jeudi 18 janvier 2018

Sur orthodoxie.com/ « In Memoriam : père Placide Deseille » par le père Élie (Ragot)

Le 11 janvier dernier le père  l’archimandrite Élie, higoumène du monastère de la Transfiguration à Terrasson, a prononcé l’éloge funèbre du père Placide au nom de la communauté monastique de Simonos Petras lors des funérailles. Nous vous invitons à le lire ci-dessous :
« L’archimandrite Placide Deseille s’est donc endormi le 7 janvier 2018 dans sa 92ème année.
C’était pour lui et pour nous, le lendemain de la Théophanie, cette fête qu’il aimait par-dessus toutes, et donc le jour de la synaxe du Saint Précurseur et Baptiste Jean. Ce même jour mais selon l’Ancien calendrier julien en vigueur à la sainte Montagne de l’Athos se déroulaient les solennités de Noël. L’higoumène de notre monastère de Simonos Pétra était en train de célébrer l’office de commémoraison des défunts du monastère lorsque les moines reçurent le message leur annonçant le décès de père Placide. Ils purent ainsi nommer parmi ceux-ci le hiéromoine Placide de bienheureuse mémoire.
En 1966 le père Placide, alors moine cistercien, avait fondé un petit monastère de rite byzantin dans la forêt d’Aubazine, en Corrèze, avec l’aide de son compagnon de la toute première heure le père Séraphim. C’est là qu’en 1970 je suis revenu le rejoindre.
En 1977 nous entrions au monastère de Simonos Petra, sur la Sainte Montagne de l’Athos, en Grèce. Nous nous sommes attachés à l’Eglise orthodoxe puis devenus moines de cette communauté sous la direction spirituelle de l’archimandrite Aimilianos, faits hiéromoines (moines-prêtres) enfin avec la bénédiction de l’higoumène Aimilianos, renvoyés en France où nous allions fonder deux monastères sous la protection de Simonos Pétra (métochia): le 24 juin 1978 celui de la Transfiguration, à Martel, dans le Lot, où je devais préparer les lieux pour accueillir des moniales. Puis le 14 septembre de la même année, le monastère Saint Antoine le Grand, à Saint Laurent en Royans, dans la Drôme, où père Placide déplaçait avec père Séraphim leur fondation d’Aubazine où ils ne pouvaient plus rester. Le Monastère le la Transfiguration de Martel devrait déménager 13 ans plus tard à Terrasson-Lavilledieu où il se trouve toujours, alors que le Père Placide allait encore fonder une autre communauté monastique, féminine, à Saint Mémoire à côté de son monastère Saint- Antoine. Elle devrait elle aussi déménager à Solan, dans le Gard, où les sœurs gèrent un domaine viticole produisant du vin «bio» et militent activement pour la protection de la nature avec monsieur Pierre Rabhi.
Le père Placide a profondément marqué le monastère de la Transfiguration : par la formation et l’influence spirituelle qu’il a exercée sur moi pendant notre vie commune à Aubazine, mais aussi durant nos nombreux voyages d’alors dans les pays de tradition orthodoxes, et tout le temps de notre commune réflexion sur l’opportunité de choisir l’Orthodoxie, lors de notre séjour ensemble à la sainte Montagne de l’Athos en particulier.
Donc le père Placide s’en est allé vers le Père, mais sans nous quitter totalement : sa présence, comme celle de tous les défunts, continue, mais sous une autre forme qui n’est pas seulement dans notre souvenir, mais selon son corps spirituel, comme le dit Saint Paul dans sa seconde épître aux Corinthiens (4,14 ; 5,1-4).
Il me revient je crois, en tant que plus ancien compagnon de Père Placide avec le père Séraphim, de souligner trois ou quatre aspects particulièrement marquants de la personnalité de Géronda Placide. Ce ne peut être un bilan de sa vie ni de son œuvre ni de son rayonnement ; beaucoup d’autres mieux que moi sauront le faire et plus judicieusement.
C’est à la suite de la lecture de son premier livre «L’Evangile au désert» que j’ai eu la grâce providentielle de rencontrer le père Placide alors que je cherchais ma vocation. Ce n’est pas qu’une lapalissade de dire que tout ce que nous avons reçu de lui s’inscrit dans ce premier livre et dans sa dernière publication, le recueil d’un choix de ses homélies qui vient de paraître juste avant son trépas. Dans le premier, tout est déjà dit : à travers l’histoire du monachisme et de ses aléas il indique le fil directeur de la recherche de Dieu, les étapes et les principes de la vie spirituelle, les difficultés et les effets de la prière, le but de la vie chrétienne.
Dans sa dernière publication, il distille son enseignement au long des dimanches et des cycles festifs de l’année liturgique, il exhorte, encourage, montre la Voie, explique et commente les Ecritures selon l’interprétation des Pères, mais assimilées par son expérience personnelle et vécue idéalement dans la grande Tradition monastique universelle et ininterrompue.
Ainsi qu’il l’évoque dans sa courte autobiographie publiée récemment dans son ouvrage récent «De l’Orient à l’Occident, Orthodoxie et Catholicisme» (éd. des Syrtes, 2017) le père Placide était un homme de prière dès son enfance, prière qui selon lui se présente pour un moine sous deux formes : La prière communautaire qu’il a lui-même goûtée, chantée, ruminée et qui le nourrissait tant d’abord lors des offices cisterciens pendant la période qui précédait le concile catholique de Vatican II, puis dans les longs offices monastiques orthodoxes. Il en a gardé et développé l’amour tout au long de sa vie et a fait partager cet amour à beaucoup de ses enfants spirituels.
Quant à sa prière personnelle, il ne nous en a pas révélé les secrets intimes bien sûr. Mais ceux qui l’ont côtoyé savent à quel point elle était imprégnée des Psaumes et des hymnes de l’Eglise, hymnes unifiés, intégrés, personnalisés, intériorisés dans le silence de la Prière de Jésus et l’invocation du Nom, cette prière hésychaste que nous l’avons vu découvrir émerveillé.
Je me souviens de son enthousiasme quand, à la Sainte Montagne de l’Athos, Géronda Aimilianos nous montrait l’importance de la prière personnelle nocturne, ou lorsqu’il découvrait et traduisait quelque hymne acathiste ou autre paraclisis. Dès les années 60, il avait traduit l’admirable et riche acathiste du Buisson Ardent, du moine Daniel de Roumanie. A Aubazine, il nous les commentait en communauté ou dans la voiture lors de nos déplacements. Avec grande humilité il adoptait ces hymnes, et chaque verset, chaque expression, étaient l’occasion d’une large mais synthétique vision des Ecritures dont il nous révélait les «harmoniques» et les développements ou les implications dans la vie spirituelle et dans la perception de la «communion des saints» en Eglise. Par là, il nous initiait à entrer dans «les profondeurs du cœur» et à y trouver en la présence divine de Jésus tous les Membres de Son Corps. Par ces commentaires, il nous éduquait et nous invitait à la prière continuelle qu’il faisait sienne.
Le géronda Placide nous a aussi transmis sa sensibilité à la réalité profonde de l’Eglise, dison : au «Mystèr » de l’Eglise. Son charisme ne se manifestait pas en de grands développements de théologie spéculative – bien qu’il en eût été fort capable – mais il voyait, sentait et défendait l’expression de l’unité de l’Eglise – et sa condition – à travers l’unité de foi et l’unité sacramentelle. Il se raccrochait toujours à ce qui a été cru toujours et par tous, à ce qui a été universellement expérimenté dans la Liturgie et l’Office divin. Nous pouvons remarquer le souci qu’il a eu de nous transmettre le Psautier d’après la traduction des Septante et le soin qu’il a mis à traduire et à perfectionner inlassablement ces traductions, enrichies par les riches et multiples interprétations des Pères de l’Eglise.
Il faut relire l’introduction à sa traduction du Psautier et se reporter aux notes qui accompagnent des mots ou des expressions spécifiques, pour comprendre à quel point elles sont le fruit de sa propre manducation des Psaumes et des Ecritures qu’il nous transmet et nous révèle.
Après avoir évoqué sa vaste culture patristique, je voudrais aussi évoquer un autre aspect de notre père maintenant endormi : il avait une âme philocalique. N’avait-il pas projeté dans les années 70, de traduire en français et d’éditer avec l’aide de ses disciples la Philocalie ? Sa lecture des Pères et des grands spirituels n’était en rien de l’érudition, bien qu’il fut fin connaisseur, mais faisait de lui une authentique philocalie vivante. Elle l’amenait toujours à l’intime expérience de la vie spirituelle, c’est-à-dire de la vie en Dieu par la prière, l’ascèse et la contemplation, fruits de la foi, telle que les Pères neptiques la décrivent et vers laquelle ils nous orientent. C’est encore ce qu’il a voulu nous transmettre en mettant à notre portée par de fines et claires traductions «l’Echelle Sainte» de «Jean Climaque» et les «Discours ascétiques» d’Isaac le Syrien.
Alors qu’il était strict sur tous les points relatifs à la doctrine théologique et spirituelle de l’Eglise, le père Placide savait allier un sens profond de «l’économie» dans les conseils spirituels pour lesquels on le consultait, mais toujours au service de la recherche de Dieu.
En effet, tant pour lui-même que pour ceux qui se confiaient en lui, tout était au service non seulement d’une vie avec Dieu, mais d’une vie en Dieu. C’est ce qu’il nous montrait lorsque qu’il commentait le livre de Nicolas Cabasilas, «Ma vie en Christ». Peut être pourrions nous même dire que là résidait la raison profonde de sa conversion à l’Orthodoxie qui lui permettait de passer d’une vie avec Dieu et dans l’espérance, vivante dans la tradition latine et catholique, à une vie en Dieu à laquelle aspirent pour ici et maintenant les Orthodoxes – autant que leur faiblesse le leur permet – et que transmet consciemment leur Eglise.
Pour conclure mes propos, je voudrais encore ajouter que d’une certaine manière, père Placide a été un trait d’union entre l’Orient et l’Occident chrétiens. Il n’a jamais rien renié de l’Occident, mais il y a toujours recherché trouvé et exalté les racines orthodoxes présentes en Occident, y décelant jusqu’à aujourd’hui, et chez maintes personnes ce qui en est toujours vivace, nous invitant non seulement à les découvrir, mais à les développer et à les amener à leur transfiguration par l’expérience spirituelle et liturgique de l’Orthodoxie. C’est ainsi qu’il savait aider et conseiller de nombreux Catholiques attachés à leur tradition et ne souhaitant pas à en changer, par des lectures appropriées à leur tradition. Le père Placide servait toujours l’Eglise en révélant au monde occidental les richesses mystiques de la tradition spirituelle, théologique, littéraire, liturgique, artistique de l’Orthodoxie, et en montrant aussi au monde orthodoxe, souvent ignorant de ces choses depuis le Grand Schisme de 1054, les richesses de la grande Tradition latine et des ceux qui en vivent encore.
Avec l’aide de Dieu et l’intercession de père Placide, les membres des métochia, et les fidèles bénéficiaires du même héritage, vont poursuivre avec humilité la voie qu’il nous a montrée et qu’avait jadis bénie Géronda Aimilianos et maintenant encore son digne successeur Géronda Elisée.
Non, père Placide ne vous laisse pas, non il ne nous laisse pas orphelins, il demeure présent, mais autrement, et pas seulement à travers ses écrits ou nos souvenirs intimes ; c’est ce qu’ont ressenti beaucoup de ceux qui – nombreux – l’ont veillé filialement, avec foi, jour et nuit, avec les Psaumes et beaucoup de paix, depuis sont trépas jusqu’à ses funérailles.
Père Placide, merci!
Géronda, mémoire éternelle !
Archimandrite Elie »

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