vendredi 1 février 2019

ATHANASE ZOITAKIS : COMMENT CONSTANTINOPLE A ORGANISÉ UN TRIBUNAL CONTRE LE JUSTE PATRIARCHE DIODORE DE JÉRUSALEM

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Patriarche Diodore I de Jérusalem

Les actions illégales du Patriarcat de Constantinople en Ukraine ne sont certainement pas le premier incident de l'empiètement non canonique du Phanar dans les affaires des Églises orthodoxes locales. Un exemple clair d'une tentative de substituer un Concile œcuménique à la cour du Patriarche de Constantinople se trouve dans les conciles des Églises de langue grecque en 1993 et 1994. Nous aimerions parler à nos lecteurs de ces événements peu connus.
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En 1981, l'Eglise de Jérusalem était dirigée par le Patriarche Diodore (Karivalis, 1981-2000). Il commença son ministère par des paroles sur le fait que le trône patriarcal " n'est pas un trône de majesté et de gloire, mais un martyre et un Golgotha ".
Le patriarche Diodore incarna une fidélité sans faille aux canons et aux dogmes de l'Église, malgré la pression de l'esprit de l'époque. Il était connu pour ses vues strictement anti œcuméniques.
Lors d'une session de son Synode du 9 mai 1989, le Patriarcat de Jérusalem décida de cesser le dialogue théologique avec les anglicans et avec tous les non orthodoxes en général.
La lettre du Patriarche Diodore aux chefs de toute l'Eglise orthodoxe disait : "Cette démarche a été inspirée avant tout par la conviction de toute notre Église orthodoxe qu'elle contient en elle-même toute la plénitude de la vérité et qu'elle est l'Église Une, Sainte, Catholique et Apostolique et le dépositaire fiable des dogmes divins de notre foi immaculée et de notre Sainte Tradition, ayant Jésus Christ à sa tête. Par conséquent, notre Église orthodoxe, absolument assurée de la justesse de son chemin et de sa mission apostolique salvatrice sur terre, n'a pas besoin d'un dialogue théologique avec les non orthodoxes qui, soit dit en passant, peuvent étudier notre Église orthodoxe eux-mêmes et, s'ils le veulent, vivre selon elle. Tout nouveau dialogue avec les non orthodoxes devient dangereux pour notre Église orthodoxe de Jérusalem, car ils utilisent ce dialogue pour poursuivre... une politique de prosélytisme et pour poursuivre d'autres activités qui sont inacceptables pour l'Église orthodoxe."
Plus tard, le 2 octobre 1989, prêchant dans le monastère grec des saints Cyprien et Justine, le patriarche Diodore dit : "Ce n'est pas la première année qu'ils travaillent pour détruire l'Orthodoxie en Terre Sainte. Cependant, le Seigneur, ayant défendu l'Eglise de Jérusalem pendant des siècles, a toujours sauvé l'Orthodoxie de tout danger. Jamais, au cours de ses deux mille ans d'histoire, un seul conquérant n'a été capable de maîtriser Jérusalem. Les satrapes, rois et gouverneurs se sont succédés. Mais ils sont tous partis, et il ne reste que des centaines de moines grecs orthodoxes, gardiens vigilants de notre patrimoine sacré. Malheureusement, depuis des décennies, ne voulant pas détruire l'unité de l'Eglise orthodoxe, Jérusalem suit théoriquement les autres Eglises participant aux dialogues œcuméniques, bien que l'œcuménisme n'ait jamais eu aucune influence sur nous. Néanmoins, la participation de Jérusalem à ces dialogues a permis d'affirmer que le Patriarche de Jérusalem participe également au mouvement œcuménique. Nous constatons avec consternation les graves abus de ces dialogues par les hérétiques. Ils confondent nos fidèles et essaient de les convertir à leur foi par tous les moyens nécessaires. Ils leur montrent des photos du Pape avec nos patriarches et nos évêques, disant que l'Unia a déjà été réalisée : "N'écoutez pas vos évêques, l'Unia existe déjà, l'Église orthodoxe s'est unie à l'Église catholique romaine. Le mot 'Unia' est probablement utilisé ici avec le sens que les œcuménistes lui donnent, à savoir la soumission. C'est pourquoi, après avoir réfléchi sur notre responsabilité devant le Seigneur, devant l'Église, devant notre histoire, nous avons décidé, dans la lumière divine, de cesser tout dialogue du Patriarcat avec les Églises non orthodoxes, car après de nombreuses années de contact avec elles, aucun résultat positif n'a été obtenu. Nous avons annoncé notre décision à toutes les Églises sœurs et nous y adhérerons le plus longtemps possible. Vous savez que le Patriarcat de Jérusalem suit l'ancien calendrier. Elle n'a jamais changé et ne changera pas la doctrine, les canons et les dogmes de notre Église. Nous sommes prêts à continuer à travailler et, si nécessaire, à souffrir pour les préserver. Les menaces que nous recevons quotidiennement et les actions de nos adversaires ne nous effraient pas du tout. Nous resterons des gardiens inébranlables, fidèles aux enseignements de notre Église."
Dans une lettre datée du 12 août 1992, le Patriarche de Constantinople appela le Patriarche Diodore à participer au développement des relations avec les préchalcédoniens. Dans sa réponse à la lettre du Patriarche Bartholomée, qui appelait à participer aux discussions sur la possibilité de s'unir avec les Monophysites, le Patriarche de Jérusalem écrivit que l'Eglise de Jérusalem avait toujours plaidé pour la réconciliation et l'unité de tous les peuples, et en particulier pour "convertir les non orthodoxes, et nous, démontrant toutes les richesses spirituelles de notre sainte Église orthodoxe, nous les appelons à accepter ses enseignements vrais et immuables, afin que nous puissions tous réaliser l'unité de la foi et, ayant accompli le commandement du Seigneur, être ensemble ", et soulignait que " la sainte Mère Église [1] a toujours accepté avec joie en son sein les non orthodoxes repentis.” Ainsi, le Patriarche Diodore formula une idée et une méthode pour l'unité que les saints Pères avaient déjà enseignée : Il ne peut y avoir de compromis entre hérésie et vérité ; la seule voie d'unification avec l'Église orthodoxe universelle est la voie du repentir.
Le Patriarche souligne en outre combien il serait plus raisonnable d'utiliser le temps inutilement gaspillé en dialogues œcuméniques inutiles pour établir des contacts mutuels avec les Églises orthodoxes sœurs et surmonter les problèmes et désaccords interorthodoxes, le dialogue avec les non Orthodoxes n'ayant donné aucun résultat : "Quel résultat positif le dialogue avec les anglicans a-t-il apporté alors qu'ils creusent le fossé entre les Églises orthodoxe et anglicane en ce moment par la pratique de l'ordination des femmes, et aussi avec les catholiques romains qui utilisent largement le prosélytisme et continuent à faire des efforts incroyables pour nuire à l'Église orthodoxe ? En conclusion, il affirme que "le dialogue avec les non orthodoxes non seulement ne renforce pas nos liens, mais, inversement, il les sépare davantage des enseignements de l'Église orthodoxe".
Poursuivant sa lettre, le Patriarche souligne qu'en raison de toutes les raisons mentionnées, il "ne veut pas participer au dialogue avec les préchalcédoniens, suivant la voie de l'abolition des anathèmes que les Ve, VIe et VIIe conciles œcuméniques ont placés sur les monophysites Dioscore, Anthime de Trébizonde, Eutyches, Sévère, Pierre d'Apamée, et beaucoup d'autres - ceux que les préchalcédoniens considèrent aujourd'hui comme de "grands Pères" et de "saints hiérarques", et leurs opposants – les Pères et les saints hiérarques orthodoxes comme des hérétiques. "Nous nous posons la question, poursuit le Patriarche, comment pourrions-nous parvenir à un accord entre notre sainte Eglise orthodoxe et les préchalcédoniens ? Quelle communion y a-t-il entre la lumière et les ténèbres ? (2 Cor. 6:14). Pour devenir membres de notre Église, le Patriarche Diodore, croit  que les hérétiques doivent se repentir et accepter pleinement, et non partiellement, les décisions de tous les Conseils œcuméniques et locaux. D'ici là, l'Église Mère restera en dehors de ce dialogue et ne reconnaîtra aucune décision qui soit en conflit avec les décisions des saints Conciles œcuméniques et de la Sainte Tradition orthodoxe" (signée le 22 septembre 1992 à Jérusalem).
Cette position implacable du Patriarche Diodore conduisit à des conflits entre les deux anciens Patriarcats. Constantinople vit le Patriarcat de Jérusalem devenir le principal centre spirituel attirant les forces anti-œcuméniques. Les contacts fréquents de Jérusalem avec les adeptes de l'ancien calendrier et le soutien ouvert de Jérusalem aux paroisses d'Australie qui étaient en conflit avec leur archevêque Stylianos devinrent un problème particulier.

Le Concile de juillet 1993


Un portrait du Patriarche Diodore par Vasily Nesterenko
 Le point culminant de la confrontation entre les deux Patriarches fut un concile tenu à Istanbul les 30 et 31 juillet 1993, présidé par le Patriarche Bartholomée, avec le Patriarche Parthène d'Alexandrie, l'Archevêque grec Seraphim, un grand nombre d'évêques du Patriarcat de Constantinople (dont Iakovos d’Amérique et Stylianos d’Australie) et des représentants de l'Église Chypriote et de la diaspora grecque du monde entier.
Ce concile, que les défenseurs du Patriarche Diodore considèrent comme un "concile de brigands" et anti-canonique, réunissait les plus célèbres oecuménistes orthodoxes et, en fait, il fut convoqué dans le but de condamner le Patriarche Diodore et ses actions, que le Phanar considérait comme non canoniques. Le Patriarche de Jérusalem lui-même ne répondit pas  à l'invitation en disant que, selon les canons sacrés, seul un Concile œcuménique peut juger le Patriarche d'une Église locale.
Le Patriarche Diodore fut condamné sur de nombreux points, dont l'ingérence dans des affaires qui ne relèvent pas de sa juridiction, "l'activité des factions", un complot contre le patriarcat de Constantinople, et la communion eucharistique avec "les schismatiques et les hérétiques". Le concile décida de défroquer le Patriarche Diodore et deux de ses archevêques : "Le grand concile, visant à défendre l'unité et la paix dans l'Eglise, et aussi à restaurer l'autorité des saints canons qui ont été  violés d’une manière blasphématoire, a décidé à l'unanimité de suspendre temporairement le Patriarche Diodore de Jérusalem de ses positions, et ses proches les archevêques Timothée de Lydde et Hésychius de Capitolie qui, sans se repentir, continuent à tenter et à diviser le peuple grec en Grèce et au-delà de ses frontières.
Cependant, "pour le bien de la miséricorde et de l'amour de l'humanité", une réserve a été faite qui a retardé l'exécution de la décision : Le Patriarche avait jusqu'à la Nativité pour se repentir et changer sa position. Jusque-là, il était "suspendu". Et les responsables de toutes les Églises locales furent appelés à éviter tout contact avec lui.
La décision du Concile fut portée à l'attention des chefs de toutes les Églises orthodoxes, provoquant une réaction assez violente. Néanmoins, pas un seul Patriarcat n'exprima d'indignation officielle. Il y a eu une protestation du Mont Athos, bien que d'autres grands monastères se soient tus. Certains ont vu dans ces décisions la tendance papiste évidente du Patriarche de Constantinople, d'autres une tentative des œcuménistes de réprimer l'attitude anti-œcuménique du Patriarche Diodore qui avait commencé à entraver le processus d'unification avec les préchalcédoniens et les catholiques romains et à créer progressivement une coalition de traditionalistes contre le cours œcuménique du Phanar. En même temps, le cours œcuménique fut soutenu par le Patriarcat de Jérusalem lui-même : Suite à la décision du Concile de Constantinople de 1993, l'archevêque Damien du mont Sinaï cessa de commémorer le Patriarche Diodore.
En outre, le document du Concilecondamne clairement l'ingérence du Patriarche Diodore dans la juridiction du Patriarcat de Constantinople en Australie, dans lequel est clairement exprimé le désir du Phanar de garder sous son contrôle la diaspora grecque et la diaspora des autres peuples orthodoxes.
Pas un concile, mais un congrès.
Kyriakos Kiriazopoulos, professeur de droit canonique à l'Université de Thessalonique, souligne que ce qui s'est passé en juillet 1993 ne peut être appelé un concile : "Ce n'est qu'un congrès ou une réunion".
La composition de l'assemblée des Églises autocéphales de Constantinople était de langue grecque. Selon le professeur Kiriazopoulos, ce n'est certainement pas un hasard : le refus d'inviter des représentants des autres Églises locales à Istanbul était dû à "l'ethnophilie des organisateurs".

Le procès du Patriarche Diodore et des hiérarques du Patriarcat de Jérusalem s'est également déroulé avec des violations de procédure et non conformément à l'ordre établi par l'Église.
Dans le contexte de la plainte du Phanar contre Jérusalem concernant la fondation d'une représentation en Australie par cette dernière, il convient de noter qu'aucun Conseil œcuménique (ou panorthodoxe) n'établit le droit exclusif du Patriarcat de Constantinople de gérer la pastorale d’Australie. De plus, plusieurs Églises locales y ont leur diocèse - en particulier les Églises serbe, antiochienne, roumaine et russe à l'étranger.
Le Patriarcat de Constantinople a fondé son "droit exclusif" sur le territoire ecclésial d’ Australie sur le 28e canon du Quatrième Concile œcuménique, canon qui (du point de vue du Phanar) accorde au Patriarcat de Constantinople le droit sur la diaspora orthodoxe du le monde entier. Une telle lecture libre du 28e canon n'est toujours pas reconnue par beaucoup d'Églises locales.
Selon le professeur canoniste Kiriazopoulous, "les autres Églises locales n'ont pas été invitées par le Patriarcat de Constantinople à participer à l'assemblée parce que les Églises autocéphales non grecques ne reconnaissent pas la juridiction exclusive du Patriarcat de Constantinople sur la diaspora orthodoxe (Australie comprise), et pouvaient donc soutenir le Patriarche de Jérusalem.
De plus, il est évident que la véritable raison de l'excommunication du Patriarche Diodore, dont on se souvient toujours, n'est pas l'"invasion dans la juridiction de l'archidiocèse australien du Patriarcat de Constantinople", mais le désir de soumettre Jérusalem à cause de sa résistance à l'œcuménisme.
Le prototype du concile de juillet 1993 (suivi de plusieurs autres conciles similaires) était évidemment l'assemblée panorthodoxe de 1923. Malgré l'épithète "panorthodoxe", la majorité des Églises locales n'y ont pas participé non plus. Sous le patriarche Bartholomée, les congrès des Églises locales furent rebaptisés "conciles". Il est à noter que le fameux "Saint et Grand Concile de Crète", qui revendiquait également le statut "panorthodoxe", s'est tenu sans la participation des Églises locales représentant la majorité du monde orthodoxe.
Compromis. Les conciles de 1993 et 1994
Immédiatement après le Concile, le nom du Patriarche Diodore fut rayé des diptyques [2] de l'Église de Constantinople. Cependant, quelques mois plus tard, après être parvenu à un compromis, la communion fut rétablie, et les hiérarques de Jérusalem furent également "restaurés" dans leur dignité. Il est révélateur que cela s'est produit lors de rassemblements similaires des Églises de langue grecque - le deuxième le 14 décembre 1993 et le troisième le 21 avril 1994. Les deux réunions ont eu lieu avec la même composition à Istanbul.
Version française Claude Lopez-Ginisty
D’après


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