dimanche 27 janvier 2019

Dominique MAILHOT (Président de l'Association Orthodoxe de Toulon et du Var): Considérations sur l'aventure ukrainienne du Patriarche Bartholomée et sur ses conséquences.

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Je précise en préambule que je m'exprime ici en mon nom propre, en tant que simple paroissien et non pas au nom de l’association que je préside. Ces propos n’engagent que moi.

Face à ce qui se déroule entre Kiev, Istanbul et Moscou, il est de bon ton de préconiser la prudence, la mesure dans les propos, afin de ne pas jeter de l'huile sur le feu, car il convient d'abord et avant tout de sauvegarder « l'unité » de nos paroisses. On entend souvent que de toute façon ces histoires se déroulent très loin du sol français et donc ne nous concernent pas.

Est-ce- réellement une attitude orthodoxe que de taire les problèmes au nom d'une sacro-sainte « unité » ? Je considère que non, en m'appuyant pour cela sur ces mots énigmatiques prononcés par notre Seigneur :

Matthieu 10.34 : Ne croyez pas que je sois venu apporter la paix sur la terre; je ne suis pas venu apporter la paix, mais l'épée. Car je suis venu mettre la division entre l'homme et son père, entre la fille et sa mère, entre la belle-fille et sa belle-mère; …

Il me semble que Jésus dit ici qu'il est venu apporter au monde la vérité, et que cette vérité, loin d'unir les hommes, va les diviser entre ceux qui suivront son message et ceux qui s'en détourneront.

Inversement, il est facile de constater que l'unité n'a pas toujours une valeur positive car depuis toujours, Satan a le pouvoir d’unir les hommes dans la haine, le crime et sa dénégation. Quoi de plus unie que la foule demandant la mise à mort de Jésus ?

On peut donc affirmer que pour un chrétien, la vérité est toujours supérieure à l'union. Il faut bien évidemment ne pas rechercher la division, mais à condition de ne pas sacrifier la vérité. 

La vérité... ce mot répété des dizaines de fois par le Christ continue à faire scandale deux mille ans après. Quand on le prononce, nos contemporains, chrétiens ou non, auront bien souvent une réaction similaire à celle de Ponce Pilate :

Jean 18.37 Pilate lui dit: Tu es donc roi? Jésus répondit: Tu le dis, je suis roi. Je suis né et je suis venu dans le monde pour rendre témoignage à la vérité. Quiconque est de la vérité écoute ma voix. 38 Pilate lui dit: Qu'est-ce que la vérité?

Le relativisme de Ponce Pilate imprègne aujourd’hui fortement les esprits des occidentaux. Pour certains, cela remonte aux guerres de religion. Afin de mettre fin à ces conflits sanglants et interminables, nos sociétés ont trouvé cette solution simple : en supprimant la notion même de vérité, on supprime les causes de conflit. Toutefois, cette voie est celle de Ponce Pilate, et certainement pas celle de Jésus. Je pense même que l'orthodoxie est la voie qui a toujours choisi de ne jamais faire de compromis avec la vérité.

En tant qu’orthodoxes, nous nous devons de ne jamais abandonner cette notion de vérité, et mettre tout en œuvre pour la rechercher. Ceci n’est pas toujours simple mais les moyens de communication modernes nous facilitent grandement la tâche. Il convient pour cela de lire les sources directes (textes, témoignage, interviews...) et faire preuve d'un peu de bon sens.

Alors, qu’est-ce que la vérité dans l'affaire ukrainienne qui nous secoue aujourd'hui ?

La vérité est que les schismatiques dont le Patriarcat de Constantinople a levé l'anathème puis reconnu officiellement comme seule Église d'Ukraine sont des ultra nationalistes avant d'être orthodoxes.

Il suffit pour s'en convaincre d'écouter les discours de leur principal gourou :

Il ne faut pas croire que la population du Donbass est innocente de ces souffrances. Elle est coupable. Et elle rachètera sa faute par les souffrances par le sang. - Pseudo Patriarche Philarète[1]

Voilà des propos qui en France vaudraient à leur auteur une condamnation au titre de l'article 24 de la loi du 29 juillet 1881 : incitation à la haine.


On peut également regarder le genre d'icône qui sont représentées sur les murs de leurs églises :

Ces gens ignorent-ils que l'aigle à deux têtes est d'abord et avant tout l'emblème de l'empire Byzantin, et qu'à ce titre il a ensuite été repris par de nombreuses nations européennes ? Les divers symboles représentés sur les côtés sont quant à eux empruntés aux waffen SS par les bataillons de volontaires nationalistes, actifs dans le Donbass.




On peut enfin voir les images de la remise de ce fameux Tomos :


Celui qui tient le précieux sésame n'est autre que le président du parlement ukrainien, M. Andréi Parubyi. Voilà un intéressant personnage : gréco catholique, fondateur en 1991 du « parti national socialiste d'Ukraine », grand ami de notre Jean Marie Le Pen national...

Est-il nécessaire de continuer[2] ?

La vérité dans cette triste affaire est qu'un pouvoir corrompu instrumentalise la religion afin de relancer une popularité en berne :




A ce stade, j'entends déjà mes amis français reprendre en chœur:

« Tout cela est fort juste mais en quoi cela nous concerne-t-il ? ».

Et bien mes amis, cela nous concerne car comme ces nationalistes suscitent le rejet d'une bonne partie de la population, et des chrétiens véritables en particulier, très peu de paroisses se précipitent dans le kolkhoze religieux créé le 15 décembre par le président ukrainien.

Afin d'accélérer le mouvement, il a donc choisi de faire appel à des méthodes soviétiques bien connues : intimidation, violence, expropriation. Les députés ukrainiens ont déjà voté ni plus ni moins que le changement de nom de l'Eglise orthodoxe ukrainienne, contrainte de s'appeler « Eglise Russe en Ukraine ». Monsieur Porochenko proposera-t-il à son homologue français de changer le nom de l'Eglise Catholique en « Eglise Romaine en France » ?

Plus grave encore, le parlement s'apprête à débattre du fameux amendement 4128 à la loi sur la liberté religieuse. Cet amendement organise l'expropriation des églises orthodoxes, dont le changement d'affiliation pourra être voté par n'importe quelle assemblée composée de fidèles ou non.[3] Quelques églises ont déjà été expropriées de cette façon, et cette loi donnera un cadre légal à ces crimes, et ceci afin de « remplir les objectifs du plan de collectivisation » de l'Eglise orthodoxe ukrainienne.

« L’Ukraine a bien le droit d'avoir sa propre Eglise », me répondra alors le chœur de mes amis français.

Mais quelle est donc cette perversion de l'homme moderne qui lui fait croire que face à Dieu, il a « des droits » ? Nous n'avons que des devoirs, et en premier lieu de le servir de la meilleure des façons. Créer une église sur un territoire national peut effectivement être un bon moyen de le faire, à condition que ce soit organisé dans la paix et la conciliation, ce n'est évidemment pas le cas de l'Ukraine aujourd'hui. Qui peut croire qu'un gouvernement qui entretient depuis quatre ans une guerre civile absurde, et qui semble incapable de subvenir aux besoins les plus élémentaires de sa population puisse se charger de la fondation d'une institution aussi complexe qu'une Eglise[4] ?

« Tout cela est lamentable, mais nous ne pouvons rien y faire. En plus, nous sommes en France, dans un pays civilisé et donc étrangers à ce genre de dérives ».

A tous ceux qui pensent que la détention d’un passeport de la « patrie des droits de l’homme » suffit à les immuniser contre cette folie collective qui semble avoir saisi l'Ukraine, je souhaiterais préconiser la lecture du discours suivant :

Pourquoi des phalanges d’anciens fonctionnaires qui ont abjuré la patrie ; des légions de moines et de chanoines qui n’ont jamais rien fait d’utile au monde, et qui travaillent aujourd’hui dans les ténèbres à renverser l’édifice des lois , des cohortes d’abbés, prieurs et bénéficiers de toutes espèces, qui n’étaient auparavant remarquables que par leur afféterie, leur inutilité, leur intrigue, leur licence et qui le sont maintenant par un fanatisme affecté, par une fureur active, par des complots affreux, par une haine implacable contre la liberté d’autrui ? Pourquoi toute cette armée d’adversaires furibonds du bien public, et de contempteurs insolents de la majesté nationale, serait-elle stipendiée sur les fonds nationaux ?                       
Les prêtres ennemis des lois [...] appellent tous les malheurs contre la France. Ils l’investissent de malédictions. Ils lui suscitent des ennemis jusqu’aux extrémités de l’Europe ; ils fondent son numéraire au feu du fanatisme, et le font couler jusqu’à épuisement hors de son enceinte
 Il vaut mieux, sans doute, enrichir nos caisses pour salarier nos nombreux indigents, que de nous réduire à la détresse pour continuer des dons insensés aux plus furieux ennemis de la France et de la libération du genre humain. [5]

Ce discours n'a pas été prononcé à Kiev mais à Paris, à la tribune de l'assemblée législative le 26 octobre 1791. L'auteur de ces lignes terribles est un évêque, Claude Faucher. Lui-même a prêté serment au pouvoir révolutionnaire et adhéré à la nouvelle église organisée par la « constitution civile du clergé ». Il demande donc la suppression du versement de tout salaire à tous les prêtres qui eux ont refusé de le faire, afin de les affamer et les contraindre à rejoindre l’église révolutionnaire. Des centaines voire des milliers de ces prêtres dits « réfractaires » ont par la suite été victimes de la terreur révolutionnaire.

Que ce soit à la Bastille ou sur la place Maïdan le même engrenage infernal est donc à l’œuvre: révolution, guerre civile, ultranationalisme, persécution religieuse ...

Nous avons donc le devoir de prévenir nos frères ukrainiens que la voie dans laquelle leur pays est engagé n'a d'autre issue que la ruine et le déshonneur. La différence étant que la France, première puissance mondiale en 1788, a entraîné dans son naufrage l'Europe entière, alors que l'Ukraine sombre lentement dans l'indifférence générale. Tout juste ont-ils réussi à attirer Constantinople dans leur chute, ce qui n'est pas rien.

A ce stade, je voudrais réaffirmer qu'il n'est pas dans mon intention de jeter un quelconque anathème sur tout le peuple ukrainien. Bien au contraire, il est de notre devoir d'aider nos frères à sortir de cette impasse nationaliste.

Nous n'avons pas à condamner, mais à soutenir par nos prières et nos actions la part                                                                                                                                                        importante de la population ukrainienne qui subit en silence et n'adhère pas à cette politique criminelle. En premier lieu, les prêtres et les fidèles orthodoxes, qui s'apprêtent à vivre l'épreuve terrible de la persécution. Ils seront utilisés comme bouc émissaires, afin de renforcer le pouvoir actuel, selon le mécanisme admirablement décrit par le philosophe et anthropologue catholique René Girard.

Quant à ceux qui commettent ces crimes, il faut se tourner vers notre Seigneur qui a eu ces mots incroyables à l’attention de ses persécuteurs:

Luc 23:34 Père, pardonne-leur, car ils ne savent pas ce qu’ils font

Comme René Girard l'a démontré, je pense qu'il faut prendre cette phrase en son sens le plus littéral. Entraînés par un mouvement collectif de violence et de persécution, les hommes perdent leur capacité de jugement. C'est vrai pour les sans-culottes comme pour les révolutionnaires de la place Maidan.[6]

Il est toutefois plus difficile de nier la responsabilité des acteurs extérieurs cherchant à profiter de cette situation. On aurait souhaité que le Patriarche Bartholoméee                                                                                                                                                                                            œuvre pour apaiser les tensions dans ce pays meurtri mais force est de constater que ses actions ont conduit au contraire à ajouter un conflit religieux à la guerre civile.

Dieu sera son seul juge.

De toutes façon, il nous a congédié de la plus brutale des façon en supprimant notre exarchat donc il nous revient de rechercher nous-mêmes notre propre voie.

Finalement, nous devrions peut-être le remercier de nous avoir libéré de sa tutelle, devenue de fait insupportable pour bon nombre de paroissiens.

L'exarchat devrait donc logiquement rejoindre le Patriarcat de Moscou, compte tenu du fait que les circonstances qui l'ont amené à s'en séparer n'existent plus aujourd'hui. En outre, le patriarcat de Moscou semble offrir des conditions avantageuses, permettant de maintenir notre autonomie et nos traditions.

Malheureusement, ce qui devrait être une évolution naturelle est rendue difficile par les réflexes russophobes d'un certain nombre de nos frères et sœurs.

Il est évident que la Russie, pas plus qu'elle n'était hier le « paradis des travailleurs » n'est aujourd'hui devenue la cité de Dieu. Les problèmes sont immenses et chacun les connaît.

Toutefois, à tous ceux qui dès qu'ils entendent le mot « Russie » sortent leur revolver, je voudrais simplement rappeler les paroles de notre Seigneur :

Matthieu 7.1. Ne jugez point, afin que vous ne soyez point jugés.
2 Car on vous jugera du jugement dont vous jugez, et l’on vous mesurera avec la mesure dont vous mesurez.
3 Pourquoi vois-tu la paille qui est dans l’œil de ton frère, et n’aperçois-tu pas la poutre qui est dans ton œil?
4 Ou comment peux-tu dire à ton frère: Laisse-moi ôter une paille de ton œil, toi qui as une poutre dans le tien?
5 Hypocrite, ôte premièrement la poutre de ton œil, et alors tu verras comment ôter la paille de l’œil de ton frère.

Un chrétien orthodoxe peut-il réellement se réjouir des évolutions récentes de notre France bien aimée ? A l'heure où se construisent en Russie trois églises par jour, notre patrie s'est transformée en un désert spirituel où il sera bientôt interdit de mentionner les fêtes chrétiennes. Et que dire de notre politique étrangère... Autrefois protectrice des chrétiens d'Orient, la France est devenue le supplétif des anglo-saxons, et soutient financièrement et militairement des groupes terroristes, pudiquement appelés « rebelles » ou « combattants de la liberté » mais dont le seul objectif ne semble être que l'éradication du Christianisme, hier au Kosovo ou en Irak et aujourd'hui en Syrie. Dans ce même pays, la Russie, impuissante à l’époque pour sauver les chrétiens de Serbie, a résolument agi pour sauver ce qui pouvait l’être.

Pour toutes ces raisons, je souhaite donc notre exarchat retourne vers le patriarcat de Moscou et referme ainsi la parenthèse douloureuse ouverte par la révolution d’octobre.

Loin des russophobes, unissons-nous dans nos traditions franco-russes,

Loin des manipulateurs, unissons-nous dans la vérité,

Loin des persécuteurs, unissons-nous dans l'Eglise du Christ !


Dominique MAILHOT





[1]Enregistrement vidéo disponible ici :https://www.youtube.com/watch?v=97ocz4NgYQc. De nombreux autres dérapages de cet énergumène sont disponibles sur youtube.

[2]Il ne faut pas s'y tromper : la vraie nature du pouvoir ukrainien, mélange d'oligarques et d'ultra nationalistes est un secret de polichinelle. La complaisance des médias occidentaux envers ceux-ci durera tant qu'ils serviront les intérêts supposés de l'occident. En cas de retournement, ils rejoindront la liste de tous ceux qui sont passé du jour au lendemain de la case des « combattants de la liberté » à la case « dictateurs terroristes » : Saddam Hussein, Ben Laden, ...
[3]https://orthodoxie.com/une-premiere-loi-discriminatoire-a-legard-de-leglise-orthodoxe-dukraine-a-ete-votee-hier-par-le-parlement-ukrainien/ Il va de soi que toutes ces lois sont totalement contraires à la constitution ukrainienne, mais le pouvoir n’en a cure.
[4]J'ai pu constater lors de mes nombreux voyages en Ukraine, l'état lamentable des infrastructures : routes, ponts, réseaux de chauffage, centrales nucléaires... Mais il est malheureusement plus facile de manipuler la population que de développer ce pays.
[5]Le discours complet est disponible sur cette page :https://www.cairn.info/revue-parlements1-2010-3-page-165.htm
[6]Je vous invite sur ce sujet à visionner cette vidéo où un soldat ukrainien visite la ville de Donetsk après avoir été capturé : https://www.youtube.com/watch?v=IH9YhsHFu2E
Le témoignage édifiant de ce pauvre bougre donne des raisons d'espérer quant à la réconciliation future de la société ukrainienne.

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