C’est avec une profonde douleur que le Saint-Synode de l’Église orthodoxe russe a reçu la nouvelle des décisions prises par le Saint-Synode de l’Église orthodoxe de Constantinople, publiée le 11 octobre 2018 par le Patriarcat de Constantinople : sur la confirmation de l’intention « d’octoyer l’autocéphalie à l’Église ukrainienne » ; sur l’ouverture d’une « stavropégie » du Patriarcat de Constantinople à Kiev ; sur « le rétablissement dans leur rang épiscopal ou sacerdotal » des leaders du schisme ukrainien et de leurs partisans et « sur le retour de leurs fidèles dans la communion ecclésiale » ; sur « l’annulation des effets » de l’acte synodal du Patriarcat de Constantinople de 1686, concernant le transfert de la métropole de Kiev au Patriarcat de Moscou.
Ces décisions illégales, le Synode de l’Église constantinopolitaine les a prises unilatéralement, ignorant les appels de l’Église orthodoxe ukrainienne et du plérôme de l’Église orthodoxe russe, ainsi que ceux des Églises orthodoxes locales sœurs, de leurs primats et des hiérarques, à initier une discussion panorthodoxe du problème.
Le rétablissement dans la communion de l’Église de schismatiques et, d’autant plus, d’excommuniés, équivaut à la formation d’un schisme et est sévèrement condamné par les canons de la Sainte Église : « Si… quelqu’un des évêques, des presbytres, des diacres ou quiconque du clergé reste en communion avec les excommuniés, il doit être excommunié lui-même, parce qu’il bouleverse la discipline ecclésiastique » (2e canon du Concile d’Antioche ; canons apostoliques 10, 11).
La décision du Patriarcat de Constantinople sur le « rétablissement » du statut canonique et la réception dans la communion de l’ex-métropolite Philarète Denissenko, excommunié, ignore plusieurs décisions consécutives des Conciles épiscopaux de l’Église orthodoxe russe, dont la validité ne fait aucun doute.
Le métropolite Philarète (Denissenko) a été déposé et réduit à l’état laïcs par une décision du Concile épiscopal de l’Église orthodoxe ukrainienne de Kharkov, en date du 27 mai 1992, pour n’avoir pas tenu les serments jurés sur la croix et l’Évangile lors du précédent Concile épiscopal de l’Église orthodoxse russe.
Le Concile épiscopal de l’Église orthodoxe russe, par un décret du 11 juin 1992, a confirmé la décision du Concile de Kharkov, et déposé Philarète Denissenko, le privant de tous ses rangs ecclésiastiques selon les chefs d’accusation suivants : « Traitement cruel et hautain envers le clergé subordonné, autoritarisme et chantage (Tit 1, 7-8 ; canon apostolique 27) ; a introduit le scandale parmi les fidèles par sa conduite et sa vie privée (Mt 18, 7 ; 3e canon du Ier Concile œcuménique ; 5e canon du VIeConcile œcuménique) ; parjure (25e canon apostolique) ; calomnie publique et blasphème contre le Concile épiscopal (6e canon du IIe Concile œcuménique) ; célébrations de rites, y compris d’ordinations sacerdotales, en état d’interdiction (28e canon apostolique) ; formation d’un schisme dans l’Église (15ecanon du Concile de Prime-Second). » Toutes les ordinations célébrées par Philarète après sa réduction à l’état laïc, à compter du 27 mai 1992, ainsi que les pénitences qu’il a imposées, sont reconnues comme invalides.
Malgré les appels constants au repentir, après avoir été déchu de sa dignité archiépiscopale, Philarète Denissenko a poursuivi son activité schismatique, notamment sur le territoire d’autres Églises locales. Il a été frappé d’anathème par un décret du Concile épiscopal de l’Église orthodoxe russe de 1997.
Ces décisions ont été reconnues par toutes les Églises orthodoxes locales, y compris par l’Église constantinopolitaine. Le 26 août 1992, Sa Sainteté le patriarche Bartholomée de Constantinople a répondu à la lettre de Sa Sainteté le patriarche Alexis de Moscou et de toute la Russie annonçant la déposition du métropolite de Kiev Philarète : « Notre Sainte et Grande Église du Christ, reconnaissant la plénitude de la compétence exclusive de votre Sainte Église russe sur cette question, prend acte de la décision synodale au sujet du susnommé ».
Dans une lettre de Sa Sainteté le patriarche Bartholomée au patriarche Alexis, datée du 7 avril 1997, sur l’anathématisation de Philarète Denissenko, il est déclaré : « Ayant reçu l’avis de la décision susmentionnée, nous en avons informé la hiérarchie de notre trône œcuménique et l’avons prié de ne plus avoir désormais aucune communion ecclésiale avec les personnes susdites. »
A présent, après plus de deux décennies, le Patriarcat de Constantinople a modifié sa position pour des raisons politiques.
En décidant d’acquitter les leaders du schisme et de « légaliser » leur hiérarchie, le Saint-Synode de l’Église constantinopolitaine se réfère à des « privilèges canoniques du patriarche de Constantinople » inexistants, consistant à « recevoir les appels des hiérarques et des clercs de toutes les Églises autocéphales ». Ces prétentions, sous la forme sous laquelle elles sont exercées aujourd’hui par le patriarche de Constantinople, n’ont jamais eu le soutien du plérôme de l’Église orthodoxe : elles sont dépourvues de tout fondement dans les saints canons et les contredisent directement, notamment le 15e canon du Concile d’Antioche : « Lorsqu’un évêque a été accusé de diverses fautes et que tous les évêques de la province ont été unanimes à porter sur lui un jugement défavorable, il ne pourra plus se présenter devant un autre tribunal, mais la décision des évêques de la province restera irrévocable. » Elles sont aussi démenties par la pratique des décisions des Saints Conciles œcuméniques et locaux et par les commentaires des canonistes byzantins et modernes faisant autorités.
Ainsi, Jean Zonaras écrit : « [Le patriarche] de Constantinople est reconnu comme juge non pas sur tous les métropolites en général, mais uniquement sur ceux qui lui sont subordonnés. Ainsi ni les métropolites de Syrie, ni ceux de Palestine, de Phénicie, ni d’Égypte ne peuvent-ils être déférés en dépit de leur volonté devant son tribunal, mais les métropolites syriens dépendent du jugement du patriarche d’Antioche, ceux de Palestine du patriarche de Jérusalem, et ceux d’Égypte sont jugés par celui d’Alexandrie, par lesquels ils sont ordonnés et auxquels ils sont subordonnés. »
Le 116e (118e) canon du Concile de Carthage souligne l’impossibilité de recevoir dans la communion un individu condamné par une autre Église locale : « Quiconque privé de la communion… se rend en cachette au delà des mers pour y communier, recevra comme peine d’être déchu de la cléricature ». On retrouve la même idée dans la lettre canonique du Concile au pape Célestin : « Ceux qui, dans leur diocèse, sont déchus de la communion, qu’ils ne soient pas reçus dans la communion par ta sainteté… Quelles que soient les affaires commençées, elles doivent être achevées à leur place. »
Saint Nicodème l’Hagiorite, dans son « Pédalion », source du droit ecclésiastique faisant autorité pour l’Église de Constantinople, interprète le 9e canon du IV Concile œcuménique, rejetant l’erreur d’un droit de Constantinople à recevoir les appels des autres Églises : « Le primat de Constantinople n’a pas le droit d’agir dans les diocèses et dans les régions d’autres patriarches, et cette règle ne lui a pas donné le droit de recevoir les appellations sur quelque affaire que ce soit dans l’Église universelle… » Énumérant différents arguments pour étayer cette thèse, se référant à l’application des décisions des Conciles œcuméniques, saint Nicodème tire la conclusion suivante : « Aujourd’hui… le primat de Constantinople est le premier, le seul et le dernier juge sur les métropolites qui lui sont subordonnés, mais non pas sur ceux qui sont subordonnés à d’autres patriarches. Car, comme nous l’avons dit, le dernier et le juge commun à tous les patriarches, c’est le Concile œcuménique, et personne d’autre. » D’où il appert que le Synode de l’Église de Constantinople n’a canoniquement pas le droit d’annuler les sentences judiciaires rendues par le Concile épiscopal de l’Église orthodoxe russe.
S’approprier le pouvoir d’annuler des décisions, judiciaires ou autres, d’autres Églises orthodoxes locales, n’est qu’une des manifestations de la nouvelle fausse doctrine proclamée désormais par l’Église de Constantinople, attribuant au patriarche de Constantinople les droits d’un « premier sans égaux » (primus sine paribus) avec juridiction universelle. « Cette vision qu’a le Patriarcat de Constantinople de ses propres droits et pleins-pouvoirs entre en contradiction totale avec la tradition canonique multiséculaire sur laquelle est fondée l’existence de l’Église orthodoxe russe et celle des autres Églises locales » prévenait le Concile épiscopal de l’Église orthodoxe russe de 2008 dans sa définition « De l’unité de l’Église ». Dans le même document, le Concile appelait l’Église de Constantinople « à témoigner de la prudence jusqu’à l’analyse panorthodoxe des inovations énumérées, et à s’abstenir de démarches pouvant briser l’unité orthodoxe. Cela concerne particulièrement les tentatives de révision des frontières canoniques des Églises orthodoxes locales. »
L’acte de 1686, confirmant la translation de la métropole de Kiev dans la juridiction du Patriarcat de Moscou, signé par Sa Sainteté le patriarche Denis IV de Constantinople et par le Saint-Synode de l’Église constantinopolitaine, n’est pas sujet à révision. La décision de révoquer ce document est nulle. Dans le cas contraire, il serait possible d’annuler n’importe quel document délimitant le territoire canonique et déterminant le statut d’une Église locale, indépendamment de son ancienneté, de son autorité et de sa reconnaissance par la communauté ecclésiale.
Ni l’acte synodal de 1686, ni les autres documents l’accompagnant ne disent rien du caractère provisoire du transfert de la métropole de Kiev à la juridiction du Patriarcat de Moscou, ni non plus de la possibilité d’annuler cet acte. La tentative des hiérarques du Patriarcat de Constantinople de réviser cet acte plus de trois ans ans après son édition, parce que poursuivant des objectifs politiques et vénaux, est contraire à l’esprit des saints canons de l’Église orthodoxe, qui n’admettent pas la possibilité de réviser des frontières ecclésiales délimitées et qui n’ont pas été discutées pendant une longue période de temps. Ainsi, le canon 129 (133) du Concile de Carthage proclame : «Si quelqu’un (…) convertit une localité à l’unité catholique et la possède pendant trois ans sans réclamation de personne, on ne la lui réclamera désormais plus, à condition cependant, que dans ces trois ans il y eût un évêque qui devait la réclamer et n’en fit rien. » Quant au 17e canon du IVe Concile œcuménique, il établit un délai de trente ans pour réexaminer en concile des controverses d’appartenance, même celle de paroisses : « Les paroisses de campagne ou de village appartenant à une Église doivent rester sans changement aux évêques qui les possèdent, surtout s’ils les ont administrées sans conteste depuis trente ans. »
Comment est-il possible d’annuler des décisions qui ont été appliquées pendant trois cents ans ? Cela reviendrait à une tentative de considérer « comme nulle et non avenue » toute l’histoire consécutive de développement de la vie ecclésiale. Le Patriarcat de Constantinople semble ne pas remarquer que les frontières de la métropole de Kiev de 1686, dont il annonce maintenant le retour en son sein, différaient considérablement des frontières actuelles de l’Église orthodoxe ukrainienne, et n’englobaient qu’une petite partie de celle-ci. La métropole de Kiev d’aujourd’hui comporte en tant que telle la ville de Kiev et quelques districts autour. La plus grande partie des diocèses de l’Église orthodoxe ukrainienne, notamment à l’Est et au Sud du pays, a été fondée et s’est développée dans le cadre de l’Église russe autocéphale, étant le fruit de son travail missionnaire et pastoral. La manœuvre du Patriarcat de Constantinople aujourd’hui est une tentative de ravir ce qui ne lui a jamais appartenu.
L’acte de 1686 a mis fin à deux cents ans de division forcée dans l’histoire multiséculaire de l’Église russe qui, malgré les circonstances politiques changeantes, a toujours eu conscience de constituer un tout. Après la réunification de l’Église russe en 1686, et durant plus de trois cents ans, personne n’a jamais douté que les orthodoxes d’Ukraine faisaient partie des fidèles de l’Église russe, et non du Patriarcat de Constantinople. Aujourd’hui, malgré la pression de forces anticléricales, ces millions de croyants chérissent l’unité de l’Église de toute la Rus’ et lui sont fidèles.
La tentative du Patriarcat de Constantinople pour décider du destin de l’Église orthodoxe ukrainienne sans son accord, est un empiétement anticanonique sur des territoires ecclésiastiques étrangers. La règle canonique proclame : « Cette même règle sera aussi observée dans les autres diocèses et dans toutes les provinces, en sorte qu’aucun des évêques aimés de Dieu ne s’empare d’une autre province, qui ne fût déjà et dès le début sous son autorité ou sous celle de ses prédécesseurs; et s’il s’en était emparé et par force se la fût assujettie, il la rendra, afin que les canons des pères ne soient pas enfreints, ni que sous le prétexte d’actes sacrés ne s’insinue l’orgueil de la puissance mondaine et que sans nous en rendre compte nous perdions peu à peu la liberté, que nous a donnée par son propre Sang Jésus Christ notre Seigneur, le Libérateur de tous les hommes. » (IIIe Concile œcuménique, 8ecanon). La décision du Patriarcat de Constantinople d’ériger sa « stavropégie » à Kiev avec l’accord des autorités civiles, sans concertation ni accord avec la hiérarchie canonique de l’Église orthodoxe ukrainienne, tombe sous le coup de ce canon.
Se justifiant hypocritement par le désir de rétablir l’unité de l’Orthodoxie ukrainienne, le Patriarcat de Constantinople provoque une plus grande division par ses décisions inconsidérées et politiquement intéressées ; elles aggravent les souffrances de l’Église orthodoxe canonique d’Ukraine.
L’accueil dans la communion de schismatiques et d’une personne frappée d’anathème par une autre Église locale avec tous les « évêques » et les « clercs » qu’elle a ordonnés, l’impiétement sur des territoires canoniques étrangers, la tentative de renier ses propres décisions historiques et ses obligations, tout cela place le Patriarcat de Constantinople hors de l’espace canonique et, à notre grand regret, fait qu’il nous est impossible de demeurer en communion eucharistique avec ses hiérarques, son clergé et ses laïcs. Désormais, et jusqu’à ce que le Patriarcat de Constantinople désavoue ses décisions anticanoniques, il est impossible à tous les ministres de l’Église orthodoxe russe de concélébrer avec les clercs de l’Église constantinopolitaine, et aux laïcs de participer aux sacrements célébrés dans leurs églises.
Le transfert d’hiérarques ou de clercs d’une Église canonique à un groupe schismatique ou le partage de la communion eucharistique avec ces derniers est un crime canonique et entraîne les peines qui s’imposent le cas échéant.
Nous nous souvenons avec affliction de la prédiction de notre Seigneur Jésus Christ sur les temps d’épreuves, où les chrétiens auront tout particulièrement à souffrir : « Parce que l’iniquité se sera accrue, la charité du plus grand nombre se refroidira » (Mt 24, 12). Dans un contexte où les fondements des rapports interorthodoxes sont si profondément érodés, devant un mépris aussi total des normes du droit canon ecclésiastique, le Saint-Synode de l’Église orthodoxe russe estime de son devoir de se lever pour défendre les fondements de l’Orthodoxie, pour défendre la Sainte Tradition de l’Église, à laquelle on substitue des doctrines nouvelles et étrangères sur l’autorité universelle du premier des primats.
Nous appelons les primats et les Saints-Synodes des Églises orthodoxes locales à évaluer comme il se doit les actes anticanoniques susmentionnés du Patriarcat de Moscou et à chercher ensemble un moyen de sortir de la crise extrêmement grave qui déchire le corps de l’Église une, sainte, catholique et apostolique.
Nous exprimons notre soutien plein et entier à Sa Béatitude le métropolite Onuphre de Kiev et de toute l’Ukraine et au plérôme de l’Église orthodoxe ukrainienne en ces temps si difficiles pour elle. Nous prions pour que ses fidèles enfants soient fermes dans la défense courageuse de la vérité et de l’unité de l’Église canonique en Ukraine.
Nous demandons aux hiérarques, au clergé, aux moines et aux laïcs de toute l’Église orthodoxe russe de redoubler les prières pour nos frères et sœurs dans la foi en Ukraine. Que la protection de la Très-Sainte Reine des Cieux, des vénérables pères des Grottes de Kiev, de saint Job de Potchaïév, des nouveaux-martyrs, des confesseurs et de tous les saints de l’Églsie russe demeure sur nous tous.
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"Au cours de la séance du Saint-Synode de l’Église orthodoxe russe, le 15 octobre 2018, à Minsk, une déclaration a été adoptée, faisant suite aux empiétements du Patriarcat de Constantinople sur le territoire canonique de l’Église orthodoxe russe.
Les membres du Saint-Synode ont reconnu impossible de demeurer plus longtemps en communion eucharistique avec le Patriarcat de Constantinople.
La déclaration précise notamment : « L’accueil dans la communion des schismatiques et d’une personne frappée d’anathème par une autre Église locale avec tous les « évêques » et les « clercs » qu’elle a ordonnés, l’empiétement sur des territoires canoniques étrangers, la tentative de renier ses propres décisions historiques et ses obligations, tout cela place le Patriarcat de Constantinople en dehors des canons et, à notre grand regret, fait qu’il nous est impossible de poursuivre la communion eucharistique avec ses hiérarques, son clergé et ses laïcs. »
« Désormais et jusqu’à ce que le Patriarcat de Constantinople désavoue ses décisions anticanoniques, il est impossible à tous les ministres de l’Église orthodoxe russe de concélébrer avec les clercs de l’Église constantinopolitaine, et aux laïcs de participer aux sacrements célébrés dans leurs églises », est-il précisé dans le document."
Source: Orthodoxie.com
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