samedi 19 mai 2018

Saint Jean Maximovitch: Le mot anathème et sa signification



Le mot grec "anathème" [ανάθημα] se compose de deux mots : "ana", qui est une préposition indiquant le mouvement vers le haut et "thema", qui signifie une partie séparée de quelque chose. Dans la terminologie militaire, "thema" signifiait un détachement ; dans le gouvernement civil, "thema" signifiait une province. Nous utilisons actuellement le mot "thème", dérivé de "thema", pour désigner un sujet spécifique d'une œuvre écrite et intellectuelle.

"Anathème" signifie littéralement l'élévation de quelque chose de séparé. Dans l'Ancien Testament, cette expression était utilisée à la fois par rapport à ce qui était aliéné par le péché et par rapport à ce qui était dédié à Dieu.

Dans le Nouveau Testament, ce qu'écrit l'Apôtre Paul, il est utilisé une seule fois en conjonction avec "maranatha", ce qui signifie la venue du Seigneur. La combinaison de ces mots signifie la séparation jusqu'à la venue du Seigneur ; en d'autres termes - être livré à Lui (1 Co 16:22).

L'apôtre Paul utilise "anathème" dans un autre lieu sans l'addition de "maranatha" (Gal 1,8-9). Ici, "anathème" est proclamé contre la déformation de l'Évangile du Christ tel qu'il a été prêché par l'Apôtre, quel qu'en soit l'auteur, qu'il s'agisse de l'Apôtre lui-même ou d'un ange du Ciel. Dans cette même expression, il y a aussi implicite : "Que le Seigneur lui-même juge", car qui d'autre peut juger les anges ?

Saint Jean le Théologien dans l'Apocalypse (22:3) dit que dans la Nouvelle Jérusalem il n'y aura pas d'anathème ; ceci peut être compris de deux manières, en donnant au mot anathème les deux significations : 1) il n'y aura pas d'élévation jusqu'au jugement de Dieu, car ce jugement a déjà été accompli ; 2) il n'y aura pas de dévouement spécial à Dieu, car toutes choses seront les choses saintes de Dieu, tout comme la lumière de Dieu éclaire tout le monde (Ap 21:23).

Dans les actes des Conciles et dans le cours ultérieur de l'Église du Nouveau Testament du Christ, le mot "anathème" en est venu à signifier la séparation complète de l'Église. "L'Église catholique et apostolique anathème," "qu'il soit anathème"; "qu'il soit anathème", signifie un retranchement complet de l'Église. Alors que dans les cas de "séparation de la communion de l'Église" et d'autres épitimies ou pénitences imposées à une personne, la personne restait membre de l'Église, même si sa participation à sa vie remplie de Grâce était limitée, ceux qui étaient livrés à l'anathème étaient ainsi complètement arrachés à Elle jusqu'à leur repentir. Réalisant qu'Elle (l'Eglise) est incapable de faire quoi que ce soit pour leur salut, vu leur entêtement et la dureté de leur cœur, l'Eglise terrestre les élève jusqu'au jugement de Dieu.

Ce jugement est miséricordieux pour les pécheurs repentants, mais redoutable pour les ennemis obstinés de Dieu. "C'est une chose effrayante de tomber entre les mains du Dieu vivant... car notre Dieu est un feu consumant" (Hébreux 10:31 ; 12:29).

L'anathème n'est pas la damnation finale : jusqu'à ce que la mort, la repentance est possible. L"Anatheme" n'est pas effrayant parce que l'Église ne souhaite pas le mal à quelqu'un d ou que Dieu cherche sa damnation. Ils désirent que tous soient sauvés. Mais il est effrayant de se tenir devant la présence de Dieu dans l'état de mal endurci : rien ne Lui est caché.

Version française Claude Lopez-Ginisty
d'après
Orthodox Life, 
Holy Trinity Monastery
Jordanville, N.Y.
vol. 27, mars-avril 1977, 
pp. 18-19.

Le courage et la lâcheté


Saint Ambroise de Milan

*


Le courage d'un petit nombre 
Est infiniment plus estimable 
Que la lâcheté de la multitude. 
*
Saint Ambroise de Milan 
(lettre 72)

* 

vendredi 18 mai 2018

Père Andrew Phillips: Trois types de clergé et leurs tentations (3/3-Fin)



Ceux qui sont détachés du monde

Tous les évêques et les prêtres ne doivent pas être du monde. Si nous prenons l'exemple du plus grand saint de la diaspora, saint Jean de Changhaï, nous savons qu'il n'était pas mondain, étant sans aucun attachement aux choses de ce monde. Une telle insouciance peut signifier pour les évêques qu'ils sont irréalistes ou incompétents - c'est pourquoi la plupart des moines ne peuvent être ni prêtres de paroisse, ni évêques. Toutefois, ce n'est pas toujours le cas. C'est parce que ceux qui ne sont pas du monde peuvent déléguer aux bonnes personnes, ce qui est vital. 

S'il s'agit de prêtres mariés, ils peuvent être soutenus par une bonne épouse. Beaucoup de prêtres qui ne sont pas mariés dans le monde dépendent ainsi de leur femme. Le fait de n'être pas du monde semble donc être essentiel et pourtant, la description d'un évêque ou d'un prêtre comme "n'étant pas de ce monde " peut être l'une des pires insultes. Pourquoi ?

C'est parce qu'il y a ceux qui prétendent faussement n'être pas du monde, ceux qui prétendent ne pas être de ce monde, les trompeurs. Ils se transforment en gourous, aux cheveux longs et à la barbe longue, imitant de vrais pasteurs. 

Nous avons vu leurs affectations, qui ne trompent que les novices ou les naïfs. En fait, ces personnes ne sont pas du tout sans attaches avec le monde, mais elles sont attachées à leurs propres personnes. Leur désir et leur capacité ne sont pas de gagner de l'argent ou du pouvoir, dans le sens d'obtenir le pouvoir de l'Église, mais de gagner du pouvoir sur les âmes humaines. 

Parfois, en utilisant le pouvoir de l'hypnotisme pour créer une dépendance envers eux-mêmes, de tels escrocs sont connus sous le nom de faux startsy. Manquant d'expérience spirituelle et donc de discernement, ils veulent contrôler [les âmes des fidèles] et, se trompant eux-mêmes, ils donnent des conseils qui induisent en erreur, ce qui mène à la catastrophe, à la perte de la foi, ou même au suicide.

Conclusion

Bien sûr, la séparation des tendances évoquées ci-dessus est très rare. En réalité, les meilleurs clercs ont des mélanges de ces trois qualités, étant de bons administrateurs, éduqués et non mondains, comme saint Jean. 

Seuls quelques-uns tombent dans les tentations qui excluent ces qualités. Néanmoins, il faut résister aux tentations. Nous avons vu trop de chutes.

Version française Claude Lopez-Ginisty
d'après
version italienne

jeudi 17 mai 2018

Père Andrew Phillips: Trois types de clergé et leurs tentations (2/3)



L'intellectuel

Chaque évêque et chaque prêtre doit être éduqué. Les Pères de l'Église étaient très instruits. En fait, on pourrait en un sens les appeler des intellectuels. 

Si nous prenons l'exemple du plus grand saint de la diaspora, saint Jean de Changhai, nous savons qu'il était bien éduqué et qu'il a écrit plusieurs ouvrages théologiques. Cependant, sa théologie, comme celle des Pères, a été inspirée par sa prière et non par son cerveau. 

Dans l'Église, le cerveau n'est qu'un outil utilisé pour exprimer le Saint-Esprit, il n'est pas une fin en soi. Il est embarrassant de rencontrer un évêque ou un prêtre qui n'a pas de connaissance de base de l'Église, des offices, de la vie des saints, des Pères et des Saintes Écritures. Cependant, la description d'un évêque ou d'un prêtre comme " juste un intellectuel " peut être l'une des pires insultes. Pourquoi ?

C'est parce que ceux qui se cantonnent à l'intellectualisme, en en faisant une fin en soi, sont inévitablement de mauvais pasteurs, meilleurs avec les livres qu'avec les gens. 

Si les évêques n'aiment pas leurs prêtres et leurs troupeaux, ils les insultent et les condamnent, refusant de passer du temps avec eux ; si les prêtres n'aiment pas leur troupeau, ils se moquent d'eux et les fuient. 

S'ils sont évêques, ils peuvent détruire l'Église, si on leur permet de le faire, en traitant leur troupeau comme une foule. 

Ils n'aiment pas écouter les confessions parce qu'ils n'aiment pas les gens. Beaucoup de ces fiers intellectuels, généralement très vaniteux jusqu'au narcissisme, sont poussés par une idéologie ou une pathologie privée ou bien les deux ; faire de l'Église une idéologie ou une pathologie est toujours fatal parce qu'il s'agit de cesser d'être pasteur, de cesser d'aimer les autres. C'est la mort spirituelle.

Version française Claude Lopez-Ginisty
d'après
version italienne


mercredi 16 mai 2018

Père Andrew Phillips: Trois types de clergé et leurs tentations (1/3)



Introduction

Au fil des décennies, nous nous rendons compte que nous avons rencontré plusieurs dizaines d'évêques orthodoxes et plusieurs centaines de prêtres orthodoxes, de générations et de nationalités différentes. Parmi eux, nous pouvons commencer à voir trois typologies différentes, trois tendances. Toutes ces choses sont bonnes en soi, mais toutes ont leurs tentations. Qu'est-ce que c'est ?

L'Administrateur

Tout évêque et tout prêtre doit, entre autres, être administrateur. Si nous prenons l'exemple du plus beau saint de la diaspora, saint Jean de Shanghai, nous savons qu'il était un bon administrateur (pas du tout un imbécile pour le Christ, comme certains l'ont imaginé), qu'il passait beaucoup de temps à répondre à des lettres presque tous les jours, à faire face à des difficultés financières et autres, notamment dans ses cathédrales de Shanghai et de San Francisco, et à des questions pastorales, à s'occuper de l'administration. Mais il ne s'est jamais limité à l'administration, devenant bureaucrate, oubliant l'être humain, laissant de côté d'autres qualités nécessaires, ce qui en fait une fin en soi. La description d'un évêque ou d'un prêtre comme " juste un administrateur " ou, dans le jargon d'aujourd'hui, " un gestionnaire efficace ", peut être l'une des pires insultes. Pourquoi ?

C'est parce qu'ils tombent inévitablement dans la double tentation de l'argent et du pouvoir. Ils deviennent fonctionnaires, comme tant de personnes nommées par l'État avant la Révolution en Russie et dans les Églises d'État aujourd'hui, en Grèce et en Roumanie. Leur allégeance est donc plus avec l'État qu'avec l'Église, avec ce monde, et non l'autre monde. Au pire, ceux qui aiment l'argent plus que Dieu deviennent des simoniacs et ceux qui aiment le pouvoir plus que Dieu s'allient à l'appareil d'État national local - comme le fameux "Patriarche de Kiev", Filaret, qui, en tant qu'espion communiste, s'est construit un palais et appelle aujourd'hui au génocide du peuple ukrainien. De tels mercenaires finissent par perdre leur foi, ne croyant en rien du tout - si jamais ils l'ont fait.

Version française Claude Lopez-Ginisty
d'après
version italienne

lundi 14 mai 2018

Jean-Claude Larchet: Recension: Guillaume Cuchet, « Comment notre monde a cessé d’être chrétien. Anatomie d’un effondrement »


Guillaume Cuchet, Comment notre monde a cessé d’être chrétien. Anatomie d’un effondrement, Éditions du Seuil, Paris, 2018, 276 p.
De nombreux auteurs ont constaté, depuis un demi-siècle, la décadence spectaculaire du catholicisme en France et plus largement en Europe et s’en sont inquiété : Louis Bouyer dans La décomposition du catholicisme (1968), Serge Bonnet, À hue et à dia. Les avatars du cléricalisme sous la VeRépublique (1973), Michel de Certeau et Jean-Marie Domenach, Le christianisme éclaté (1974), Paul Vigneron, Une histoire des crises du clergé français contemporain(1976), Jean Delumeau, Le christianisme va-t-il mourir ? (1977), Émile Poulat, L’Ère postchrétienne (1994), Mgr Simon, Vers une France païenne ?(1999), Denis Pelletier, La crise catholique (2002), Daniele Hervieu-Léger, Catholicisme, la fin d’un monde (2003), Yves-Marie Hilaire, Les Églises vont-elle disparaître ? (2004), Denis Pelletier, La crise catholique. Religion, société, politique en France (1965-1978) (2005), Emmanuel Todd et Hervé Le Bras, Le mystère français (2013), Yvon Tranvouez, La décomposition des chrétientés occidentales (2013).
Dans ce livre – qui détourne le titre du livre de Paul Veyne, Quand notre monde est devenu chrétien, mais pour annoncer l’inversion du processus dont il analysait les commencements – Guillaume Cuchet, professeur d’histoire contemporaine à l’Université de Paris-Est Créteil, spécialisé dans l'histoire du catholicisme, se propose de définir le moment où a commencé cette décadence et de déterminer les raisons de celle-ci. L’un des principaux outils scientifiques qu’il utilise est l’analyse statistique. L’un des critères objectifs qu’il considère, est le taux de pratique dominicale régulière, passée, dans la population française, de 27% en 1952 à 1,8% en 2017. On peut contester ce critère, car, soulignait un article récent de La Croix, on peut être catholique « pratiquant » en ayant d’autres engagements, et il est vrai qu’à défaut d’une telle pratique dominicale, une culture chrétienne peut subsister un certain temps, mais la perte de contact avec la vie liturgique ne peut que l’affaiblir progressivement et la conduire à sa disparition.
Le premier tiers du livre définit l’adhésion au catholicisme telle qu’elle ressort d’une masse de données statistiques établies par le clergé entre 1945 et 1965, et en particulier des statistiques soigneusement et régulièrement établies sur une période plus large (1880-1965) par le chanoine Boulard, sociologue et auteur de quatre volumes de Matériaux pour l’histoire religieuse du peuple français, XIXe-XXe siècle.
Selon G. Cuchet, c’est dans les années 60, plus précisément en 1965, que peut être datée la rupture qui a inauguré le processus de décadence du catholicisme en France. Cette rupture coïncide avec le concile Vatican II, ce qui est paradoxal, car ce concile était conçu, par ceux qui l’ont organisé, comme un aggiornamento devant vivifier le catholicisme confronté au monde moderne. Mais, souligne l’auteur qui a examiné diverses hypothèses, « on ne voit pas quel autre événement aurait pu engendrer une telle réaction. Par sa seule existence, dans la mesure où il rendait soudainement envisageable la réforme des anciennes normes, le concile a suffi à les ébranler, d’autant que la réforme liturgique qui concernait la partie la plus visible de la religion pour le grand nombre, a commencé à s’appliquer dès 1964. »
Dans la deuxième moitié de son livre, l’auteur analyse de manière précise les causes, liées au concile, de la rupture et du processus de décadence qui, globalement, continue de nos jours.
Le concile a engendré une perte de repères chez les fidèles. Le texte concilaire Dignitatis humanae, publié en 1965, sur la liberté religieuse, est apparu « comme une sorte d’autorisation officieuse à s’en remettre désormais à son propre jugement en matière de croyances, de comportements et de pratique, qui contrastait fortement avec le régime antérieur », ce qui suscitait chez le père Louis Bouyer cette remarque chagrine : « Chacun ne croit plus, ne pratique plus que ce qui lui chante. »
Dans le domaine de la piété, note Cruchet, des aspects de la réforme liturgique qui pouvaient paraître secondaires, mais qui ne l’étaient pas du tout sur le plan psychologique et anthropologique, comme l’abandon du latin, la communion dans la main, la relativisation des anciennes obligations, ont joué un rôle important. De même que les critiques de la communion solennelle qui se sont multipliées à partir de 1960 et surtout de 1965, ainsi que la nouvelle pastorale du baptême (à partir de 1966) et du mariage (en 1969-1970), qui avait tendance à hausser le niveau d’accès aux sacrements en exigeant des candidats davantage de préparation et d’investissement personnel.
Dans le domaine des croyances, c’est le fait même du changement de discours qui a compté. La variation de l’enseignement officiel rendait sceptiques les humbles, qui en déduisaient que, si l’institution s’était « trompée » hier en donnant pour immuable ce qui avait cessé de l’être, on ne pouvait pas être assuré qu’il n’en irait pas de même à l’avenir. Toute une série de« vérités » anciennes sont tombées brutalement dans l’oubli, comme si le clergé lui-même avait cessé d’y croire ou ne savait plus qu’en dire, après en avoir si longtemps parlé comme de quelque chose d’essentiel.
Un autre domaine dans lequel la conjoncture a pu déstabiliser les fidèles, note l’auteur, « est celui de l’image de l’Église, de sa structure hiérarchique et du sacerdoce. La “crise catholique” des années 1965-1978 fut d’abord une crise du clergé et des militants catholiques. L’abandon de la soutane (dès 1962) et de l’habit religieux, la politisation (à gauche) du clergé, les départs de prêtres, de religieux et de religieuses, parfois suivis de leur mariage, sont apparus à beaucoup comme une véritable “trahison des clercs”, sans équivalent depuis les “déprêtrisations” de la Révolution, qui a eu les mêmes effets déstabilisants. »
Par ailleurs, « le concile a ouvert la voie à ce qu’on pourrait appeler “une sortie collective de la pratique obligatoire sous peine de péché mortel”, laquelle occupait une place centrale dans l’ancien catholicisme. […] Cette ancienne culture de la pratique obligatoire s’exprimait principalement dans le domaine des “commandements de l’Église” que les enfants apprenaient par cœur au catéchisme et dont il convenait de vérifier, lors de l’ examen de conscience préparatoire à la confession, si on les avait bien respectés », et qui incluaient notamment le devoir de sanctifier les dimanches et jours de fêtes, de confesser ses péchés et de communier au moins une fois par an, de jeûner les vendredi, aux veilles de grandes fêtes et aux périodes carémiques dites des « Quatre Temps ». Toutes ces exigences ont été assouplies, au point de disparaître, sauf la communion qui devenait systématique et se faisait sans aucune préparation, la confession et le jeûne ayant pratiquement disparu. L’assouplissement du jeûne eucharistique s’était cependant accompli en plusieurs étapes préalables: en 1953, Pie XII avait décidé, tout en maintenant l’obligation du jeûne depuis minuit avant la communion, que la prise d’eau ne le romprait plus désormais; en 1957, le motu proprio Sacram communionem réduisait le jeûne à trois heures pour la nourriture solide et une heure pour les liquides ; en 1964, Paul VI décréta qu’il suffirait dorénavant d’une heure dans les deux cas, ce qui signifiant concrètement la disparition du jeûne eucharistique, puisqu’une heure est le temps de déplacement jusqu’à l’église et le temps de la messe qui précède la communion.
Pendant cette période conciliaire et post-conciliaire, « il est frappant, note l’auteur, de voir à quel point le clergé a désinstallé volontairement l’ancien système de normes qu’il s’était donné tant de mal à mettre en place », créant inévitablement dans le peuple le sentiment qu’on lui « changeait la religion », et provoquant, dans une partie de celui-ci, une impression de relativisme généralisé.
L’auteur consacre deux chapitres entiers à des causes de décadence qui lui paraissent fondamentales: la crise du sacrement de pénitence et la crise de la prédication des fins dernières.
1) Selon G. Cuchet, « la crise de la confession est un des aspects les plus révélateurs et les plus saisissants de la “crise catholique” des années 1965-1978. » « La chute de la confession constitue en soi un fait sociologique et spirituel majeur dont il est probable qu’historiens et sociologues n’ont pas pris toute la mesure. Rien moins, en somme, que la foudroyante mutation par abandon massif, en l’espace de quelques années seulement, d’une pratique qui a profondément façonné les mentalités catholiques dans la longue durée. » En 1952, 51% des adultes catholiques déclaraient se confesser au moins une fois par an (à Pâques comme il était d’obligation depuis le canon 21 du concile Latran IV de 1215); en 1974, ils n’étaient plus que 29%, et en 1983, 14%. Selon l’auteur, le point de rupture se situe vers 1965-1966, quand la confession a cessé d’être présentée comme le « sacrement de pénitence » pour être présentée comme le « sacrement de réconciliation ». Cela allait de pair:
— avec la fin de la « pratique obligatoire » déjà évoquée, et avec une dépénalisation de l’abstention de la pratique religieuse, considérée auparavant comme un péché parce qu’en rupture avec les commandements de l’Église présentés comme des devoirs impérieux dont il fallait s’acquitter;
— avec une perte du sens du péché dans la conscience de beaucoup de fidèles, mais aussi chez les clercs qui craignaient désormais d’évoquer cette notion, tout comme celle des fins dernières. L’auteur note à ce propos : « Le clergé a cessé assez brutalement de parler de tous ces sujets délicats, comme s’il avait arrêté d’y croire lui-même, en même temps que triomphait dans le discours une vision de Dieu de type rousseauiste : le « Dieu Amour » (et non plus seulement « d’amour ») des années 1960-1970. » « “Les curés ont goudronné la route du ciel”, résumait, au début des années 1970, une vieille paysanne bretonne dans un entretien avec le sociologue Fanch Élégoët. Jadis étroite et escarpée, c’était désormais une autoroute empruntée par tout le monde, ou presque. Moyennant quoi, s’il n’y avait plus de péché ni d’enfer, du moins de péché un peu sérieux susceptible de vous priver du ciel, l’utilité de la confession, dans sa définition traditionnelle, était effectivement moins évidente »;
— avec une déconnexion entre confession et communion. « Dans l’ancien système, on se confessait plus qu’on ne communiait et la confession était d’abord perçue comme une sorte de rituel de purification conditionnant l’accès à l’eucharistie ». Le développement de la communion fréquente, accompagné de la perte du sens du péché, et l’idée d’une partie du clergé, influencé par la psychanalyse, selon laquelle il fallait déculpabiliser les fidèles et les « libérer du confessionnal », a eu pour effet que les fidèles étaient désormais invités à communier sans avoir à se confesser. La communion s’est alors banalisée, tandis que la possibilité même de se confesser n’existait pratiquement plus, les confessions individuelles régulières étant remplacées, à partir de 1974, par des « cérémonies pénitentielles » célébrées une fois par an, avant Pâques ; dans ces rassemblements, les fidèles ne confessaient plus rien (l’auteur les qualifie de « formes de pénitence sans confession ») mais recevaient une absolution collective après avoir écouté un vague discours où la notion de péché était le plus souvent contournée. Et lorsque la possibilité de ses confesser subsistait dans certaines paroisses ou était par la suite restaurée, « les fidèles ne savaient plus très bien comment se confesser , ni même s’il était toujours utile de le faire ».
2) Le dernier chapitre est consacré à une cause de décadence qui paraît également fondamentale à l’auteur: la crise de la prédication des « fins dernières », l’auteur se demandant, dans le titre du chapitre, si cela ne signifie pas au fond « la fin du salut ». L’auteur note que dans les anciens catéchismes et les traités de théologie, une place importante était accordée à la mort, au jugement, et aux deux destinations finales de l’au-delà, l’enfer et le paradis. Inquiets, dès le mois de décembre 1966, de les voir disparaître de l’enseignement et de la prédication, les évêques de France, notaient: « Le péché originel […], ainsi que les fins dernières et le Jugement, sont des points de la doctrine catholique directement liés au salut en Jésus-Christ et dont la présentation aux fidèles fait effectivement difficulté à beaucoup de prêtres chargés de les enseigner. On se tait faute de savoir comment en parler. » Peu de temps avant, le cardinal Ottaviani, préfet de la Congrégation pour la doctrine de la foi, avait constaté que le péché originel avait à peu près totalement disparu de la prédication courante. G. Cuchet remarque qu’il ne s’agissait pas seulement d’un problème de présentation du dogme, d’ordre pastoral et pédagogique, mais qu’ « en réalité, il s’agissait bien d’un problème de foi et de doctrine, et d’un malaise partagé entre le clergé et les fidèles. Tout se passait en fait comme si, assez soudainement, au terme de tout un travail de préparation souterrain, des pans entiers de l’ancienne doctrine considérés jusque-là comme essentiels, tels le jugement, l’enfer, le purgatoire, le démon, étaient devenus incroyables pour les fidèles et impensables pour les théologiens. » L’auteur situe cette crise (bien qu’elle ait depuis un certain temps connu des signes avant-coureurs) dans les années 60, tout comme la crise de la confession, en remarquant qu’elle a un rapport étroit avec celle-ci : « L’effondrement de la pratique de la confession obéit à une chronologie identique, en particulier la quasi-disparition en quelques années, voire en quelques mois, du groupe si consistant autrefois de ceux qui se confessaient fréquemment. Le rapport est direct, s’il n’est pas exclusif, avec l’effacement de la notion de péché mortel (au sens de péché susceptible de vous valoir la damnation). » Mais cela avait aussi des incidences sur d’autres sacrement liés aux « fins dernières ». Dans le nouveau rituel du baptême, les exorcismes étaient considérablement réduits (car il ne paraissait pas souhaitable d’insister sur le rôle de Satan auquel une partie du clergé ne croyait plus et qui semblait appartenir à une mythologie dont il fallait libérer les fidèles jugés naïfs); il y avait aussi « une nette sourdine mise sur le péché originel, dont [le baptême] était censé délivrer pour assurer la vie éternelle ».
En ce qui concerne le baptême toujours, une autre réforme allait engendrer la désaffection de beaucoup de fidèles: à partir de décembre 1965, « une nouvelle pastorale du baptême, dont le souci prioritaire était jusque-là de faire baptiser les enfants le plus tôt possible, tend au contraire à en retarder l’échéance, de manière à impliquer davantage les parents dans la préparation ». Il faudrait ajouter qu’un certain nombre de clercs allaient jusqu’à décourager le baptême des enfants, au prétexte qu’il doit s’agir d’un acte libre, volontaire et pleinement conscient, et préconisaient d’attendre le moment de l’adolescence pour le proposer.
La conception même des conditions du salut s’est trouvée modifiée par tous ces facteurs. « L’ancienne ecclésiologie concentrique, avec ses cercles de probabilité décroissante du salut, n’était plus du tout de mise. Vatican II a été, de ce point de vue, le théâtre d’une sorte de nuit du 4 août dans l’au-delà qui a mis fin aux privilèges des catholiques quant au salut. Désormais, l’Église ne se concevrait plus que comme l’instrument d’un salut pour tous, sans discrimination ni privilège, même si les fidèles qu’on avait formés jusque-là dans une tout autre théologie risquaient de s’en trouver un peu déstabilisés et de s’interroger, dans ces conditions, sur les bénéfices réels de l’affiliation. »
Approchant de sa conclusion, l’auteur souligne encore les effets catastrophiques de la crise des années 60 sur la conscience dogmatique des fidèles, qui s’est en quelque sorte protestantisée: « La consécration de la liberté de conscience par le concile a souvent été interprétée dans l’Église, de manière imprévue au départ, comme une liberté nouvelle de la conscience catholique, l’autorisant implicitement à faire le tri dans les dogmes et les pratiques d’obligation. La notion même de dogme (comme croyance obligeant en conscience) est alors devenue problématique. Cette décision majeure du concile, couplée à la notion de “hiérarchie” des vérités, paraît avoir fonctionné dans l’esprit de beaucoup comme une sorte de dépénalisation officielle du “bricolage croyant” qui contrastait grandement avec le régime antérieur, où les vérités de la foi étaient à prendre en bloc et sans droit d’inventaire. Il était à prévoir que les plus désagréables d’entre elles, ou les plus contre-intuitives pour le sens commun, en feraient les frais, ce qui n’a pas manqué en effet de se produire. »
Quels que soient les facteurs externes qui aient pu jouer dans l’effondrement du catholicisme (la mentalité moderne, la pression sociale, etc…), les facteurs internes paraissent déterminants à l’auteur de ce livre.
Le catholicisme lui-même porte une lourde responsabilité dans la déchristianisation de la France (et plus largement de l’Europe, car une analyse faite pour d’autres pays aboutirait à des conclusion identiques). L’aggiornmento réalisé par le concile Vatican II qui se proposait d’affronter les défis du monde moderne, n’a fait que s’accommoder à celui-ci. Pensant l’attirer, il s’est mis à sa remorque. Voulant se faire entendre de son siècle, le catholicisme s’est sécularisé. Craignant d’affirmer son identité, il s’est relativisé, au point qu’un grand nombre de fidèles ne trouvaient plus en lui les repères auxquels il étaient habitués ou qu’ils attendaient, et ne voyaient plus l’intérêt d’aller chercher en lui ce que le monde leur offrait déjà de manière moins contournée.
Les autorités catholiques cherchent à minimiser l’effondrement que décrit ce livre par divers arguments (un grand nombre de français restent catholiques et font baptiser leurs enfants; la pratique religieuse se mesure à d’autres engagements que l’assistance à la messe; la qualité a remplacé la quantité, etc.). Mais elles peinent à convaincre. Jean-Paul II est souvent présenté comme ayant opéré un redressement par rapport aux excès qui ont suivi le concile Vatican II, mais on doit constater que la pratique dominicale est passée en France de 14% au moment de son élection à 5% au moment de son décès en 2005. S’il est vrai que des communautés vivantes existant dans les villes peuvent faire illusion (comme pouvaient faire illusion les rares églises ouvertes sous la période communiste dans les pays de l’Est, bondées en raison de la fermeture des autres), de même que les rassemblement spectaculaires de jeunes lors des JMJ, les campagnes françaises montrent la réalité d’une désertification dramatique: multiplication des églises désaffectées (c’est-à-dire ne servant plus concrètement de lieu de culte), prêtres ayant la charge de 20, voire 30 paroisses, célébrant chaque dimanche une messe « régionale » pour un petit groupe de fidèles en majorité âgés et venus parfois de plusieurs dizaines de kilomètres, disparition des enterrements célébrés par des prêtres faute de célébrants disponibles, absence de contacts entre les prêtres et les fidèles en raison de leur éloignement mutuel et de l’indisponibilité des premiers, plus occupés par des réunions que par les visites pastorales…
La triste évolution de l’Église catholique post-conciliaire telle qu’elle est décrite dans le livre de G. Cuchet, devrait servir de mise en garde aux prélats orthodoxes qui ont rêvé et rêvent encore de convoquer pour l’Église orthodoxe un « grand concile » semblable à celui par lequel l’Église catholique a voulu faire son aggiornamento, mais qui a eu comme principal effet de provoquer son délitement interne et l’hémorragie dramatique d’un grand nombre de ses fidèles.
Jean-Claude Larchet

dimanche 13 mai 2018

Père Barnabas Powell: Jésus nous enseigne à aimer toutes les races


Pour les chrétiens orthodoxes, l'Évangile de [...] dimanche [dernier] parle d'une Samaritaine qui va chercher de l'eau dans un puits. Là, elle rencontre le Christ, Qui lui offre l'Eau Vivante de l'Esprit.

Ce passage est lu pendant la saison pascale -- les 40 jours de Pâques à l'Ascension -- parce que Pâques était historiquement l'époque où les baptêmes étaient faits, de sorte que les nouveaux convertis venaient d'avoir leur propre rencontre personnelle avec le Christ dans les eaux curatives de ce mystère.

En plus de ce thème, je penserai à un autre quand il s'agit du dimanche de la Samaritaine : celui de l'animosité raciale et de la réconciliation.

Pour les Juifs tels que le Christ, les Samaritains étaient à bien des égards pires que les païens (le sentiment était certainement réciproque). Les autres peuples environnants étaient suffisamment différents pour être considérés comme incapables de mieux connaître la Loi, mais les Samaritains et leurs prétentions d'être les seuls et authentiques gardiens de la loi touchaient de très près les Juifs.

Rien ne nous ennuie et nous dérange autant que ceux qui sont si semblables à nous que leurs différences reflètent notre propre identité. Quand on est séparés, ce que vous faites vous concerne. Mais remplacez la séparation par l'intégration, et soudain je me vois reflété en vous, ce qui peut être inconfortable.

La conversion de la Samaritaine, et celle de son village, est donc plus que la conversion de quelques "étrangers" aléatoires. Elle offre un aperçu de la réconciliation - un processus où les différences ne sont pas abolies, mais où les divisions qui peuvent en résulter sont surmontées.

Révérend Moses Berry, 
Photo : monomakhos.com

C'est un message puissant et parfois perdu de l'Evangile. J'ai été récemment renouvelé en l'appréciant par une retraite à laquelle j'ai assisté présidée par le Révérend Moses Berry, un prêtre afro-américain de l'Église orthodoxe en Amérique.

Conférencier dynamique avec une incroyable histoire de conversion, Père Moses sert une paroisse qu'il a fondée sur les terres agricoles du Missouri que sa famille possède depuis 1871, peu de temps après avoir été libéré de l'esclavage. C'est là qu'il a également créé le Musée d'histoire afro-américaine d'Ozarks, composé en grande partie d'objets de famille, dont beaucoup lui appartiennent.

Le plus étonnant pour moi était la manille en fer, avec des boules et des chaînes, que son arrière-grand-père a été forcé de porter en tant qu'esclave en transit. À mon grand étonnement, en parlant de cet artefact, Père Moses l'a mis pour montrer comment il était porté.

Jamais dans ma vie l'impact du passé d'esclavagiste de l'Amérique n'est devenu aussi réel pour moi que lorsque j'ai vu un prêtre afro-américain orthodoxe, vêtu d'une tenue cléricale, enfiler les fers d'esclave de son ancêtre. Et jamais ma soif de réconciliation en Christ n'a été aussi forte.

Ce qui a aussi rendu la présentation de Père Moses percutante, c'est l'absence de condamnation ou de culpabilisation des gens de ma "couleur". C'était un frère qui parlait à ses autres frères en Christ.

Je prie pour Père Moses et son ministère, pour que Dieu élève les autres de sa communauté pour qu'ils deviennent membres du clergé dans son église. Et je prie qu'en Christ, nous ne fassions qu'un.


Version française Claude Lopez-Ginisty

d'après