dimanche 16 juillet 2017

Entretien de conversion de l'hypodiacre Pierre de Genève 1


1. Pouvez-vous dire quelques mots sur votre famille, éducation, et comment vous avez décidé de devenir orthodoxe ?

Je suis né dans un pays sous-développé, souffrant de la misère et de la famine, où le soleil est voilé en permanence par un ciel de nuages ténébreux – tout ceci sur un plan spirituel, bien entendu.

Il s’agit de la Suisse, et plus particulièrement de la ville de Genève, haut-lieu de la franc-maçonnerie internationale et de l’univers bancaire, citadelle de l’hérésie obscurantiste, et métropole matérialiste jouissant d’un confort inébranlable et rassurant, qui l’isole aisément de beaucoup de tragédies constituant le quotidien de l’humanité.

Mes parents m’ont élevé dans la foi de l’église catholique-romaine, qui était celle de leurs ancêtres, et de cela je leur suis éternellement reconnaissant, puisqu’ils m’ont appris dès mon enfance les bases de la révélation chrétienne – à savoir, la foi en Dieu, les dogmes, ainsi que la nécessité de prier.
Nous étions ce que l’on appelle une famille « pratiquante » : nous allions à la « messe » le dimanche et aux fêtes, et la prière faisait partie de notre quotidien (tout au moins durant mes dix premières années d’enfance). Mon père, journaliste, avait consacré sa vie professionnelle à la défense des opprimés et des causes justes. En ce qui les concerne, mes parents ont fait leur possible pour transmettre dans leur famille une éducation religieuse.

Pour ce qui est de l’Eglise elle-même – appelons-la de son vrai nom : le papisme -, les choses ont tourné différemment.
En tant qu’enfant (durant les années 50), je me trouvais à l’aise dans le cadre de la religion – le fait de prier en latin, par exemple, ne me posait une aucune difficulté particulière. Toutefois, je la pratiquais par obéissance mais me posais beaucoup de questions, auxquelles les adultes – mes parents et les prêtres – ne répondaient pas. Sinon avec un sourire indulgent, estimant que « je cherchais trop loin » : on me faisait comprendre que ce qui comptait était de pratiquer au mieux les devoirs de la morale enseignée.
J’escomptais bien obtenir plus tard les réponses à mes questions en cherchant et étudiant les sources d’où la morale découlait.
Aussi loin que remontent mes souvenirs d’enfance, j’ai toujours été affamé de connaître la Vérité.

J’étais dans cette attente, au tout début de mon adolescence, lorsque survint un événement majeur en Occident, véritable révolution – au sens géométrique de virage à 180° - du papisme, qui continue son action à ce jour : il s’agit du Concile Vatican II en 1962.
En l’espace de quelques mois, ou de deux à trois ans pour certains points, une foule de pratiques qui constituaient depuis des siècles la réalité vivante et quotidienne du christianisme occidental ont été supprimées, déclarées invalides et obsolètes, et même interdites : reléguées en un instant au domaine mort et poussiéreux de l’archéologie. Par exemple, pour célébrer la «messe», l’autel et le prêtre doivent désormais être retournés à l’envers (id est, face aux fidèles) ; le latin, langue liturgique de l’Occident depuis l’origine, est déclaré interdit; la messe du dimanche est avancée au samedi soir pour permettre aux fidèles de partir skier le dimanche, ou de faire la grasse matinée ; la soutane (l’habit ecclésiastique du prêtre pour l’extérieur) est supprimée ; tous les jeûnes (eucharistique, carêmes, et vendredis) sont supprimés ; durant la liturgie, la distribution du sacrement de l’eucharistie aux fidèles est effectuée par des laïcs, hommes et femmes, (pour « soulager » le prêtre de ce « travail ») ; etc., etc.
Et, en synthèse, un besoin maladif de changer: on ne supporte plus la continuité, elle est un signe de mort. L’instabilité étant devenue la norme avec, comme corollaire de base, la certitude imbue que nous sommes tellement supérieurs, grâce à notre modernité, à tout ce qui vient du passé: les hommes de l’antiquité étaient des rustres grossiers, n’est-ce pas ?  Et nous, nous sommes le fleuron de l’évolution… (Ou, pour reprendre Nietzsche : « Les derniers hommes disent : ‘’Nous avons inventé le bonheur !’’, et ils clignent de l’œil… »)
Cette révolution avait comme thème directif « l’aggiornamento » (se mettre au goût du jour, en italien), c’est-à-dire de conformer l’Eglise avec le monde, ce qui signifie que celle-ci est alors condamnée à perpétuellement « courir après lui » (puisqu’il sera toujours en avance sur elle dans son propre domaine).
Dans ce contexte, je n’ai obtenu aucune réponse aux questions que je me posais et n’y ai plus trouvé aucun repère intérieur.

J’ai donc commencé petit à petit à prendre de la distance avec la religion dite « catholique ». Cela, d’ailleurs, correspondait avec un relâchement généralisé, au niveau social, de la pratique religieuse : jusqu’au concile Vatican II, la majorité de la population – même les plus tièdes, sauf les athées déclarés – observait une pratique religieuse sociale en allant à l’office du dimanche. A partir du concile, la nouvelle norme de permissivité et de confort personnel a vidé les églises de la majorité des fidèles.
Ainsi a commencé pour moi une longue – très longue – période de recherche. Le papisme n’ayant rien de substantiel à proposer et se résumant une morale extérieure sans saveur, je cherchais à l’aveugle quelque chose qui répondrait à mes interrogations.

Vers l’âge de 17 ans, je découvris un livre qui allait ouvrir comme une fenêtre dans la pénombre où je me trouvais. Intitulé La spiritualité hindoue et écrit par un orientaliste de haut niveau, il me montrait qu’il existe un langage qui parle de la réalité intérieure de l’homme – là où demeuraient mes interrogations. Jusqu’ici, mon approche de la spiritualité ou de la mystique s’était effectuée dans le cadre du papisme, et je n’en avais retiré qu’une impression de sentimentalisme ou de morale extérieure limitée. Cette ouverture m’a mené à m’intéresser aux religions orientales, hindouisme tout d’abord (yogas et métaphysique), puis bouddhisme, ainsi que soufisme, et à l’ésotérisme en général.

Toutefois, durant ces mêmes années, il m’avait été donné de bénéficier du don inestimable de la Providence : la présence de l’église orthodoxe russe, dont les coupoles dorées, par la grâce de Dieu, dominent la ville depuis maintenant 150 ans. Elles me faisaient signe depuis mon enfance, mais je n’avais jamais pénétré dans le bâtiment.
C’est ainsi que, alors que j’étais collégien, je me suis rendu plusieurs fois aux vigiles du samedi soir. La profonde tranquillité du lieu, la pénombre éclairée des seules bougies avec le parfum de l’encens, et enveloppée dans la psalmodie, étaient pour moi comme une oasis de paix dans le désert de ce monde. Le seul problème était que je ne comprenais pas un seul mot de tout ce qui se disait ou était chanté et, de ce fait, je restais comme à l’extérieur de toute la réalité de l’office, sans aucun moyen de m’y intégrer.
(J’avais bien essayé – une seule fois – d’assister à la liturgie le dimanche : mais en ouvrant la porte, je me trouvai devant une foule compacte remplissant toute la nef et un chœur tonitruant à la manière d’un opéra – tout cela était pour moi tellement à l’opposé de l’atmosphère recueillie des vigiles que, effrayé, je refermai aussitôt la porte et repartis… [lol]).
Je n’ai donc pas pu, à cette période-là, pousser plus avant ce premier contact avec l’Eglise orthodoxe.

Cette recherche, devenue une vraie quête, m’a accompagné durant mes années universitaires et même après : au total, plus de 15 ans d’errance.

Entretemps, je m’étais marié et, avec ma femme, nous partagions cette démarche de recherche.
Il faut dire qu’après plusieurs années – tout en restant positivement ouverts et accueillants à toutes sortes de religions – nous avions décidés, par « honnêteté intellectuelle » et souci intérieur d’authenticité, de nous mettre à étudier également le christianisme. Mais, cette fois, en cherchant autant que possible « à la source » - ce qui signifie, de facto, dans la tradition des Pères, c’est-à-dire orthodoxe. Là, nous avons découvert un langage auquel nous adhérions pleinement et qui nourrissait intérieurement notre attente.

Cependant, par suite de nos années d’errements, nous avions gardé les pieds – intellectuellement parlant – dans les autres traditions orientales: considérant en quelque sorte la vie spirituelle à la manière d’un consommateur occidental dans un supermarché, qui met dans son panier tout ce qui lui plaît, ou l’attire, dans les divers rayons.
Il faut également dire que, dans ces années 70 et 80, prenait essor une nouvelle tendance « spiritualiste », qui semblait apporter toute la lumière attendue sur les différentes religions, et que l’on peut désigner par l’expression, désormais connue, d’unité transcendantale des religions. En termes simples, cela signifie : toutes les religions diffèrent par leur aspect extérieur – l’exotérisme – pour des raisons historiques et culturelles, mais plus l’on s’élève vers l’enseignement intérieur et métaphysique – l’ésotérisme -, plus l’on rencontre une réalité spirituelle identique et unique, la réalité divine. Donc, par voie de conséquence, toutes les religions se valent.
Ce mode de pensée est toujours d’actualité, mais à cette époque, pour les jeunes gens en recherche que nous étions, il apparaissait comme une révélation exceptionnelle et décisive, apportant toute la clarté nécessaire pour l’évolution générale spirituelle de l’humanité.
Le corollaire de base une fois accepté – considérer les enseignements ésotériques de toutes les religions comme étant la manifestation de la même réalité métaphysique –, on pouvait ainsi passer d’une religion à l’autre suivant ses humeurs, ou le moment de la journée, sans contradiction ni incohérence ; et si un aspect, moral ou pratique, de l’une d’entre elles n’apparaissait pas comme acceptable ou compréhensible pour sa propre vision personnelle, il suffisait de lui apposer l’étiquette d’«exotérisme », donc d’enseignement à caractère limitatif, destiné aux besoins du peuple « non initié », dont on pouvait ainsi ne pas tenir compte.
Cela était très pratique et confortable pour l’intellectuel que j’étais…
Mais toutefois, si la riche complexité de ces doctrines orientales me séduisait, jamais je n’ai pu m’identifier dans aucune d’elles : elles pouvaient être attirantes, mais je n’y étais pas réellement chez moi.

Ayant eu l’occasion de nous rendre en Grèce, suite à notre mariage, ce premier séjour fut pour moi une expérience décisive : d’une manière inattendue, je me suis senti aussitôt chez moi – comme je ne l’avais jamais été nulle part jusque-là -, ainsi que dans une famille spirituelle ou une patrie dont j’avais toujours eu la nostalgie, en communion cordiale et psychologique les gens, et en accord avec mes aspirations intimes de base. Je ne mis pas longtemps à me rendre compte que cela venait du fait qu’il s’agissait d’un pays orthodoxe, et que l’attitude et le comportement des êtres était déterminé par cette réalité. Nous avons assisté à la liturgie, où nous nous sentions également chez nous - la langue grecque étant quand même un peu plus accessible que le russe pour des francophones.
Après ce premier contact, nous avons pu y retourner souvent en été, avec la même joie de retrouver chaque fois un lieu de familiarité intérieure et extérieure.

Désirant donc trouver notre place concrètement dans une religion où vivre avec tout son être, et pas seulement intellectuellement, nous avons fait la tentative de « revenir » au christianisme, mais en le pratiquant sous sa forme locale occidentale – au lieu de l’orthodoxie, bien que présente à Genève - : estimant, par un scrupule « d’honnêteté » et « d’authenticité », plus conforme à « l’obéissance » de ne pas recourir à ce qui me semblait alors comme de « l’exotisme ». Mais revenir au papisme officiel – malgré un cours essai de bonne volonté – s’est révélé totalement impossible pour moi (au regard des raisons déjà évoquées).
C’est alors que, dans cette situation de malaise profond, un oncle et une tante - eux-mêmes souffrant de la déroute du catholicisme romain - nous ont offert leur soutien : seule présence cordiale familiale dans ce désarroi persistant. Ils nous ont ainsi introduits parmi les « catholiques traditionnels », en d’autres termes, ceux qui n’avaient pas accepté les changements du concile Vatican II et qui pratiquent la religion comme auparavant. Là, nous avons retrouvé un cadre plus recueilli, permettant une pratique de piété apaisante. Toutefois, nous nous sentions à l’étroit sur le plan de la théologie, après avoir ouvert notre esprit à la tradition orthodoxe (sans parler de notre ouverture aux religions orientales…).
Nous étions dans une situation de « jonglerie » : pratiquant selon le rite latin, pensant – croyions-nous alors – selon la théologie orthodoxe (…nous récitions le Credo sans le Filioque), et accueillant même des traditions non chrétiennes. Ce n’était pas vraiment équilibré, mais cette situation de compromis ne gênait pas outre mesure l’intellectuel que j’étais. Cela aurait pu durer encore longtemps, mais c’est là que la Grâce de Dieu intervint de manière déterminante pour m’obliger à passer du monde des idées à celui de la réalité : la vie réelle n’étant pas une seule question de choix mental, mais d’engagement concret de tout l’être.
J’avais alors 32 ans, ma femme devint enceinte de notre première enfant et il fallut prendre une décision qui allait déterminer toute la vie de cet être.
Nous étions résolus à la baptiser. Mais dans quelle Eglise ? Dans le papisme, cela était inconcevable. Dans le catholicisme traditionnel, nous étions dans une posture de « repli » étriquée ou de « protectionnisme », de « combat d’arrière garde » défendant des valeurs du passé, dans un cadre considéré de l’extérieur comme une secte. Situation qui peut être volontairement assumée par un adulte, mais qui semblait peu propice pour le développement spirituel harmonieux d’un enfant.
Il ne restait donc que l’Orthodoxie, avec laquelle nous étions intérieurement en accord, mais où le sujet de la langue constituait une barrière. C’est avec l’aide de deux connaissances, paroissiens francophones de l’Eglise russe, que nous avons pu nous en approcher avec plus de familiarité et pénétrer dans la compréhension des rudiments pratiques de base.
Mais alors que logiquement tout aurait dû aller ensuite de l’avant avec simplicité et facilité, plus le délai du baptême approchait et plus je ressentais une sorte de paralysie : paradoxalement, en dépit de ma complète adhésion – toute théorique – avec la doctrine orthodoxe, une force ou un poids (la crainte, peut-être, de quitter le confort de la religiosité « à choix multiple » ?) me retenait dans cette démarche pour faire le pas concret. Un peu comme une personne marchant autour de la piscine, désireuse d’y nager, mais n’osant pas sauter dans l’eau. Preuve en est, s’il en fallait une, que la religion n’est pas un choix d’opinions intellectuelles, mais un choix de vie entier.

La naissance de l’enfant étant survenue, il a fallu passer de la théorie à la réalité : nous avons donc fait le pas, et sauté ensemble avec notre fille pour entrer en famille dans l’Eglise, et - gloire à Dieu pour tout ! – dès lors la vraie Vie s’est révélée.

Source
Mission orthodoxe

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Hypodiacre Pierre



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