enfants, par des films tout pleins de pornographie, de crime, d'horreur. On considère que tout cela fait partie de la liberté, et peut être contrebalancé, en théorie, par le droit qu'ont ces mêmes enfants de ne pas regarder er de refuser ces spectacles. L'organisation légaliste de la vie a prouvé ainsi son incapacité à se défendre contre la corrosion du mal. (...)

L'évolution s'est faite progressivement, mais il semble qu'elle ait eu pour point de départ la bienveillante conception humaniste selon laquelle l'homme, maître du monde, ne porte en lui aucun germe de mal, et tout ce que notre existence offre de vicié est simplement le fruit de systèmes sociaux erronés qu'il importe d'amender. Et pourtant, il est bien étrange de voir que le crime n'a pas disparu à l'Ouest, alors même que les meilleurs conditions de vie sociale semblent avoir été atteintes. Le crime est même bien plus présent que dans la société soviétique, misérable et sans loi. (...)

La presse, aussi, bien sûr, jouit de la plus grande liberté. Mais pour quel usage ? (...) Quelle responsabilité s'exerce sur le journaliste, ou sur un journal, à l'encontre de son lectorat, ou de l'histoire ? S'ils ont trompé l'opinion publique en divulguant des informations erronées, ou de fausses conclusions, si même ils ont contribué à ce que des fautes soient commises au plus haut degré de l'Etat, avons-nous le souvenir d'un seul cas, où le dit journaliste ou le dit journal ait exprimé quelque regret ? Non, bien sûr, cela porterait préjudice aux ventes. De telles erreurs peut bien découler le pire pour une nation, le journaliste s'en tirera toujours. Etant donné que l'on a besoin d'une information crédible et immédiate, il devient obligatoire d'avoir recours aux conjectures, aux rumeurs, aux suppositions pour remplir les trous, et rien de tout cela ne sera jamais réfuté ; ces mensonges s'installent dans la mémoire du lecteur. Combien de jugements hâtifs, irréfléchis, superficiels et trompeurs sont ainsi émis quotidiennement, jetant le trouble chez le lecteur, et le laissant ensuite à lui-même ? La presse peut jouer le rôle d'opinion publique, ou la tromper. De la sorte, on verra des terroristes peints sous les traits de héros, des secrets d'Etat touchant à la sécurité du pays divulgués sur la place publique, ou encore des intrusions sans vergogne dans l'intimité de personnes connues, en vertu du slogan : « tout le monde a le droit de tout savoir ». Mais c'est un slogan faux, fruit d'une époque fausse ; d'une bien plus grande valeur est ce droit confisqué, le droit des hommes de ne pas savoir, de ne pas voir leur âme divine étouffée sous les ragots, les stupidités, les paroles vaines. Une personne qui mène une vie pleine de travail et de sens n'a absolument pas besoin de ce flot pesant et incessant d'information. (...) Autre chose ne manquera pas de surprendre un observateur venu de l'Est totalitaire, avec sa presse rigoureusement univoque : on découvre un courant général d'idées privilégiées au sein de la presse occidentale dans son ensemble, une sorte d'esprit du temps, fait de critères de jugement reconnus par tous, d'intérêts communs, la somme de tout cela donnant le sentiment non d'une compétition mais d'une uniformité. Il existe peut-être une liberté sans limite pour la presse, mais certainement pas pour le lecteur : les journaux ne font que transmettre avec énergie et emphase toutes ces opinions qui ne vont pas trop ouvertement contredire ce courant dominant.

Sans qu'il y ait besoin de censure, les courants de pensée, d'idées à la mode sont séparés avec soin de ceux qui ne le sont pas, et ces derniers, sans être à proprement parler interdits, n'ont que peu de chances de percer au milieu des autres ouvrages et périodiques, ou d'être relayés dans le supérieur. Vos étudiants sont libres au sens légal du terme, mais ils sont prisonniers des idoles portées aux nues par l'engouement à la mode. Sans qu'il y ait, comme à l'Est, de violence ouverte, cette sélection opérée par la mode, ce besoin de tout conformer à des modèles standards, empêchent les penseurs les plus originaux d'apporter leur contribution à la vie publique et provoquent l'apparition d'un dangereux esprit grégaire qui fait obstacle à un développement digne de ce nom. Aux Etats-Unis, il m'est arrivé de recevoir des lettres de personnes éminemment intelligentes ... peut-être un professeur d'un petit collège perdu, qui aurait pu beaucoup pour le renouveau et le salut de son pays, mais le pays ne pouvait l'entendre, car les média n'allaient pas lui donner la parole. Voilà qui donne naissance à de solides préjugés de masse, à un aveuglement qui à notre époque est particulièrement dangereux. (...)

Il est universellement admis que l'Ouest montre la voie au monde entier vers le développement économique réussi, même si dans les dernières années il a pu être sérieusement entamé par une inflation chaotique. Et pourtant, beaucoup d'hommes à l'Ouest ne sont pas satisfaits de la société dans laquelle ils vivent. Ils la méprisent, ou l'accusent de plus être au niveau de maturité requis par l'humanité. Et beaucoup sont amenés à glisser vers le socialisme, ce qui est une tentation fausse et dangereuse. J'espère que personne ici présent ne me suspectera de vouloir exprimer une critique du système occidental dans l'idée de suggérer le socialisme comme alternative. Non, pour avoir connu un pays où le socialisme a été mis en oeuvre, je ne prononcerai pas en faveur d'une telle alternative. (...) Mais si l'on me demandait si, en retour, je pourrais proposer l'Ouest, en son état actuel, comme modèle pour mon pays, il me faudrait en toute honnêteté répondre par la négative. Non, je ne prendrais pas votre société comme modèle pour la transformation de la mienne. On ne peut nier que les personnalités s'affaiblissent à l'Ouest, tandis qu'à l'Est elles ne cessent de devenir plus fermes et plus fortes. Bien sûr, une société ne peut rester dans des abîmes d'anarchie, comme c'est le cas dans mon pays. Mais il est tout aussi avilissant pour elle de rester dans un état affadi et sans âme de légalisme, comme c'est le cas de la vôtre. Après avoir souffert pendant des décennies de violence et d'oppression, l'âme humaine aspire à des choses plus élevées, plus brûlantes, plus pures que celles offertes aujourd'hui par les habitudes d'une société massifiée, forgées par l'invasion révoltante de publicités commerciales, par l'abrutissement télévisuel, et par une musique intolérable.

Tout cela est sensible pour de nombreux observateurs partout sur la planète. Le mode de vie occidental apparaît de moins en moins comme le modèle directeur. Il est des symptômes révélateurs par lesquels l'histoire lance des avertissements à une société menacée ou en péril. De tels avertissements sont, en l'occurrence, le déclin des arts, ou le manque de grands hommes d'Etat. Et il arrive parfois que les signes soient particulièrement concrets et explicites. Le centre de votre démocratie et de votre culture est-il privé de courant pendant quelques heures, et voilà que soudainement des foules de citoyens Américains se livrent au pillage et au grabuge. C'est que le vernis doit être bien fin, et le système social bien instable et mal en point.

Mais le combat pour notre planète, physique et spirituel, un combat aux proportions cosmiques, n'est pas pour un futur lointain ; il a déjà commencé. Les forces du Mal ont commencé leur offensive décisive. Vous sentez déjà la pression qu'elles exercent, et pourtant, vos écrans et vos écrits sont pleins de sourires sur commande et de verres levés. Pourquoi toute cette joie ?

Comment l'Ouest a-t-il pu décliner, de son pas triomphal à sa débilité présente ? A-t-il connu dans son évolution des points de non-retour qui lui furent fatals, a-t-il perdu son chemin ? Il ne semble pas que cela soit le cas. L'Ouest a continué à avancer d'un pas ferme en adéquation avec ses intentions proclamées pour la société, main dans la main avec un progrès technologique étourdissant. Et tout soudain il s'est trouvé dans son état présent de faiblesse. Cela signifie que l'erreur doit être à la racine, à la fondation de la pensée moderne. Je parle de la vision du monde qui a prévalu en Occident à l'époque moderne. Je parle de la vision du monde qui a prévalu en Occident, née à la Renaissance, et dont les développements politiques se sont manifestés à partir des Lumières. Elle est devenue la base da la doctrine sociale et politique et pourrait être appelée l'humanisme rationaliste, ou l'autonomie humaniste : l'autonomie proclamée et pratiquée de l'homme à l'encontre de toute force supérieure à lui. On peut parler aussi d'anthropocentrisme : l'homme est vu au centre de tout.

Historiquement, il est probable que l'inflexion qui s'est produite à la Renaissance était inévitable. Le Moyen Age en était venu naturellement à l'épuisement, en raison d'une répression intolérable de la nature charnelle de l'homme en faveur de sa nature spirituelle. Mais en s'écartant de l'esprit, l'homme s'empara de tout ce qui est matériel, avec excès et sans mesure. La pensée humaniste, qui s'est proclamée notre guide, n'admettait pas l'existence d'un mal intrinsèque en l'homme, et ne voyait pas de tâche plus noble que d'atteindre le bonheur sur terre. Voilà qui engagea la civilisation occidentale moderne naissante sur la pente dangereuse de l'adoration de l'homme et de ses besoins matériels.Tout ce qui se trouvait au-delà du bien-être physique et de l'accumulation de biens matériels, tous les autres besoins humains, caractéristiques d'une nature subtile et élevée, furent rejetés hors du champ d'intérêt de l'Etat et du système social, comme si la vie n'avait pas un sens plus élevé. De la sorte, des failles furent laissées ouvertes pour que s'y engouffre le mal, et son haleine putride souffle librement aujourd'hui. Plus de liberté en soi ne résout pas le moins du monde l'intégralité des problèmes humains, et même en ajoute un certain nombre de nouveaux.

Et pourtant, dans les jeunes démocraties, comme la démocratie américaine naissante, tous les droits de l'homme individuels reposaient sur la croyance que l'homme est une créature de Dieu. C'est-à-dire que la liberté était accordée à l'individu de manière conditionnelle, soumise constamment à sa responsabilité religieuse. Tel fut l'héritage du siècle passé.

Toutes les limitations de cette sorte s'émoussèrent en Occident, une émancipation complète survint, malgré l'héritage moral de siècles chrétiens, avec leurs prodiges de miséricorde et de sacrifice. Les Etats devinrent sans cesses plus matérialistes. L'Occident a défendu avec succès, et même surabondamment, les droits de l'homme, mais l'homme a vu complètement s'étioler la conscience de sa responsabilité devant Dieu et la société. Durant ces dernières décennies, cet égoïsme juridique de la philosophie occidentale a été définitivement réalisé, et le monde se retrouve dans une cruelle crise spirituelle et dans une impasse politique. Et tous les succès techniques, y compris la conquête de l'espace, du Progrès tant célébré n'ont pas réussi à racheter la misère morale dans laquelle est tombé le XXème siècle, que personne n'aurait pu encore soupçonner au XIXème siècle.

L'humanisme dans ses développements devenant toujours plus matérialiste, il permit avec une incroyable efficacité à ses concepts d'être utilisés d'abord par le socialisme, puis par le communisme, de telle sorte que Karl Marx pût dire, en 1844, que « le communisme est un humanisme naturalisé. » Il s'est avéré que ce jugement était loin d'être faux. On voit les mêmes pierres aux fondations d'un humanisme altéré et de tout type de socialisme : un matérialisme sans frein, une libération à l'égard de la religion et de la responsabilité religieuse, une concentration des esprits sur les structures sociales avec une approche prétendument scientifique. Ce n'est pas un hasard si toutes les promesses rhétoriques du communisme sont centrées sur l'Homme, avec un grand H, et son bonheur terrestre. A première vue, il s'agit d'un rapprochement honteux : comment, il y aurait des points communs entre la pensée de l'Ouest et de l'Est aujourd'hui ? Là est la logique du développement matérialiste. (...)

Je ne pense pas au cas d'une catastrophe amenée par une guerre mondiale, et aux changements qui pourraient en résulter pour la société. Aussi longtemps que nous nous réveillerons chaque matin, sous un soleil paisible, notre vie sera inévitablement tissée de banalités quotidiennes. Mais il est une catastrophe qui pour beaucoup est déjà présente pour nous. Je veux parler du désastre d'une conscience humaniste parfaitement autonome et irréligieuse.

Elle a fait de l'homme la mesure de toutes choses sur terre, l'homme imparfait, qui n'est jamais dénué d'orgueil, d'égoïsme, d'envie, de vanité, et tant d'autres défauts. Nous payons aujourd'hui les erreurs qui n'étaient pas apparues comme telles au début de notre voyage. Sur la route qui nous a amenés de la Renaissance à nos jours, notre expérience s'est enrichie, mais nous avons perdu l'idée d'une entité supérieure qui autrefois réfrénait nos passions et notre irresponsabilité.

Nous avions placé trop d'espoirs dans les transformations politico-sociales, et il se révèle qu'on nous enlève ce que nous avons de plus précieux : notre vie intérieure. A l'Est, c'est la foire du Parti qui la foule aux pieds, à l'Ouest la foire du Commerce : ce qui est effrayant, ce n'est même pas le fait du monde éclaté, c'est que les principaux morceaux en soient atteints d'une maladie analogue. Si l'homme, comme le déclare l'humanisme, n'était né que pour le bonheur, il ne serait pas né non plus pour la mort. Mais corporellement voué à la mort, sa tâche sur cette terre n'en devient que plus spirituelle : non pas un gorgement de quotidienneté, non pas la recherche des meilleurs moyens d'acquisition, puis de joyeuse dépense des biens matériels, mais l'accomplissement d'un dur et permanent devoir, en sorte que tout le chemin de notre vie devienne l'expérience d'une élévation avant tout spirituelle : quitter cette vie en créatures plus hautes que nous n'y étions entrés.

Il est impératif que nous revoyions à la hausse l'échelle de nos valeurs humaines. Sa pauvreté actuelle est effarante. Il n'est pas possible que l'aune qui sert à mesurer de l'efficacité d'un président se limite à la question de combien d'argent l'on peut gagner, ou de la pertinence de la construction d'un gazoduc. Ce n'est que par un mouvement volontaire de modération de nos passions, sereine et acceptée par nous, que l'humanité peut s'élever au-dessus du courant de matérialisme qui emprisonne le monde.

Quand bien même nous serait épargné d'être détruits par la guerre, notre vie doit changer si elle ne veut pas périr par sa propre faute. Nous ne pouvons nous dispenser de rappeler ce qu'est fondamentalement la vie, la société. Est-ce vrai que l'homme est au-dessus de tout ? N'y a-t-il aucun esprit supérieur au-dessus de lui ? Les activités humaines et sociales peuvent-elles légitimement être réglées par la seule expansion matérielle ? A-t-on le droit de promouvoir cette expansion au détriment de l'intégrité de notre vie spirituelle ?

Si le monde ne touche pas à sa fin, il a atteint une étape décisive dans son histoire, semblable en importance au tournant qui a conduit du Moyen-âge à la Renaissance. Cela va requérir de nous un embrasement spirituel. Il nous faudra nous hisser à une nouvelle hauteur de vue, à une nouvelle conception de la vie, où notre nature physique ne sera pas maudite, comme elle a pu l'être au Moyen-âge, mais, ce qui est bien plus important, où notre être spirituel ne sera pas non plus piétiné, comme il le fut à l'ère moderne.

Notre ascension nous mène à une nouvelle étape anthropologique. Nous n'avons pas d'autre choix que de monter ... toujours plus haut."

Alexandre Soljénitsyne, Le Déclin du courage, Harvard, 8 juin 1978





vendredi 25 janvier 2019

Dhimmitude en marche!



La croix de Lesvos a été démolie après que le groupe "coexistence" de l'île prétende qu'elle est offensante pour les migrants.

Une immense croix chrétienne en ciment, qui a été construite sur le rivage rocheux d'Apelli, sous le château de Mytilène à Lesvos, en l'honneur des gens qui y sont morts noyés, a été abattue car un groupe de "coexistence" basé sur l'île a affirmé qu'elle était offensive pour les migrants qui ne sont pas chrétiens.

Selon Lesvos News, l'érection de la croix a provoqué des réactions négatives de la part des organisations d'aide et une lettre a été envoyée au ministre du port de Lesvos et au maire de Lesvos, par un groupe de "coexistence" à Lesvos, indiquant que la croix y avait été placée pour empêcher les migrants de "nager" (sic!).



"Il y a quelques jours, ils ont placé à Apelli de Mytilène une grande croix, afin d'empêcher d'autres personnes (réfugiés et migrants) de venir y nager. Cet acte est illégal, inesthétique (rappelant une tombe) mais surtout offensant pour le symbole du christianisme, un symbole d'amour et de sacrifice, et non de racisme et d'intolérance."



"S'il vous plaît, nous vous demandons de vous débarrasser de ce symbole religieux inapproprié dans un site de baignade et de sa conversion en un outil d'aspirants croisés."

Quelques jours plus tard, la croix a été enlevée pendant la nuit.

L'annonce de la coexistence a provoqué de vives réactions de la population locale qui pense qu'elle va à l'encontre des croyances religieuses de la majorité des habitants de l'île.

Version française Claude Lopez-Ginisty
d'après

PS: Et les dhimmis occidentaux, idiots utiles de l'islamisation radicale,  semblent ne pas savoir quelle est la situation  des chrétiens dans certains pays musulmans ( dont l'Arabie Saoudite).  http://www.connaitre-la-verite.com/chretiens-persecutes-fevrier-2018/

Un groupe écologiste extrémiste revendique l'attentat contre une église d'Athènes en décembre dernier, et menace d'autres actes de violence







Un groupe anarchiste jusqu'alors inconnu, se faisant appeler la secte iconoclaste, a revendiqué la responsabilité de l'explosion mineure qui a blessé deux personnes devant une église orthodoxe à Athènes le mois dernier.

Dans une déclaration intitulée "Maldicion Eco-extremista" (malédiction éco-extrémiste) publiée sur un site Web espagnol, le groupe prétend faire partie d'une fédération d'éco-extrémistes, rapporte ekathimerini.

Un petit engin explosif a explosé devant l'église Saint-Dionysios, dans le quartier de Kolonaki à Athènes, peu avant le début de la Divine Liturgie, le 27 décembre, laissant le gardien de l'église et un policier légèrement blessés.

Le groupe écrit que le but de l'explosion était de causer "le plus grand dommage possible à un prêtre et/ou au troupeau des fidèles". L'explosion devait être plus grande. "Nous avons reçu notre leçon pour la prochaine fois", écrit le groupe.

Le message a également mentionné que l'attaque visait non seulement l'Eglise de Grèce, mais la société dans son ensemble, rapporte le National Herald.

Selon le message, le groupe a été formé il y a un an et était responsable de trois actes d'incendie criminel avant l'explosion de l'église, et d'autres actes de violence sont en préparation. "Nos mains ne trembleront pas quand viendra le temps de verser le sang, nous n'aurons pas pitié de nos ennemis et nous ne serons pas sensibles à leur sort ", écrit le groupe, rapporte Reuters.

Une source proche de l'enquête a déclaré à Reuters que la plainte du groupe est prise au sérieux.

Version française Claude Lopez-Ginisty
d'après

jeudi 24 janvier 2019

Les belles manigances du patriarche d'Istanbul et leurs conséquences désastreuses



M. Denysenko dans son déguisement habituel
de bouffon défroqué
*

Le « patriarche de Kiev »
Philarète exige d’être commémoré 
avant le métropolite Épiphane, 
"primate" de la nouvelle Église autocéphale ukrainienne

L’agence grecque Romfea.gr publie le fac-similé de l’ordonnance suivante datée du 16 janvier 2019 du « patriarche de Kiev » Philarète : « En relation avec la réalisation du Concile de Réunification et l’élection du métropolite Épiphane en tant que primat de l’Église orthodoxe ukrainienne, bénédiction est donnée de commémorer pendant les offices : « Sa Sainteté Philarète, patriarche de Kiev et de toute la Rous’-Ukraine » ; « Sa Béatitude le métropolite Épiphane, métropolite de Kiev et de toute l’Ukraine », puis l’évêque diocésain ». Le document est signé Philarète, « patriarche de Kiev et de toute la Rous’-Ukraine ».

et 

SOLIDARITE KOSOVO


Noël 2018 : compte-rendu d'un convoi extra-ordinaire

Chère Madame, cher Monsieur,

Ce convoi restera longtemps dans les mémoires de nos volontaires. Ils en avaient pourtant tous déjà au moins trois à leur actif, une exigence rendue nécessaire par le contexte, particulièrement tendu, et qui explique que l'habituel chiffre de 10 volontaires n'ait pu être atteint cette année.

Ce contexte, rappelons-le en deux mots : depuis à peu près le début de l'année 2018, les négociations entre Belgrade et Pristina sont au point mort. La tension monte ; au Kosovo-Métochie, les attaques contre les habitants des enclaves se multiplient. À la fin de l'été, la tension grimpe d'un coup. Le dialogue est totalement rompu. Les autorités du Kosovo annoncent des mesures répressives contre la Serbie. Le 10 septembre, Arnaud Gouillon part vers le Kosovo-Métochie pour inaugurer la dernière-née du complexe fermier construit par Solidarité Kosovo ; il n'y arrivera pas. Arrêté à la frontière, il est retenu plusieurs heures, puis renvoyé vers Belgrade porteur d'une nouvelle terrible : il est interdit de séjour au Kosovo.

Le coup est rude, mais l'association continue son travail grâce aux liens solides qui se sont noués avec l'Église orthodoxe serbe au Kosovo, au prix d'une réorganisation qui demande un travail acharné pendant plusieurs semaines. C'est donc un peu plus tard que d'habitude qu'Arnaud a contacté une dizaine de volontaires expérimentés pour leur demander s'ils étaient prêts à partir malgré les tensions. La réponse fut unanime : qu'importent les tensions, évidemment qu'il faut y aller ; mais certains durent néanmoins renoncer à partir, pour des raisons personnelles.

Quelques jours avant le départ, nouveau coup dur : deux volontaires durent à leur tour déclarer forfait pour raisons de santé. À la veille de Noël, on s'échange quelques mails pour tomber bien vite d'accord : évidemment, on part quand même. Le Père Serdjan s'engage à mobiliser quelques proches pour pallier aux vides que ces défections légitimes créaient, et on mettra les bouchées doubles pour remplir la mission malgré tout.

Finalement, c'est un convoi totalement exceptionnel qui s'est déroulé pendant 7 jours, entre Noël et le premier de l'an : exceptionnel par son ambiance, exceptionnel par la composition de l'équipe (mi-française, mi-serbe), exceptionnel aussi par la nature des distributions. Voici quelques impressions glanées dans le carnet de bord d'un de ces volontaires.

« La voiture grimpe la route en lacet qui mène à la frontière. Nous y serons bientôt. Arnaud nous donne les consignes pour le cas où nous serions arrêtés à la frontière : peu probable mais sait-on jamais...

Voilà la frontière. Nous nous garons à une vingtaine de mètres et sortons de la voiture. Nous attendons quelques minutes : le Père Serdjan, responsable du bureau de l'association au Kosovo, et Milovan, son adjoint, la traversent à pieds et se dirigent vers nous. Grande embrassade avec Arnaud : ils ne se sont pas vus depuis août et les bains de mer. C'est la première fois depuis plusieurs années qu'ils passent plus de deux mois sans se voir. Émotion palpable. Nous nous dirigeons avec eux vers le poste de douane. Arnaud reste sur place. Nous passons sans problème, nous retournons pour saluer Arnaud qui fait un grand geste et s'engouffre dans sa voiture. Nous sommes au Kosovo-Métochie. Sans Arnaud... »


Le Père Serdjan fait équipe avec un de nos volontaires pour distribuer leurs cadeaux aux enfants de l'enclave de Banja.


« Habituellement, chacun compte pour communiquer sur les traductions faites par les serbophones. Cette année, il n'y a pas de serbophone. Alors chacun ressort ses souvenirs d'anglais, et on échange comme on peut. Serdjan le parle plutôt bien, et malgré nos accents respectifs nous pouvons discuter longuement pendant les trajets d'une enclave à l'autre. Il nous interroge sur les tenants et aboutissants du mouvement des Gilets Jaunes, et lui posons toutes les questions que nous avons sur la vie quotidienne des enclaves. Finalement, cette absence de traducteurs nous permet d'avoir une relation plus directe avec lui, et certains de ces échanges resteront longtemps dans nos cœurs. Le Père Serdjan était pour moi un personnage ; j'ai enfin pu découvrir l'homme qui se cachait derrière. Et il se trouve que l'homme est encore plus attachant que le personnage. »

« Nous livrons une vache et un veau dans une ferme qui se trouve à la limite entre la partie serbe et la partie albanaise du village. Nous sommes accueillis, comme d'habitude, comme des rois. Pendant que les bovins rejoignent leur étable, guidés par le père de famille, nous offrons leurs cadeaux aux enfants. Grands sourires, les yeux pétillent. La mère, émue de voir ses enfants si heureux, se répand en remerciement. Le père revient, les bras chargés de bouteilles de rakia (eau de vie locale) : il nous en offre une à chacun. Nous ne pouvons refuser.

Nous apprenons que tous les animaux de la famille ont été volés quelques semaines plus tôt : vaches, veaux, poules et même ses deux cochons. Les deux chien, eux, ont été empoisonnés. Le père a la voix qui tremble quand il parle de ce drame : il a appris quelques jours plus tard qu'un autre de ses voisins, serbe, s'était vu proposer, par un Albanais du village, deux cochons. « Pourtant, nos enfants jouent ensemble dans la cour de l'école », conclu-t-il en désignant son fils, qui déballe son cadeau avec empressement devant la porte de la maison. »

« Nous approchons d'une petite ville. Je remarque un drapeau albanais hissé très haut au-dessus d'un des bâtiments de la ville, je dirais environ une quinzaine de mètres. Nous entrons dans la ville. Serdjan nous conseille de regarder par la fenêtre de droite du véhicule et me fait signe de préparer mon appareil photo. Il ralentit un peu : au bout d'un chemin en terre, une église. Je prends deux photos à travers la vitre sale du véhicule, qui repart rapidement. Serdjan explique : nous sommes à Obilic, ville qui était serbe à 80% avant la guerre. Aujourd'hui, il n'y a plus un seul serbe. L'église ? Une fois par an, un prêtre d'une enclave voisine y vient, en tremblant malgré la protection de la police, célébrer la divine liturgie. C'est tout... »
L'église d'Obilic ne sert plus qu'une fois par an. Le reste du temps, elle est tout ce qui reste des 80% de Serbes qui vivaient ici : ils sont tous partis après la guerre de 1999.



« Au bout d'un chemin qui serpente dans les montagne, nous nous arrêtons non loin d'une maison flambant neuve, construite manifestement il y a peu selon une architecture inspirée de celle d'un chalet suisse. Intrigués, nous descendons du fourgon : les habitants de cette maison ont-ils réellement besoin de nous ? En fait, nous contournons le chalet par un petit chemin qui descend le long de son mur d'enceinte : la maison où nous allons se trouve juste en-dessous du chalet. Elle correspond bien mieux à ce que nous voyons habituellement : en crépis blanc fissuré, elle semble comme écrasée sous le poids du chalet qui la surplombe presque directement. Un jeune couple vit là avec deux jeunes enfants. Nous leur laissons un petit troupeau de chèvres, qu'ils accueillent dans une étable en bois collée à la maison.

Ils expliquent : leur plus proche voisin, serbe, a été contraint de vendre son terrain une bouchée de pain à un albanais et est parti en Serbie centrale. Leur nouveau voisin a immédiatement fait construire sa grande maison, mais aussi une ferme financée en partie par le ministère de l'Agriculture du Kosovo. Bien évidemment, la famille que nous aidons, elle, n'a jamais pu obtenir la moindre aide. Le complexe est entouré d'un haut mur surmonté de barbelés, comme s'il y avait le moindre risque que le voisinage, exclusivement serbe, se risque jamais à essayer de cambrioler la propriété d'un Albanais... »

« Nous nous arrêtons devant une ferme posée à flanc de colline. Nous leur apportons de quoi remplacer leur bétail, volé quelques semaines plus tôt. La ferme est propre et bien tenue, malgré une pauvreté visible. Pourquoi me souviens-je particulièrement de cette ferme-là ? Parce qu'au fond du jardin, au milieu du paysage, posée comme une verrue, on ne voit que l'immense centrale thermique d'Obilic, crachant de la fumée par tous ses trous – alors que nous passions devant une heure plus tôt, Serdjan avait plaisanté : « Que cette centrale n'ait pas encore explosé est une preuve que Dieu existe ». Mais ce n'est pas tout : où qu'on se trouve dans la ferme, on a les oreilles emplies d'un ronronnement continuel, qu'on finit par oublier mais qui fatigue les oreilles. Au sommet de la colline, à quelques dizaine de mètres de l'entrée de la ferme, une mine de charbon. Ce bruit, c'est celui de tapis roulants qui déplacent la terre. Ils ronronnent ainsi jour et nuit. Et alors que nous faisons nos adieux, un rugissement empli le ciel : c'est un avion qui décolle de l'aéroport de Pristina et passe à quelques centaines de mètres au-dessus de la maison.

Le soleil rendrait la misère moins pénible, pensait Aznavour. Une belle vue et le chant des oiseaux pourraient bien avoir le même effet. Et même ça, ceux-là n'y avaient pas droit... »

Au fond du jardin de cette famille serbe, on ne voit que l'immense centrale thermique d'Obilic, qui prend tout le paysage...


« En Métochie, à l'ouest du Kosovo, nous visitons une série de petites enclaves répartie comme les grains d'un chapelet le long d'une route au bord de laquelle fleurissent les mosquées et les monuments à la gloire de l'UCK. J'en ai vu au moins un nouveau depuis l'an dernier : une grosse stèle avec les portrait de plusieurs combattants et des drapeaux albanais. Totalement surréaliste, cette stèle au milieu de nulle part. Difficile d'y voir autre chose qu'une volonté d'occuper le terrain...

Les habitants de ces enclaves vouent une admiration particulière à Arnaud. Dans chacune, les enfants viennent nous apporter des cadeaux que nous devrons lui transmettre. L'un de ces cadeaux est un poème écrit par trois jeunes filles de l'enclave de Banja :

Merci pour la joie et les rires que tu nous apportes, tu es une personne merveilleuse.

Merci pour la joie qui a essuyé nos larmes, il y a peu de personnes comme toi,

Nous savons que tu n'abandonnes pas le Kosovo et que tu te bats pour notre bonheur.
L'amour que te porte l'ensemble du Kosovo-Métochie est bien mérité.


Avec quatre séjours à mon actif, je commence à connaître ces enclaves. En arrivant dans celle de Cerkolez, un tout petit village posé au bout d'un chemin de terre, je me souviens de cette petite fille au sourire si éclatant, qui chaque année nous émeut particulièrement. En descendant du fourgon, je ne la vois pas. Nous commençons la distribution ; un petit groupe arrive par un des chemins aboutissant sur la place. Elle est là : toujours aussi souriante, elle vient recevoir son cadeau, nous remercie d'une voix claire et franche, puis se dirige droit vers le Père Serdjan qui se penche vers elle, visiblement touché lui aussi par la naturel de la petite, et lui dit quelques mots. « Elle m'a demandé de dire bonjour et merci à Arnaud de sa part », traduit Serdjan. Et elle repart, non sans nous avoir lancé un dernier sourire. Éclatant.

La petite fille de Cerkolez accueille chaque année nos volontaires avec son regard et son sourire resplendissants.


Cerkolez, c'est aussi une petite église posée sur un monticule surplombant la place du village. Elle ne paie pas de mine, cette église : toute petite, elle n'a même pas de clocher, et une petite tour a été construite à côté pour accueillir une cloche. La distribution terminée, Serdjan s'attardant à discuter avec les villageois, je lui fais signe que je vais à l'église. Un des paysans, surprenant mon geste, me fait signe d'attendre, se dirige vers une des maisons du village et en revient avec une clé. Il m'accompagne à l'église, ouvre la porte, entre en embrassant le chambranle. Je le suis. À l'intérieur, c'est une explosion de couleurs : les murs sont couverts de fresques magnifiques, datant de plusieurs siècles. Et la taille réduite de l'église rend paradoxalement la chose encore plus impressionnante : j'ai l'impression d'avoir plongé dans une page de bande-dessinée. »

« Nous apportons deux vaches à une famille de la région de Novo Brdo. Un père, ses deux fils, leurs femmes et leurs enfants, vivant sous le même toit. Seul le père à un salaire. Ils ont installé une ferme dans la cour de leur maison de centre-village. Malgré la pauvreté, évidente, tout est propre et bien rangé. Il est clair que chacun travaille de son mieux pour subvenir aux besoins de la famille. Des voisins passent : une bonne partie du village vit du fruit de cette ferme, et chacun vient apporter l'aide qu'il peut apporter.

Au milieu de la cour, une caisse en tôles d'où s'échappe une fumée odorante. Un des fils surprend notre regard interrogatif et nous fait signe d'approcher. Il ouvre la caisse : de grands morceaux de lard pendent au plafond, au-dessus d'un feu. L'odeur du lard envahit la cour. On nous propose de goûter. Un peu gênés – nous savons bien qu'eux font carême, à quelques jours de Noël, et que nous serons donc les seuls à manger –, nous acceptons. On nous coupe un gros morceau, pendant qu'une femme sort de la maison avec une assiette d'une sorte de rillettes.

Serdjan fait signer au père le contrat qui l'engage à bien traiter les animaux que nous leur avons fournis, mais aussi à ne jamais les revendre : une vache se vend ici à environ trois fois le salaire moyen. Nous repartons. Un de mes camarades résume l'impression générale : « Ils avaient tous de bonnes têtes de braves gens. Des gens avec qui on aimerait bien être amis... ». »

« Avant-dernier jour du convoi : nous passons une nuit au magnifique monastère de Visoki Decani, en Métochie. Le soir, nous assistons à l'office. Dans l'église sombre, le chant des moines me berce alors que je revois tous ces visages, ceux encore purs des enfants, ceux déjà marqués des adultes, ceux couverts de ride des vieux. Je revois ces sourires qui nous ont suivis pendant ces trois jours de convoi et auquel, je le sais par expérience, je repenserai presque chaque jour jusqu'à l'année prochaine.

Le lendemain matin, en attendant Serdjan qui doit passer nous chercher en milieu de matinée, nous demandons au Père Petar, le père hôtelier, s'il peut nous indiquer un chemin pour monter sur le massif rocheux qui surplombe le monastère. « C'est impossible : même pour aller là-haut il faut demander une escorte de la Kfor, c'est trop dangereux sinon. » Nous savions bien que le monastère était protégé mais nous n'imaginions quand même pas que même s'éloigner de quelques centaines de mètres du monastère était impossible. Alors nous nous promenons dans le parc du monastère, le long de ce mur construit il y a quelques années avec l'aide de Solidarité Kosovo. »

« Une ferme dans les montagnes. Nous apportons des chèvres. Un homme sort quelques vaches. Il lui manque un bras, un œil et un pied, ce dernier remplacé par une tige en métal tordue qui s'enfonce à chaque pas dans la terre grasse où les vaches arrachent une touffe d'herbe avant de reprendre leur marche, l'homme estropié les poussant de ses cris... »

« Nous retrouvons Arnaud après avoir traversé la frontière à pied, accompagnés comme à l'aller de Serdjan et Milovan. Ils discutent longuement. La nuit tombe. Par-dessus de la montagne qui se dresse de l'autre côté du lit de l'Ibar, un nuage apporte la pluie. Vient le moment de se séparer. Chacun notre tour, nous serrons nos amis dans nos bras. Ces circonstances exceptionnelles rendent ces adieux un peu plus émouvant encore que d'habitude, et les embrassades un peu plus longues.

Alors que nous regardons Serdjan et Milovan repasser la frontière, je repense à ces quelques mots que nous a glissé, dans son anglais approximatif, l'un des Serbes nous ayant accompagnés pendant une journée de distribution : « Nous le savons bien : s'ils le décident, en quelques heures nous sommes tous soit morts, soit exilés pour toujours. Il faut vivre malgré ça. En ce moment, c'est difficile de ne pas y penser régulièrement ». Après un dernier geste de la main, Serdjan et Milovan grimpent dans leur fourgon et repartent vers Gracanica, vers ce quotidien terrible qui est le leur et que nous avons eu l'honneur de partager avec eux pendant quelques jours. »

Encore une fois, nous vous remercions pour votre soutien : sans vous, sans vos dons mais aussi sans vos encouragements, vos pensées ou vos prières, nous ne pourrions pas nous rendre auprès des habitants des enclaves pour leur apporter notre aide, matérielle et morale. Merci à vous tous qui nous avez permis de finir cette année difficile auprès de nos amis serbes. Toute l'équipe de Solidarité Kosovo vous souhaite une belle année 2019 !



L'équipe de "Solidarité Kosovo"

PS : les personnes souhaitant nous aider peuvent contribuer au développement de nos activités en nous faisant un don. Par chèque à l’ordre de « Solidarité Kosovo », BP 1777, 38220 Vizille ou par Internet en cliquant sur le lien PayPal suivant: http://www.solidarite-kosovo.org/fr/dons-en-lignepaypal :
http://www.solidarite-kosovo.org/fr/dons-en-ligne



Solidarité Kosovo étant reconnu d’intérêt général, chaque don ouvre droit à une déduction fiscale à hauteur de 66% du montant du don. A titre d'exemple, un don de 100 € vous permet de déduire 66 € sur la somme de vos impôts à payer. Ainsi votre don ne vous coûte en réalité que 34 €.
www.solidarite-kosovo.org Solidarité Kosovo BP 1777, 38220 VIZILLE, FRANCE

Conformément à la loi« "Informatique et liberté »" du 6 janvier 1978, vous disposez d'un droit d'accès, de modification, de rectification et de suppression des données qui vousconcernent.Pour vous désinscrire, ENVOYEZ SIMPLEMENT UN MESSAGE SANS RIEN ÉCRIRE D'AUTRE à cette adresse info-unsubscribe@solidarite-kosovo.org

Le Phanar frappe encore!

La trahison de Judas

Le schisme au sein du monde orthodoxe est également arrivé à San Remo et il semble qu'il pourrait avoir des conséquences importantes pour l'église russe historique  de Via Nuvoloni et pour sa communauté de fidèles.

L'alarme a été donnée par le père Denis Baykov, éminent recteur de la paroisse, qui a comparé ce schisme à celui entre catholiques et orthodoxes en termes de portée et de pertinence historique.

Ces derniers jours, le Père Denis a reçu un avertissement du Patriarcat de Constantinople qu'il serait déterminé à prendre en charge au niveau administratif et canonique l'autorité de référence de l'église de San Remo.

"En tant qu'institution morale, nous sommes une entité autonome et personne ne peut prendre possession de notre église. Nous sommes prêts à défendre nos droits, notre Église et notre foi contre toute violence. Nous sommes prêts à nous barricader et à verrouiller la porte si nécessaire ", commente le père Denis.

Pour comprendre sa colère et son inquiétude, il est nécessaire de bien comprendre les raisons de cette scission. Tout cela découle des tensions entre la Russie et l'Ukraine sur les questions de géopolitique qui ont également de grandes conséquences sur le monde religieux. Le schisme est né de la création de l'église ukrainienne sous l'autorité du Patriarcat de Constantinople et soutenu par le président ukrainien Petro Oleksijovyč Porošenko. Une église donc indépendante du Patriarcat de Moscou, un acte qui a ouvert une fracture irrémédiable dans le monde orthodoxe.

"Ce sont des questions politiques. Il ne faut pas toucher à la religion ", commente le père.

Ces derniers mois, le Patriarcat de Constantinople a renié et détaché l'Archevêché de Paris sous lequel se réunissent de nombreuses églises orthodoxes historiques, dont celle de San Remo. Il a ensuite envoyé des communications à l'église de la ville des fleurs en faisant des revendications importantes.

"Ce sont les fidèles qui doivent décider à quel patriarcat canonique notre église doit adhérer. Notre église est indépendante sur le plan juridique. Ce n'est pas l'archevêque Gennadios Zervós du " Saint Archidiocèse orthodoxe d'Italie et de Malte " qui décide ", explique le Père Denis.

"Ceci - poursuit-il - n'est pas leur église. Cette église est à nous. Elle a été construite par les Russes en 1913 et vit grâce aux Russes. La métropole grecque (Patriarcat de Constantinople) ne nous a jamais aidés. C'est un comportement violent et honteux. La liberté religieuse est un principe fondamental de la société dans laquelle nous vivons."

Il y a plusieurs patriarcats auxquels l'église Sanremo pourrait adhérer : Moscou, Géorgie, Bulgarie, Roumanie et beaucoup d'autres. Selon toute probabilité, la communauté Sanremo décidera de se ranger du côté du Patriarcat de Moscou. Le choix sera ensuite présenté à Paris le 23 février, lorsque les Eglises de l'Archevêché se réuniront pour discuter de la question.

Un événement religieux qui a aussi de nombreux aspects politiques. Ce n'est un secret pour personne que les Églises russes à l'étranger sont souvent aussi un important centre de propagande ; les perdre ou en prendre le contrôle aurait certainement des conséquences importantes. "Nous avons toujours eu de bonnes relations avec le consulat russe, je le confirme et ne le nie pas. Mais jamais le gouvernement ou le Patriarcat de Moscou n'ont eu de prétentions sur notre Eglise qui est et doit rester indépendante", ajoute Nadia Fracchia, secrétaire de l'Eglise russe.

La principale crainte est que le saint archidiocèse orthodoxe d'Italie et de Malte n'envoie un nouveau prêtre de paroisse ou qu'il ne discrédite l'église par des sanctions empêchant le Père Denis d'officier. Une option que le père n'est pas prêt à accepter.

Tout cela pourrait également avoir des conséquences sur la restauration de l'église : commencée en 2015 et non encore achevée. 



PATRIARCAT ŒCUMÉNIQUE
SAINT ARCHIDIOCÈSE ORTHODOXE D'ITALIE
ET EXARCHAT POUR L'EUROPE DU SUD
Protocole n° 020/19

Au Révérend Presbytre Père Denis BAYKOV
Prêtre adjoint de la paroisse de l'Église orthodoxe du Christ Sauveur, Sainte Catherine la martyre et Saint Séraphim de Sarov.
Sanremo

Révérend Père,

Nous vous informons que vous, n'ayant pas répondu à notre demande d'explications concernant vos actions anticanoniques, et ayant manqué le rendez-vous à notre Siège de Venise, dont[vous avez été notifié dans] la Lettre Protocole n° 18/21/01.2019, après une évaluation complète de tous les documents concernant votre cas, nous avons décidé une suspension "a divinis" pour une période de trois (3) mois, et nous vous invitons à vous présenter dès que possible à notre Siège.

Par conséquent, à compter d'aujourd'hui, vous n'avez plus le droit d'accomplir des actes liturgiques ou sacramentels, de donner la bénédiction et de porter des vêtements liturgiques. Nous vous avertissons de ne pas entreprendre d'initiatives administratives ou anticanoniques concernant l'Église orthodoxe du Christ Sauveur, Sainte Catherine la Martyre et Saint Séraphim de Sarov à San Remo.

Venise, le 23 janvier 2019

✠ Métropolite Gennadios
Archevêque orthodoxe d'Italie
et Exarque pour l'Europe du Sud

Père Andrew Phillips: Révolution en France


Père Andrew


La révolte de trois semaines du peuple français contre son jeune président banquier Rothschild, l'anti-populiste favori  de la riche élite européenne, s'intensifie. Insulté par le mépris arrogant et le narcissisme aveuglant de Macron à leur égard, sa décision de retarder de six mois seulement l'augmentation de la taxe sur le carburant n'a fait que mettre le feu aux poudres. Peu rapportés par les médias contrôlés par l'Etat, ici ou là-bas, les émeutes ne concernent pas seulement quelques rues du quartier riche de Paris qui ont été saccagées, c'est la révolte dans la France profonde, en dehors de la capitale, qui compte.

Ici, les supermarchés et les centres de distribution de carburant ont été bloqués. Beaucoup n'ont que du pain et des pâtes à manger. Le secteur du commerce de détail se dirige vers la faillite. La police refuse de briser les blocus parce qu'elle sympathise elle aussi avec les protestations des " gilets jaunes ". Les routes sont bloquées et les écoles secondaires sont en grève. Le grand démocrate Macron envisage donc de faire appel à son armée pour écraser le peuple. La situation de la France est semblable à celle d'autres pays de l'UE en ce sens que les riches s'enrichissent et les pauvres s'appauvrissent. Cependant, en plus de cela, la France a un système de classes rigide et la mobilité sociale est pratiquement inexistante.

Alors qu'au Royaume-Uni, les citoyens étaient autorisés (mais uniquement par erreur élitiste) à voter pour le Brexit et qu'en Espagne, en Italie, en Allemagne, en Hongrie, en Pologne et ailleurs, les partis contre l'Union Européenne prennent le contrôle, en France, ils ne sont pas autorisés. D'où la frustration des masses déshéritées. En France, qui est dirigée par des dictatures virtuelles de cinq ans de ses présidents qui contrôlent les médias, la seule façon de faire entendre sa voix est par des manifestations de rue. La représentation parlementaire est totalement inefficace et les élections sont donc boycottées, car l'élite politique dorée et les journalistes payés par l'État n'ont pas de temps à consacrer au peuple.

Entre-temps, l'Exarchat de Paris, rue Daru, a déclaré qu'il ne reconnaît pas sa dissolution par le Patriarcat de Constantinople. Nous voyons ici que son élite dirigeante semble penser et agir comme un peuple français séculier, avec peu de compréhension du fonctionnement de l'Église. Dans [sa déclaration], l'élite de la rue Daru s'est vantée d'avoir adopté la mentalité occidentale et les " valeurs démocratiques ". Malheureusement, si votre Patriarche vous dissout, c'est tout. Vous ne pouvez pas faire la grève ou aller dans la rue. Quand votre patron vous met à la porte, vous êtes renvoyés, et bien que vous puissiez dire que vous n'êtes pas d'accord avec votre renvoi, vous n'avez pas le choix. Vos paroles ne sont pas entendues.

Nous sommes désolés pour ceux de la rue Daru qui ont été déçus par leur Patriarche. Lorsque nous autres avons subi le même traumatisme il y a des décennies, nous avons simplement rejoint l'Église orthodoxe russe, même si l'élite de la rue Daru nous a raillés et calomniés pour cela. Aujourd'hui, personne ne se moquera de vous ou ne vous calomniera pour avoir adopté la seule ligne de conduite logique et canonique disponible.

Version française Claude Lopez-Ginisty
d'après

mercredi 23 janvier 2019

L’HÉRÉSIE DU PAPISME CONSTANTINOPOLITAIN



Prêtre Georges Maximov, enseignant au séminaire Sretensky de Moscou, auteur de nombreux livres et publications, missionnaire.

L’article suivant a été publié en russe sur le site « Pravoslavie.ru » du monastère Sretensky à Moscou ainsi qu’en serbe sur le site « Tv Hram », la chaîne télévisée de l’Église orthodoxe serbe.

L’hérésie du papisme constantinopolitain

L’intrusion en Ukraine
La décision du patriarche de Constantinople Bartholomée d’intervenir en Ukraine a produit dans toute l’Église orthodoxe d’énormes secousses qui ne cessent pas depuis déjà de nombreux mois. Les orthodoxes de différents pays observent avec perplexité et horreur comment le primat d’une Église respectée déclare que son territoire canonique ce qui a été reconnu par tous sans exception, durant plus de trois cents ans, comme faisant partie d’une autre Église locale, tandis qu’il déclare partie d’une Église canonique ceux qui étaient reconnus à l’unanimité comme schismatiques, menaçant simultanément de déclarer schismatiques ceux avec lesquels toutes les Églises locales restent en communion eucharistique. Ce faisant, le patriarche Bartholomée semble ne pas remarquer que ses agissements ont lancé le départ des persécutions gouvernementales contre l’Église canonique d’Ukraine. C’est un fait que « l’obtention du Tomos », est l’un des points principaux du programme pré-électoral du président ukrainien actuel qui souhaite être réélu pour un second mandat au printemps prochain. Et voici que les hiérarques de l’Église orthodoxe canonique d’Ukraine sont appelés dans les bureaux des fonctionnaires laïcs qui leur transmettent une lettre du patriarche de Constantinople, que des prêtres sont amenés pour des « discussions prophylactiques » aux services de sécurité (SBU), l’organisme ukrainien qui a succédé au KGB, tandis que les moines et moniales sont menacés d’être expulsés des monastères. Le patriarche Bartholomée qualifie ses agissements « d’octroi de l’autocéphalie à l’Ukraine », mais ce faisant, deux tiers des orthodoxes ukrainiens sont paroissiens de l’Église qui ne lui a pas demandé l’autocéphalie et refusent de la recevoir. Nous voyons, probablement pour la première fois dans l’histoire, un « octroi d’autocéphalie » par la force, ce qui donne déjà beaucoup à réfléchir. De nombreux articles critiques sont parus ces derniers mois ainsi que les interventions des Églises locales les plus différentes à l’endroit des agissements du Patriarcat de Constantinople. Des articles apologétiques des représentants de celui-ci sont parus, et la polémique entamée s’est rapidement approfondie dans les labyrinthes de l’histoire, lorsque sont proposées au lecteur différentes interprétations de l’un ou l’autre groupe de mots d’un texte du XVIIème siècle. Ces thèmes, indubitablement, sont également importants, mais il paraît bien plus fondamental d’examiner ce qui se produit dans un contexte plus large et comprendre quelles sont les causes des secousses qui ont surgi.

Les présents agissements du Patriarcat de Constantinople en Ukraine sont-ils sans précédent ?
Pour cela, il faut répondre à deux questions. La première : les présents agissements du Patriarcat de Constantinople en Ukraine sont-ils sans précédent ? Hélas, non. Une même intrusion a eu lieu en Estonie en 1996, lorsque le patriarche Bartholomée a reçu en communion les schismatiques de ce pays. Il convient de préciser tout de suite que ce serait une erreur de chercher une réponse à ces agissements dans la personnalité du seul patriarche actuel, étant donné que des agissements analogues ont été accomplis par ses prédécesseurs, à commencer en 1920 par le patriarche Mélèce IV (Metaxakis) de triste mémoire. En 1923, celui-ci s’est emparé de l’Église russe en Finlande et en Estonie, les soumettant à sa juridiction puis, l’année suivante, il a arraché les diocèses de Pologne à l’Église russe, déclarant arbitrairement leur « autocéphalie ». En 1936, le patriarche de Constantinople a proclamé sa juridiction en Lettonie, tandis que quatre années plus tôt, contre la volonté de l’Église orthodoxe russe, il avait inclus dans sa juridiction les paroisses russes émigrées en Europe occidentale, les transformant en son propre exarchat (dissous récemment par le patriarche Bartholomée). Il convient de ne pas oublier que ces actes d’immixtion et d’annexion ont été précisément réalisés alors que l’Église orthodoxe en Russie était exsangue, ayant subi des persécutions sans précédents de la part de l’État ennemi de Dieu. Si les communistes s’emparaient des églises et des monastères de l’Église orthodoxe à l’intérieur de l’URSS, le Patriarcat de Constantinople, lui, le faisait à l’extérieur de ses frontières. Mais ce serait injuste de dire que les mesures mentionnées ont été prises seulement à l’égard de l’Église orthodoxe russe. Dans les années 1920, le Patriarcat de Constantinople a exigé de l’Église de Grèce de cesser sa présence ecclésiale aux États-Unis et en Australie, en 1986, il a obtenu l’abolition et l’absorption de l’exarchat de l’Église d’Alexandrie aux États-Unis. Tout récemment, en 2008, le patriarche Bartholomée a obtenu la renonciation du Patriarcat de Jérusalem à ses paroisses aux États-Unis et leur transfert à la juridiction de Constantinople. Mais de tels agissements ne se sont pas toujours achevés par une victoire. Par exemple, en 1931, le patriarche de Constantinople Photios II a tenté, sans succès, de transférer à sa juridiction les paroisses de l’Église orthodoxe serbe se trouvant à l’étranger. Il écrivit au patriarche de Serbie Barnabé : « Toutes les communautés ecclésiales, quelle que soit leur nationalité, doivent ecclésialement être soumises à notre très saint Trône patriarcal ». Mais l’Église serbe n’a pas cédé à ces exigences, de même que l’Église roumaine. Si, au XXème siècle, les efforts des patriarches de Constantinople ont été concentrés en grande partie sur la soumission à eux de la diaspora orthodoxe, au XXIème siècle a déjà commencé l’expansion sur les territoires des Églises autocéphales elles-mêmes. Évoquant la critique de ses actes concernant la question ukrainienne, le patriarche Bartholomée s’est efforcé, récemment, d’expliquer cela par des différends nationaux, à savoir que toute l’affaire se résumerait à ce que « nos frères slaves ne peuvent tolérer la primauté du Patriarcat œcuménique et de notre nation dans l’Orthodoxie ». En elle-même, cette déclaration raciste, qui tombe sous la définition de l’hérésie de l’ethno-phylétisme, a été prononcée dans le but d’obtenir du soutien dans la société grecque. C’est une tentative en quelque sorte de jouer sur le sentiment de la solidarité nationale. Or, celle-ci ne reflète pas la situation réelle, étant donné que le Patriarcat de Constantinople a agi non moins violemment à l’égard d’autres Églises grecques, que dans le cas de l’Église russe. C’est ainsi, par exemple, qu’en 2003, le patriarche Bartholomée a soudain réclamé de l’Église orthodoxe grecque qu’elle transmette à son contrôle 36 diocèses des « Nouveaux Territoires » [i.e. diocèses de la Grèce du Nord, ndt], au moins en ce qui concerne la nomination des évêques sur les sièges épiscopaux concernés. Le Synode de l’Église de Grèce a refusé de se soumettre et son primat d’alors, l’archevêque d’Athènes Christodoulos a dit qu’accepter une telle exigence discréditerait le fait même de l’existence autocéphale de l’Église orthodoxe grecque. Après que les nouveaux hiérarques aient été élus sans son accord, le patriarche Bartholomée a annoncé la rupture de la communion eucharistique de l’Église de Constantinople avec l’Église de Grèce. Lorsque l’Église russe a rompu récemment la communion avec Constantinople, en tant que protestation et exhortation extrême contre son intrusion inique sur son territoire canonique, nombreux ont été ceux qui ont critiqué cette décision comme trop abrupte. Cependant, le Patriarcat de Constantinople a lui-même pris cette mesure pour faire pression sur une autre Église locale grecque. L’Église de Grèce, elle-aussi, n’a pas supporté cette pression et, finalement, s’est soumise en transmettant les « nouveaux territoires » sous l’administration du Patriarcat de Constantinople. Cela s’est-il produit parce que ses évêques se sont convaincus de la justesse des actes du patriarche Bartholomée ? Non, l’Église de Grèce a qualifié sa décision « d’acte de sacrifice afin de préserver la paix ecclésiale ». Mais ce sacrifice a-t-il pu réellement préserver la paix ? Hélas, non. Même les faits historiques mentionnés plus haut montrent que les sacrifices et les concessions effectués par les différentes Églises n’ont pas éteint, mais plutôt attisé encore plus les appétits des patriarches de Constantinople et les ont encouragés à de nouvelles conquêtes. Et voici qu’après l’intrusion sur le territoire canonique de l’Église de Grèce s’est produit une intrusion à plus grande échelle et criante sur le territoire canonique de l’Église orthodoxe russe, à savoir l’Église autonome d’Ukraine. Et que se passerait-il si l’Église russe suivait l’exemple de l’Église de Grèce ? Les appétits du patriarche de Constantinople s’en éteindraient-ils et pourrait-on attendre qu’à l’avenir aucune Église ne serait exposée à la violence de sa part ? Tout cela se terminerait-t-il avec l’Ukraine ? Hélas, non. Le patriarche Bartholomée a déjà annoncé qu’il se préparait à la même chose en Macédoine, qui est le territoire canonique de l’Église orthodoxe serbe. Au départ, les questions « ukrainienne » et « macédonienne » ont été examinées simultanément. Le 9 avril 2018, le président ukrainien Petro Porochenko a rencontré le patriarche Bartholomée, et le 10 avril, le président macédonien Gjorje Ivanov a fait de même. Les deux présidents ont demandé l’octroi du statut canonique aux communautés schismatiques de leurs pays. Et les deux présidents, à l’issue de leur rencontre avec le patriarche, ont émis des pronostics optimistes. Le 30 mai, le Synode du Patriarcat de Constantinople a entrepris « d’examiner le statut » de « l’Église orthodoxe de Macédoine » schismatique qui, à l’instar des schismatiques ukrainiens, avait envoyé une demande de reconnaissance. Et le 11 juin, le patriarche Bartholomée a déclaré publiquement : « Lorsque l’Église-Mère cherche les voies de salut de nos frères d’Ukraine et de Skoplje, elle accomplit son devoir apostolique. Notre obligation et notre responsabilité est de ramener ces peuples dans la vérité ecclésiale et l’ordre canonique ». Tous ces pas ont montré que Constantinople propose l’intrusion simultanée en Ukraine et en Macédoine avec la reconnaissance de leurs schismatiques contre la volonté des Églises locales, dont le territoire canonique est les pays mentionnés. Cependant, en toute hypothèse, c’est précisément la position extrêmement dure de l’Église russe au sujet de l’intrusion en Ukraine ainsi que le mécontentement manifeste des autres Églises locales qui ont contraint le patriarche Bartholomée à surseoir à son ingérence sur le territoire de l’Église serbe. Il a été décidé de revenir à la tactique qui a déjà fait ses preuves de faire plier les Églises locales à tour de rôle. Mais, indubitablement, si l’Orthodoxie universelle se résigne au sujet de l’iniquité commise en Ukraine, ce sera ensuite le tour de la Macédoine. Or, celle-ci constituera-t-elle la dernière intrusion ? La question est rhétorique, parce que la réponse est évidente. Aucune Église locale n’est à l’abri d’une intrusion de la part de Constantinople. Et même s’il n’y a pas de conditions préalables à cela, par exemple en Roumanie ou en Bulgarie, le patriarche Bartholomée ou ses successeurs, sans aucun doute, tireront profit de la situation lorsque l’occasion s’en présentera. Après la Serbie, le candidat fort probable à l’ingérence sera le territoire canonique de l’Église orthodoxe de Géorgie en raison de la situation complexe en Abkhazie, où il y a déjà des schismatiques qui luttent pour la résolution de la question ecclésiale locale en s’adressant au Patriarcat de Constantinople. Ceux-ci ont proclamé « la sainte métropole d’Abkhazie » et ils ont déjà rendu visite en 2012 au patriarche Bartholomée, tandis qu’ils se sont, en 2016, adressés à lui pour la seconde fois, en lui demandant de « régler le problème ecclésiastique abkhaze ». Dans les circonstances géopolitiques actuelles, cette ingérence est peu probable, mais si les conditions changent à l’avenir, cela se produira indubitablement et rien n’empêchera le patriarche de Constantinople de déclarer une nouvelle fois « qu’il accomplit son devoir apostolique » pour « le salut de nos frères » d’Abkhazie.

Une nouvelle conception ecclésiologique
Passons maintenant à la deuxième question : que se trouve-t-il derrière tous ces agissements des patriarches de Constantinople ? Pourquoi se considèrent-ils en droit de les entreprendre, et quels buts, ce faisant, poursuivent-ils ? Pour répondre à cette question, point n’est besoin de recourir à la « conspirationnisme » ou de bâtir des suppositions – il est pleinement suffisant de prêter attention aux paroles qui ont été prononcées publiquement. Derrière tous les cas mentionnés d’expansion, et aussi de nombreux autres que nous n’avons pas mentionnés afin d’éviter d’alourdir inutilement le texte de cet article, se trouve une doctrine ecclésiologique particulière sur la position exclusive du patriarche de Constantinople dans l’Église orthodoxe. Le patriarche Bartholomée a déclaré que, « pour l’Orthodoxie, le Patriarche œcuménique sert de levain « qui fait lever toute la pâte » (Gal. 5,9) de l’Église et de l’histoire… Le commencement de l’Église orthodoxe est le Patriarcat œcuménique, « en lui est la vie et cette vie est la lumière de l’Église »… L’Orthodoxie ne peut exister sans Patriarcat œcuménique… Le patriarche œcuménique comme chef du Corps orthodoxe… Si le Patriarcat œcuménique quitte la scène inter-orthodoxe, les Églises locales seront « comme des brebis sans pasteur » (Matth. 9,36). On peut compléter cela par les déclarations d’autres représentants du Patriarcat de Constantinople. Voici, par exemple, les paroles du métropolite d’Adrianoupolis Amphiloque : « Que serait l’Église orthodoxe sans Patriarcat œcuménique ? Une sorte de protestantisme… Il est inimaginable qu’une quelconque Église locale… rompe la communion avec (le Patriarcat œcuménique) étant donné que de lui provient la canonicité de son existence » [1]. Et voici les paroles du protopresbytre Georges Tsetsis : « Le patriarche de Constantinople, que cela plaise ou non, est le Primat de l’Orthodoxie, le signe visible de son Unité et le garant du fonctionnement normal de l’institution que nous appelons ‘Église orthodoxe’ » [2]. Comme nous le voyons l’affaire est allée très loin. Si tout cela a commencé par les affirmations selon lesquelles toutes les Églises se trouvant dans la diaspora doivent lui être soumises, on en est arrivé maintenant au point que le patriarche de Constantinople, paraît-il, est le primat de toute l’Orthodoxie, le chef du Corps orthodoxe, tous les hiérarques de toutes les Églises relèvent de son jugement, et les primats des autres Églises locales sont pour lui comme les brebis pour le pasteur. Et sans lui, l’Église orthodoxe ne serait pas orthodoxe. Tout cela a-t-il été « cru par tous, toujours et par tous » (St Vincent de Lérins) ? Ces affirmations n’étonnent-elles pas ceux qui sont au moins quelques peu au fait de l’histoire ecclésiastique ? Comme on le sait, même les prétentions à la primauté exclusive de la part de l’évêque de Rome ont été rejetées comme hérésie par le monde orthodoxe, mais les évêques de Constantinople ont encore moins de fondements pour de telles prétentions. Ne serait-ce que parce que jusqu’au IVème siècle Constantinople n’existait pas. Qui était alors le principe, le levain, la vie et la lumière de l’Église ? L’Église se passait parfaitement du Patriarcat de Constantinople, dans l’une des plus glorieuses périodes de son histoire. Mais après l’avènement du siège de Constantinople, comme le sait bien, à maintes reprises, celui-ci fut occupé par des hérétiques. Ce ne sera pas une faute de dire que dans l’histoire du Trône de Constantinople, les hérétiques occupaient le trône plus souvent qu’aucun autre siège. Et ces périodes ont duré des années, voire parfois des décennies. Comment peut-on dire après cela que l’Orthodoxie ne peut exister sans Patriarcat œcuménique et que c’est précisément de lui que les autres Églises reçoivent leur canonicité ? En ces temps, au contraire, la canonicité et l’appartenance à l’Orthodoxie était alors déterminée par l’absence de communion avec le Trône de Constantinople (et par la préservation de la pureté de la foi, bien entendu). Il n’est guère difficile de voir que nous avons affaire à une doctrine nouvelle et fausse, prêchée par le Patriarcat de Constantinople. C’est précisément cette doctrine qui est la source et en même temps l’argumentation théorique pour toutes ses intrusions anti-canoniques durant les cent années passées, à commencer par la Finlande et, pour finir, l’Ukraine. Toute nouvelle fausse doctrine qui est apparue dans l’Église s’est heurtée à la résistance et à la critique, il en va de même pour la doctrine discutée ici. Le saint confesseur de l’Église orthodoxe russe, le patriarche de Moscou Tikhon écrivit en 1924 au patriarche de Constantinople Grégoire VII : « Nous avons été fort troublés et étonnés que… le Chef de l’Église de Constantinople, sans aucunement en référer préalablement à Nous, en tant que représentant légal et le Chef de toute l’Église orthodoxe russe, s’immisce dans la vie interne et les affaires de l’Église russe autocéphale. Les saints Conciles (cf. 2ème et 3ème canon du IIème Concile œcuménique) n’ont toujours reconnu à l’évêque de Constantinople que la primauté d’honneur, mais n’ont pas reconnu ni ne reconnaissent pour lui la primauté de pouvoir ». Cela fut dit en réponse à la reconnaissance, alors, par le patriarche de Constantinople, des schismatiques-rénovés soutenus par le pouvoir communiste, tandis que le Phanar appelait saint Tikhon à partir et à abroger le Patriarcat dans l’Église russe. À son tour, le saint hiérarque Jean (Maximovitch) a fait remarquer, en 1938, que l’apparition de la fausse doctrine susmentionnée coïncidait avec la perte pour le Patriarcat de Constantinople de la quasi-totalité de ses fidèles sur son territoire canonique en raison des guerres du début du XXème siècle. Ainsi, les patriarches de Constantinople ont décidé de compenser leurs pertes par son expansion au détriment des autres Églises. Selon saint Jean « le Patriarcat œcuménique a voulu compenser la perte des diocèses qui ne se trouvaient plus dans sa juridiction, ainsi que la perte de son importance politique dans les frontières de la Turquie, par la soumission à lui-même de régions qui jusqu’à présent n’avaient pas de hiérarchie orthodoxe, ainsi que les Églises des États dont le gouvernement n’était pas orthodoxe… En même temps se produisit la soumission [au Patriarcat de Constantinople] de parties séparées de l’Église orthodoxe russe se trouvant détachées de la Russie… Élargissant sans limites ses souhaits de soumettre [au Patriarcat de Constantinople] des régions russes, les patriarches de Constantinople ont commencé à déclarer même que la réunion de Kiev au Patriarcat de Moscou était illégale… Le pas suivant du Patriarcat œcuménique serait de déclarer que toute la Russie se trouve sous la juridiction de Constantinople ». Cependant, en fait, comme le dit le saint hiérarque Jean, « Le Patriarcat œcuménique… avant perdu sa signification comme Colonne de la Vérité et étant devenu la source de la division, et, en même temps, étant accablé par une soif de pouvoir exorbitante, présente un triste spectacle, rappelant les pires époques de l’histoire du siège patriarcal de Constantinople » [3]. Le disciple de saint Silouane de l’Athos, l’archimandrite Sophrony (Sakharov) a parlé avec encore plus de détermination du problème mentionné. En 1950, il écrivait : « Actuellement, au sein de notre sainte Église, est apparu un grand danger de l’altération de la doctrine dogmatique la concernant… Vous demandez : en quoi cette altération est-elle visible maintenant ? Nous répondons : dans le néo-papisme constantinopolitain qui, rapidement, d’une phase théorique, est passée à la pratique… [Les partisans de cette doctrine] ont commencé par reconnaître le privilège des droits juridictionnels à Constantinople… Ils se sont mis ensuite à établir pour lui le droit d’instance suprême d’appel dans l’Église universelle, oubliant que ce sont précisément ces prétentions de Rome qui ont amené à la grande et définitive séparation des Églises (1054)… En proclamant le principe catholique-romain de développement, ils ont reconnu à Constantinople le droit exclusif sur toute la diaspora orthodoxe dans le monde, le refusant aux autres Églises autocéphales relativement à leurs propres diasporas… [L’Église de Constantinople] considère les autres Églises autocéphales mineures par rapport à elle-même. Constantinople est à elle-même l’Église universelle, les autres en sont des parties, et appartiennent à l’Église universelle pour autant qu’elles soient liées à Constantinople. Quel chrétien véritable peut accepter cela ? Et si, supposons, qu’en raison de l’une ou l’autre catastrophe, disparaissent de la face de la terre la Première et la Deuxième Rome, cela voudra-t-il dire que le monde restera sans véritable lien avec Dieu, parce que les chaînons nous liant avec Lui auront disparu ? Non, c’est la voix d’un étranger (Jn 10,5). Ce n’est pas notre foi chrétienne. Faut-il dire que cette forme de papisme est aussi une hérésie ecclésiologique, à l’instar du papisme romain ?... Nous rejetons toute « Rome » : tant la première, que la deuxième et la troisième, s’il est question d’introduire le principe de subordination dans l’existence de notre Église. Qu’il s’agisse du papisme romain, constantinopolitain, moscovite, londonien, parisien, new-yorkais, et de toute autre papisme, nous le rejetons comme une hérésie ecclésiologique, altérant le christianisme » [4]. Non seulement les auteurs ecclésiastiques russes, mais aussi ceux des autres Églises locales ont écrit au sujet de ce problème. Ainsi, par exemple, l’archiprêtre Radomir Popović, de l’Église serbe, après l’exposé de la doctrine susmentionnée de l’Église de Constantinople, remarque « que cette forme de pensée rappelle la même chose qu’à Rome… Ici, il n’est pas seulement question de la primauté d’honneur de l’évêque de Rome, mais de toute une série de prérogatives d’un pouvoir exclusif de facto sur le monde orthodoxe entier. C’est malheureusement identique aux prétentions de l’évêque de Rome, et pour cette raison nombreux sont ceux qui parlent de l’apparition d’un nouveau pape [5]. Et voici les paroles d’un des hiérarques de l’Église d’Antioche, l’archevêque d’Australie et de Nouvelle Zélande Paul : « Dans les cercles instruits, il est bien connu que le patriarche de Constantinople n’a pas, dans la hiérarchie de l’Église, la place qu’occupe l’évêque de Rome dans l’Église catholique. Le patriarche de Constantinople n’est pas le pape de Rome en Orient. On sait bien encore que dans le passé, il y eut des cas, où les patriarches de Constantinople furent reconnus hérétiques par des Conciles œcuméniques et d’autres Conciles locaux… Le patriarche de Constantinople n’est pas la voix de l’Orthodoxie et ne peut pas définir des normes dans l’Orthodoxie [6]. Enfin, voici ce qu’écrit l’archiprêtre Bojidar Glavev, de l’Église orthodoxe de Bulgarie : « Le patriarche de Constantinople… passe à une expansion de plus en plus inquiétante de ses pouvoirs, se mouvant vers le but final de son élévation au rang de pape oriental et à la primauté non seulement d’honneur, mais de pouvoir… Il est évident qu’il agit déjà comme un pape oriental et fait des déclarations destinées non seulement à ses fidèles, mais à tout ‘le plérôme de l’Église’… L’absurdité de la situation ecclésiale actuelle est constituée par le fait qu’au lieu de soumettre à la condamnation ecclésiale l’activité destructrice du patriarche Bartholomée, il se passe le contraire : le pouvoir du Trône de Constantinople s’élargit toujours plus, et dans un sens qui ne correspond pas à la tradition de l’Église [7]. On peut produire encore plus de semblables citations, dont des auteurs d’autres Églises locales. Mais le rejet de la doctrine erronée mentionnée du Patriarcat de Constantinople ne se limite pas aux déclarations d’auteurs individuels, sa condamnation conciliaire a déjà eu lieu. Cela s’est produit en 2008 lors de l’Assemblée des évêques de l’Église orthodoxe russe. Dans une résolution séparée, il était dit : « L’Assemblée exprime sa profonde préoccupation quant aux tendances… qui sont apparues dans les déclarations de certains représentants de la sainte Église de Constantinople. Se fondant sur une compréhension du 28ème canon du IVème Concile œcuménique non partagée par le plérôme de l’Église orthodoxe, ces hiérarques et théologiens développent une conception ecclésiologique qui devient une provocation pour l’unité orthodoxe entière. Selon cette conception : 1) seule l’Église locale qui se trouve en communion avec le Trône œcuménique est considérée comme appartenant à l’Orthodoxie universelle 2) Le Patriarcat de Constantinople a le droit exclusif de juridiction ecclésiale dans tous les pays de la diaspora orthodoxe 3) Dans ces pays, le Patriarcat de Constantinople représente seul les points de vue et les intérêts de toutes les Églises locales devant les autorités gouvernementales 4) Tout hiérarque ou clerc qui accomplit son ministère hors des limites du territoire canonique de son Église locale se trouve sous la juridiction canonique de Constantinople, même s’il n’en a pas conscience… et 5) Le Patriarcat de Constantinople définit les frontières géographiques des Églises et, si son opinion ne coïncide pas avec celle de telle ou telle autre Église sur la question donnée, il peut instituer sur le territoire de cette Église sa propre juridiction… Une telle vision du Patriarcat de Constantinople quant à ses propres droits et pouvoirs entre en un conflit insurmontable avec la tradition canonique pluriséculaire, sur laquelle est bâtie l’existence de l’Église orthodoxe russe et des autres Églises locales ».  [8] Bien que dans cette décision conciliaire ne soit pas prononcée, par économie ecclésiastique, le mot « hérésie », la doctrine rejetée et condamnée est désignée par l’expression « nouvelle conception ecclésiologique », ce qui délimite le problème dans le cadre dogmatique, et non pas seulement canonique, car l’ecclésiologie fait partie de la dogmatique. En 2012, le Synode de l’Église orthodoxe russe a adopté le document « Sur la question de la primauté dans l’Église universelle », dans lequel il est expliqué pourquoi le Synode n’accepte pas la nouvelle doctrine du Patriarcat de Constantinople : « Dans la sainte Église du Christ la primauté en tout appartient à son Chef, notre Seigneur et Sauveur Jésus-Christ… Les différentes formes de primauté dans l’Église sont secondaires par rapport à la primauté éternelle du Christ comme Chef de l’Église… Au niveau de l’Église universelle en tant que communauté des Églises orthodoxes locales autocéphales, unies en une famille par la confession de la foi et demeurant dans la communion sacramentelle les unes avec les autres, la primauté est définie conformément à la tradition des saintes diptyques et constitue une primauté d’honneur… L’ordre des diptyques a changé au cours de l’histoire… Les règles canoniques sur lesquels reposent les saints diptyques, ne donnent pas quelque pouvoir primatial au niveau de toute l’Église… Les altérations ecclésiologiques, prescrivant un hiérarque détenant une fonction de direction primatial au niveau universel… ont reçu l’appellation de « papisme » [9]. Dans une déclaration très récente du Saint-Synode de l’Église orthodoxe russe du 14 septembre 2018, les paroles susmentionnées du discours du patriarche de Constantinople ont été commentées comme suit : « Il est difficile d’évaluer autrement ces propos que comme une tentative de reconstruire l’ecclésiologie orthodoxe sur le modèle catholique-romain… afin d’affirmer ses pouvoirs inexistants et qui n’ont jamais existé dans l’Église orthodoxe ». Toutes ce citations prouvent que l’apparition d’une nouvelle fausse doctrine qui altère le dogme de l’Église n’est pas resté inaperçue : des voix d’auteurs individuels comme celle de conciles l’ont dénoncée. Il est très triste de constater que l’ancien siège de Constantinople s’est trouvé à nouveau infecté par l’hérésie, mais ce ne sont plus de simples suspicions, ce sont des faits accomplis, témoignés à de nombreuses reprises. C’est précisément cette hérésie, comme nous l’avons déjà mentionné, qui pousse les patriarches de Constantinople à accomplir des actions iniques, qui ont pour but d’affermir dans l’Église orthodoxe le pouvoir qu’ils s’attribuent. Et ce processus ne s’achèvera pas en Ukraine ou en Macédoine. En effet, toutes les Églises n’ont pas cédé leurs paroisses de l’étranger à Constantinople, ni marqué leur accord sur ses prétentions. Ce problème ne peut être résolu par quelque procédé diplomatique, des compromis ou des tentatives de se mettre d’accord. Tout cela s’est produit et n’a pas donné de résultats positifs. Selon saint Marc d’Éphèse, « tout ce qui se rapporte à l’Église ne se corrige jamais par les compromis : il n’y a pas de juste milieu entre la Vérité et le mensonge » [10].

Un Concile panorthodoxe est nécessaire
Comme cela est toujours la règle dans l’Église, on ne remédie à un problème dogmatique que par la condamnation conciliaire de l’hérésie et des hérétiques, par leur déposition et l’institution d’évêques orthodoxes sur les sièges épiscopaux occupés par les hérétiques. Cette voie est certes douloureuse, mais elle seule conduit à la guérison du Corps de l’Église. Et les événements actuels montrent que s’écarter de la résolution ecclésiale du problème donné n’est pas sans douleurs. Car les fidèles de l’Église orthodoxe canonique en Ukraine souffrent déjà. Mais ils pourraient être les derniers si se trouvait chez toutes les Églises locales la volonté de condamner conciliairement le nouveau papisme. Ce faisant, il faut condamner une fois pour toutes chaque velléité de papisme, afin qu’à l’avenir aucune Église n’éprouve la tentation d’y tomber, afin que personne à l’avenir ne suive la première et la seconde Rome. Un Concile panorthodoxe doit être convoqué, lequel donnera une évaluation sensée tant de la nouvelle doctrine que de ses expressions pratiques sous la forme d’intrusions iniques sur le territoire des autres Églises. Bien sûr, il est peu probable que le patriarche Bartholomée participe à ce Concile. En effet, dans le cadre de sa fausse doctrine, il promeut l’idée que lui-seul peut convoquer des conciles panorthodoxes. Ainsi, il se trouve qu’il ne puisse être jugé par personne, et il est évident que le patriarche Bartholomée lui-même ne convoquera jamais un concile qui jugerait ses discours et ses actions. Cette idée contredit l’histoire : aucun Concile œcuménique n’a jamais été convoqué par le patriarche de Constantinople, bien plus, certains de ces conciles ont déposé et anathématisé les évêques hérétiques de ce siège. Et après l’époque des Conciles œcuméniques, l’Église a utilisé son pouvoir de jugement des patriarches de Constantinople lorsque cela était nécessaire. C’est ainsi que, par exemple, après l’union de Ferrare-Florence de 1443 eut lieu à Jérusalem la synaxe des trois patriarches orientaux qui ont déposé le patriarche hérétique de Constantinople Métrophane. À cette époque, pendant de nombreuses années, celui qui eut le premier rang d’honneur dans l’Église orthodoxe fut le patriarche d’Alexandrie, jusqu’à ce que l’on ait réussi à nommer un patriarche orthodoxe sur le siège de Constantinople. En 2005, le patriarche Bartholomée a convoqué un concile panorthodoxe, au cours duquel il obtint la déposition du patriarche de Jérusalem Irénée, bien que les actes dont ce dernier fut accusé, ne soient pas des délits canoniques susceptibles de déposition et, d’autant, plus la réduction à l’état laïc. Les actes et les affirmations du patriarche Bartholomée lui-même méritent un examen impartial lors d’un Concile panorthodoxe. Et lors de cet examen, il convient absolument de prendre en compte le fait que cette fausse doctrine promue par les patriarches de Constantinople depuis 1922 contredit la foi que confessaient ses anciens prédécesseurs. C’est ainsi, par exemple, que le patriarche Germain II de Constantinople (1222-1240) a dit : « Il y a cinq patriarcats avec des limites définies pour chacun d’entre eux, et cependant, ces derniers temps un schisme a surgi parmi eux [i.e. celui de Rome], dont le commencement a été posé par une main audacieuse cherchant la prépondérance et la domination dans l’Église. Le Chef de l’Église est le Christ, toute recherche de domination s’inscrit contre Sa doctrine » [11]. Malheureusement, ses successeurs actuels ont décidé de rechercher la domination dans l’Église, considérant de toute évidence que se trouver sous la domination du Christ est insuffisante pour les orthodoxes. Bien que, dans le passé, les patriarches de Constantinople aient dit ouvertement qu’ils s’opposaient à la primauté du pape de Rome et ce non dans le but d’affermir leur propre primauté. En particulier, le patriarche Nil Kerameus (1380-1388) a écrit au pape Urbain VI : « Il est injuste que certains disent de nous que nous souhaitons soi-disant la primauté » [12]. L’actuel patriarche fait honte aux paroles de ses prédécesseurs, étant donné que, malheureusement, il a rendu ces accusations pleinement justifiées. Et voici ce que dit l’encyclique des quatre patriarches de 1848 : « La dignité [du siège romain] ne réside ni dans sa souveraineté ni dans sa suprématie, qui n'ont jamais été l'apanage de saint Pierre lui-même, mais bien plutôt dans une préséance fraternelle au sein de l'Église universelle accordée aux papes par égard à la célébrité et l'ancienneté de leur ville… chez nous, l'Orthodoxie a préservé l'Église catholique [i.e. universelle] comme une fiancée immaculée pour son Époux, bien que nous ne possédions aucun pouvoir séculier pour nous soutenir ni, comme l'appelle Sa Sainteté, aucun « gouvernement ecclésiastique ». Nous n'avons d'autre lien que celui de l'amour et du zèle pour notre mère commune, dans l'unité de la foi scellée par les sept sceaux de l'Esprit (Apoc. V, 1), c'est-à-dire les sept Conciles Œcuméniques et dans l'obéissance à la vérité ». Sous cette encyclique figure la signature du patriarche de Constantinople Anthime qui, à l’instar de ses anciens prédécesseurs, partageait ce point de vue sur la primauté dans l’Église, tel qu’il est maintenant exprimé par l’Église orthodoxe russe. C’est de cette foi juste dont a dévié l’actuel Patriarcat de Constantinople, et de façon si évidente qu’elle a été critiquée et même qualifiée d’hérésie, ce qui ressort des paroles de l’ancien secrétaire du Synode du Patriarcat de Constantinople, l’archimandrite Elpidophore (Lambriniadis), actuellement métropolite de Prousse qui a déclaré que « le refus de reconnaître la primauté dans l’Église orthodoxe, la primauté qui ne peut être incarnée que par le premier, ce n’est rien d’autre qu’une hérésie ». Il a fallu plus de temps, à l’Église romaine même, pour arriver à la dogmatisation de la doctrine sur la primauté papale. Il est triste de devoir reconnaître que c’est précisément dans les Églises grecques que l’on a laissé passer cette hérésie. Il y eut une certaine résistance dans le Patriarcat d’Alexandrie au milieu du XXème siècle, mais elle cessa ensuite. Ce faisant, il est difficile de qualifier le patriarche Bartholomée de figure populaire, et on peut trouver en langue grecque des articles critiques à son sujet. On l’accuse de transgressions canoniques et de différentes hérésies, mais on ne trouve en langue grecque quasiment aucune accusation à son endroit d’hérésie néo-papiste.

Le papisme dans les document du tristement célèbre Concile de Crète
Prenons même ce tristement célèbre Concile de Crète qui a été la cause de tant de scandales et de divisions. Combien de critiques ont été exprimés à son sujet par les gens les plus doctes ! Des accusations d’erreurs dogmatiques de ce texte ont même été prononcées mais, ce faisant, personne n’a remarqué les nombreuses métastases d’hérésie du papisme constantinopolitain qui ont surgi dans différents documents du Concile. Bien que, nous en sommes convaincus, c’est précisément en vue de la reconnaissance panorthodoxe de privilèges que le Patriarche de Constantinople s’est attribué arbitrairement, que ce concile a été réuni. Ses documents ne présentent aucune valeur pour quelque Église orthodoxe locale que ce soit, aucun des problèmes communs à toute l’Orthodoxie n’a été réglé. Or, dans les documents du concile, un certain nombre de choses ont été écrites en faveur du patriarcat de Constantinople, et nous en mentionnerons ci-dessous quelques exemples. Il faut ici souligner que la version constantinopolitaine du papisme ne correspond pas à cent pour cent à la version romaine. Il y a aussi des différences. Par exemple, si dans le papisme romain, tout en élevant la figure du pape, tous les autres évêques sont considérés comme égaux entre eux, dans la version constantinopolitaine du papisme, des droits et des privilèges spéciaux s’étendent dans une certaine mesure à tous les hiérarques de l’Église de Constantinople. Cela est consigné dans le document « La diaspora orthodoxe » adopté au Concile de Crète. Dans la section 2b est prescrit le mode de fonctionnement des assemblées épiscopales dans les pays non orthodoxes du monde et, il s’avère particulièrement que « Ces assemblées seront composées de tous les évêques de chaque région, qui se trouvent en communion canonique avec toutes les très saintes Églises orthodoxes et seront présidées par le premier parmi les hiérarques relevant de l’Église de Constantinople ». Comme nous le voyons, ce n’est pas seulement le patriarche de Constantinople, mais aussi tous les évêques qui lui sont soumis qui doivent disposer du droit de primauté envers tous les autres évêques de toutes les autres Églises locales, étant donné que c’est précisément eux qui doivent présider les assemblées locales des évêques orthodoxes des différentes juridictions. Ce ne sont pas les plus anciens selon l’âge ou l’ordination, ce ne sont pas ceux qui sont les plus vertueux, expérimentés et respectés, mais ce sont absolument les hiérarques du Patriarcat de Constantinople. Comme si en quelque sorte nous avions affaire à une caste particulière, supérieure, d’évêques, plus élevés par rapport à tous les autres, du seul fait de leur proximité de celui qui s’appelle « le patriarche œcuménique ». Dans le cadre de cette logique, les prêtres du Patriarcat de Constantinople doivent également avoir la priorité dans l’Église par rapport aux prêtres des autres Églises orthodoxes, tandis que les laïcs du Patriarcat de Constantinople doivent considérés supérieurs quant à leur statut, par rapport aux laïcs des autres Églises. Même les Latins n’avaient pas pensé à cela. Dans de nombreux endroits des documents du Concile de Crète, le patriarche de Constantinople s’attribue le pouvoir sur toute l’Église orthodoxe, dont celui du jugement ecclésiastique. En particulier : « Quant aux questions d’intérêt commun qui… nécessitent d’être examinées à l’échelon panorthodoxe, le président (de l’assemblée épiscopale) se réfère au Patriarche œcuménique pour que suite soit donnée » (Diaspora orthodoxe, 6). «  Pendant la consultation panorthodoxe, le Patriarche œcuménique cherche à obtenir le consensus des autres Églises orthodoxes » (Les relations de l’Église orthodoxe avec le reste du monde chrétien, 10). « Les Églises autonomes ne sont pas créées dans la région (ou territoire) de la diaspora, sauf dans les cas d’assentiment unanime, assuré par le Patriarche œcuménique (L’autonomie et la manière de la proclamer, 2,4). En cas de contestation… « les parties impliquées s’adressent conjointement ou séparément au Patriarche œcuménique afin que celui-ci trouve la solution canonique à la question » (L’autonomie et la manière de la proclamer, 2,5). Dans le message du Concile de Crète, il est proposé d’instituer un Saint et Grand Concile en tant qu’institution permanente, dont le droit de convocation est pour quelque raison réservé exclusivement au patriarche de Constantinople, ce qui n’a de fondement ni dans l’histoire, ni dans la théologie de l’Église orthodoxe. Or, le droit de convocation du Concile panorthodoxe doit appartenir non pas seulement au premier primat selon les diptyques, mais à tout primat d’une Église autocéphale. La limitation de cela au seul patriarche de Constantinople rend impossible la convocation du concile en cas de griefs d’une Église locale à l’égard du patriarche de Constantinople et transforme de facto le patriarche de cette Église en personne non passible de jugement ecclésiastique, ce qui contredit l’ordre canonique de l’Orthodoxie, conformément auquel tout hiérarque est passible du jugement de ses pairs. Pourquoi donc les auteurs orthodoxes grecs ont-ils laissé passer tout cela, comme, au demeurant, d’autres expressions de l’hérésie du papisme constantinopolitain encore plus criantes, que nous avons reproduites plus haut ? Cela veut-il dire que tous partagent cette hérésie ? Ou bien sont-ils prêts à s’en accommoder pour des raisons de solidarité nationale ? Il est difficile de le croire car la gloire du peuple grec a toujours été son attachement à la vérité en raison de laquelle ses meilleurs représentants n’ont pas eu peur de dénoncer les patriarches de Constantinople tombés dans l’hérésie. Il en était ainsi avec saint Maxime le Confesseur à l’époque des patriarches monothélites, il en était ainsi avec saint Marc d’Éphèse lors de l’union de Ferrare-Florence, de même avec saint Mélèce le Confesseur lors de l’union de Lyon, on pourrait continuer avec les exemples. Pour tous ces saints grecs, la fidélité à la vérité se trouvait au premier rang. Qu’est-ce qui a changé maintenant ? La question n’est pas « d’être du côté des Russes » ou des « Slaves », mais de se trouver du côté de la vérité. Combien de confesseurs et de martyrs du peuple grec ont-ils souffert pour ne pas accepter le papisme occidental ! Serait-ce seulement pour que leurs descendants adoptent docilement la même hérésie, mais dans une enveloppe orientale, grecque ? Que pareille chose ne se produise pas ! Il convient d’évoquer brièvement les revendications du patriarche de Constantinople au pouvoir judiciaire ecclésiastique et d’arbitrage dans toute l’Église orthodoxe, étant donné que ceci constitue une partie de la même « enveloppe ». Il est entendu que le présent article est consacré à une question dogmatique et pour cette raison, nous n’examinons pas les questions canoniques, qui sont suffisamment analysées dans d’autres articles. Si l’on regarde les transgressions systématiques et le non-respect d’une multitude de canons par le Patriarcat de Constantinople, on est simplement saisi de stupeur, alors qu’en même temps on entend des déclarations selon lesquelles le « Patriarcat œcuménique prend la responsabilité de mettre les choses en ordre ecclésiastique et canonique ». Et ces déclarations se font entendre au moment même où ce patriarcat abolit les canons, par exemple, les canons apostoliques interdisant le second mariage du clergé.

Le Patriarcat de Constantinople dispose-t-il du droit d’appel ?
Bien qu’ici, il y ait beaucoup à dire, cela allongerait indûment l’article. Néanmoins, il est nécessaire d’examiner un exemple, précisément, de revendication du pouvoir judiciaire dans toute l’Église. Dans le discours déjà mentionné, le patriarche Bartholomée a déclaré « le privilège unique de l’Église de Constantinople de recevoir l’appel des hiérarques et du clergé cherchant refuge depuis toutes les Églises orthodoxes locales ». Ce faisant, de telles déclarations se réfèrent au 9ème et au 17ème canon du IVème Concile œcuménique, lesquelles conféreraient, soi-disant, un tel privilège au Patriarcat de Constantinople. Et c’est ainsi qu’est justifié, en partie, l’intrusion dans l’affaire ukrainienne et l’accueil de schismatiques réduits à l’état laïc. À quel point cette interprétation des canons correspond à la Tradition de l’Église, nous pouvons le comprendre si nous la comparons au commentaire de saint Nicodème l’Hagiorite dans son célèbre « Pedalion » [« Le gouvernail », recueil des saints canons avec leurs commentaires] : « Constantinople n’a pas le pouvoir d’agir dans les diocèses et les limites des autres Patriarches, et par ce canon ne lui est pas donné le droit d’instance en dernier appel dans toute l’Église… C’est pourquoi Zonaras, dans son commentaire du 17ème canon du même Concile, dit que (le hiérarque) de Constantinople n’est pas institué juge sur tous les métropolites en général, mais seulement sur ceux qui lui sont soumis. Le (hiérarque) de Constantinople est le premier et dernier juge pour les métropolites qui lui sont soumis, mais non pour ceux qui sont soumis à d’autres patriarches, parce que seul le Concile œcuménique est le premier et universel juge de tous les patriarches et nul autre ». Comme nous le voyons, la fausse doctrine sur les dogmes est fondée sur une fausse interprétation des canons ce qui n’est pas étonnant, puisqu’il s’agit d’une doctrine étrangère à l’Église orthodoxe. Naturellement, les partisans d’une telle doctrine, comme tous les autres hérétiques, peuvent rechercher des citations qui leur sont favorables dans les textes anciens, provenant principalement de Constantinople, peuvent mentionner l’absorption par Constantinople des Églises bulgare et serbe au temps de l’empire ottoman, des agissements fort douteux et discutables, que Constantinople a dû corriger par la suite. Mais tout cela ne peut supprimer le fait que tout papisme, tant occidental qu’oriental, est étranger à la doctrine orthodoxe. Comme l’a écrit le hiéromartyr Gorazd de Prague (+1942), « L’Église orientale a reconnu pour Chef de l’Église Jésus-Christ seul et a refusé l’idée même de reconnaître pour chef un (simple) homme… car cette idée est apparue suite à un manque de foi dans le Chef invisible – Jésus-Christ – et Sa direction vivante du corps de l’Église universelle… et aussi comme incompatible avec le principe apostolique de résolution conciliaire des problèmes ecclésiaux, ce qui s’est exprimé au plus haut niveau lors des Conciles œcuméniques [13]. Il faut encore mentionner que le Patriarcat de Constantinople utilise ses différents titres honorifiques pour fonder et promouvoir son papisme, et avant tout le titre de « Patriarche œcuménique ». Si, dans le passé, il s’agissait simplement de l’un des titres honorifiques comme, par exemple, pour le patriarche d’Alexandrie, le titre « juge de l’univers », à l’époque récente, il est devenu de facto l’appellation officielle et principale que se donnent les primats constantinopolitains. Depuis longtemps, ils se donnent exclusivement ce titre, comprenant par là que leur juridiction ecclésiale s’étend littéralement à tout l’univers. À titre d’exemple d’utilisation de ce terme, on peut citer ces paroles du métropolite Elpidophore (Lambriniadis) : « La primauté de l’archevêque de Constantinople n’a rien de commun avec les diptyques, qui ne font qu’exprimer l’ordre hiérarchique… Si nous parlons de la source de la primauté, une telle source est la personne même de l’archevêque de Constantinople qui, comme évêque, est le premier ‘parmi les égaux’ mais, comme archevêque de Constantinople et, par conséquent, patriarche œcuménique, est le premier sans égaux » [14]. Un tel concept de leur « juridiction universelle » s’est exprimée également en ceci qu’au XXème siècle, les hiérarques de l’Église de Constantinople ont partagé entre eux tous les pays du monde à l’exception de ceux qu’ils reconnaissent appartenir aux autres Églises autocéphales. C’est ainsi que même les pays dans lesquels il n’y a pas un seul chrétien orthodoxe, se trouvent inscrits en tant que territoires canoniques d’un quelconque hiérarque de l’Église de Constantinople. Et celui-ci protestera avec véhémence si une quelconque Église ouvre sa mission dans un pays où Constantinople n’a jamais mis les pieds et où il n’a pas un seul fidèle, tout cela simplement sur la base de la répartition mentionnée. Le fait que cette répartition du monde n’a été accomplie qu’au XXème siècle, dénonce cette doctrine comme nouvelle et inconnue précédemment dans l’Église. Si elle avait été ancienne, les hiérarques constantinopolitains auraient procédé à cette répartition, bien avant. Il est assez connu que, dès l’utilisation du titre « œcuménique » (dans le sens « universel ») par les évêques de Constantinople, le pape saint Grégoire le Grand s’est prononcé contre cela catégoriquement. Il a écrit, entre autres, au patriarche de Constantinople Jean : « Par suite de votre titre criminel et plein d’orgueil, l’Église est divisée, et les cœurs de tous les frères sont scandalisés… Si l’apôtre Paul ne voulait pas que les membres du corps du Seigneur fussent rattachés par parties à d’autres têtes qu’à celle du Christ, quoi que ces têtes fussent des apôtres, vous, que direz-vous au Christ, qui est la tête de l’Église universelle, que lui direz-vous au dernier jugement, vous qui, par votre titre d’universel, voulez vous soumettre tous ses membres ? » Et voici ce qu’il écrit aux patriarches Euloge d’Alexandrie et Anastase d’Antioche : « Aucun de mes prédécesseurs n’a voulu se servir de ce mot profane (universel), parce que, en effet, si un patriarche est appelé universel, on ôte aux autres le titre de patriarche ». Cependant, les patriarches de Constantinople n’ont pas observé les paroles du pape orthodoxe Grégoire le Grand qui était alors le premier selon l’honneur. Et ce titre continua à être utilisé. On dit pour la défense de son utilisation, qu’il n’aurait pas été utilisé dans le sens que lui attribuait saint Grégoire, qu’il s’agissait seulement d’un beau titre, semblable à celui de « Docteur universel » et de « Bibliothécaire universel», qu’il y avait également dans la capitale de l’empire. C’était peut-être le cas au début, mais si l’on regarde comment ce titre a commencé à être utilisé en fin de compte, on peut considérer les paroles de saint Grégoire comme prophétiques. Saint Grégoire n’a pas été le seul pape qui se soit dressé contre l’utilisation du titre « universel ». C’est ainsi que dans les Actes seconds du VIIème Concile œcuménique, nous lisons que lecture a été donnée du message du pape de Rome Adrien à l’empereur. Dans le texte original de ce message, hormis la condamnation de l’iconoclasme, se trouvent ces paroles : « Nous avons été fortement étonnés lorsque nous avons trouvé que dans vos décrets impériaux, édités au sujet du patriarche de la ville impériale, c’est-à-dire Taraise, il fût également appelé universel. Nous ne savons pas si c’est par ignorance, ou sous l’inspiration des schismatiques et hérétiques impies, que cela a été écrit, mais nous demandons instamment votre miséricordieuse autorité impériale qu’il ne signe jamais, dans aucun de ses écrits, en tant qu’universel ; parce que, de toute évidence, cela est contraire aux dispositions des saints canons et à la Tradition des saints Pères… Pour cette raison, si quelqu’un l’appelle universel ou donne son accord à ce sujet, qu’il sache qu’il est étranger à la foi orthodoxe ». Bien que selon toute vraisemblance, ces passages du message n’aient pas été traduits en grec lors de la lecture de celui-ci au Concile, il n’en ressort pas moins que, pour la deuxième fois, le premier primat, en ce temps, critiquait ouvertement et empêchait l’utilisation du titre « universel » aux patriarches de Constantinople. Ces témoignages donnent une base pour parler de l’illégalité de l’utilisation du titre en question. C’est la raison pour laquelle les auteurs orthodoxes doivent renoncer à l’appellation « Patriarcat œcuménique » et nommer celui-ci « patriarche de Constantinople » et grâce à ce dernier titre, ne pas soutenir la propagation de l’hérésie du nouveau papisme.

Église-Mère ?
L’autre titre, activement utilisé par Constantinople pour fonder ses ambitions, est « Église-Mère », bien que ce titre, comme le précédent, n’ait jamais été attribué au Trône de Constantinople par un quelconque Concile œcuménique, mais constitue une usurpation arbitraire. Il n’est pleinement justifié que dans un contexte historique et seulement à l’égard des Églises qui ont reçu l’autocéphalie de l’Église de Constantinople. Cependant, il est utilisé dans un sens bien plus large. Par exemple dans le discours susmentionné, le patriarche Bartholomée parle de son patriarcat comme « de la Mère pleine de sollicitude et celle qui enfante les Églises » pour fonder ses revendications à une place particulière dans la société panorthodoxe. Mais un concept de l’Église de Constantinople comme Mère de toute les Églises est de toute évidence absurde, étant donné que les anciens Patriarcats ont précédé historiquement l’apparition de Constantinople, comment celle-ci peut-elle être leur mère ? S’il y a une Église qui peut prétendre à juste titre à ce titre, c’est l’Église de Jérusalem. Son apport historique particulier a toujours été reconnu par toutes les Églises, mais n’a jamais été compris comme un droit à la domination et au pouvoir. Or, Constantinople utilise arbitrairement le titre « d’Église-Mère » pour fonder son aspiration à soumettre à son pouvoir les autres Églises autocéphales, qui doivent être soumises et obéissantes, comme la fille à sa mère. Bien que, comme l’a fait remarquer l’archimandrite Sophrony (Sakharov), même si l’on acceptait que Constantinople « puisse effectivement s’appeler la mère commune de toutes les Églises… de toute façon déduire la soumission depuis le fait de la maternité historique, serait un écart de la Triadologie orthodoxe, conformément à laquelle la Paternité ou la Filiation n’élimine pas la plénitude de l’unité. Celui qui est né de l’essence est égal à Celui qui a donné naissance » [15]. Et ces paroles du patriarche Bartholomée sur la « Mère pleine de sollicitude semblent particulièrement cyniques. Aucune mère pleine de sollicitude n’agit avec ses enfants comme agit Constantinople à l’égard de l’Église russe, et il y a quelques années envers l’Église grecque. Et si l’on ajoute le mot « mère » au Patriarcat de Constantinople, par ses agissements, elle illustre plutôt la figure païenne repoussante de la mère qui dévore ses enfants. Et qui peut blâmer des enfants qui décident de quitter une telle « mère » ? Le fait que l’Église russe ait rompu la communion eucharistique avec Constantinople serait justifié même si l’affaire se limitait à l’aspiration à résister au crime à l’échelle de toute l’Église et préserver ses enfants de la communion de ceux qui sont entrés eux-mêmes en communion avec les schismatiques. Mais il y a quelque chose de plus sérieux. L’Église orthodoxe russe est devenue la première à refuser à se soumettre à l’hérésie du papisme, semée par le Patriarcat de Constantinople. Quant aux autres Églises locales, il leur faudra tôt ou tard faire le choix – non pas celui d’être avec « les Russes » ou « les Grecs », mais entre l’Orthodoxie et l’hérésie.

NOTES:

[1] https://cognoscoteam.gr/αρνούμενος-το-οικουμενικό-πατριαρχε/
[2] «Ορθόδοξος «Εκκλησία» ή «Συνομοσπονδία» Τοπικών Εκκλησιών» – « L’Église orthodoxe ou «  confédération » des Églises locales ? »
 [3] Citations de la conférence « Situation de l’Église orthodoxe après la guerre », prononcé au IIème Concile de la diaspora (Sremski Karlovci,  1/1411/24 août 1938).
 [4] Hiéromoine Sophrony (Sakharov), Единство Церкви по образу Единства Святой Троицы (L’Unité de l’Église à l’image de l’unité de la Sainte Trinité »// Messager de l’Exarchat patriarcal russe d’Europe occidental, 1950. № 2–3.pp. 8–32.
[5] Archiprêtre Radomir V. Popović, Ангажована Теологиjа Цариградске Патриjаршиjе (La théologie engagée du Patriarcat de Constantinople)// svetosavlje.org/angazovana-teologija-carigradske-patrijarsije/
[6] Archevêque d’Australie et de Nouvelle Zélande Paul, Дружба с другими Церквами (Amitié avec les autres Églises) // www.blagovest-info.ru/index.php?ss=2&s=7&id=27764
[7] "https://www.pravoslavie.bg/анализи/вселенският-патриарх-източен-па/"
[8] Décision dе la Sainte Assemblée des hiérarques de l’Église orthodoxe russe (Moscou, 24-29 juin 2008), « Sur l’unité de l’Église »
[9] http://www.patriarchia.ru/db/text/3481089.html
[10] Epître à Scholarios, II // https://azbyka.ru/otechnik/Amvrosij_Pogodin/svjatoj-mark-ehfesskij-i-florentijskaja-unija (Saint Marc d’Ephèse et l’Union de Florence/9).
[11] Citation d’après I.I. Sokolov: Лекции по истории Греко-Восточной Церкви (Cours d’histoire de l’Église gréco-orientale). Saint-Pétersbourg 2005, p. 129.
[12] Ibid, p. 186
[13] Gorazd, évêque de Tchéquie et de Moravie. Život sv. Cyrila a Metoděje a jejich poměr k Řнmu a Cařihradu (Vie des saints Cyrille et Méthode et leur rapport envers Rome et Constantinople// http://www.orthodoxia.cz/gorazd/pavlik2.htm
[14] http://history-mda.ru/publ/pervyiy-bez-ravnyih-otvet-na-dokument-o-pervenstve-v-tserkvi-prinyatyiy-na-zasedanii-svyashhennogo-sinoda-russkoy-pravoslavnoy-tserkvi_3650.html
[15] Hiéromoine Sophrony (Sakharov), op. cit., p. 25

Source