samedi 25 juin 2016

Observations sur un article intitulé « Vers la réconciliation et le schisme au sein de l’Église orthodoxe »



Dernièrement, Antoine Arjakovsky (1) a publié un article, en ligne sur le site d’information suisse Cath.ch, intitulé “Vers la réconciliation et le schisme au sein de l’Église orthodoxe”. A la suite de cette publication, Bernard Le Caro a adressé au site helvétique des observations que nous reproduisons ci-dessous.

 
Madame, Monsieur,
Vous avez publié sur votre site un article de M. Antoine Arjakovsky, intitulé « Vers la réconciliation et le schisme au sein de l’Église orthodoxe ». Sans se prononcer naturellement sur les opinions qui sont propres à l’auteur, force est de constater qu’un certain nombre de faits sont inexacts et donnent une image erronée des événements concernant le Concile des Églises orthodoxes présentes actuellement en Crète. Permettez-moi d’énumérer ci-dessous les affirmations de l’auteur, suivies de mes remarques :


1) « La situation actuelle montre un écart grandissant entre les Églises orthodoxes reconnaissant une primauté d’honneur au patriarcat de Constantinople et celles privilégiant le Patriarcat de Moscou »
Toutes les Églises orthodoxes, y compris le Patriarcat de Moscou, reconnaissent la primauté d’honneur du Patriarcat de Constantinople. Le litige porte sur la façon dont cette primauté doit être exercée. Donc, il n’y a pas de querelle de « leadership » en tant que tel. Le Patriarcat de Moscou ne revendique pas – comme cela a pu être le cas dans le passé – la primauté dans le monde orthodoxe, mais exige que les droits qu’il possède sur son territoire canonique ne soient empiétés par aucune autre Église autocéphale.


2) Plus fondamentalement encore, ce schisme résultera de la lutte entre les tenants d’un retour à la civilisation soviétique, “fondée sur les bases morales du christianisme” selon le patriarche Cyrille… »
On peut se demander pourquoi l’auteur de l’article se réfère à l’article d’un journaliste américain en poste à Moscou, plutôt que de citer le texte original. La phrase mentionnée ne se trouve pas dans l’interview du patriarche. Celui-ci a dit textuellement : « Malgré l’athéisme d’État, la société soviétique a pu garder les racines chrétiennes et éviter ces processus destructeurs qui se produisent actuellement en Europe et aux USA ». Le patriarche a dit encore que les autorités communistes de l’Union soviétique n’avaient pas osé « dynamiter le fondement moral de la vie de la société » qui, selon ses paroles, était « restée globalement chrétienne (…) Cela nous a sauvés : notre littérature, notre art figuratif, étaient pénétrés d’idées chrétiennes, et la morale du peuple est restée chrétienne ». Même si l’on peut considérer ces propos comme étant maladroits et optimistes, il n’est pas question ici du « fondement » du régime soviétique sur les bases morales du christianisme. Le patriarche considère que celles-ci avaient pu être conservées, ce qui n’est pas la même chose.


3) … ceci alors que toutes les 14 Eglises sans exception avaient accepté le communiqué de la conférence de Chambésy du 28 janvier 2016 annonçant la tenue du concile pour la fête orthodoxe de la Pentecôte le 19 juin 2016
Il est inexact de prétendre que toutes les Églises sans exception, avaient accepté le communiqué de Chambésy. On peut lire la remarque suivante sur le texte concerné, au-dessus de la signature du représentant du Patriarcat d’Antioche, le métropolite Isaac : « L’Église d’Antioche n’est pas d’accord avec le contenu du document. Nous refusons de le signer » (la photocopie du document original a été publiée sur le site Romfea).


4) Pour le diacre André Kouraiev, l’un des théologiens les plus réputés de l’Eglise russe, il ne fait pas de doute que cette décision [la revendication de la juridiction du Patriarcat de Constantinople sur l’Ukraine] a conduit le patriarcat de Moscou à revenir sur sa décision de janvier de participer au concile.
Tout d’abord, il ne s’agit pas d’une décision du Patriarcat de Constantinople ou de son primat, mais des propos du père John Chryssavghis, conseiller du patriarche de Constantinople. Depuis des années, le Patriarcat de Moscou se plaint des agissements officieux de Constantinople en Ukraine, donc il ne s’agit pas là d’un fait nouveau qui aurait conduit le Patriarcat de Moscou à revenir sur sa décision de participer au Concile. Qui plus est, la question de l’Église orthodoxe d’Ukraine ne figure pas à l’ordre du jour. Seuls sont prévus six thèmes, et l’article 8,2 du règlement conciliaire dispose : « ne peuvent être introduits pour être débattus dans le Concile des textes non approuvés à l’unanimité par les Conférences panorthodoxes préconciliaires et les Synaxes des Primats ou de nouveaux thèmes ». Au demeurant, l’archevêque Job de Telmessos, porte-parole du Concile a confirmé, dès le premier jour de celui-ci: « La question ukrainienne n’est pas à l’ordre du jour ».
 

5) Citant les propos d’Alexandre Soldatov, M. Arjakovsky écrit que « la décision de l’Eglise bulgare le 1er juin de ne pas se rendre en Crète fait suite à la canonisation le 28 mai à Sofia, en association avec le patriarcat de Moscou, de Mgr Serafim Sobolev, un évêque anti-œcuménique et ultra-conservateur ».
Ladite canonisation, qui était préparée depuis longtemps, a été décidée le 2 décembre 2015 en raison des nombreux miracles qui s’étaient produits sur l’intercession de l’archevêque, et a eu lieu officiellement le 3 février 2016 (et non pas le 28 mai, comme l’affirme M. Arjakovsky) et ce  lors de l’Assemblée de l’Église orthodoxe russe. Donc ce n’était pas « pour les besoins de la cause ».
 

6) Pour finir, selon M. Arjakovsky, « la visite au Mont Athos fin mai du patriarche Cyrille avec Vladimir Poutine a eu exactement le même effet puisque, quelques jours plus tard, les moines de cette presqu’île, très influents en Grèce, ont rejeté vigoureusement les textes préconciliaires ».
Il convient tout d’abord de préciser que la lettre de la Sainte-Communauté du Mont Athos ne « rejette » pas les textes préconciliaires, mais propose un certain nombre d’amendements, ce qui n’est pas la même chose. Elle est en outre datée du 25 mai 2016 , tandis que le patriarche Cyrille est arrivé le 27 mai sur le Mont Athos, donc deux jours après l’envoi de la lettre. En conséquence la réaction des moines athonites n’a aucun rapport avec la visite du patriarche russe. Qui plus est, la date de la  réunion de la « Synaxe double », organe exécutif du Mont Athos, qui a rédigé la lettre susmentionnée, avait été arrêtée plusieurs semaines avant. Pour qui connaît tant soit peu le Mont Athos, avancer que le patriarche de Moscou dicterait ses desiderata aux moines athonites est risible. Il ne faut pas oublier que sur vingt monastères, un seul est russe ! Insinuer également que le Patriarcat d’Antioche est plus ou moins aux ordres de Moscou ne repose sur aucun fait établi. En outre, l’Église d’Antioche avait prévenu plusieurs fois qu’elle ne viendrait pas au Concile si son différend avec le Patriarcat de Jérusalem sur la juridiction du Quatar n’était pas réglé au préalable. Comme indiqué plus haut, le Patriarcat d’Antioche avait refusé de signer, en janvier 2016, la convocation du Concile et n’a fait récemment que confirmer sa décision.
En conclusion, je dirais qu’il est regrettable qu’un historien fonde toute son argumentation, non sur des faits précis et vérifiés, mais sur des articles de deuxième main, émanant de personnes qui soutiennent une idéologie (Jim Kovpak, cf. son site) ou qui sont en délicatesse avec leur hiérarchie (le diacre André Kouraiev), et n’ont pas ipso facto de raison de donner une appréciation objective de la situation.
 

Espérant que cette mise au point vous permettra, ainsi qu’à vos lecteurs, de mieux comprendre les événements concernant le Concile de l’Église orthodoxe, je vous prie d’agréer, Madame, Monsieur, l’expression de mes meilleurs sentiments.

Bernard Le Caro

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