dimanche 27 octobre 2019

Hiéromoine Séraphim (Rose): SOUS-HUMANITÉ - LA PHILOSOPHIE DE L'ABSURDE


Le rouleau porte la mention: 
"l'évolutionnisme est la clef de la philosophie de l'Antéchrist"
Icône roumaine
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L'époque actuelle est, dans un sens profond, une époque d'absurdité. Poètes et dramaturges, peintres et sculpteurs proclament et décrivent le monde comme un chaos désarticulé et l'homme comme un fragment déshumanisé de ce chaos. 

La politique, qu'elle soit de droite, de gauche ou du centre, ne peut plus être considérée que comme un expédient où un léger semblant d'ordre est donné pour le moment, au désordre universel ; les croisés pacifistes et militants sont unis dans une foi absurde dans les faibles pouvoirs des hommes pour remédier à une situation intolérable par des moyens qui ne peuvent que l'aggraver. Les philosophes et autres hommes supposés responsables dans les milieux gouvernementaux, académiques et ecclésiastiques, lorsqu'ils ne se retranchent pas derrière la façade impersonnelle et irresponsable de la spécialisation ou de la bureaucratie, ne font généralement que rationaliser l'état incohérent de l'homme contemporain et de son monde et conseiller un "engagement" inutile dans un optimisme humaniste discrédité, dans un stoïcisme sans espoir, dans des expériences aveugles, ou dans un "engagement irrationnel", ou dans une foi suicidaire en la "foi". 

Mais l'art, la politique et la philosophie d'aujourd'hui ne sont que des reflets de la vie, et s'ils sont devenus absurdes, c'est parce que, dans une large mesure, la vie est devenue ainsi. L'exemple le plus frappant de l'absurdité de la vie de ces derniers temps était, bien sûr, le "nouvel ordre" d'Hitler, dans lequel un homme supposé normal et civilisé pouvait être à la fois un interprète accompli et émouvant de Bach (comme Himmler) et un meurtrier habile de millions d’hommes, ou qui pourrait organiser la visite d'un camp d'extermination qui coïncide avec une série de concerts ou une exposition artistique. Hitler lui-même, en effet, était l'homme absurde par excellence, passant du néant à la domination du monde et de retour au néant en l'espace d'une douzaine d'années, ne laissant comme monument qu'un monde brisé, dû à son succès insignifiant au fait que lui, le plus vide des hommes, incarnait le vide des hommes de son temps. 

Le monde surréaliste d'Hitler appartient désormais au passé, mais le monde n'est passé de l'ère de l'absurdité à un stade plus avancé, quoique temporairement plus calme, de la même maladie. Les hommes ont inventé une arme pour exprimer, mieux que l'évangile de destruction d'Hitler, leur incohérence et leur nihilisme ; et dans son ombre les hommes sont paralysés, entre les extrêmes d'une puissance extérieure et une impuissance intérieure sans précédent. En même temps, les pauvres et les "défavorisés" du monde se sont éveillés à la vie consciente et recherchent l'abondance et le privilège ; ceux qui les possèdent déjà gaspillent leur vie dans la poursuite de choses vaines, ou deviennent désillusionnés et meurent d'ennui et de désespoir, ou commettent des crimes insensés. Presque le monde entier, semble-t-il, est divisé entre ceux qui mènent des vies futiles et insignifiantes sans s'en rendre compte, et ceux qui, s'en rendant compte, sont poussés à la folie et au suicide. […] 

Il en est de même pour l'absurde ; c'est le côté négatif d'une réalité positive. Il y a, bien sûr, un élément d'incohérence dans notre monde, car dans sa chute du Paradis, l'homme a amené le monde avec lui ; la philosophie de l'absurde n'est donc pas fondée sur un mensonge total, mais sur une demi vérité trompeuse. Mais quand Camus définit l'absurdité comme la confrontation du besoin de raison de l'homme avec l'irrationalité du monde, quand il croit que l'homme est une victime innocente et que le monde le coupable, il a, comme tous les absurdes, magnifié une vision très partielle dans une vision totalement déformée des choses ; et dans son aveuglement, il est arrivé exactement à inverser la vérité. L'absurde, en fin de compte, est une question interne et non externe ; ce n'est pas le monde qui est irrationnel et incohérent, mais l'homme. 

Mais si l'absurde est responsable de ne pas voir les choses telles qu'elles sont, et même de ne pas vouloir les voir telles qu'elles sont, le chrétien est encore plus responsable de ne pas donner l'exemple d'une vie pleinement cohérente, une vie en Christ. Le compromis chrétien dans la pensée, la parole et la négligence dans les actes ont ouvert la voie au triomphe des forces de l'absurde, de Satan, de l'Antéchrist. L'époque actuelle de l'absurdité est la juste récompense des chrétiens qui n'ont pas réussi à être chrétiens. 

Et le seul remède à l'absurde se trouve à sa source : nous devons redevenir chrétiens. Camus avait raison quand il a dit : "Nous devons choisir entre les miracles et l'absurde." Car, à cet égard, le christianisme et l’'absurde s'opposent également au rationalisme et à l'humanisme des Lumières, à l'idée que la réalité peut être réduite à des termes purement rationnels et humains. Nous devons en effet choisir entre la vision miraculeuse, la vision chrétienne des choses, dont le centre est Dieu et dont la fin est le Royaume éternel des Cieux, et l'absurde, la vision satanique des choses, dont le centre est le moi déchu et dont la fin est l'enfer, dans cette vie et dans la vie à venir ». 

Nous devons redevenir chrétiens. Il est futile, en fait c'est précisément absurde, de parler de société réformatrice, de changer le chemin de l'histoire, d'émerger dans une époque au-delà de l'absurde, si nous n'avons pas le Christ dans notre cœur ; et si nous avons le Christ dans notre cœur, rien d'autre ne compte. 

Il est bien sûr possible qu'il y ait un âge au-delà de l'absurde ; il est plus probable, peut-être - et les chrétiens doivent toujours être préparés à cette éventualité - qu'il n'y en aura pas, et que l'âge de l'absurde est bien le dernier âge. Il se peut que le témoignage final que les chrétiens pourront donner à cet âge soit le témoignage ultime, le sang de leur martyre. 

Mais c'est un motif de réjouissance et non de désespoir. Car l'espérance des chrétiens n'est pas de ce monde ni dans aucun de ses royaumes - cette espérance, en effet, est l'absurdité ultime ; l'espérance des chrétiens est dans le Royaume de Dieu qui n'est pas de ce monde.

Version française Claude Lopez-Ginisty
d’après


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