vendredi 9 septembre 2016

Interview de Père Ambrogio de Turin par Tudor Petcu

Tudor Petcu

Higoumène Ambrogio

1) Tout d'abord, s'il vous plaît, faites-moi savoir quand vous avez rencontré la spiritualité orthodoxe et quand vous êtes devenu orthodoxe.

Ces deux choses furent liées à un livre.

Dans mes années de post-adolescent, lors d'une quête religieuse inquiète, j'ai trouvé sur une étagère de bibliothèque le livre L'Eglise orthodoxe, du métropolite Kallistos Ware (que j'ai rencontré plus tard en personne à l'occasion). Cette description de l'Eglise orthodoxe, faite avec soin et en même temps avec impartialité, m'a ouvert un monde de chaleur inattendue et de bon sens. Pour la première fois, je voyais les données du christianisme (qui m'avaient été enseignées dans les années d'enseignement catholique) qui résonnaient d'une manière compatible avec mon aspiration intérieure. Je ne suis pas loin de dire (comme il est écrit dans le livre lui-même - The Orthodox Church, seconde édition, p. 10): "mais ce sont les choses que j'ai toujours crues!" Ce fut le début d'une processus lent mais progressif de "réorientation" de tout ce que je connaissais de ma foi chrétienne, et d'une grande aide quand j'ai eu la possibilité effective de participer à des cérémonies orthodoxes, ou de parler à des chrétiens orthodoxes de différentes origines.

Le moment qui a vu ma décision de devenir chrétien orthodoxe a été la lecture de la biographie du hiéromoine Seraphim (Rose), qui était mort douze ans auparavant à l'ermitage de Platina, en Californie. Il me fut présenté non seulement un message général, mais un exemple de vie concrète: un occidental comme moi qui avait passé des années de recherche religieuse, et qui par mécontentent des réponses du christianisme qui lui furent transmises, avait cherché dans les religions orientales, des suggestions ésotériques et perennialistes, puis avait trouvé une demeure dans l'Église orthodoxe. Non seulement j'étais confronté à la fin d'une recherche, mais surtout à l'occasion de mettre ce voyage à profit après une rencontre salvatrice avec le Christ. Cette lecture m'a mis en face de la question: "Qu'y a-t-il encore à faire en dehors de l'Eglise orthodoxe?" ... Le reste c'est de l'histoire.

2) Quelle est la différence entre vous comme orthodoxe et comme hétérodoxe?

De quelqu'un qui essayait de chercher la vérité, je suis passé à être celui qui cherche à vivre la vérité. Extérieurement (à l'exception d'une barbe plus longue!) Je ne pense pas que l'on puisse voir de nombreuses différences. La fin de l'agitation de la recherche peut avoir conduit à une attitude différente, mais je ne suis pas le meilleur juge de mon caractère.

3) Comment du point de vue orthodoxe comprenez-vous Dieu et  la relation de Dieu et de l'homme?

Ceci est l'un des domaines dans lesquels je ne prétends pas donner à tout prix une "réponse orthodoxe" qui est radicalement différente de celle de tous les autres chrétiens. S'il est vrai que dans la théologie trinitaire orthodoxe il y a quelques éléments (subtils mais importants) qui la distinguent de celle des autres chrétiens, et que la sotériologie orthodoxe est entièrement centrée sur la participation humaine à la nature divine (theosis/déification), de tels éléments ne doivent pas être un abîme insurmontable avec la vision des autres chrétiens. Cet aspect dont je parlais juste auparavant ( "mais ce sont les choses que j'ai toujours crues!"), me fait penser qu'il y a une influence subtile du "point de vue orthodoxe" qui va au-delà de la simple appartenance à l'Église.

4) Quelle serait la  leçon la plus importante que nous devrions apprendre de l'Église orthodoxe?

Je propose une variante ecclésiastique du dicton populaire français qui dit noblesse oblige. La revendication d'avoir gardé la foi chrétienne dans son intégrité est une chose naturelle, et - après un examen approfondi - tout à fait incontestable, mais alors  l'intégrité de la foi doit se vivre de manière cohérente. 
Cela signifie que chaque chrétien orthodoxe est appelé à vivre plus authentiquement sa foi: elle n'est pas un point d'arrivée - ou tout au moins dans ce monde - dans lequel nous pouvons dire que l'on vit l'Orthodoxie de manière tout à fait adéquate.

5) Est-il exact de dire que nous pouvons trouver dans l'Eglise orthodoxe le sens perdu, mais aussi la beauté oubliée de la vie?

Dans le cas des orthodoxes occidentaux, c'est très correct, surtout eu égard à nos racines chrétiennes. Il suffit de voir qui, dans le monde occidental se souvient non seulement les saints anciens, mais des plus profondes influences culturelles qui ont été oubliées au cours du dernier millénaire.

6) Je me souviens d'un Américain converti qui m'a parlé de sa conversion à l'Orthodoxie, il m'a dit les paroles suivantes: "Nous ne pouvons pas trouver l'Infini hors de l'Eglise orthodoxe". Êtes-vous d'accord avec cette affirmation?

C'est un moyen légitime (et très profond du point vue de l'expérience humaine) pour exprimer ladite valeur pérenne, selon laquelle "il n'y a point de salut hors de l'Eglise." Bien que cela ait une certaine valeur en tant que témoignage, je ne me limiterai pas à cette seule déclaration: il faut dire quelque chose qui enflamme nos auditeurs d'un goût pour cet Infini...

7) Que pourrait-on dire sur l'Orthodoxie roumaine? Quelles sont les connaissances particulières que vous avez en ce qui concerne l'Orthodoxie roumaine?

Je peux dire que j'ai grandi dans l'Eglise roumaine, même si je n'y ai jamais appartenu officiellement. Quand je suis devenu orthodoxe, et que je commençais à aider à la formation d'une communauté de croyants (qui a depuis évolué en paroisse dont je suis maintenante recteur), dans ma ville de Turin, il y avait seulement une paroisse orthodoxe roumaine, et c'est là que j'ai fréquenté tous les offices avec la plus grande intensité: j'y ai célébré aussi beaucoup de mes premiers offices en tant que diacre et en tant que prêtre. Voilà où je fis mes premiers pas dans l'apprentissage du roumain, et je peux répondre avec compétence sur les particularités de l'Eglise roumaine par rapport aux autres (typicon, style de chant, calendrier, etc.).

Parmi les nombreux commentaires que je puis faire, l'un des plus importants concerne l'entrée des Italiens dans l'Orthodoxie. L'Eglise roumaine, qui a aujourd'hui en Italie la plupart des lieux de culte et plus de clergé que toutes les autres juridictions orthodoxes mises ensemble, est en même temps celle qui a le moins grand nombre d'Italiens orthodoxes (à la fois en nombre et en termes de pourcentages). 

Ce fait, bien qu'il soit compréhensible à la lumière de la volonté de ne pas aliéner les bonnes relations avec l'Eglise catholique romaine, est un véritable coup au cœur pour les revendications roumaines à représenter, à quelque titre que ce soit, le "visage latin" de l'Orthodoxie. 

L'Eglise roumaine aurait tous les éléments (y compris une proximité linguistique majeure [entre le roumain et l'italien]) pour attirer les italiens orthodoxes, mais en fait, elle ne les attire pas. Cela pourrait être utile à une confrontation honnête avec les autres Églises orthodoxes (en particulier, les patriarcats de Moscou et de Constantinople) qui ont su intégrer les italiens orthodoxes. Cela ne constitue pas une simple question "d'émulation dans le bien": l'Eglise roumaine a dans ce domaine encore des décennies de développement en retard, et elle n'a pas encore élaboré une culture missionnaire d'acceptation des convertis.

Version française Claude Lopez-Ginisty
d'après

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