jeudi 11 avril 2019

Serge Govoroun : INDULGENCES DANS L'HISTOIRE DE L'ÉGLISE GRECQUE

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En ces temps d'actions délétères du Patriarcat d'Istanbul, et du fait de son comportement de plus en plus papal, il se peut que cette pratique contestable revienne au goût du jour pour renflouer les caisses patriarcales!
Pour les lecteurs désirant une autre étude plus complète (en anglais)  de cette aberration inspirée par Rome, est disponible en ligne sur internet: lancer une recherche avec le titre suivant: 



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Aux XVIe-XVIIIe siècles, l'Église grecque, bien que limitée dans ses contacts avec le monde extérieur jusqu'aux frontières de l'Empire ottoman, subit une grande influence du christianisme occidental - plus grande que l'Église russe. Ici, la propagande catholique travailla plus efficacement, surtout avec la fondation en 1622 de la Sacrée Congrégation de la Propagande de la Foi, car tant les érudits grecs que les théologiens avaient des contacts croissants avec l'Occident et la plupart d'entre eux y étudiaient. Ces facteurs et d'autres conduisirent l'Église grecque en grande partie à subir une métamorphose occidentale, selon l'expression du Père George Florovsky.
Une des manifestations d'une telle métamorphose fut l'introduction de la vente des indulgences chrétiennes dans la pratique de l'Église grecque[1]. Il s'agissait de véritables indulgences : des certificats qui absolvaient les péchés, que n'importe qui pouvait obtenir, souvent pour une certaine somme d'argent. L'absolution accordée par ces documents, selon Christos Yannaras, n'avait aucun rapport avec la participation des fidèles au Mystère de la Pénitence, ni au Mystère de l'Eucharistie[2].

Il est difficile de déterminer quand les Grecs vivant sous le joug turc commencèrent à utiliser des indulgences. Elles étaient assez répandues au XVIe siècle. Au début du XVIIIe siècle, le Patriarche de Jérusalem, Dosithée Notaras, écrit des indulgences selon une tradition ancienne et bien connue. "Nous avons la coutume et l'ancienne tradition, qui est connue de tous, que les très saints Patriarches donnent aux gens de l'Église un certificat pour l'absolution de leurs péchés (Sinhorohartion)"[3].

La pratique des indulgences, qui existait au début officieusement, fut officiellement confirmée par le Concile de Constantinople en 1727. Ce Concile fut appelé en réponse à la propagande latine croissante, qui se répandait principalement en Syrie, en Mésopotamie, en Palestine et en Égypte, et c’était également la suite du Concile de Constantinople de 1722.4] Ce Concile publia "La Confession de Foi"[5], dont le texte fut compilé par le Patriarche de Jérusalem Chrysanthe (+ 1731), et signé par ces patriarches : Païssi II de Constantinople, Sylvestre d'Antioche, et Chrysanthe de Jérusalem, ainsi que les hiérarques situés à cette époque à Constantinople et participant au Concile

Ainsi, dans la 13e clause du document, il est dit : "La puissance du pardon des péchés, que l'Église orientale du Christ appelle "certificats d'absolution" lorsqu'ils sont donnés par écrit, mais par les Latins [id est par les catholiques] "indulgences", est donnée à la Sainte Église par le Christ. Ces certificats d'absolution sont délivrés dans toute l'Église catholique par les quatre très saints Patriarches: Constantinople, Alexandrie, Antioche et Jérusalem"[6].

Comme on le voit dans les deux sélections, du Patriarche Dosithée et du Concile Constantinopolitain, la délivrance des indulgences était liée au pouvoir des Patriarches orthodoxes. L'attribution aux Patriarches (et seulement à eux, comme on peut le voir dans le texte de la "Confession") du pouvoir de pardonner les péchés et de délivrer des certificats spéciaux était une déformation des rudiments de l'ancienne institution de la Pentarchie, qui fut formulée après le IVe Concile œcuménique et subit une crise indubitable à l'époque du gouvernement turc et de la diffusion de l'influence latine. Dans la conscience des Grecs de l'époque, qui s'étaient alors habitués aux stéréotypes occidentaux, le pouvoir des patriarches orthodoxes était en grande partie associé au pouvoir du Pape romain.

Dans leur polémique avec la latinité, les Grecs n'ont pas tant mis en doute le phénomène des indulgences, mais plutôt le fait que les Papes romains s'attribuaient exclusivement à eux-mêmes ce droit de pardonner les péchés.  Ainsi, dans la 13e clause de la confession du Concile, il est dit, "dire que le pouvoir de délivrer (les indulgences) est possédé uniquement par le Pape de Rome, est un pur mensonge"[7].

Il est remarquable que même un théologien et expert de la tradition canonique de l'Église comme le Vénérable Nicodème de la Sainte Montagne ne se soit pas seulement opposé à la pratique des indulgences, mais y ait participé. Ainsi, dans sa lettre à Païssi, évêque de Stagonas, qui vivait alors à Constantinople, datée d'avril 1806, il lui demande d'obtenir un certificat d'absolution au Patriarcat pour un moine "vivant", également appelé Nicodème, et de le lui envoyer. Il lui promet qu'il lui enverra l'argent nécessaire pour acheter le certificat dès qu'il saura combien il en coûtera[8].

Les indulgences comme moyen d'enrichissement ont été condamnées au Concile de Constantinople en 1838. Ce Concile, comme le Concile de l'année 1727, était consacré à l'extermination des dogmes et usages latins. Son thème principal était l'Uniatisme. Une encyclique, publiée par le Concile, fut signée par le Patriarche de Constantinople, Grégoire VI et le Patriarche de Jérusalem, Athanase, ainsi que par onze responsables du Synode Constantinopolitain. Le texte fut également envoyé aux Patriarches absents, Hiérothée d'Alexandrie et Méthode d'Antioche[9].

Dans la neuvième clause de l'encyclique, on condamne "l'usage horrible et inouï d'un usage maléfique, provenant de l'arrogance, par lequel les évêques de Rome utilisent les articles les plus sacrés et les plus impressionnants de la sainte foi chrétienne comme moyen de recueillir des fonds"[10] La seule chose à laquelle cette condamnation s'attaque est la prise d'argent pour la réparation des péchés, même seulement dans les années Jubilaires.
L'existence d'indulgences en soi, une fois de plus, ne fait pas l'objet d'une évaluation théologique nécessaire par un Concile. De même, dans cette encyclique, la pratique de l'Église grecque, analogue à celle condamnée par le Concile, n'est ni mentionnée ni condamnée. En outre, il était difficile, même pour les décisions du Concile, d'éliminer une pratique aussi enracinée dans la population. L'enracinement populaire de cette pratique est attesté par le fait que les "certificats d'absolution" ont duré en Grèce jusqu'au milieu du XXe siècle[11].

Version française Claude Lopez-Ginisty
d’après

NOTES :
1] Il existe une étude spéciale à ce sujet de Philip Ilios : Sygkhorokhartia : The History, Athènes, vol. 1 (1983) pp. 35-84, vol. 3 (1985), pp. 3-44. Voir également Chr. Yannaras, Orthodoxia kai Dysi sti Neoteri Ellada (L'orthodoxie et l'Occident dans la Grèce des temps les plus récents).

2] Christos Yannaras. Op. cit. 31996, p. 150

3] A. Papadopoulos-Kerameus, Symvolai eis tin istorian tis arkhiepiskopis tou orous Sina (Towards a History of the Archbishopric of Sinan). Saint-Pétersbourg, 1908. p. 133.

4] Pour le texte de l'encyclique publiée par le Concile de 1722, voir I. Karmiris : Ta Dogmatika kai Symvolika mnimeia tis Orthodoxou Katholikis Ekklisias (Les monuments dogmatiques et symboliques de l'Église catholique orthodoxe) Graz, Autriche, 21968, pages 822-859

5]I. Karmiris. Op. cit. 21968, pp. 861-870

6] I. Karmiris. Op.cit, 21968, pp.867-868.

7] I. Karmiris. Op.cit. 21968, p. 868

8] Philip Ilios : Sygchorochartia // Ta istorika, Athènes. Vol. 3 (1985), 22-23.

9] Son texte a été publié dans : I. Karmiris, op. cit. p. 894 à 902.

10] I. Karmiris. Op. cit. p. 898.

Ainsi, par exemple, Philip Ilios produit une indulgence datée de 1955 !

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