samedi 2 septembre 2017

L'ANARCHISTE AVEC UNE CRETE VERTE Histoire de la guérison d'une âme sur la Sainte Montagne (1/2)


Cela s'est passé au monastère de Vatopaidi, alors que le staretz Joseph «le Jeune» y vivait encore. C'était fin novembre. Je remplissais alors l'obédience d'hôtelier. À l'époque, il y avait des conflits à l'Université polytechnique d'Athènes entre les étudiants et la police. Certains étudiants anarchistes voulurent se cacher des autorités et ils se déplacèrent vers le Mont Athos. L'un d'eux, anarchiste qui arborait une crête verte, avait un oncle qui était moine au monastère d'Esphigmenou. Ce jeune homme suggéra que tout le monde s'y rende pendant un certain temps.

Naturellement, ils n'avaient aucune permission pour visiter l'Athos. [1] Ils n'avaient même aucune idée de la façon dont ils y arriveraient. Ils essayèrent de voyager sur un navire mais ils furent expulsés. Ensuite, ils décidèrent d'y aller à pied.

Finalement, ils atteignirent Esphigmenou. Il faut dire que c'est un monastère très strict, et donc, lorsqu'ils virent ce groupe de jeunes avec des tempes rasés et des boucles d'oreilles dans leurs oreilles percées, ils les expulsèrent. Tenant à peine debout à cause de la fatigue, le soir, ils arrivèrent à Vatopaidi. Le portier s'était déjà préparé à fermer les portes du monastère quand il vit ces enfants. Naturellement, il fut aussi effrayé par leur apparence sauvage: vous ne verrez pas trop de gens de ce type sur le Mont Athos. Il fut obligé de parler d'eux à l'higoumène.

"Père, que dois-je faire avec eux? Dois-je les renvoyer? Mais où iront-ils? Où iront-ils passer la nuit? Après tout, tous les monastères se ferment à présent pour la nuit!

Le Père a répondu: «La Mère de Dieu nous les a amenés. Mettez-les seulement dans une seule pièce, et ne laissez pas les autres pèlerins les voir. Et surveillez-les.

J'étais l'hôtelier et je veillai à ce qu'ils soient installés dans leur chambre. Pour moi, ils semblaient effrayés, surpris par la situation qui les entourait, et épuisés de leurs nombreuses heures de marche. Lorsque les étudiants se furent un peu reposés, ils furent emmenés au réfectoire pour reprendre quelque force. Les moines parlèrent avec eux pendant un court moment et ils dirent qu'ils devaient partir le lendemain, car le monastère ne recevait les pèlerins que pour une nuit. L'higoumène a dit aux jeunes hommes que Dieu est amour, et que peu importe ce qu'ils avaient fait dans leur vie, ils pouvaient encore se repentir.

Le lendemain, celui avec la crête verte m'a dit: "Père, j'aimerais rester ici un autre jour. C'est possible?"

Les autres ne voulaient pas rester. J'ai demandé à l'higoumène une bénédiction et il a permis au jeune homme de rester un autre jour, mais il était censé mettre un chapeau afin que les pères et les pèlerins ne soient pas scandalisés par son apparence.

Pierre, cet étudiant aux yeux verts se nommait ainsi, est resté deux jours, puis un troisième. Un jour pendant les services du soir, j'ai entendu pleurer fort dans le narthex de l'église, même pas pleurer mais une lamentation. Je suis allé découvrir ce qui se passait et j'ai vu Pierre dans le narthex, pleurant à genoux.

Je me suis approché de lui et j'ai demandé ce qui s'était passé. Je pensais que quelqu'un l'avait blessé.

"Non, rien ne s'est passé," a-t-il répondu. "Père, je veux parler avec toi". 

Après la fin des Vêpres, nous avons quitté l'église.

"Père, le salut est-il possible aussi pour moi?"

"Pierre, il est possible que tous soient sauvés. Le larron sur la croix s'est repenti et le Christ l'a sauvé.

Alors Pierre s'est ouvert à moi. Il m'a dit que sa famille s'était séparée; Son père battait sa mère, et c'était vraiment pénible pour Pierre de voir cela. À l'âge de douze ans, il quittas son domicile, vécut dans les rues du quartier de l'Exarchia, fut embrigadé par les anarchistes, commença à prendre de la drogue et tomba dans toutes sortes d'autres péchés graves. Sa vie n'était qu'un long stress.

En dépit de tout cela, l'âme du jeune homme était belle.

Frères, je vous dis cela afin que nous ne nous détournions pas du pire pécheur! Parce que le Seigneur "rassemble" vers Lui ceux dont nous nous détournons. Nous faisons une grande erreur lorsque nous nous nous considérons comme meilleurs qu'eux. Le staretz Païssios a déclaré que, au Jugement Dernier, nous serons tous très surpris, parce que ceux que nous prévoyons voir dans le paradis n'y seront pas trouvés, et ceux dont nous n'avions aucune idée de voir là-bas, nous les verrons dans le Royaume des cieux. Que cela ne nous arrive pas! Nous souhaitons que tous soient sauvés et espérons que grâce à l'amour du Christ, nous serons sauvés.


Version française Claude Lopez-Ginisty
d'après

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NOTE:
[1] Les visiteurs du Mont Athos doit d'abord recevoir l'autorisation officielle de l'administration monastique de la Sainte Montagne avant leur arrivée.

vendredi 1 septembre 2017

Saint Jean de Kronstadt: Préparation pour la confession




Méditation pour ceux qui s'apprêtent à se tenir devant le Créateur et la communauté de l'Église devant le mystère imposant de la sainte confession, à qui est ainsi donné le renouvellement d'un second baptême.

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Moi, âme pécheresse, je confesse à Dieu Notre Seigneur et Sauveur Jésus-Christ, tous les actes mauvais que j'ai faits, dits ou pensés depuis le baptême, jusques à ce jour.

Je n'ai pas gardé les vœux de mon baptême, mais je me suis rendu indésirable devant la Face de Dieu.

J'ai péché devant le Seigneur par manque de foi et par des doutes concernant la foi orthodoxe et la Sainte Eglise, par l'ingratitude pour tous les dons importants et continuels de Dieu ; j’ai péché malgré Sa patience et à Sa providence pour moi, pécheur, par manque d'amour pour le Seigneur, ainsi que par la crainte, par le fait de n’avoir pas accompli les saints commandements de Dieu et les canons et règles de l'Église.

Je n'ai pas gardé l’amour de Dieu et de mon prochain et je n'ai pas fait assez d'efforts, à cause de ma paresse et de ma négligence, pour apprendre les Commandements de Dieu et les préceptes des Saints Pères. J'ai péché en ne priant pas le matin et le soir et au cours de la journée, en n’assistant pas aux offices, ou en ne venant à l'église qu’à contrecœur.

J'ai péché en jugeant les membres du clergé. J'ai péché en ne respectant pas les Fêtes, en rompant le jeûne, et par ma démesure dans l’absorption de nourriture et de boisson.

J'ai péché par orgueil, par désobéissance, par entêtement, par autosatisfaction, et par la recherche de l'approbation et de la louange.

J'ai péché par incrédulité, par manque de foi, par doutes, par désespoir, par découragement, par des pensées de violence, par le blasphème et les jurons.

J'ai péché par fierté, par une haute opinion de moi-même, par le narcissisme, par la vanité, par la suffisance, par l'envie, par l'amour de la louange, l'amour des honneurs et par la prétention.

J'ai péché en jugeant, par la médisance, par la colère, en me souvenant des offenses, par la haine et en rendant le mal pour le mal, par la calomnie, les reproches, le mensonge, la ruse, la tromperie et l'hypocrisie, par les préjugés, la controverse, l'entêtement et la réticence à céder à mon prochain, par jubilation, méchanceté, railleries, insultes et moqueries, par les commérages, en parlant trop et en parlant pour ne rien dire.

J'ai péché par le rire inutile et excessif, par les injures et le retour à mes péchés antérieurs, par un comportement arrogant, par l'insolence et le manque de respect.

J'ai péché en ne tenant pas mes passions physiques et spirituelles en échec, par ma jouissance des pensées impures, par la licence et l'impudicité en pensées, en paroles et en actes.

J'ai péché par manque d'endurance dans mes maladies et mes douleurs, par une dévotion aux commodités de la vie et en étant trop attaché à mes parents, mes enfants, mes parents et mes amis.

J'ai péché par le durcissement mon cœur, par une volonté faible et, en ne me forçant pas à faire le bien.

J'ai péché par avarice, par amour de l'argent, par l'acquisition des choses inutiles et par l'attachement immodéré aux choses.

J'ai péché par l'auto-justification, un mépris pour les avertissements de ma conscience et en ne confessant pas mes péchés par négligence ou par fausse fierté.

J'ai péché à plusieurs reprises par ma confession: en rabaissant, en justifiant et en gardant le silence sur mes péchés.

J'ai péché contre les Très Saints et Vivifiants Mystères du Corps et du Sang de notre Seigneur, en venant à la Sainte Communion sans humilité ou sans crainte de Dieu.

J'ai péché en acte, en parole et en pensée, sciemment ou inconsciemment, volontairement et involontairement, de manière réfléchie et sans réfléchir, et il m’est impossible d'énumérer tous mes péchés à cause de leur multitude. Mais je me repens vraiment de ces péchés et tous ceux que je n’ai pas mentionnés à cause de mon oubli, et je demande qu'ils soient pardonnés en vertu de l'abondance de la Miséricorde de Dieu.

Version française Claude Lopez-Ginisty

Photo:



jeudi 31 août 2017

La perte de la foi (R)



Nous ne perdons pas la foi en un seul jour, mais progressivement.


Peut-être oublions-nous de garder notre règle de prière du matin pendant un jour ou deux. Soudain, une semaine s'est écoulée, pendant laquelle nous ne sommes pas allés devant les icônes dans notre coin de prière.

Puis les semaines deviennent des mois, et finalement des années.

Frank Schaeffer
Letters to Father Aristotle
A Journey through Contemporary American Orthodoxy
Regina Press
1995
*
Version française Claude Lopez-Ginisty

mercredi 30 août 2017

Les Pères Roumains: Hiéromoine Païsie (Olaru) du Monastère de Sihla


Fr. Paisie Olaru - Romania (5)

Le Père Païsie naquit le 20 juin 1897 à Stroienesti en Roumanie. Ses parents avaient cinq enfants dont il était le plus jeune. A l'âge de 24 ans, il devint moine dans la skite de Cozancea. Il fut ordonné hiérodiacre en 1943 et hiéromoine (prêtre-moine) en 1947.

Un jour, une femme chrétienne et sa petite fille de 4 ans rendirent visite à Père Païsie. Elles étaient de Humulesti et en ce temps-là, le Père était au monastère de Sihla. Après l'avoir confessée, il bénit sa fille et lui dit: " Que Dieu et Sa Sainte Mère te bénissent, car tu seras moniale!" Douze années plus tard, la jeune fille entra dans la vie monastique, devenant l'épouse du Christ.

Un disciple de Père Païsie lui demanda un jour." Combien de fois devons-nous prier la Prière de Jésus et faire le signe de croix?" Et le staretz répondit: " Je prie une centaine de fois en disant Seigneur Jésus-Christ, aie pitié de moi pécheur!, une centaine de fois Très Sainte Mère de Dieu aie pitié de nous!, une centaine de fois Saint Père Théophore Païsios, prie Dieu pour moi!, une centaine de fois Saint Hiérarque Spyridon, prie Dieu pour moi!, et une centaine de fois Sainte Véronique, prie Jésus , le Sauveur, pour moi le pécheur! Et je continue à les répéter sans cesse depuis le début. Alors, il arrive quelquefois que quelqu'un entre, ou que je dise une petite prière pour un malade, ou que je confesse un moine, ou que j'écoute les offices divins, ou que je pleure, ou que je dorme un peu et il en est ainsi jusqu'à ce que le Seigneur vienne à nous...

Dans les dernières années de sa vie, quand il avait plus de 90 ans, il gisait dans son lit, une jambe cassée, ayant perdu la vue des deux yeux à cause de la cataracte, et il était sourd. Quand il ne se sentait pas bien ou bien qu'il éprouvait une douleur, il priait et pleurait, se disant à lui-même."J'ai à nouveau agacé Dieu!" Puis, il avait l'habitude de crier d'une voix douce: "Pardonne-moi, mon Seigneur, parce que je t'ai terriblement agacé; Mère de Dieu, aide-moi car je n'ai aucun pouvoir! Où irais-je? Je t'attends, Aie pitié de moi Jésus! Je pleure et je t'attends!"

Son disciple voyant la douleur de son Père spirituel, pleurait aussi de compassion pour lui. Mais le Père ne savait pas qu'il était dans la cellule avec lui. Son visage s'illuminait alors à nouveau et il se signait trois fois, essuyait ses larmes avec une serviette et continuait à prier secrètement la prière du cœur, remuant doucement sa tête sur ses oreillers.

Père Païsie avait le saint don de guérir les gens et d'apporter la paix dans les âmes des gens blessés par le péché. Ses enseignements étaient simples et sages, évangéliques et pratiques. Il parlait peu, mais avec une sainte sagesse.

Père Païsie, prie Dieu pour nous!

Version française Claude Lopez-Ginisty
d'après
Orthodox Photos

mardi 29 août 2017

LORSQUE NOUS FAISONS NOUS-MÊMES QUE NOTRE SEL S’AFFADISSE Interview de Bernard Le Caro à l’hebdomadaire serbe PEČAT (21 et 28.7.2017)

Bernard Le Caro

Questions posées par Biljana Živković

1. Vous êtes orthodoxe, français, vous parlez plusieurs langues dont le serbe, le russe et le grec... Qu’est-ce qui vous a motivé à entrer dans le monde de l’Orthodoxie ?

Il est vrai que je suis orthodoxe, plutôt que je m’efforce de l’être, ce qui ne m’empêche d’être aussi français, attaché à la culture française dans ce qu’elle a d’authentique, orthodoxe, et à mon histoire. En outre, l’histoire de France est liée à celle de la Serbie, notamment pendant la première guerre mondiale. Mon grand-oncle, Louis Voise, est mort à l’âge de dix-sept ans sur le front de Salonique. Pour ce qui concerne ma connaissance des langues, particulièrement le russe, le serbe et le grec, elle est due à la raison suivante : je voulais avoir un contact direct avec la littérature et les peuples des pays orthodoxes, y étant encouragé par deux personnalités spirituelles du siècle passé : l’higoumène russe Théodora, du couvent de Lesna en France, et l’évêque Danilo Krstić, en Serbie. Maintenant, quelles étaient mes motivations pour devenir orthodoxe ? Il pourrait paraître bizarre, incongru, qu’un occidental, en 1965, se soit intéressé à l’Orthodoxie. La quasi-totalité des Églises orthodoxes se trouvaient derrière le rideau de fer. Quant à l’Église orthodoxe en Occident, elle était très divisée. Il y avait, et il y a toujours, notre faiblesse humaine. Comme le dit l’apôtre Paul “nous portons ce trésor dans des vases d’argile”. Toutefois, j’étais étonné par la vitalité dans de telles conditions, de l’Église orthodoxe. Des émigrés russes, dans une quasi-misère, dans leurs églises barraques, faisaient rayonner la Lumière du Christ. Comme le dit l’apôtre “ils n’avaient rien, mais possédaient tout”. Cette vitalité de l’Orthodoxie est fascinante : regardez ce qui se passe en Russie maintenant, après cent ans d’un athéisme militant, l’Église renaît de ses cendres et comment ! En France, deux siècles après, on ne ne s’est toujours pas remis de la Révolution. Quant à l’Église romaine, à quelques exceptions près, elle n’a pas canonisé ses nombreux martyrs de la révolution française, ni le roi Louis XVI, alors qu’elle canonise tous ses papes. L’Église orthodoxe russe, quant à elle, canonise ses martyrs, dont la Famille impériale. Il est difficile de ne pas être ému lorsque l’on voit les dizaines de milliers de fidèles parcourir une distance de vingt kilomètres à pied à Ekaterinbourg après la Liturgie le 17 juilllet, jour de l’assassinat de la Famille impériale. C’est impensable en France et dans le monde occidental en général. Pour revenir aux valeurs spirituelles que chérit l’Orthodoxie, je citerai encore le père Justin : “Si l’on voulait résumer l’Evangile du Christ, ce serait la prière et le jeûne”. C’est précisément ce que l’on trouve dans l’Orthodoxie. Comme le disait un saint moine libanais du Mont Athos, le père Isaac, “l’Orthodoxie a l’ascèse dans le sang”. Et bien sûr et avant tout, sa vie liturgique. C’est si je puis dire sa “façon de vivre”. C’est ce qui m’a attiré dès le début vers l’Orthodoxie.

2. Vous avez connu le père Justin. Quelles valeurs le différencient d’autres personnalités spirituelles ?

Ma première rencontre avec Père Justin a eu lieu en 1968. Je visitais alors les monastères de Serbie et, à Decani, le moine Irénée (maintenant évêque de Bačka) m’a fortement recommandé d’aller voir le père Justin. Ce qui m’a frappé d’emblée dans l’enseignement du saint était sa référence constante au dogme du concile de Chalcédoine : Jésus-Christ est vrai Dieu et vrai homme : le Dieu-homme. Naturellement, il n’a rien inventé, mais cette référence était bien plus forte que chez tous les autres spirituels de son époque. Si l’on parle maintenant de la première impression que dégageait sa personne, c’était sa profonde humilité et son côté “direct”. Il avait la même conduite envers tout le monde, tant des éminents professeurs que des paysans. Un autre trait de sa personnalité était son côté “direct” : Sans me connaître, il n’a pas hésité de me parler de la véritable situation de l’Église en Serbie sous le pouvoir titiste... Il faut ajouter aussi et c’est extrêmement important, qu’il vivait avec toute l’Église, c’était un homme universel (mais pas cosmopolite !). Tout en étant profondément serbe, tous les orthodoxes l’intéressaient, Grecs, Russes, Roumains, voire même Africains... Pour finir, je dirais que malgré toutes les difficultés de l’époque, le père Justin rayonnait. Nous n’étions que quelques personnes dans son église et pourtant avec le temps, son message circulait de plus en plus. Comme le disait à son sujet le père Čedomir Ostojić, dont je parlerai tout-à-l’heure : “Rien ne peut empêcher la lumière du Christ de briller”. Si l’on veut résumer son oeuvre, je dirais qu’il fut la conscience de l’Eglise orthodoxe serbe de l’époque. Mais il n’a pas parlé uniquement à ses contemporains mais aussi aux futures générations, donc à la nôtre.

3. A quel point les enfants spirituels du père Justin Popovic sont-ils restés fidèle à l’Abba ? Certains d’entre eux sont à la tête de l’Église orthodoxe serbe et affirment qu’ils sont en accord avec l’œcuménisme, ils se prononcent pour la collaboration étroite avec l’Église catholique-romaine, voire même pour les offices communs des clercs des deux Églises. Abba Justin, pourtant, avait une position claire à ce sujet !

N’appartenant pas à l’Église orthodoxe serbe, il m’est difficile de commenter ce qui s’y passe actuellement. Je ne peux dire qu’une seule chose : le père Justin était définitivement et sans réserve opposé à l’œcuménisme, c’est-à-dire à la négation de l’unicité de l’Église, aux prières communes avec les non-orthodoxes, les discours creux etc. Nul comme lui n’a dénoncé à l’époque le soi-disant “dialogue de l’amour” entre le patriarche de Constantinople Athénagoras et le pape Paul VI. Il avait perçu où tout cela menait, il fallait le prendre au sérieux, ce n’était pas de simples “embrassades” ou politesses. La suite a justifié les appréhensions du père Justin : on sait maintenant qu’en 1970, (cf. le livre de Patrice Mahieu “Paul VI et les orthodoxes”) une commission “secrète” avait été constituée de quatre membres, dont deux catholiques et deux orthodoxes (le défunt métropolite Damaskin de Chambésy, et l’actuel métropolite Jean Zizioulas, alors laïc). Cette commission avait donné le “feu vert” à la concélébration de la Liturgie par Athénagoras et Paul VI au Phanar. Le projet échoua, car le Vatican était conscient que le monde orthodoxe ne suivrait pas et Paul VI craignait même qu’Athénagoras, qu’il aimait sincèrement, fût anathématisé par l’Eglise orthodoxe. C’est donc, d’une certaine façon, Paul VI, qui a sauvé l’Orthodoxie des fantaisies du Phanar. C’est honteux pour nous !

4. Vous êtes l’auteur de nombreux livres en langue française, vous avez traduit des textes des saints Pères. Vous terminez le livre en français sur la vie d’Abba Justin. C’est votre apport à l’Orthodoxie en France. Etes-vous d’accord avec cette constatation ?

Je citerai les paroles du Patriarche Paul d’éternelle mémoire : ce que nous faisons pour l’Église est 1%, le reste est fait par l’Esprit Saint. Pour ce qui me concerne, les quelques écrits et traductions ne sont qu’une goutte dans l’océan. Il y a un certain nombre de personnes qui, bien plus que moi, n’épargnent pas leur énergie et leur temps. Grâce à elles, les oeuvres de St Nicolas Velimirović et St Justin Popović sont accessibles au public français. Imaginez-vous que les trois tomes de la dogmatique du P. Justin et les homélies de St Nicolas (700 pages !) ont été traduites en français. Je suis loin d’avoir accompli une œuvre aussi vaste !

5.Vous avez entre autres écrit sur St Jean de Changhaï, qui est proche des Russes et des Serbes, mais aussi du monde orthodoxe entier. Comment approchez-vous la personne et la sainteté de Jean de Changhaï ? Dites-nous quelque chose sur la relation de Nicolas Velimirović et de Justin Popović envers le jeune Michel Maximovitch, plus tard hiéromoine Jean ?

Tout d’abord, je dois mentionner que je n’ai pas connu personnellement saint Jean. Mon premier contact avec l’Orthodoxie s’est produit au couvent russe de Lesna, près de Paris, en 1965, où j’ai rencontré un merveilleux témoin de l’Orthodoxie en Occident, l’archiprêtre Čedomir Ostojić, recteur de la paroisse de l’Église russe hors-frontières à Bruxelles, que j’ai mentionné tout-à-l’heure. Celui-ci venait de célébrer la Liturgie avec saint Jean de Changhaï à Paris, lequel  partait définitivement en Amérique. Ensuite, tous les Russes que j’ai rencontrés ne cessaient pas de parler de St Jean, de ses enseignements, de ses miracles. Comme le disait le père Čedomir, “c’était une légende vivante”. Et ce qui me sidérait était que lorsqu’un problème ecclésial surgissait, il se trouvait toujours quelqu’un pour dire “Mgr Jean disait que...” C’est ce qui m’a incité à écrire ce livre.Vous me demandez quelle était l’attitude de St Nicolas Velimirović envers le futur saint Jean. Je vous répondrai par ce que m’a dit le père Čedomir. Alors que l’évêque Nicolas lui demandait, dans les années 50, en exil, quel était son évêque, le père Čedomir répondit “Mgr Jean”, et St Jean de lui répondre à son tour : “c’est un saint”. Quant au père Justin, il avait enseigné avec lui à Bitolj. Il faut dire que c’étaient des hommes très différents : Mgr Jean était plutôt désordonné, tandis que le père Justin était un homme d’ordre - j’oserais dire, dans ce domaine, un occidental ! - aussi on aurait pu dire qu’ils avaient tout pour ne pas s’entendre. Or la grâce de Dieu les unissait pour servir l’Église. Je me rappelle que le père Justin avait une photographie de saint Jean dans le petit salon où il recevait ses hôtes. Il avait une grande admiration devant son ascèse. Comme le disent les saints Pères, plus les hommes approchent de Dieu, plus ils sont proches entre eux, plus ils s’éloignent de Lui, plus ils s’éloignent les uns des autres. C’est un enseignement pour notre époque : toutes les constructions qui n’ont pas Dieu pour fondement s’écroulent.

6.En quoi la figure de St Théophane vous a-t-elle inspiré pour publier son œuvre pour le public français ?

Lorsque j’étais jeune, le livre de St Théophane “qu’est-ce que la vie spirituelle” était si je puis dire un “best seller” dans l’émigration russe. On trouve dans cette oeuvre les “mécanismes” de la vie spirituelle. Les fils, ou plus tôt les petit-fils d’émigrés russes en France lisent plus facilement le français que le russe, au demeurant la langue de St Théophane est assez archaïque. C’est à eux que j’ai pensé, mais aussi à tous les francophones, orthodoxes ou non, qui veulent connaître les bases de notre vie spirituelle. A mon grand étonnement, ce livre a eu une certaine résonnance dans le public français “lettré”. Une recension a eu lieu dans le magazine prestigieux, non religieux, “ La revue des deux mondes“ et j’ai été invité à une radio catholique de Paris pour présenter le livre. Cela veut dire aussi autre chose : comme le dit le saint Évangile, “l’homme ne vit pas que de pain”, il a une soif d’authenticité. Et si, dans le dialogue oecuménique, on disait aux catholiques : commençons par le commencement, ayons la même vie spirituelle, comme nous l’avions durant les premiers siècles, et nous discuterons du reste après. Votre pape a supprimé le jeûne, pourtant un commandement du Dieu-homme Lui-même, comme le disait le père Justin. Votre messe ne ressemble à rien. A ce sujet, j’ai assisté récemment à un enterrement catholique. C’est une femme, probablement présidente laïque de la paroisse, qui a distribué la communion aux fidèles... C’est un autre monde. Aussi, on ne peut leur dire que : “Retournez aux valeurs qui étaient les vôtres durant les premiers siècles, et on parlera du reste ensuite ! Nous n’avons aucun mépris envers vous, c’est parce que nous vous aimons et souhaitons votre salut que nous parlons de la sorte”. “Lex orandi, lex credendi”, comme le répétait le père Alexandre Schmemann. Croyez-moi, il m’est arrivé de parler ainsi, et le message “passe”. C’est ce dont témoigne l’intérêt pour les livres orthodoxes.

7. Les partisans du globalisme et du nouvel ordre mondial disent que l’Orthodoxie représente le plus grand danger pour eux, plus dangereux que le fondamentalisme islamique. Comment expliquez-vous une telle position ?

Le Seigneur Lui-même a dit qu’il ne faut pas craindre ceux qui tuent les corps, mais ceux qui tuent les âmes. Nous y sommes précisément. Il y a un parallèle entre le totalitarisme de l’Union soviétique et celui de l’Union européenne. Comme me l’avait dit à l’époque titiste l’évêque Danilo Krstić, que j’ai mentionné tout-à-l’heure,: “Il y a l’étoile rouge – le sang, la brutalité – mais il y a aussi l’étoile blanche (des États-Unis) – c’est la même chose, mais avec des bonnes manières”. On assassinait alors partout sur la planète pour “le socialisme”. On assassine maintenant, soi-disant “pour la démocratie” (en faisant des affaires juteuses en même temps, sur le sang des gens). Maintenant, le “nouvel ordre mondial” est-il plus dangereux que le fondamentalisme islamique ? Je dirais simplement qu’il est plus subtile, il est incolore, inodore, il se glisse partout sous le déguisement des “droits de l’homme”. On le voit aujourd’hui avec “le mariage pour tous”, demain avec l’euthanasie, après-demain avec Dieu sait quoi. Et ce sont des conditions pour tous les Etats qui veulent entrer dans “l’Union”. Néanmoins, tous ces gens-là ne sont forts que si nous sommes faibles, si comme il est dit dans l’Évangile “le sel s’affadit”. Lorsque je suis allé à Constantinople, un évêque m’a dit : “Êtes-vous allé à Topkapi voir le sabre de Mahomet ? Pour vous occidentaux, il vous est difficile d’imaginer un prophète avec un sabre ! Mais quand nous sommes de mauvais chrétiens, Dieu nous envoie ce genre de prophètes...” Comme me l’a dit une fois un athonite : “Que le diable fasse son œuvre, nos faisons la nôtre”. Mais le tout est naturellement que nous fassions la nôtre. Vous avez entendu cette année à Ćelije le message que le père Justin avait envoyé à ses disciples : “Soyez des messagers du Dieu-homme”. Et c’est la tâche de l’Église : former des archipasteurs et des pasteurs qui seront des “messagers du Dieu-homme”, et non des messagers de Darwin ou autres. Il est nécessaire que l’enseignement académique forme des pasteurs qui donnent leur “vie pour leur troupeau” et non des prêtres et théologiens “vétéro-testamentaires” arrogants qui considèrent “que ce peuple qui ignore la loi est maudit”. C’est là un nouveau cléricalisme qui n’a pas sa place dans l’Église et qui l’affaiblit.

 8. Vous êtes l’un des bons connaisseurs des circonstances actuellement dans l’Orthodoxie et le monde chrétiens en général. Il nous intéresse de savoir dans quelle mesure les Français deviennent orthodoxes. Certains analystes écrivent que de plus en plus de Français choissisent l’Islam pour être leur nouvelle foi. Quel est le climat spirituel en France, où il y a des catholiques et des protestants.

Tout d’abord, si j’ai une certaine connaissance du monde orthodoxe, c’est non seulement pour y avoir voyagé et rencontré un grand nombre de personnes, mais c’est aussi parce que je collabore à un site internet d’informations sur le monde orthodoxe. Et si l’on me demandait de tirer une conclusion générale, je dirais la chose suivante : il y a un clergé et un peuple orthodoxes, qui vit intensément sa foi, qui prie, qui jeûne, qui fait rayonner la foi et les oeuvres. Il y a un élan qui est peut-être sans précédent à l’époque récente, particulièrement en Russie, mais aussi dans les autres pays orthodoxes, voire même en Albanie. Des dizaines de milliers d’Africains deviennent orthodoxes. Dans un message à la hiérarchie le père Justin avait d’ailleurs mentionné l’Église d’Afrique, à l’époque encore constituée de petites communautés. C’était prophétique ! A côté de cela, il y a une minorité d’évêques et de prétendus théologiens très actifs et non représentatifs, mais qui occupent “la une” de nos médias “mainstream”. On a pu le voir au Synode de Crète où les évêques ayant le droit de vote, à savoir les Primats présents, ne représentaient en fait que 0.8% de la totalité de l’épiscopat orthodoxe mondial. Maintenant, pour ce qui concerne l’Orthodoxie en France, il faut le dire clairement : les orthodoxes français sont une infime minorité, bien qu’il y ait tout de même un grand intérêt pour l’Orthodoxie. Pour le reste, le catholicisme – le protestantisme est mourant depuis longtemps – subit une grande crise. Un phénomène est frappant : on démolit des églises ou on les vend pour en faire des restaurants, centres culturels, etc, là où il n’y a plus de fidèles. L’Église catholique n’a plus de moyens pour les entretenir. Moins de la moitié de la population française est baptisée. Naturellement, personne de sensé ne peut s’en réjouir. Il y a heureusement malgré tout, çà et là, des expressions d’un esprit meilleur. N’oublions pas qu’une manifestation a rassemblé à Paris un million de personnes contre le fameux mariage pour tous. Mais c’était insuffisant pour que nos grands démocrates changent un iota à cette loi. Au contraire, à peine arrivé au pouvoir, le président français Macron veut imposer maintenant, la mesure suivante, la “procréation médicalement assistée”. C’est une destruction méthodique de la société. Pour ce qui est des conversions à l’Islam en Occident, certes elles existent, mais c’est, du moins me semble-t-il, un phénomène marginal.

 9. A quel point le modernisme et l’oecuménisme sont-ils influents dans le christianisme ?

Il faut dire que le modernisme n’intéresse plus grand monde en Occident. Nous vivons dans le monde post-moderne. Paradoxalement, l’adaptation au monde est plus fréquente chez certains milieux qui se veulent orthodoxes en Europe et aux États-Unis, bien que très minoritaires. Cela a toujours été le cas : on imite avec du retard. Quant à l’œcuménisme, il est pratiquement au point mort en Occident, cela n’intéresse plus personne, hormis quelques groupes, par idéologie ou intérêt. La soi-disant “semaine de l’unité” attirait les foules il y a encore vingt ans. Maintenant, c’est un non-événement. Ce mouvement provoque soit l’hostilité, soit l’indifférence, et ce dans toutes les religions. Or, en Serbie, paradoxalement, ceux qui s’opposent à l’œcuménisme et son amour faux, comme le disait le père Justin, se voient qualifiés de “zélotes”. Il y a donc les “zélotes” et les “non zélotes”. Il y a quelques années, un évêque serbe, maintenant décédé, que je n’avais pas vu depuis des décennies, avant de me demander toute nouvelle à mon sujet, m’a posé immédiatement la question : “Vous êtes zélote ?” Un autre ecclésiastique serbe, décédé également, m’a dit : “J’ai lu votre article... c’est zélote !” Que cela veut-il dire ? Tout d’abord, les zélotes, sur le Mont Athos, sont ceux qui se sont séparés de l’Église en 1924, lorsque le Phanar a adopté le nouveau calendrier, dans un total mépris de la sensibilité populaire. Ces “zélotes”, malheureusement, ont créé des hiérarchies dissidentes et ne sont pas en communion avec l’Église. Comment peut-on appliquer ce terme à des chrétiens orthodoxes qui communient régulièrement dans l’Église où sont commémorés des évêques canoniques ? Il faut dire qu’au Synode de Crète, l’évêque de Bačka a clairement dit qu’il ne pouvait y avoir de différence entre les “nôtres” et les “autres”. Le fait que l’on ne soit pas d’accord – suivant en cela l’enseignement de St Justin et de pratiquement tous les pneumatophores du XXème s. – avec l’œcuménisme, cela n’entre-t-il pas dans le cadre de la « sobornost” que nous revendiquons dans toutes les conférences destinées aux hétérodoxes ? L’Orthodoxie n’est pas une idéologie : elle ne veut pas anéantir l’adversaire mais le sauver. Je pense que beaucoup auraient intérêt, en Serbie, à écouter le “camp” adverse. Il est vrai que la culture du dialogue – il ne s’agit pas naturellement pas du compromis – n’est pas une vertu balkanique... Mais l’Église orthodoxe serbe aurait tout intérêt à garder son unité : c’est la meilleure antidote contre la globalisation. La seule force qui arrête les “grands de ce monde” est l’Orthodoxie. Ce n’est pas pour rien qu’ils s’y “intéressent” de près...

10. Vous appartenez à l’Église russe hors-frontières du Patriarcat de Moscou. Quelles sont les circonstances dans l’Église orthodoxe russe ? L’Église orthodoxe russe est une colonne puissante dans le monde orthodoxe. A quel point l’Église orthodoxe russe peut-elle influencer pour le modernisme, l’œcuménisme ne détruisent pas les dogmes du christianisme orthodoxe, ou sont-ils déjà détruits ?

Tout d’abord, je dois vous citer un souvenir. J’étais l’un des membres du Concile de la diaspora en 2006 qui a décidé l’entrée en communion de l’Église russe hors-frontières avec le Patriarcat de Moscou. Le métropolite Amfiloque était invité et ses quelques paroles ont conforté l’assistance dans la recherche d’une solution. Toutefois, pendant les deux premiers jours, les remarques fusaient dans tous les sens et il semblait que nous allions vers l’impasse, l’opposition à la réconciliation avec Moscou était grande. C’est à ce moment que plusieurs prêtres ont célébré un moleben devant les reliques de saint Jean, on posé sur celle-ci le projet de déclaration demandant aux évêques hors-frontières d’entrer en communion avec Moscou. Le lendemain, les tensions avaient subitement disparu et le message était adopté à l’unanimité... En définitive, je pense que les deux côtés sont bénéficiaires. Ce n’est pas seulement à “haut niveau” mais aussi au niveau du peuple. Il y a des contacts étroits, chacun donne ce qu’il a. Les “hors-frontières” le sens de la tradition qu’ils ont hérité de leur pères, et les “moscovites”, le zèle qui, il faut le reconnaître, nous manque. Quand je vois des jeunes faire actuellement à Moscou la queue pendant douze heures pour vénérer les reliques de saint Nicolas, nous sommes bien loin de cette réalité ! Maintenant, tout comme par le passé, l’Église russe hors-frontières est hostile à l’oecuménisme, tout en n’étant pas opposée à de bonnes relations avec les hétérodoxes. C’est tout autre chose. De même en Russie, particulièrement dans la jeune génération. Malheureusement, à très haut niveau, au Patriarcat de Moscou, il y a des intérêts géopolitiques. Sans toutefois transgresser les dogmes ou les canons, il y a des orientations malsaines, je pense par exemple à la rencontre de La Havane. D’un autre côté, je suis relativement optimiste : contrairement à ce qui se passe ailleurs, particulièrement au Phanar et dans d’autres Églises locales, l’Église orthodoxe russe tient compte de la sensibilité populaire. Jusqu’à maintenant au moins, ses représentants ont su s’arrêter...

11. Comment estimez-vous l’attitude séculaire du Vatican, et aussi l’actuelle, envers les pays orthodoxes et en particulier envers le peuple et l’Église serbes ?

Si je ne fais pas erreur, il y avait dans une ancienne chronique de Dubrovnik le proverbe « les Latins sont de vieux trompeurs”. Peut-être ce que je vais dire peut sembler une exagération, mais le Vatican est une énorme machine, irréformable (un diplomate américain m’a dit qu’il n’est pas plus réformable que l’administration américaine !) à l’instar de ce que fut le système soviétique. On pouvait changer le “secrétaire général”, mais le système continuait. En regardant les choses de près, on s’aperçoit que la ligne directrice, à Rome, n’a pas changé : il s’agit, de gré aujourd’hui tout comme de force hier, d’obtenir que l’Église orthodoxe reconnaisse le pape, communie avec lui, sans pour autant que celui-ci renonce à ses erreurs, qui sont la cause de la division. Le pape Benoît XVI avait déclaré qu’en cas “d’union”, l’Orient ne serait pas contraint a accepter les conciles tenus en Occident après le schisme, donc aussi celui de Vatican I sur l’infaillibilité papale. Par conséquent, nous sommes en plein uniatisme. En d’autres termes, reconnaissez-moi, communiez avec nous, on ne vous en demande pas plus ! C’est le même language qu’ont tenu les hérétiques monothélites à saint Maxime le confesseur qui le refusa : “si le monde entier communie avec le patriarche hérétique, je ne le ferai pas !” avait-il répondu. En fait, il y avait quelque chose de frappant lors de la “rencontre inter-religieuse pour la paix” à Assise en 1986 : à la fin des cérémonies, les représentants de chaque religion déposaient une veilleuse sur un chandelier puis, ensuite, s’inclinaient devant le pape. On voyait ainsi le monde entier, dont des musulmans, voire même des païens, se prosterner devant lui. C’est un devoir pour l’Orthodoxie de lutter contre ce faux christianisme : combien de fois le père Justin n’a-t-il pas dit que le Dieu-homme était irremplaçable ? C’est aussi ce qu’a dit Nicolas Velimirović lorsqu’on lui demanda si l’Église orthodoxe avait un pape : “Oui, elle en a un, c’est le Saint-Esprit” a-t-il dit. “Une Hypostase Divine ne peut être remplacée que par une autre... Le Fils de Dieu monté au ciel ne peut être remplacé que par le Saint-Esprit”. Pas par le pape de Rome. Ce n’est pas un hasard si le pape de Rome St Grégoire Dialogue, appelé Grégoire le Grand en Occident, a dit qu’un évêque universel ne pouvait exister dans l’Église : s’il tombe, c’est toute l’Eglise qui s’écroule avec lui... Au XXIème siècle, la papauté est parfaitement consciente de l’état du catholicisme et - sans faire de triomphalisme - du dynamisme des peuples orthodoxes. Aussi, elle voit dans l’union un moyen d’apporter du sang nouveau, qui régénérerait, pense-t-elle, l’occident catholique. Mais, et c’est là où le bât blesse, il est exclu de changer quoi que ce soit dans le dogme et la conduite papales. On est prêt à parler de tout le reste, mais pas de cela. C’est symptomatique : lors de la dernière séance du dialogue catholique-orthodoxe sur la primauté, le texte final mentionne la « sobornost” au cours des dix premiers siècles, etc. Mais la question de personnification de l’apôtre Pierre dans le pape a été remise à plus tard... Or, c’est le point fondamental. À quoi peut servir un dialogue si l’on évite les problèmes que l’on prétend résoudre ? Pour revenir à la ligne directrice du Vatican, il est nécessaire à celui-ci de pénétrer dans tous les pays orthodoxes : Paul VI avait tenté de se rendre, sans succès, en URSS, Jean-Paul II a réussi à se rendre en Roumanie en 1999, puis en Grèce en 2001. En Géorgie, en 2016, la visite de François a été un fiasco : le stade où célébrait le pape était vide. Au demeurant que faisait-il dans un pays où il y a si peu de catholiques ? Maintenant, il ne faut pas croire que ces “voyages apostoliques” cesseront. Pour répondre à votre question plus spécifique sur la Serbie, je pense précisément que ce sera la prochaine étape de la “conquête” du Vatican, dernière étape avant la Russie. A cette occasion, il ne m’étonnerait pas que le pape actuel suive la stratégie de Jean-Paul II à Athènes : pour faire accepter sa présence malgré l’opposition du peuple orthodoxe, il avait demandé à Dieu le pardon pour “les péchés ( !)  par action et par omission commis par les fils et les filles de l'Église catholique contre leurs frères et soeurs orthodoxes ». Alors, on pourrait imaginer qu’après avoir canonisé Stepinac – ce qui semble à plus ou moins longue échéance inévitable – le pape évoque des regrets, sous une forme édulcorée, pour les « événements » qui se sont produits dans « l’État Indépendant de Croatie » (NDH). Avec la grande caisse de résonnance des médias « mainstream », le Vatican serait gagnant. Malgré tout ce « tapage », je n’ai pas l’impression que cela changerait réellement quelque chose dans les relations serbo-croates. Je ne peux pas oublier ce qui s’était produit en 1992 au début de la terrible guerre yougoslave. Le patriarche Paul, le métropolite du Monténégro Amfiloque et l’évêque de Bačka Irénée étaient venus à Genève pour rencontrer le cardinal-archevêque de Zagreb Kuharić et parvenir à la paix, ethnique et confessionnelle. Le patriarche Paul et Kuharić s’étaient tenus par la main. Je ne doute pas de la sincérité du patriarche. Mais à peine la délégation serbe partie, Kuharić attaquait dans la presse suisse “le métropolite de Novi Sad”, selon son expression, l’évêque Irénée de Bačka. Et pour revenir à notre époque, il faut tenir du compte du fait, me semble-t-il, que le pape François médiatisé à l’extrême – une personnalité du Vatican a confié à l’un de mes amis que c’est là tout ce qui l’intéresse - est contesté dans l’Église romaine même. A titre d’exemple, quatre cardinaux, Brandmüller, Burke, Caffarra et Meisner, ont adressé une lettre l’an dernier au pape François au sujet de l’encyclique Amoris Laetitia, au titre de laquelle ils ont demandé des éclaircissements, considérant que celle-ci déviait de la saine doctrine. Cette procédure existe sous le nom de “dubia”. En l’absence de réponse, tout récemment, les signataires ont demandé au pape de les recevoir, ce qu’il a refusé. Nous avons donc affaire à un organisme parfaitement totalitaire, inchangé.

12. La tentative de l’Église catholique-romaine et du Vatican qu’Aloïs Stepinac, le cardinal, le “bienheureux” de l’Église catholique-romaine soit proclamé saint et que l’Église orthodoxe serbe le “reconnaisse”, est un grand choc pour le peuple serbe, surtout pour les centaines de milliers des descendants des détenus des camps qui ont souffert dans 22 camps de concentration des oustachis de “l’État Indépendant de Croatie” (1941-1945), qui ont été ouvertement soutenus par Stepinac. Comment commentez-vous la pression que subit l’Église orthodoxe serbe de la part du Vatican ?

À ce stade, j’ignore ce que décidera la commission mixte de dialogue catholique-romaine – orthodoxe concernant Stepinac. Autant que je le sache, il a été décidé qu’aucune déclaration ne serait faite jusqu’à la conclusion des travaux. Il ne m’appartient pas, naturellement, de me prononcer sur l’utilité de cette commission. En revanche, je me sens libre de dire ce que je pense de Stepinac, bien que non spécialiste. Il faut partir du point de vue que le concept de sainteté n’est pas le même dans l’orthodoxie et le monde occidental, et c’est un point complètement absent du « dialogue œcuménique », pourtant c’est fondamental. Il y a dans le catholicisme, hormis les erreurs dogmatiques, “les erreurs de mystique”, selon l’expression du grand écrivain français Charles Péguy. Si, même après le schisme de 1054, il y a eu dans le catholicisme des hommes qui sont parvenus à très haut degré de perfection, il y a parmi les saints catholiques un certain nombre de personnages inacceptables pour la conscience orthodoxe. Je ne citerai que le fameux Josaphat Kuncewicz, Аndreï Bobola et autres, ainsi que tous les papes de l’époque récente, béatifiés ou canonisés les uns après les autres. Assez étonnamment, la cause en béatification du cardinal Kuharić a été ouverte au diocèse de Zagreb en 2012 ! Pour ce qui concerne Stepinac, en accomplissant scrupuleusement le catholicisme de l’époque, en obéissant au pape, il est un saint catholique. Chez nous, les saints sont au contraire ceux qui se sont opposés à leur hiérarchie ou aux puissants de ce monde lorsque ceux-ci déviaient de la voie de l’Évangile. On peut faire encore des comparaisons. Je me rappelle du discours de Stepinac lorsqu’il a accueilli Pavelić à la cathédrale de Zagreb, s’émerveillant devant la création de “l’État indépendant de Croatie » (NDH) : “ Bien que les facteurs qui influencent le cours des événements, soit hétérogènes, il n’est pas difficile d’y discerner la main de Dieu... Dieu l’a fait et nos yeux sont pleins d’admiration”. Si l’on fait une comparaison avec l’histoire ancienne et récente de l’Église, St Ambroise, au IVème siècle, interdit l’accès de son église à l’empereur Théodose parce qu’il avait du sang sur les mains. Dans la même ligne, le saint patriarche Tykhon de Moscou – le père Justin a écrit à son sujet “une nouvelle justification de l’ancienne foi” – a anathématisé les bolcheviques. La comparaison est superflue. Je dirais en définitive : “chacun ses saints”, vous avez Stepinac, demain Pie XII, nous avons les saints martyrs de Russie, de Jasenovac, les saints ascètes grecs, russes, serbes, roumains... “Montre moi ton homme et je te monterai mon Dieu” disait un Père de l’Église aux païens. Finalement, au sujet des relations serbo-croates : il faut laisser au temps de faire son oeuvre. Les déclarations officielles, qu’elles émanent des autorités religieuses ou civiles ne servent pas à grand chose. Comme l’a dit un staretz russe de l’émigration, l’archimandrite Serge Chevitch “ce qui convainc les autres, c’est ce que nous sommes, pas ce que nous disons”. Je me rappelle, dans les années 1970, qu’un catholique croate avait assisté à une assemblée des “Bogomolci” (les “priants Dieu”, mouvement spirituel populaire qui eut à sa tête St Nicolas Velimirović) quelque part en Serbie centrale. Il était à tel point enthousiaste qu’il a publié ses impressions dans ‘Glas Concila” (“La voix du Concile”) de Zagreb, sous le titre “Jésus en Šumadija”, c’est là un véritable témoignage. “Que votre lumière luise ainsi devant les hommes, afin qu'ils voient vos bonnes oeuvres, et qu'ils glorifient votre Père qui est dans les cieux”. Il n’y a pas d’autre voie vers la paix. Et nous sommes capables, lorsque nous le voulons, d’offrir un véritable témoignage au monde contemporain. Et l’un de ces témoignages, c’est celui des Serbes du Kosovo, qui attire l’admiration de nombreux chrétiens orthodoxes ou non, et dans lequel l’Église joue un rôle déterminant. A tel point que l’un des plus grands périodiques français, le Figaro Magazine, a publié un magnifique reportage sur la région, ses monastères, ses souffrances. Que des gens aux XXIème siècle, ne cèdent pas, demeurent dans leurs foyers ancestraux, restent fidèles à leur foi, dans des conditions que vous connaissez mieux que moi, cela force l’admiration de nombreuses personnes, dans un monde occidental qui ne pense qu’à son propre bien-être. A ce sujet, l’un de mes compatriotes, Arnauld Gouillon accomplit une oeuvre exceptionnelle avec son organisation “Solidarité Kosovo”. Le plus étonnant est que des Français, pour une grande partie des gens simples, avec peu de revenus, financent cette œuvre.

13. Est-ce que la possibilité de “canonisation” de Stepinac peut amener des changements tectoniques relativement à tous les crimes et au génocides de l’Allemagne nazie et de ses satellites ? (Si celui qui a béni l’extermination massive des Serbes est proclamé “saint”, alors il est logique qu’Hitler soit proclamé “héros national”).

Je ne pense pas que la promotion du nazisme ou des oustachis entre dans la stratégie du Vatican. Ils n’ont aucun bénéfice à en tirer. Au contraire, leur intérêt est que l’on ne “creuse” pas de trop dans toutes ces affaires, la “filière des rats” par exemple. Quant à l’Allemagne, cela fait longtemps qu’elle a fait sa “dénazification”. Contrairement à certains en Croatie, les Allemands ne sont pas nostalgiques de cette époque. S’ils veulent être “européens” et “modernes”, nos amis croates devraient faire comme tout le monde. Mais il est tout de même étonnant que l’Union Européenne et tous “les droits de l’hommistes” habituellement si pointilleux, ferment les yeux sur les relents fascistoïdes en Croatie et en Ukraine. Bizarre...

14. Croyez-vous en la possibilité de capitulation de l’Eglise orthodoxe serbe et de sa commission (constituée à l’occasion d’une possible canonisation de Stepinac) et le consentement de l’Église orthodoxe serbe à un grand mensonge historique devant Dieu et le peuple qu’ils servent ?

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Comme je l’ai dit tout à l’heure, je ne suis pas spécialiste de ce qui se passe à l’intérieur de l’Église orthodoxe serbe, d’autres peuvent vous en parler mieux que moi. Toutefois, je ne peux imaginer que les responsables de l’Église orthodoxe serbe fassent l’éloge de Stepinac. Ce serait suicidaire ! Mais il y a un danger bien plus grand que j’ai évoqué tout-à-l’heure, celui d’une visite du pape en Serbie. Cela ne ferait en outre que de diviser l’Église orthodoxe serbe. A-t-on besoin encore de nouveaux schismes dans le seul but de passer pour des gens “politiquement corrects” ? C’est à ceux qui souhaitent cette visite - s’il y en a - de donner la réponse. Je ne me rappelle plus qui a dit : “Gardez-vous de l’amour qui ne vient pas de l’Évangile”... Mais je voudrais que l’on me comprenne bien : en mettant le doigt sur les erreurs des non orthodoxes, nous ne les méprisons pas, nous ne voulons qu’une seule chose : “faire commun ce qui est nôtre” comme le dit saint Jean Chrysostome. Personne n’a jamais été opposé à un dialogue sincère et franc avec les hétérodoxes. Or, “l’oecuménisme” actuel en est loin. Encore une fois, comme l’a dit St Justin, citant les Pères de l’Eglise, “le bien qui n’est pas bien fait n’est pas un bien”. Et d’ajouter “ce n’est pas la fin qui justifie les moyens” des Jésuites. Là est toute la différence. Et je dois le souligner encore : des laïcs catholiques sont venus chez le père Justin et il les accueillis comme il aurait accueilli des orthodoxes. Mais ce n’était pas là l’œcuménisme avec ses sourires béats et ses politesses, voire même, dans des cas qui me sont connus, une parfaite hypocrisie, et ce des deux côtés. A l’instar de tous les Pères et les saints de l’Église, le père Justin n’éprouvait aucune haine vis à vis des non orthodoxes, mais il considérait que le véritable amour envers eux consistait à leur dire la vérité. Cela, il l’a répété maintes fois. C’est encore un enseignement pour aujourd’hui. Mais est-on encore capable de l’entendre ? C’est ce que l’on peut espérer.
Nous remercions Bernard Le Caro de nous avoir confié ce texte

lundi 28 août 2017

FEUILLETS LITURGIQUES DE LA CATHÉDRALE DE L’EXALTATION DE LA SAINTE CROIX


15/28 août
DORMITION DE LA TRÈS SAINTE MÈRE DE DIEU
Saint Macaire le Romain, thaumaturge de Novgorod (1550)
Lectures : Phil. II, 5 - 11 ; Lc. X, 38 - 42; XI, 27 – 28



LA DORMITION DE LA TRÈS SAINTE MÈRE DE DIEU[1]
L
orsqu’il plut au Christ notre Dieu de rappeler à Lui Sa Mère, Il envoya un Ange, trois jours à l’avance, pour lui annoncer cette nouvelle. En s’approchant, l’Ange dit à la Pleine de Grâce : « Voici ce que déclare ton Fils : “le temps est venu de rappeler auprès de moi ma Mère.” Ne te trouble pas à cette nouvelle, mais réjouis-toi plutôt, car tu vas partir vers la vie éternelle. » Accueillant ce message avec grande joie, la Mère de Dieu, emplie du désir ardent de s’élever vers son Fils, se rendit au mont des Oliviers pour y prier dans la quiétude, ainsi qu’elle en avait coutume. Il se produisit alors un miracle étonnant : au moment où la Toute-Sainte atteignait le sommet de la colline, les arbres qui s’y trouvaient plantés inclinèrent leur ramure, se prosternant et rendant gloire à la Souveraine du monde, tels des serviteurs doués de raison.
Après avoir prié, la Toute-Sainte retourna chez elle, sur le mont Sion. Comme elle entrait dans la maison, tout se mit soudain à trembler. Rendant grâces à Dieu, elle fit éclairer la demeure, et appeler ses parents et ses voisins. Elle mit elle-même tout en ordre, arrangea son lit funèbre et ordonna de préparer ce qui était nécessaire pour les funérailles. Aux femmes qui étaient venues à son appel, elle révéla la nouvelle de son départ vers le Ciel et, en guise de preuve, elle leur remit la branche de palmier, symbole de victoire et d’incorruptibilité, que l’Ange lui avait donnée. Encore attachées par les liens de ce monde, ses compagnes reçurent cette nouvelle avec force larmes et gémissements, suppliant la Mère de Dieu de ne pas les laisser orphelines. Celle-ci les rassura : certes, elle partait vers le Ciel, mais elle n’en continuerait pas moins à les protéger, elles et le monde entier, par sa prière. À ces paroles, les femmes cessèrent leurs pleurs et s’empressèrent de faire les préparatifs. La Toute-Sainte ordonna en outre de donner les deux seules robes qu’elle possédait aux deux pauvres veuves qui étaient ses compagnes habituelles et ses amies. À peine avait-elle prononcé ces paroles, que la maison fut de nouveau ébranlée par un bruit semblable à celui du tonnerre, et elle se trouva remplie de nuées qui amenaient les Apôtres, rassemblés de toutes les extrémités du monde. C’était donc toute l’Église qui, en leurs personnes, était mystiquement présente pour célébrer les funérailles de sa Souveraine. Au chœur des Apôtres s’était joint celui des saints hiérarques, tels que saint Hiérothée, saint Denys l’Aréopagite et saint Timothée. Les yeux pleins de larmes, ils dirent à la Mère de Dieu : « Si tu demeurais dans le monde et vivais parmi nous, nous en aurions, bien sûr, une grande consolation, ô Souveraine : ce serait comme si nous voyions ton Fils et notre Maître. Mais puisque maintenant, c’est selon Sa volonté que tu vas être transportée au Ciel, nous nous lamentons et pleurons, comme tu le vois. Mais nous nous réjouissons cependant de tout ce qui a été disposé pour toi. » Elle leur répondit : « Ô Disciples et amis de mon Fils et de mon Dieu, ne transformez pas ma joie en tristesse, mais ensevelissez mon corps et gardez-le dans la position que je prendrai sur mon lit de mort. » À ces mots, arriva à son tour sur les lieux le Vase d’Élection, saint Paul. Il se jeta aux pieds de la Toute-Sainte pour la vénérer et lui adressa cette louange : « Réjouis-Toi, Mère de la Vie et objet de ma prédication. Car, quoique je n’aie point vu le Christ corporellement, en te voyant, c’est Lui-même que je crois contempler. »
Après avoir fait ses derniers adieux à tous les assistants, la Toute-Immaculée s’allongea elle-même sur son lit de mort, disposant son corps comme elle le voulait, et elle offrit d’ardentes prières à son Fils pour la conservation et la paix du monde entier. Puis, ayant donné sa bénédiction aux Apôtres et aux hiérarques, souriante, elle remit paisiblement son âme, blanche et plus resplendissante que toute lumière, entre les mains de son Fils et de son Dieu, qui était apparu en compagnie de l’Archange Michel et d’une troupe angélique. Sa mort s’accomplit en effet sans souffrances ni angoisse, de même que son enfantement avait eu lieu sans douleurs. Pierre, le Coryphée des Apôtres, entonna alors l’hymne funèbre et ses compagnons soulevèrent la litière, précédés par d’autres assistants qui portaient des flambeaux et accompagnaient le cortège de leurs chants, avec à leur tête saint Jean le Théologien tenant en main la palme de victoire, et suivis en silence par la foule des disciples. On pouvait aussi entendre les anges, qui joignaient leurs voix à celles des hommes, de sorte que le ciel et la terre étaient tout remplis de cette thrène en l’honneur de la Souveraine du monde. L’air se trouva purifié par l’ascension de son âme, la terre allait être sanctifiée par la déposition de son corps, et de nombreux malades recouvrèrent alors la santé. Ne pouvant supporter ce spectacle, les chefs des Juifs excitèrent des gens du peuple et les envoyèrent renverser la litière sur laquelle reposait le corps vivifiant. Mais la justice divine devança leur sombre dessein, et ils furent tous frappés d’aveuglement. L’un d’eux, le prêtre Jéphonias qui, plus audacieux que les autres, était parvenu à saisir la sainte couche, eut en plus les deux mains coupées à la hauteur du coude par le glaive de la colère divine, et ses bras mutilés restèrent accrochés au lit, offrant un spectacle pitoyable. Porté au repentir par ce châtiment, Jéphonias adhéra de tout son cœur à la foi ; et à la parole de Pierre, il se trouva guéri et devint pour ses compagnons un instrument de Salut et de guérison. En effet, comme on lui avait remis un rameau de la palme de la Mère de Dieu, il l’appliqua sur les yeux de ses compagnons, et les guérit tous à la fois de leur cécité corporelle et de leur aveuglement spirituel.
Parvenus au jardin de Gethsémani, les Apôtres ensevelirent le corps très saint de la Mère de Dieu et demeurèrent là pendant trois jours, leurs prières étant sans cesse accompagnées des hymnes angéliques. Conformément à une disposition de la Providence, l’un des Apôtres (Thomas selon certains) ne se trouvait pas aux funérailles. Il n’arriva à Gethsémani que le troisième jour et ne pouvait se consoler de n’avoir pu contempler une dernière fois le corps déifié de la Toute-Sainte. Aussi, d’un commun accord, les autres Apôtres décidèrent-ils d’ouvrir le tombeau, afin qu’il puisse vénérer le saint corps. Une fois qu’on eut enlevé la pierre qui en fermait l’entrée, ils restèrent tous saisis de stupeur en constatant que le corps avait disparu et que seul le suaire qui l’enveloppait restait là, vide, mais gardant la forme du corps. C’était une preuve irréfutable du transfert [2]au Ciel de la Mère de Dieu, c’est-à-dire de sa résurrection et de l’ascension de son corps, de nouveau réuni à son âme, au-delà des cieux, dans l’intimité de son Fils, pour être notre représentante et notre avocate auprès de Dieu. Marie, fille d’Adam, mais devenue véritablement Mère de Dieu et Mère de la Vie en enfantant Celui qui est la Vie substantielle (Jn 14, 6), est donc passée par la mort. Mais sa mort n’est en rien déshonorante, car, vaincue par le Christ, qui s’y est soumis volontairement pour notre Salut, la condamnation d’Adam est devenue « mort vivifiante » et principe d’une existence nouvelle. Et le Tombeau de Gethsémani, de même que le Saint Sépulcre, est apparu comme une « chambre nuptiale », où se sont accomplies les noces de l’incorruptibilité.
Il convenait en effet que, conforme en tout au Christ-Sauveur, la très sainte Vierge passe par toutes les voies que le Christ a empruntées pour répandre la sanctification en notre nature. Après l’avoir suivi dans sa Passion et avoir « vu » sa Résurrection, elle a donc fait l’expérience de la mort. Dès qu’elle se sépara de son corps, son âme très pure se trouva unie à la Lumière Divine, et son corps, étant resté peu de temps en terre, ressuscita bientôt, par la grâce du Christ ressuscité. Ce corps spirituel fut reçu au Ciel comme le tabernacle du Dieu-Homme, comme le trône de Dieu. Il est la partie la plus éminente du Corps du Christ, et il a souvent été assimilé par les saints Pères à l’Église elle-même, la demeure de Dieu parmi les hommes, prémices de notre état futur et source de notre divinisation. Des entrailles très chastes de Marie, Mère de Dieu, le Royaume des cieux nous a été ouvert, c’est pourquoi son transfert au Ciel est cause de joie pour tous les croyants qui ont ainsi acquis la garantie, qu’en sa personne, c’est toute la nature humaine, devenue porteuse du Christ, qui est appelée à habiter en Dieu.


Tropaire de la Dormition, ton 1
Въ poждествѣ́ дѣ́вство сохрани́ла ecи́, во ycпе́нiи мípa не ocта́вила ecи́ Богоро́дице, преста́вилася  ecи́ къ животу́, Máти cýщи животá, и моли́твами Tвои́ми избавля́еши отъ сме́рти дши на́ша.
Dans l’enfantement, Tu as gardé la virginité; dans Ta dormition, Tu n’as pas abandonné le monde, ô Mère de Dieu. Tu as été transférée à la Vie, étant Mère de la Vie, et par Tes prières, Tu délivres nos âmes de la mort.

Kondakion de la Dormition, ton 2
Bъ моли́тваxъ неусыпа́ющую Бого-ро́дицy, и въ предста́тeльствахъ непрело́жное упова́нie, гро́бъ и умерщвлéнie не удержа́ста ; я́коже бо живота́ Mа́тepь, къ животу́ преста́ви, во yтро́бу всели́выйся присно-дѣ́вственную.
Tombeau et mort n’ont pu retenir la Mère de Dieu, toujours vigilante dans ses intercessions, espérance inébranlable dans sa protection, car étant la Mère de la Vie, Il l’a transférée à la Vie, Celui qui demeura dans Son sein toujours virginal.


Au lieu de « il est digne en vérité », ton 1
нгели успéнie Пречи́стыя ви́дѣвшe удиви́шася, ка́кo Дѣ́ва восxо́дитъ отъ земли́ на нéбо. Побѣжда́ются ecтества́ yста́вы въ Teбѣ́ Дѣ́вo чи́стая; дѣ́вствуетъ бо poждество́, и живо́тъ предобpyча́етъ смépть, по poждествѣ́ дѣ́ва, и по смépти жива́, cпаса́eши при́сно Богоро́дицe наслѣ́діе Твоé.

Les anges étaient frappés de stupeur à la vue de la Dormition de la Très-Pure. Comment la Vierge s’élève-t-elle de la terre aux cieux ? Les lois de la nature ont été vaincues en Toi, Vierge pure : Ton enfantement est virginal et Ta mort fait pressentir la Vie. Ô Toi qui, après Ton enfantement, es demeurée vierge, et vivante après Ta mort, Mère de Dieu, sauve toujours Ton héritage.






[1] Tiré du Synaxaire du hiéromoine Macaire de Simonos Petras.
[2]  Le terme d’« Assomption », récemment adopté comme dogme par l’Église Catholique Romaine (1950), en tant que corollaire de celui de l’« Immaculée Conception » (1854), laisse supposer de manière ambiguë que la Mère de Dieu, ayant été mise à part de l’héritage d’Adam (le péché originel et sa conséquence, la mort), ne serait pas morte, mais aurait été directement emportée, corps et âme, au Ciel.