lundi 17 juin 2019

Père James Rosselli: LA PAPAUTÉ DYSTOPIQUE DE BARTHOLOMÉE I DE CONSTANTINOPLE

Des pompiers ukrainiens tentent de sauver une église 
Photo : spzh.news

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Le Père James est recteur de l'église orthodoxe Saint-Joseph d'Arimathie et maison de prière (ROCOR Rite  Occidental) à La Porte, Indiana. Ses opinions sont les siennes. 
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La nouvelle papauté orthodoxe du patriarche Bartholomée n'a pas eu le meilleur départ.

Cela semblait être un si bon plan.

Le patriarche Bartholomée, invoquant une autorité unilatérale nouvellement reconnue [1], annulait le pacte vieux de 300 ans qui faisait de l'Ukraine le territoire canonique de Moscou. Prétendant que l'accord n'avait été " que temporaire ", il assumerait la souveraineté sur l'Ukraine et rassemblerait toutes ses églises en un seul corps (soigneusement circonscrit) " autocéphalique" responsable devant lui.

Philarète était là. Macaire était là. Le Sviatoslav de l'UGCC [église uniate dite gréco-catholique d'Ukraine] était en place.[2] Le président Porochenko était en place. Les arrivistes de Moscou étaient contrariés, bien sûr, mais une fois l'accord conclu, qu'est-ce qu'ils pouvaient faire ? Ils devraient obéir, ne serait-ce que pour sauver la face.[3]

Les autres églises locales étaient hésitantes, mais elles avaient changé d'avis. Elles l'ont toujours fait. Son trône était le premier trône de l'Orthodoxie, après tout ! Et lui, Bartholomée, était "Premier Sans Égal", dont la responsabilité grave, même onéreuse, était de maintenir l'Orthodoxie en ligne. [4]

Onuphre ? Il faudrait qu'il s'inscrive. Sinon, il perdrait ses églises. L'armée et la police nationale de Porochenko s'en occuperaient. Un certain inconfort au début, mais à la fin, la paix et la sécurité. Constantinople unirait un pays tragiquement divisé par l'oppression de Moscou, et la défaite de Moscou assurerait la réélection de Porochenko, de sorte que le muscle resterait en place.[5]

La clé du marché était l'UGCC [église uniate dite gréco-catholique d'Ukraine]. Une fois l'accord conclu et tous les documents signés, un organisme ecclésial serait créé, qui serait reconnu par le Phanar et le Vatican. Cela amènerait Rome et Constantinople en communion formelle, et l'Orthodoxie devrait soit monter à bord, soit être laissée pour compte.

Bartholomée, proche de la retraite, restera dans l'histoire comme l'homme qui a établi le Patriarcat de Constantinople dans sa gloire légitime, et réuni la chrétienté.

C'était vraiment un si bon plan.

Ça ne s'est pas passé comme ça.

Tremblement de terre dès le départ

Moscou n'a pas "obéi". Le 7 septembre 2018, Bartholomée nomma deux "exarques" en Ukraine, chargés de mettre en place une Stavropégie (organe représentatif d'un Premier Hiérarque). Une semaine plus tard, le 14 septembre, comme promis, le Patriarcat de Moscou suspendit la communion avec Constantinople et ceux qui en dépendaient. Le patriarche Bartholomée ne serait pas commémoré. Le clergé orthodoxe russe ne concélébrerait pas avec son clergé, les fidèles orthodoxes russes ne communieraient pas dans ses églises et l'Église russe ne participerait à aucune organisation ou réunion ayant un président de Constantinople.

Les autres Églises locales ne voulaient pas participer à l'invasion de Bartholomée. Les réactions allaient du choc à l'indignation en passant par l'incrédulité pure et simple. Toutes ont décliné leur participation, voire leur reconnaissance.

Le métropolite Onuphre a dit clairement, en privé à Bartholomée et publiquement au monde, que l'Église orthodoxe ukrainienne ne voulait pas, et n'avait pas besoin, d'autocéphalie. Ils étaient déjà totalement autonomes, ne répondant à Moscou pour rien, tout en jouissant de leur appartenance - et donc de leur influence - au synode de l'Église la plus grande et la plus influente de l'Orthodoxie.

Quant à l'UGCC [église uniate dite gréco-catholique d'Ukraine], elle avait tout à gagner et rien à perdre. Le Vatican convoitait l'Orthodoxie depuis mille ans. Si Bartholomée réussissait, le Patriarche de l'UGCC  Sviatoslav serait un héros. Sinon, il était toujours à la tête de l'église uniate. Son seul rôle était de s'asseoir et de laisser les événements se dérouler.

C'est ce qu'ils ont fait.

Le "conseil d'unification" a avancé, malgré l'absence de l'Église canonique. Le "patriarche" Philarète a présenté son secrétaire, Epiphane Doumenko, comme son candidat comme "métropolite" du nouveau groupe. Il a clairement indiqué que l'élection de Doumenko a été un facteur déterminant pour la participation du PK [patriarcat {sic} de Kiev], de sorte que Doumenko a été élu. Le problème était, et demeure, que M. Doumenko est un laïc. Il n'a jamais été ordonné canoniquement à quoi que ce soit, et Bartholomée n'a rien fait pour corriger cela. Pas d'ordination. Pas de consécration. Il n'a même pas assisté à l'"intronisation" pour lui imposer les mains. Ainsi, à part tout le reste, le chef de l'" église autocéphale de l'Ukraine " n'a pas de succession apostolique.


Et si tu faisais une intronisation et que personne ne venait ?

Le 3 février 2019, en grande pompe, Epiphane Dumenko a été intronisé comme "métropolite" de "l'église orthodoxe d'Ukraine". Toutes les Églises locales, malgré de nombreuses torsions de bras, avaient décliné leurs invitations. Parmi les disparus figurait le patriarche Bartholomée lui-même, qui a envoyé quatre représentants.

Il manquait aussi les lettres de félicitations habituelles et les déclarations d'"Axios" au nouveau hiérarque. Une lettre de félicitations a cependant été envoyée par le lobby LGBT ukrainien "Kiev Pride". En réponse, Doumenko a déclaré que "contrairement à la Russie", la nouvelle "église" aurait une "attitude plus tolérante".

Feu et épée

Commence alors une saison de conquête. Le président Porochenko, lui-même uniate, a déchaîné le pouvoir martial de l'Etat sur l'Eglise canonique ukrainienne, la déclarant "agent de la Russie", malgré sa composition et sa direction pleinement ukrainienne.

Des compagnies de voyous ont été déployées en civil pour mettre au pas les "récalcitrants". Les églises de l'UOC [Eglise orthodoxe ukrainienne canonique du Métropolite Onuphre] ont été vandalisées. Certaines ont été brûlées. Des autels ont été brisés et des tabernacles profanés.

Les fidèles de l'UOC [Eglise orthodoxe ukrainienne canonique] ont protesté, et eux et leur clergé ont été brutalement attaqués par les gangs de voyous. Beaucoup ont été hospitalisés. Au moins deux ont été tués. Les prêtres et les évêques ont été interpellés par les forces de sécurité de l'Etat pour un "interrogatoire". Malgré tout, l'UOC a tenu bon.

Puis sont arrivées les prises d'églises.

Porochenko a déployé ses voyous pour aller de village en village, se déclarant "paroissiens locaux" de l'église du village. Ils tenaient une "élection", s'installaient comme dirigeants de la paroisse cible et déclaraient vouloir que "leur" paroisse rejoigne l'OCU [église schismatique de Bartholomée en Ukraine]. Le maire obéissant (et sans doute effrayé) appliquait l'ordre, et la police commodément stationnée enlèvait alors de force les paroissiens et le clergé légitimes, cadenassant les portes de l'édifice et enregistrant la paroisse à la place de l'UCO, Eglise orthodoxe canonique du Métropolite Onuphe.[6]

Le plan de Bartholomée pour "l'unification et la stabilité" avait jeté le pays dans la division et le chaos.

Le dimanche 21 mars, le président Porochenko a concédé la défaite électorale à Volodymyr Zelensky, un acteur qui a joué le rôle du président ukrainien dans un feuilleton télévisé populaire. Exprimant leur dégoût pour ce qui s'était passé, le peuple ukrainien a donné à l'acteur-comédien plus de 70 pour cent des voix.

Le pouvoir de Bartholomée avait soudain disparu. Les raids ont cessé. Un Parlement prudent s'est gardé de toute nouvelle législation contre l'Eglise orthodoxe ukrainienne canonique. L'Ukraine, étourdie, secoua la tête et vit le carnage et les décombres produits par l'orgie de l'"unification", et se tut, mal à l'aise.

Un "schisme schismatique" et l'homme qui serait patriarche

Philarète n'a jamais eu l'intention de renoncer à son "patriarcat". Lui et Doumenko ont convenu que Philarète serait l'actuel chef de la nouvelle "église", et Epiphane serait l'équivalent d'un ministre des affaires étrangères. Philarète a retiré son klobouk "patriarcal" le 5 janvier 2019, le jour de la signature du tomos. Il était de nouveau sur sa tête le 6 janvier.

Philarète a affirmé qu'il n'avait accepté ces conditions que pour obtenir les tomos. Il affirme en outre que l'UCO et l'UOC-KP [les deux "églises non canoniques d'ukraine] ne font qu'une. En conséquence, même si l'accord d'"unification" prévoit de céder directement à Constantinople toutes les paroisses en dehors de l'Ukraine, Philarète a refusé de le faire.

Philarète a insisté sur une véritable autocéphalie pour le nouveau groupe, et Bartholomée a répondu que quiconque n'est pas d'accord avec les termes du tomos ne peut se considérer "au sein de l'OCU".

Le site officiel du patriarcat de Kiev représente le PK et l'OCU comme une seule entité, avec Doumenko comme "métropolite de Kiev et de toute l'Ukraine" et Philarète comme "patriarche". Néanmoins, Doumenko semble avoir pris plaisir à être "sa béatitude le métropolite de Kiev et de toute l'Ukraine"(sic!), et avoir jeté son mentor sous le bus de l'église!

Philarète a publié une déclaration disant que tout irait bien si Doumenko lui obéissait tout simplement. Doumenko, cependant, semble penser que les choses vont bien telles qu'elles sont. Par la suite, il a été rapporté que Philarète rompt avec Doumenko et fait revivre son "patriarcat".[7]

Macaire accusa Philarète d'être "désobéissant au tomos" au plus tard deux semaines après la signature. Depuis lors, il fait profil bas, gardant ses propres paroisses en ordre et ne faisant aucune déclaration.

Dénouement

De nombreux observateurs considèrent l'UCO comme instable et implosive, et ce n'est pas étonnant. Toute l'affaire était un tissu de mensonges, d'intrigues et de fantaisies dès le début : Le territoire canonique n'est pas celui de Bartholomée; l'autocéphalie n'est pas vraiment l'autocéphalie ; l'unité n'est pas vraiment l'unité ; le métropolite n'est pas vraiment un clerc et le PK et le COAU [entités non canoniques reconnues par Bartholomée] ne se sont pas vraiment dissous - ils existent toujours légalement.

Quant aux acteurs : Porochenko, l'homme qui jouait Charlemagne pour le  Léon III de Bartholomée, a été enterré sous un glissement de terrain électoral. Philarète, le courtier du pouvoir de négociation à l'origine, a été trahi par M. Doumenko. Macaire garde la tête baissée.

Méfiez-vous du message envoyé par les électeurs, le Parlement a cessé toute action concernant les confiscations de Porochenko, bien que les attaques locales se poursuivent. [8] Les tribunaux sont en train d'examiner la situation. Le président Zelensky ne s'est engagé dans aucune polémique et s'emploie à nettoyer les décombres des derniers mois. Les voyous sont pour la plupart partis, sans doute en uniforme. Certains, cependant, ne semblent pas avoir reçu la note de service, et le harcèlement local sporadique se poursuit.

Et Bartholomée? Sereinement, il est assis sur le trône oecuménique au Phanar, ayant atteint son but initial. Comme Napoléon, qui proclame que le moyen de gagner une guerre est "de l'audace, de l'audace, de l'audace", Bartholomée envahit avec succès et établit sa présence sur le territoire canonique d'un frère Patriarche. L'"OCU" [son "église ukrainienne schismatique, créée illégalement et contre toute logique canonique] n'est peut-être pas légitime et ses alliances s'effondrent, mais elle existe sur le papier, quoi qu'il arrive. C'est un morceau de papier dans lequel l'UGCC [église uniate dite gréco-catholique d'Ukraine] peut être incluse, et c'est tout ce dont Bartholomée a besoin.

Quant à l'Orthodoxie, la question n'est pas tant de savoir s'il y aura un schisme, mais quelle forme il prendra. Certaines Églises locales ont refusé de prendre parti dans cette affaire, d'autres ont indiqué qu'il y a des circonstances dans lesquelles elles reconnaîtraient le groupe schismatique. Ainsi, ceux-ci finiront probablement, après Bartholomée, dans son alliance grotesque avec Rome. La grande majorité numérique de l'Orthodoxie, cependant, restera fidèle.

De plus en plus, l'attention se déplace de l'Ukraine vers Istanbul. Il est question de convoquer un concile avec ou sans Bartholomée. Si cela devait se produire, une définition claire des pouvoirs - et des limites - de Constantinople pourrait être faite. L'"OCU" peut être définitivement déclarée non canonique. L'orthodoxie se sera unie contre sa plus grande menace en mille ans. Bartholomée n'aura rien à apporter à la table romaine, et l'ancienne Église de Dieu aura encore une fois évité la balle du Diable.

Version française Claude Lopez-Ginisty
d'après

NOTES:
1 Voir Novikov, Christianisme orthodoxe, http://orthochristian.com/115685.html

2 Voir RISU, 8 janvier 2019, https://risu.org.ua/en/index/all_news/confessional/interchurch_relations/74222/.

3 Voyez, "L'Église russe n'a pas d'autre choix que de nous obéir - Pat. Bartholomew ", Orthodox Christianity, janvier 2019.

4 Voir Stickles, Orthodox Chrtistianity : http://orthochristian.com/116986.html.

5 Voir le christianisme orthodoxe : http://orthochristian.com/120189.html

6 ibid. également Pravmir : on-church-seizures-and-vandalism-ramp-up-in-pat-barthhttp://www.pravmir.com/persecutiolomew-s-post-tomos-ukraine/

7 Voir : http://www.asianews.it/news-en/Filaret-breaks-with-Ukrainian-autocephalous-Church.-Epifanyj-closer-to-Greek-Catholics-47004.html. Aussi : Shemliuk, Union des journalistes orthodoxes https://spzh.news/en/zashhita-very/62107-pcu-dvoih-ne-vyneset-kak-filaret-i-jepifanij-razrushajut-svoju-cerkovy

8 Voir : Kurozvany, Christianisme orthodoxe : http://orthochristian.com/120565.html

Moschanitsa, ibid. http://orthochristian.com/121782.html

Vaslovovtsi, ibid. http://orthochristian.com/121609.html

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