dimanche 13 octobre 2019

Sur Orthodoxie.com: Le métropolite Syméon de Néa Smyrni au sujet de L’Ukraine : « L’Église ne nous appartient pas, c’est nous qui appartenons à l’Église !»



« Votre Béatitude,

Éminents Frères et Membres du Synode,

J’ai ressenti la nécessité – mieux, mon devoir, en tant qu’évêque de l’Église et humble membre du précieux organisme de notre Hiérarchie, de m’adresser à vous à l’occasion du début des travaux de la réunion ordinaire de cette sainte institution. La raison en est l’information qui a circulé sans être démentie de façon compétente, que sera posée devant la hiérarchie la question dite « ukrainienne », alors qu’elle n’était pas comprise dans l’ordre du jour des travaux de la Hiérarchie, lequel a été établi par le Saint-Synode permanent de la période passée et qui nous a été envoyé en temps opportun selon ce qui est prévu. 

J’ai choisi, pour une question aussi sérieuse et délicate, de m’adresser à Vous dans un esprit conciliaire, car je pense que le saint corps de l’Assemblée des évêques d’une Église est, en premier lieu et principalement, le lieu où il conviendrait que soient examinées et discutées les questions de cette nature. 

1) La première chose que je veux vous soumettre est la profonde tristesse et la grande angoisse qui s’emparent de mon âme au sujet de la situation qui s’est créée dans notre sainte Église orthodoxe. À savoir que l’Église sœur de Russie avec ses nombreux fidèles et l’Église de Constantinople avec son premier trône, notre Patriarcat œcuménique, se trouvent dans une controverse sans précédent à l’occasion de l’octroi de l’autocéphalie ukrainienne. Moscou a rompu la communion ecclésiale et eucharistique avec le Patriarcat œcuménique et procède à des agissements qui ébranlent l’unité ecclésiale ainsi que le respect du territoire ecclésiastique du Patriarcat œcuménique et de ses pasteurs locaux, évêques et prêtres. La situation en question, si elle n’est pas un schisme au sein de notre Église orthodoxe, ouvre toute grande la porte qui y conduit. Et les autres Églises orthodoxes, les anciens Patriarcat et les Églises autocéphales, ont ou bien exprimé leur opposition quant au problème qui a surgi ou ont adopté une position attentiste. Toute cette situation m’inquiète le plus profondément. Cela nous compromet aux yeux des chrétiens hétérodoxes et du monde entier. Les critères nationalistes, comme il semble, prévaudront dans les choix de tous. Et le danger que se forment deux « blocs », hellénophone et slavophone, ce qui a perturbé pendant des années nos relations ecclésiastiques inter-orthodoxes, est maintenant visible à l’œil nu. 

2) Je ne souhaite pas aborder l’examen historique et canonique du problème, à savoir à qui appartient la métropole de Kiev et, par conséquent, l’octroi de l’autocéphalie. La compréhension différente des sources historiques, l’interprétation des saints Canons de façon a soutenir les vues ou les intentions formulées, et le recours sélectif à la pratique ecclésiale de la part des intéressés immédiats et de ceux qui sont intervenus dans le problème, ont provoqué une confusion énorme autour de cette question. Bien qu’ayant une attitude traditionnelle, je ressens la nécessité de souligner que nous ne vivons pas au IVème ou au Vème siècle. Les structures ecclésiales ne sont pas celles qui existaient jadis autour du bassin méditerranéen et un peu plus loin. Des continents entiers ont été découverts depuis. L’Église s’est étendue au monde entier. Et elle n’a plus devant elle le Judaïsme et le paganisme. Autour de nous se sont produits et continuent à se produire des changements cosmogéniques. Sommes-nous justifiés de les ignorer ? 

3) Malgré cela, que l’on me permette de mentionner laconiquement ce qui suit : 

a) L’autocéphalie ukrainienne et les conditions dans lesquelles elle a été octroyée ne présentent aucune similitude avec les autocéphalies qui ont été accordées précédemment par notre Patriarcat œcuménique. Ces dernières avaient été demandées par les Églises locales canoniques des nouveaux États, et réclamées dans de nombreux cas par les détenteurs de l’autorité séculière également. 

b) La reconnaissance hâtive des schismatiques (sans qu’ils expriment le repentir) et des « auto-consacrés » – en contournant l’Église locale canonique, mais aussi le Patriarcat de Moscou qui avait condamné les schismatiques – et l’octroi de l’autocéphalie à la nouvelle structure ecclésiastique engendrent à juste titre des interrogations et provoquent des oppositions. On néglige, malheureusement, le fait qu’actuellement, nous avons deux métropolites de Kiev dans la même ville et deux Églises locales parallèles. Kiev et l’Ukraine, en fin de compte, n’est pas un pays de la diaspora mais une entité nationale unifiée. 

c) L’Église du Christ vit dans le monde et chemine dans l’histoire. Il est donc normal que notre vie soit influencée par des développements sociaux et divers autres changements. Cela vaut pour toutes les Églises locales. Pour ce qui concerne l’Église d’Ukraine, cela était vrai beaucoup plus pour le passé, comme nous le dit l’histoire. Or, le phénomène, comme nous le voyons, continue à être vrai aujourd’hui aussi. L’Ukraine constitue un territoire sur lequel s’affrontent les aspirations géopolitiques de l’Orient et de l’Occident. Et on se demande : les États-Unis visaient-ils à l’octroi de l’autocéphalie, raison pour laquelle après l’obtention de celle-ci, ils ont exprimé à maintes reprises leur satisfaction ? L’opposition de l’Église de Russie est-elle seulement de caractère ecclésiastique ou exprime-t-elle la tentative de Moscou de maintenir sous son influence la République d’Ukraine, comme c’était le cas jusqu’à récemment ? Est-il concevable, cependant, que nous, pasteurs responsables de l’Église qui devons tous lutter avant tout pour l’unité de l’Église du Christ, nous nous allions ou nous cédions aux plans ou aux rivalités des dirigeants de ce monde ? 

4) On soutient que l’octroi de l’autocéphalie contribuerait à surmonter les schismes, à l’unification ecclésiale des orthodoxes et à la pacification ecclésiale de l’Ukraine. Mais comme les faits le montrent, cela n’a pas réussi. On a observé – du moins lorsque l’ex-président Porochenko était au pouvoir – des persécutions de fidèles et des saisies d’églises appartenant à l’Église se trouvant sous le métropolite Onuphre. Une tentative de changer le nom de son Église par la loi a été faite, laquelle a été invalidée par le tribunal. Mais aussi, la nouvelle structure ecclésiale qui a reçu l’autocéphalie s’est divisée. Le « patriarche d’honneur » Philarète l’a quittée, suivi par une quinzaine d’évêques et proférant parallèlement – lui-même et ses évêques – de graves accusations contre tous. 

5) Et j’en viens à notre problème. Selon mon humble avis, la reconnaissance ou non de la nouvelle autocéphalie n’est pas de la compétence exclusive du Primat [i.e. l’archevêque Jérôme, ndt], ni du Saint-Synode permanent, mais de l’Assemblée des évêques. Notre Église n’est pas dirigée par un statut patriarcal, mais synodal. L’article 4 de nos statuts est plus que clair à ce sujet. La question est extrêmement sérieuse. Si la dernière réunion du Saint-Synode considérait que son examen [de la question ukrainienne, ndt] s’impose, il aurait fallu la porter à l’ordre du jour de la présente session ordinaire. Je pense que pour le sujet en question, si le Synode décide de l’aborder, il doit être convoqué une assemblée extraordinaire, avec un ou plusieurs rapporteurs. Et aussi, que les hiérarques prennent connaissance des documents officiels existants, ainsi que du contenu des contacts y relatifs de Sa Béatitude autour de cette question. Affronter ce problème hâtivement, de façon bâclée, exposera et impliquera notre Église dans des aventures. C’est une erreur que de croire qu’une telle façon d’affronter le problème constituera un soutien au Patriarcat œcuménique. 

6) Il est nécessaire que le ton baisse parmi tous et de tous les côtés. Et aussi de la part de ceux qui s’empressent à mettre par écrit leurs opinions. La passion assombrit l’esprit et l’agressivité blesse l’amour en Christ. L’Église est (aussi) une communauté d’amour. Les chrétiens « doivent s’aimer les uns les autres » (I Jn IV, 11). Russes, Serbes, Roumains, Grecs, Européens, Asiatiques, Africains, Américains, nous sommes tous les précieux membres du saint corps du Christ « qui est l’Église » (Col. 1,24). Et même si nous jugeons que nous avons le devoir de défendre quelque chose, nous devons le faire autant que possible « sans passion ». « Un serviteur du Seigneur ne doit pas se quereller, mais être affable envers tous» (2 Tim. 2,24). L’Église ne nous appartient pas. Nous appartenons à l’Église, par la grâce du Seigneur. C’est le Seigneur Jésus, qui est chef de l’Église et non pas nous, quelle que soit la fonction que nous exerçons dans l’Église, par la divine condescendance. L’amour et le souci du Seigneur pour l’Église sont incomparablement plus grands que les nôtres. Pour cette raison, au-delà de ce qui « nous a été ordonné », et de ce que nous devons faire comme des serviteurs « inutiles » (Lc XVII, 10), nous prions ardemment Celui qui soutient Son Église à nous éclairer nous aussi, Ses serviteurs, et à comprendre correctement, ainsi qu’à bien accomplir, notre devoir devant la Mère commune à nous tous, l’Église de Dieu. 

7) Je veux croire que Sa Toute-Sainteté le patriarche Bartholomée, un homme d’Église aux charismes exceptionnels – qui n’est toutefois pas infaillible ! – avec le profond sens des responsabilités qui le distingue pour la fonction qui lui a été confiée par Dieu et son grand amour de l’Église, fera ce qui est possible pour que l’Église orthodoxe sorte de l’impasse où elle semble avoir abouti. 

Au nom du respect, de l’estime et du grand amour en Christ que je nourris envers son honorable personne (sentiments qu’il connaît bien), mon humble personne le supplie à genoux à faire cela. 

Votre Béatitude, Éminents Frères, Il est probable, si son traitement ultérieur n’est pas constructif, que la question ukrainienne porte un coup fatal à l’unité de l’Église orthodoxe. Quelqu’un a dit, exagérant manifestement, que cela nous rappelle les jours de 1054 ! Je demande humblement que nous ne nous hâtions pas à prendre position. Il est bon que de tels problèmes soient évités, car si finalement ils se créent, y faire face ne sera pas facile et cela exigera du temps. Je demande particulièrement à Sa Béatitude de prendre toute initiative nécessaire et procéder à toute intervention qu’il juge utile pour aborder paisiblement cette question. En cela, il est aidé, entre autres, par l’esprit humble qui le distingue et son doux caractère. Avant tout, élevons notre demande « pour la stabilité des saintes Églises de Dieu et l’union de tous », ce plus souvent et avec plus d’ardeur. Le moindre Frère en Christ, 

† Syméon de Nea Smyrni ».


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